Traduction de The curious, intertwined history of climate and digital rights activism, par Cory Doctorow, 11 octobre 2025

Je suis un environnementaliste, mais je ne suis pas un militant pour le climat. Je l’étais autrefois – j’allais même jusqu’à sonner à la porte d’inconnus au nom de Greenpeace. Cependant, il y a un quart de siècle, j’ai rejoint l’Electronic Frontier Foundation et suis devenu un militant pour les droits numériques à vie, me contentant désormais d’encourager les militants environnementaux depuis les coulisses de leur combat :
Au fil des décennies, j’ai souvent été frappé par les parallèles entre le militantisme climatique et le militantisme technologique. Dans les deux cas, le défi fondamental consiste à sensibiliser les gens aux effets catastrophiques imminents de mauvaises politiques. Dans les deux cas, ces politiques et leurs effets sont très abstraits et techniques, et découlent d’un ensemble énorme, complexe et transversal de contingences et de circonstances, ce qui rend difficile pour quiconque d’en mesurer véritablement l’ampleur. Il ne suffit pas de maîtriser les questions techniques, il faut également comprendre les enjeux économiques, sociaux et politiques. Les mauvaises politiques technologiques et climatiques sont toutes deux des problèmes complexes, difficiles à définir et encore plus difficiles à résoudre.
Qu’il s’agisse de technologie ou de climat, il existe un moyen infaillible d’amener les gens à se soucier de ces questions : il suffit de ne rien faire, de laisser ces problèmes s’aggraver, et même pire, jusqu’à ce que la vie de millions de personnes soit ruinée. Alors, bien sûr, les gens s’en soucieront. Si nous ne faisons rien contre les incendies et la hausse des températures, tous ceux qui vivent à la lisière des zones urbaines et sauvages perdront leur maison et peut-être même leur vie à cause d’un incendie de forêt. Et si nous ne faisons rien contre la surveillance, la manipulation et le monopole, tout le monde finira par voir son salaire réduit, ses libertés restreintes, son identité volée et son portefeuille dévalisé par un monopole technologique ou un prédateur opportuniste vivant aux dépens des victimes affaiblies et vulnérables du monopole.
Dans un sens important, le travail d’un activiste consiste à mettre en évidence et à faire comprendre l’urgence de ces questions avant que ces conséquences ne nous touchent. Les activistes climatiques et technologiques utilisent tous deux la narration pour y parvenir, et j’ai écrit des romans qui sont des récits édifiants sur ce qui se passerait si nous nous trompions sur le climat et sur la technologie, ainsi que des romans destinés à inspirer l’espoir d’un monde meilleur si nous faisions les bons choix.
Les militants pour le climat et les militants technologiques doivent tous deux faire face à des « solutions » néolibérales inappropriées qui proposent de résoudre le problème en déployant des politiques technologiquement extravagantes. Les militants technologiques doivent lutter contre ceux qui affirment que nous pouvons résoudre le problème de la surveillance commerciale en « obtenant le consentement » pour espionner les gens. Les militants écologistes doivent lutter contre ceux qui affirment que nous pouvons contrôler les émissions grâce à des « crédits carbone » qui font d’Elon Musk un multimilliardaire en vendant des indulgences aux constructeurs de SUV qui remplissent nos routes et notre ciel de nuages toujours plus épais de CO2 et de gaz d’échappement cancérigènes :
https://pluralistic.net/2021/11/24/no-puedo-pagar-no-pagara/
Les militants pour le climat et les militants technologiques doivent démontrer aux gens que cette crise découle de dysfonctionnements systémiques et non des choix de consommation individuels. Nous devons amener nos partisans à cesser de se demander s’ils doivent utiliser une paille en plastique ou quitter Facebook, et les inciter plutôt à se concentrer sur l’utilisation de la politique pour briser le pouvoir des entreprises géantes et extrêmement rentables qui nous ont plongés dans cette crise. Nous devons mettre fin aux activités des compagnies pétrolières telles que Chevron et Exxon, et nous devons mettre fin aux activités des entreprises comme Facebook et Google :
https://pluralistic.net/2021/04/05/zucks-oily-rags/
Au-delà de ces parallèles, l’activisme climatique et l’activisme technologique ont des points communs concrets. Le plus grand obstacle à l’adoption de bonnes politiques technologiques ou climatiques est le pouvoir du cartel qui domine chaque secteur. Les cartels ne sont pas seulement des dispositifs permettant d’augmenter les prix, ils sont encore plus efficaces pour contrôler leurs régulateurs. Une centaine de petites et moyennes entreprises constituent une foule désespérée, incapable de se mettre d’accord sur quoi que ce soit, en particulier sur ce qu’elles attendent des régulateurs. En revanche, cinq grandes entreprises parviennent très facilement à s’entendre et disposent de ressources financières considérables issues de leur monopole, qu’elles peuvent mobiliser pour imposer leur point de vue dans les forums politiques :
https://pluralistic.net/2022/06/05/regulatory-capture/
Il existe toutefois un autre parallèle plus encourageant entre la technologie et le climat : après des décennies de stagnation, les deux ont connu une amélioration rapide à l’échelle mondiale. L’énergie solaire dépasse toutes les attentes. À l’échelle mondiale, nous tirons plus d’énergie du solaire que du charbon. L’énergie solaire est moins coûteuse que n’importe quelle forme de combustible fossile. Elle s’améliore chaque jour, et nous cherchons des solutions pour surmonter certains des défis majeurs qui se posent, comme trouver tous les matériaux nécessaires à la transition vers le solaire. Il s’avère que bon nombre des défis à relever dans ce domaine se résument au fait que le recyclage des anciennes technologies propres consomme beaucoup d’énergie. Cependant, à mesure que l’énergie solaire devient moins coûteuse et plus efficace, nous disposons de beaucoup d’énergie et nous pouvons démonter un ancien panneau solaire qui fonctionnait à 20 % d’efficacité et utiliser les matériaux récupérés pour fabriquer deux panneaux solaires fonctionnant chacun à 40 % d’efficacité :
https://pluralistic.net/2024/08/06/with-great-power/
Il y a ensuite la technologie. Au cours des cinq dernières années, les mesures prises au niveau mondial en matière de réglementation technologique ont été plus nombreuses qu’au cours des 40 années précédentes. Toutes ne sont pas positives – beaucoup sont aussi peu judicieuses que de placer ses espoirs dans le captage du carbone ou les réacteurs à fusion –, mais les gouvernements du monde entier se sont engagés dans cette voie et sont déterminés à aller de l’avant :
https://pluralistic.net/2025/08/07/the-people-no-2/
En matière de climat et de technologie, Trump s’avère être une bénédiction (mitigée) déguisée. Certes, il met fin à la décarbonisation aux États-Unis, mais il s’aliène également les (anciens) alliés de l’Amérique si rapidement et si profondément que de nombreux pays se rapprochent de l’orbite chinoise. Encore une fois, c’est une bénédiction mitigée, mais l’un des effets très positifs de l’agressivité de Trump est qu’elle a motivé les dirigeants d’autres pays (anciennement) amis, les incitant à lancer de grands programmes ambitieux pour échapper aux entreprises technologiques américaines :
https://pluralistic.net/2025/01/15/beauty-eh/
Sous la première administration Trump, les droits de douane sur les panneaux solaires chinois ont conduit les fabricants chinois à inonder les pays du Sud de panneaux solaires si bon marché que des régions entières se sont équipées en panneaux solaires pratiquement du jour au lendemain. Le Pakistan, l’un des pays les plus touchés par le changement climatique et les plus exposés aux risques liés aux changements futurs, est désormais une nation solaire, à tel point que sa compagnie d’électricité nationale risque de faire faillite, car tout le monde produit sa propre électricité plutôt que de l’acheter au réseau.
Parallèlement, l’invasion de l’Ukraine par Poutine a poussé l’Europe, dans son ensemble, mais surtout l’Allemagne, à se lancer à son tour dans une transition solaire rapide. Presque tous les immeubles de grande hauteur en Allemagne sont désormais parsemés (voire recouverts) de panneaux solaires bon marché et faciles à installer sur les balcons. L’Europe est en avance sur ses objectifs de transition énergétique :
https://electrek.co/2025/09/30/solar-leads-eu-electricity-generation-as-renewables-hit-54-percent/
Poutine n’est pas le seul dirigeant à inciter l’Europe à mettre en œuvre des changements rapides afin d’échapper aux silos des grandes entreprises technologiques américaines, en créant un « Eurostack » d’applications et de services ouverts, transparents et fabriqués dans l’UE, destinés à remplacer les plateformes technologiques américaines :
https://pluralistic.net/2025/06/25/eurostack/
Autre point commun, moins réjouissant, entre la technologie et le climat : non seulement les deux s’améliorent plus rapidement que nous ne l’aurions cru possible, mais ils se détériorent également plus rapidement que nous ne le craignions.
En matière de climat, pratiquement tous les phénomènes négatifs qui apparaissaient dans nos modèles se produisent plus rapidement que nous ne le pensions. Le pergélisol fond plus vite et libère plus de méthane que nous ne l’avions prévu. Le Gulf Stream et le jet stream deviennent plus instables, plus rapidement que prévu. Certes, nous décarbonisons et solarisons plus rapidement que nous ne le pensions possible, mais le monde se détériore aussi plus rapidement que nous ne l’avions imaginé :
https://billmckibben.substack.com/p/something-extraordinary-just-happened
Et je n’ai pas besoin de vous expliquer ce qui se passe dans le domaine technologique. Le technofascisme est en plein essor. L’ICE utilise nos appareils pour arrêter nos voisins et les envoyer dans des prisons où ils sont torturés. Trump utilise nos publications sur les réseaux sociaux pour traquer « la gauche radicale » en prélude à des purges massives. Sept entreprises d’intelligence artificielle représentent désormais un tiers du S&P 500, et elles perdent de l’argent encore plus rapidement qu’elles n’émettent de carbone. Le krach qui se profile à l’horizon fera passer celui de 2008 pour une promenade de santé :
https://pluralistic.net/2025/09/27/econopocalypse/
De plus, les technologies et les technologies propres fusionnent. La « merdification » (enshitification) qui a transformé toutes les plateformes en médiocrité peut désormais transformer toutes les technologies propres en médiocrité également. Si Apple peut supprimer l’application ICEBlock de votre téléphone, alors une entreprise d’onduleurs solaires peut également désactiver à distance votre panneau solaire et vous laisser dans le noir :
Depuis le début de ce siècle, je suis un activiste technologique, mais il s’avère qu’être un activiste technologique a beaucoup en commun avec être un activiste climatique, et parfois, comme lorsque nous luttons pour empêcher les constructeurs de bloquer les véhicules électriques ou pour empêcher la recherche de rentes avec les onduleurs, c’est littéralement la même chose.
Le grand James Boyle a décrit le pouvoir transformateur du mot « écologie ». Sans ce mot, il n’y a pas de lien évident entre, par exemple, la campagne pour sauver la couche d’ozone et la campagne pour sauver les chouettes en voie de disparition. Le sort de ces oiseaux nocturnes charismatiques n’est pas facilement compris comme faisant partie intégrante de la composition gazeuse de la haute atmosphère. Le mot « écologie » établit ce lien et transforme ainsi mille problèmes en un mouvement.
Je pense que quelque chose de similaire est en train de se produire à nouveau. Il existe un mouvement embryonnaire qui tente de comprendre qu’il s’agit d’un mouvement, que les problèmes de l’exploitation des travailleurs, du fascisme, de la dégradation du climat, de la surveillance, de l’autoritarisme et du génocide sont tous liés entre eux par le fait qu’ils sont causés par une concentration extrême de richesse et de pouvoir. La concentration extrême de la richesse et du pouvoir est dangereuse en soi, car même le milliardaire le plus bienveillant n’est pas infaillible, et les décisions malavisées des personnes très riches ont des conséquences bien plus importantes que celles que vous ou moi pouvons prendre. Nos erreurs peuvent causer du mécontentement chez nos proches. Les erreurs des milliardaires, comme leur obsession dilettante pour la « réforme de l’éducation », peuvent ruiner toute une génération :
https://pluralistic.net/2021/07/26/aggregate-demand/
Et bien sûr, le type de personne qui amasse des milliards n’est pratiquement jamais une personne bienveillante. L’histoire que vous devez vous raconter pour devenir milliardaire fait de vous un véritable psychopathe :
https://pluralistic.net/2025/08/18/seeing-like-a-billionaire/
Nous n’avons pas encore de mot pour désigner ce nouveau mouvement anti-enshittification, anti-oligarchie et anti-barons du carbone, mais ce mot pourrait être « solidarité ». La solidarité est le contraire du fascisme. La solidarinet est le contraire de l’enshitternet. La solidarité empêche les désastres de devenir des catastrophes :
