démocratie algorithmique ?

« Pour Jacobin, l’économiste britannique Giorgos Galanis convoque le récent livre de l’économiste Maximilian KasyThe Means of Prediction: How AI Really Works (and Who Benefits) (Les moyens de prédictions : comment l’IA fonctionne vraiment (et qui en bénéficie), University of Chicago Press, 2025, non traduit), pour rappeler l’importance du contrôle démocratique de la technologie. Lorsqu’un algorithme prédictif a refusé des milliers de prêts hypothécaires à des demandeurs noirs en 2019, il ne s’agissait pas d’un dysfonctionnement, mais d’un choix délibéré, reflétant les priorités des géants de la tech, guidés par le profit. »

Du contrôle des moyens de prédiction, Hubert Guillaud

Voir ma traduction de l’article de Galanis, L’humanité a besoin d’un contrôle démocratique de l’IA.

Des fiducies (trusts) de gestion démocratique des données, « des institutions collectives qui gèrent les données au nom des communautés à des fins publiques telles que la recherche en matière de santé ». C’est ce que propose Galanis, comme moyen de reprendre du pouvoir sur nos données, et affaiblir celui qu’exercent les Big Techs sur nos vies… et sur la survie de tous.

Il appartient à ceux qui se sont enrichis de la course à la domination technologique (et financière) de réparer les pots cassés (Move Fast and Break Things, l’ancien motto de FaceBook et de la Silicon Valley en général).

Pourquoi serait-ce si important de contrôler nos centres de données alors que l’eau monte, les forêts brûlent, les métiers se perdent, les communautés se dissolvent ?

En quoi une gestion démocratique et dans l’intérêt collectif des données sera-t-elle bénéfique ? Quelles données ? Recueillies à quelles fins ? Avec quelle participation, quelle qualité en termes de validité, de disponibilité fine, réticulaire ?

Tellement habitués à laisser ces préoccupations à d’autres, comme rétribution pour l’accès à des outils, logiciels, plateformes à peu ou pas de frais… qu’il est difficile d’entrevoir d’autres usages pour ces données.

Peut-être faut-il imaginer un autre usage pour ces données, en relation avec un autre usage des biens et services, ceux de demain, en fonction des besoins d’aujourd’hui et de demain. Par exemple, les données liées à la gestion d’une flotte de véhicules disponibles en remplacement des autos de propriété individuelle. Une appropriation collective, avec compensation honorable aux anciens propriétaires, dans une démarche transitionnelle visant à réduire la quantité d’automobiles dans nos cités pour investir dans des modes plus économiques (bus, trams, trains) ou plus légers (vélos assistés, trottinettes électriques) de transport.

Un système qui intégrerait Taxis, Uber, Communauto, Bixi… pour une ville avec trois (5, 8 ?) fois moins d’autos, plus de parcs, plus de vélos, de meilleurs transports interurbains, et entre les banlieues et la ville centre et entre elles. Des trams à usage mixtes : des conteneurs et des personnes… selon les heures, les parcours = moins de camions sur les routes = moins de routes à réparer.

Et si on intégrait les commerces locaux, autour d’un système de transport et de locaux d’entreposage partagés ? Chaque marchand local avait un service de livraison quand j’étais enfant. Et puis les ménages ont eu des autos, et les centres d’achat sont arrivés. Bien avant Amazon, cela avait été dur pour les commerces. Et Amazon avait tellement d’argent qu’il pouvait subventionner une flotte de livreurs, pas payés chers il est vrai, pour faire qu’il soit plus facile (et moins coûteux) de commander en ligne et faire livrer que d’aller à la quincaillerie. Plus facile pour celles et ceux qui n’ont pas d’auto, en tout cas. Et si les commerces locaux pouvaient compter sur un système de livraison partagé ?

Données de circulation, de consommation, de production, d’impacts, de viabilité, de santé, de productions culturelles, de mémoires, de fictions… données de consultation, de recherche, de conscience et d’alertes… données publicitaires, publications et appels… ce sont des matériaux qui, actuellement, sont accumulés, analysés, triturés par les serveurs et data centres des GAFAM, auxquels nous avons très peu accès et sur lesquels nous avons encore moins de pouvoir.


Sur la question d’un numérique plus démocratique : L’archipel des GAFAM – Manifeste pour un numérique responsable, par Vincent Courboulay; Comment bifurquer – Les principes de la planification écologique, par Cédric Durand et Razmig Keucheyan; Le capital algorithmique, par Durand Folco et Martineau.

Et sur ce blogue (parmi d’autres) : Un numérique souverain parce que public (2025.09); Le pouvoir numérique (2025.02); Le pouvoir numérique (2) (2025.02); Infrastructure numérique démocratique (2025.07); Communication numérique (2023.12); Information et démocratie (2023.12); Écosocialisme numérique (2022). Sur la planification démocratique (qui suppose une dose de numérique démocratique) : Brève présentation de quatre modèles de planification économique démocratique; La finance et la planification.

des leçons à tirer de nos défaites

Je n’avais pas l’intention d’écrire un billet suite aux résultats des dernières élections municipales mais la lecture d’un billet par Henry Farrell à propos de deux articles parus dans le New York Times, l’un par Ezra Klein et l’autre par Ross Douthat, m’amène à vouloir tirer des leçons de cette discussion à propos de l’avenir du Parti démocrate américain pour les appliquer à plus petite échelle à nos enjeux électoraux locaux.

Trois articles que j’ai traduits pour plus de facilité de lecture. Le premier, paru le 1er novembre sous la plume de Ross Douthat (La raison pour laquelle Harris a perdu en 2024 est évidente. Mais les démocrates peuvent-ils l’accepter ?) souhaite que le parti Démocrate se déplace vers le centre pour rejoindre l’électeur moyen, ou médian. Il se demande, cependant, si les militants et actuels membres de ce parti sont prêts à cela.

L’article de Klein paru le lendemain (Voici comment battre Trump — et le trumpisme) peut sembler, à première vue, aller dans le même sens : les démocrates se sont éloignés de leur base traditionnelle.

Un stratège démocrate qui a mené d’innombrables groupes de discussion m’a dit que lorsqu’il demande aux gens de décrire les deux partis, ils décrivent souvent les républicains comme « fous » et les démocrates comme « moralisateurs ». Une femme lui a dit : « Je préfère les fous aux moralisateurs. Au moins, les fous ne me regardent pas de haut. »

Cela fait écho à ce que j’ai entendu de la part des électeurs que les démocrates déplorent avoir perdus. J’ai l’impression d’avoir sans cesse la même conversation : parfois, les gens me parlent des questions sur lesquelles le Parti démocrate s’est éloigné d’eux. Mais ils décrivent d’abord un sentiment plus fondamental d’aliénation : ils en sont venus à croire que le Parti démocrate ne les aime pas.

Voici comment battre Trump — et le trumpisme

Dans Le libéralisme transforme la pluralité d’une faiblesse en une force Farrell commence avec cette invitation :

Voici une astuce pour lire l’article d’Ezra Klein publié hier dans le New York Times. Tout d’abord, lisez l’article de Ross Douthat qui donne des conseils aux démocrates sur ce qu’ils devraient faire. Ensuite, pendant que vous lisez l’article d’Ezra, posez-vous la question suivante : y a-t-il des différences importantes entre ce que disent les deux auteurs ?

(…) La différence entre l’argument selon lequel « le Parti démocrate devrait devenir un parti modéré » et l’argument selon lequel « le Parti démocrate devrait être plus accueillant envers les modérés et les autres personnes qui ne sont pas d’accord avec toutes ses positions » peut sembler subtile à première vue, mais elle a des conséquences pratiques importantes.

L’élection, toute récente, du nouveau maire de New York (Zohran Mamdani) pourrait sembler donner raison à ceux qui disent que le Parti démocrate n’était pas assez à gauche ! Pas assez pur dans ses positions. J’ai tendance à penser comme Farrell, qui appuie Klein dans sa vision d’un Parti démocrate qui doit apprendre à élargir sa coalition plutôt que de simplement la déplacer vers le centre et ainsi se délester des membres les plus à gauche.

Naturellement les enjeux qui se posent pour le parti américain sont d’une autre ampleur que ceux que doivent affronter des partis municipaux ! Mais pour une ville, une métropole comme Montréal, n’y a-t-il pas aussi l’évidence d’une diversité des points de vue et des intérêts ? Quand on regarde la carte des résultats, ça me semble clair.

Source : Le Devoir

Et puis on pourrait appliquer la même réflexion à Québec Solidaire. Vaut-il mieux rester « pur » et dans l’opposition éternellement, en comptant sur d’éventuels gouvernements minoritaires ou encore plus hypothétiquement la représentation proportionnelle, pour avoir quelque pouvoir sur le déroulement des affaires ?

Élargir sa base sans perdre son âme… ce n’est pas chose facile. Comme le dit Klein :

Aujourd’hui, la tolérance politique est plus difficile pour beaucoup d’entre nous que la tolérance religieuse. Trouver des moyens de transformer nos désaccords en échanges, en quelque chose de fructueux plutôt que de destructeur, semble presque fantaisiste. Mais il existe une réelle opportunité politique — oserais-je dire, une réelle majorité politique — pour la coalition qui pourra y parvenir.

Et Farrell de conclure :

La leçon à en tirer n’est pas que la gestion du pluralisme est facile. Au contraire, c’est tout sauf facile. Mais cela montre que développer la tolérance et trouver des moyens de surmonter les inévitables désordres et conflits peut non seulement créer un objectif commun en interne, mais aussi attirer d’autres personnes vers votre cause. Le pari des libéraux avec un petit « l » est que la pluralité n’est pas simplement un problème inévitable, mais une énorme source de force politique. Il s’agit de réaliser que la force consiste à surmonter les différences plutôt qu’à chercher à les éliminer.

Au niveau de la gestion d’une métropole comme Montréal, l’intégration des différences pourrait être facilitée par la reconnaissance de plus de pouvoir donné aux arrondissements. À l’échelle provinciale, cela pourrait se traduire par des régions plus autonomes et soutenues ? Une telle approche permettrait peut-être de développer un programme qui perce mieux dans les régions et sorte des grands centres urbains. Une approche permettant de mobiliser des alliés autour de la définition d’enjeux locaux et régionaux qui n’ont pas à se calquer sur ceux des villes-centres…

À moins qu’on préfère l’alternance, escomptant l’effet de balancier et de rejet des politiques après 4 ou 8 ans au pouvoir, parce que les difficultés qu’impose la gestion du réel génèrent des frictions et des insatisfactions… qui amèneront l’électorat à souhaiter un changement. Au risque de faire du surplace et voir le parti nouvellement élu défaire ce que le précédent a fait, et vice-versa.

Mais plus d’autonomie aux régions et aux arrondissements n’est-ce pas abandonner la prise en compte des enjeux globaux, des changements profonds qui doivent être réalisés pour faire face aux crises qui s’accumulent ? On s’occupe de ses petites affaires, on protège son confort et on laisse aux autres les grandes questions ? N’est-ce pas ce qui s’est passé pendant les décennies où l’on a négligé l’entretien des infrastructures (eau, métro…) lourdes pour maintenir au plus bas les taxes et minimiser l’inconfort (les cônes oranges) pour les citoyens-électeurs ? Reportant à plus tard, pelletant par en avant les problèmes ?

Plus d’autonomie aux régions, arrondissements ne devrait pas signifier le droit de se délester des problèmes communs. Cela ne fait sens que si c’est pour mieux ancrer dans les configurations locales les enjeux globaux.

classement thématique des derniers articles traduits

Depuis le 22 août dernier, alors que je faisais une courte synthèse et classais les derniers articles traduits sur mon carnet Praxis, j’ai traduit une trentaine d’articles glanés au cours de mes lectures de newletters, d’abonnements Substacks et de flux RSS. Des traductions que je fais, le plus souvent pour mieux les lire moi-même sur le moment, ou parfois pour les lire plus tard. J’ai commencé en février dernier cette liste évolutive de mes traductions, en les ajoutant de façon antéchronologique (le dernier arrivé en premier). Il y en a plus de 130.

Éventuellement je ferai un classement thématique de l’ensemble, pour l’instant je me contenterai des derniers articles. À l’intérieur des sections j’ai laissé l’ordre antéchronologique. C’est dire qu’ils ne sont pas classés par ordre d’importance stratégique ou ontologique.

La technologie, les GAFAM, le numérique et l’IA

On y discute beaucoup de l’intelligence artificielle (IA), des grands modèles de langage (LLM) et des GAFAM. J’ai inclu un article sur la présence du Canada dans l’espace, par son côté technologie satellitaire. J’aurais pu le placer sous le thème Politique. De même, l’article sur l’apocalypse de l’IA aurait pu être placé sous la rubrique Économie. Les enjeux soulevés par Doctorow dans La capture réglementaire sont d’abord politiques même s’ils s’appliquent au secteur technologique.

L’idéologie texane – La Silicon Valley cherche son « espace vital » dans la Bible Belt, par Fred Turner, octobre 2025
« Aujourd’hui, l’espoir que des ordinateurs interconnectés créent une utopie semble extrêmement naïf. Malgré tous les discours de Mark Zuckerberg sur sa volonté de connecter le monde, Facebook reste un moteur de conflits politiques, aux États-Unis et à l’étranger. La manière dont Facebook gagne de l’argent marque également un changement important par rapport aux années 1990. À l’époque, personne ne savait vraiment comment tirer profit des nouveaux réseaux numériques ; on savait simplement qu’il y avait de l’argent à gagner quelque part. »
Ce que les machines ignorent, par Eryk Salvaggio, 12 Oct 2025
« Pour la même raison qu’un chien peut aller à l’église mais ne peut pas être catholique, un LLM peut avoir une conversation mais ne peut pas participer à la conversation. »
L’histoire complexe et étroitement liée du militantisme pour le climat et les droits numériques, Cory Doctorow, 11 octobre 2025
« j’ai souvent été frappé par les parallèles entre le militantisme climatique et le militantisme technologique. Dans les deux cas, le défi fondamental consiste à sensibiliser les gens aux effets catastrophiques imminents de mauvaises politiques. Dans les deux cas, ces politiques et leurs effets sont très abstraits et techniques, et découlent d’un ensemble énorme, complexe et transversal de contingences et de circonstances, ce qui rend difficile pour quiconque d’en mesurer véritablement l’ampleur. Il ne suffit pas de maîtriser les questions techniques, il faut également comprendre les enjeux économiques, sociaux et politiques. »
Réclamer l’espace, par Alexander Macdonald et Chris Hadfield, G&M, 27 septembre
« Il y a quatre raisons principales pour lesquelles le Canada devrait accorder une priorité importante aux systèmes spatiaux dans le cadre de sa stratégie de défense nationale et d’industrialisation à double usage : l’importance croissante des systèmes spatiaux pour la défense nationale dans son ensemble ; la situation géopolitique et de défense nationale spécifique du Canada ; la valeur économique mondiale croissante des systèmes spatiaux ; et la force actuelle de la base industrielle spatiale canadienne. »
Beaucoup d’espace au bas (de la pile technologique), 29 septembre 2025, Cory Doctorow
« Je pense que c’est une conclusion facile. Il est vrai qu’il faut plus d’étapes pour s’inscrire sur Mastodon que pour rejoindre Instagram, et qu’Instagram dispose d’un système de recommandation qui peut vous aider à démarrer votre réseau et à commencer à remplir votre flux. Mais il est également vrai qu’Instagram compte des milliers d’ingénieurs et de spécialistes UX/UI qui travaillent dessus, tandis que Mastodon fonctionne avec une équipe réduite.
L’idée selon laquelle les imperfections de Mastodon sont dues au fait qu’il est ouvert et fédéré – et non parce qu’il fonctionne avec une fraction infime des ressources d’Instagram – me semble peu plausible. »
La véritable apocalypse (économique) de l’IA est proche, Cory Doctorow, 27 septembre 2025
« La construction de centres de données repose sur des finances véritablement absurdes : certaines entreprises de centres de données garantissent leurs prêts en mettant en gage leurs gigantesques processeurs graphiques Nvidia. C’est fou : il n’y a pratiquement rien (à part le poisson fraîchement pêché) qui perde sa valeur plus rapidement que les puces en silicium. Cela vaut trois fois plus pour les GPU utilisés dans les centres de données IA, où il est normal que des dizaines de milliers de puces brûlent au cours d’une seule session de formation de 54 jours »
Et si la Poste disposait de son propre modèle d’intelligence artificielle ?, par Max Read, 25 septembre 2025
À propos d’une IA publique.
« Et il existe d’autres possibilités ! Ici, à New York, sept universités publiques et privées se sont associées au gouvernement de l’État sous la bannière « Empire AI » afin de mettre en place une infrastructure informatique pouvant être utilisée pour des recherches responsables. Comme l’expliquent Ganesh Sitaraman et Karun Parek, l’approche publique présente des avantages indirects : »
Manger l’avenir : la logique métabolique de la bouillie de l’IA, par Kate Crawford, septembre 2025
Le consensus de la Silicon Valley et les limites d’une « économie de l’IA », par Edward Ongweso Jr, 8 septembre 2025
Comprendre l’IA en tant que technologie sociale, par Henry Farrell, 12 septembre 2025
Un guide pour comprendre l’IA comme technologie normale, par Arvind Narayanan et Sayash Kapoor, 9 septembre 2025. Il s’agit d’un texte en complément du texte suivant L’IA, une technologie normale
L’IA, une technologie normale, par Narayanan et Kapoor, avril 2025 (pdf)
Se passer des technologies américaines : un guide, par Paris Marx, 2025.07.18
La capture réglementaire, par Cory Doctorow, juin 2022
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