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une histoire des CLSC après 25 ans

Les Centres locaux de services communautaires : des institutions de la société civile ?

(1999.04) Créés il y a vingt-cinq ans pour répondre à la fois aux inquiétudes technocratiques devant la croissance rapide des coûts des services hospitaliers, aux désirs de réforme des pratiques professionnelles médicales et sociales ainsi qu’aux pressions populaires demandant plus d’accessibilité, de contrôles démocratiques et d’approche globale dans les nouveaux services, les CLSC auront été dès le départ l’enjeu de débats acerbes concernant l’orientation qu’il fallait leur donner.

À la fois décriés par la gauche comme une « récupération par l’État de l’expérience des cliniques populaires » et par les pouvoirs publiques comme étant des nids « de péquistes et de marxistes », le développement du réseau des CLSC a été à plusieurs reprises bloqué, évalué, ré-évalué, re-négocié. Il aura fallu près de 20 ans avant que l’État québécois se décide enfin à compléter ce réseau, et pendant les quinze premières années il fut constamment question de le démanteler.
À ceux qui, de l’extérieur, condamnaient facilement ce réseau comme une simple création des pouvoirs de l’État, on rappèle à quel point, de 1972 à 1987 la Fédération des CLSC s’est heurtée, parfois frontalement, aux désirs et propositions du ministère. Cette indiscipline devant les projets de développement proposés explique sans doute la lenteur, pour ne pas dire le refus du ministère à compléter le réseau.

Ces institutions locales sont issues, pour la première génération du moins (1972-1980), de processus de consultations, de pressions menées par les communautés territoriales (environ 10 à 50 000 personnes). Institutions fortement enracinées dans les communautés et dirigées par des conseils composés en majorité de citoyens et d’employés1.

Ces institutions ont alors une mission très large et diffuse, englobant tant des services médicaux et nursing que les soins à domicile, les services sociaux aux familles, le soutien aux organisations communautaires, les services en santé au travail… La mission éducative, préventive des CLSC première génération est vue comme centrale.

Ces institutions très autonomes, collées aux dynamismes locaux, lieux d’expérimentation et de développements de nouveaux services tissaient un réseau des plus diversifiés qui rendait très difficile les efforts d’évaluation et de synthèse des fontionnaires ministériels : comment faire la somme de ce patchwork de services préventifs, communautaires et sociaux ?

Pendant que la première génération des CLSC expérimentait un développement tout azimuts riche des mouvements sociaux actifs dans els quartiers et territoires où ils furent d’abord implantés, certains services jugés prioritaires ou essentiels, notamment les services à domicile et les services nursing en milieu scolaire, étaient développés à partir de structures régionales (les DSC) en attendant que les CLSC se développent sur tous les territoires. Plusieurs CLSC de la seconde génération seront consitués d’abord du transfert de ces ressources (et programmes). Un procédé qui réduisait sensiblement la marge de manoeuvre de ces petits nouveaux qui devenaient plus des véhicules pour des programmes déjà normés. L’expérimentation et le développement autour de besoins spécifiques des localités, avec les localités étaient d’autant réduits que les budgets se réduisaient bien souvent aux ressources et programmes transférés.

Sans doute les besoins de base, déjà identifiés ailleurs, se retrouvaient-ils partout: c’était l’argument des fonctionnaires ministériels pour s’épargner les coûts et l’épreuve de processus locaux de mobilisation d’acteurs pour l’identification de priorités. On peut comprendre que les populations locales aient été désireuses de pouvoir compter sur les même services que dans les territoires où existaient des CLSC. Cependant en passant par dessus la « douloureuse » étape de la définition, avec et par l’interaction avec le milieu, ne risquait-on pas de se priver de leviers d’action pertinents et puissants ?

La dernière vague, ou génération de CLSC se sera mise en place au moment (ou peu avant) où les Régies régionales recevaient le pouvoir de forcer les fusions d’établissements, notamment avec des CHSLD. On peut craindre que la multiplication des établissements à double ou triple vocation ait pour effet de diminuer l’interaction avec leur milieu de ces institutions devenues gestionnaires d’équipements de plus en plus lourds à vocation de plus en plus éloignée de l’action des réseaux communautaires et volontaires.

Le développement de ce petit réseau (représentant quelque 8 % du budget du réseau de la santé) aura soulevé bien des passions et débats. Sans doute certains craignaient d’y voir le moyen d’imposer un nouveau mode de livraison des services médicaux: les médecins, pratiquant en clinique privée et rémunérés « à l’acte », se sont précipités pour développer des centaines de « polycliniques » pour faire concurrence aux CLSC. D’autres encore ont vu là un espace à occuper, un renouvellement de l’intervention publique…

Des tensions entourant le développement de ce réseau qui expliquent sans doute qu’il ait fallu attendre plus de 15 ans avant de le voir compléter. À la fois cette longue période2 de mise en place et la diversité des territoires en termes de pauvreté, de dynamiques sociales (des quartiers centraux aux banlieues-dortoirs) expliquent la disparité des institutions : certaines ayant développé une forte vocation de développement social local, et d’autres se voyant comme des cliniques médicales.

 

La question se pose encore aujourd’hui, après 25 ans de développement: à qui appartiennent les CLSC ?

Certains (J.T. Godbout) ont parlé de double allégeance des employés des CLSC : allégeance à l’État et à la communauté locale. Je crois pour ma part qu’il serait plus juste de parler d’allégeance professionnelle plutôt que d’allégeance à l’État: les corporations de médecins, de travailleurs sociaux, de nurses étant plus importantes pendant les premières années pour définir l’action, somme toute très autonomes, des groupes d’intervenants.

Il est vrai que les témoins et acteurs des premières expériences de CLSC, en particulier les cliniques populaires, ont vécu la transformation en CLSC comme une forme de désappropriation, de mainmise de l’État sur une expérience autonome, citoyenne et militante. Par ailleurs le degré d’autonomie dont ont pu jouir les premiers CLSC, même sous le « joug » du ministère, était très grand comparé aux contraintes des CLSC de la « dernière vague ».

La manière de poser le débat a évolué, même si le fonds de la question est resté sensiblement le même : jusqu’où, en fonction de quels principes, le CLSC peut-il, doit-il rester une organisation autonome, perméable aux influences de son milieu local, apte à nouer des alliances productives avec les acteurs locaux ?

Ce qui apparaissait comme une originalité dans le paysage institutionnel québécois il y a 25 ans, et qui se justifiait à partir de principes de développement social et de santé publique novateurs3, a depuis lors fait école: agir en relation avec les milieux, inscrire l’intervention publique dans des processus locaux de développement décentralisé, favoriser l’empowerment des communautés locales… Ces principes sont sujourd’hui reconnus comme essentiels par les organisations internationales de développement (OMS). Ces mêmes principes, ou encore des interprétations de ceux-ci, sont aujourd’hui mis en oeuvre dans d’autres secteurs : création des CLD (centres locaux de développement), mise en place de « comités d’établissement » avec plus de pouvoirs dans les écoles…

Au moment où le principe semble gagner en popularité, on est en droit de se demander s’il n’est pas édulcoré, vidé de sa substance, au moins dans les CLSC: l’alourdissement des mandats, les contraintes programmatiques de plus en plus étroites rendent virtuelles les marges d’autonomie locale, et celles des conseils d’administration au premier chef.

Mais le principe en jeu est-il vraiment celui d’une approche communautaire, développementale de la part de l’intervention étatique, un principe qui apparaissait novateur, effectivement, dans le contexte d’une intervention publique qui, depuis la Seconde guerre mondiale, s’était développé sur le mode fordiste des grands ensembles, de la production de masse standardisée ?

Le principe en jeu ne serait-il pas celui de la double nature, des deux faces des institutions de la société civile : à la fois un levier d’émancipation et de réalisation de droits OU un moyen de gestion-réduction du social, de  » du monde vécu » (Habermas) ?

Poser le problème ainsi demande quelques clarifications mais présente plusieurs avantages. Des clarifications concernant ce que nous entendons par institution de la société civile. des avantages en termes d’orientation de principes, de politiques.

Pour parler d’institutions de la société civile, au Québec, il faut s’expliquer car l’acception générale, populaire du mot « institution » implique presqu’une adéquation avec l’État. Est-ce une réminiscence de l’influence althussérienne qui voyait les institutions vues comme appareils idéologiques d’État ? Ou si c’est le reflet de l’importance particulière, quasi jacobine, que prend l’État au Québec ?

Toujours est-il que la société civile, entendue comme distincte à la fois de l’État et du système économique, ne se limite pas aux organisations du monde associatif (ou communautaire) mais comprend plusieurs institutions (culturelles, religieuses, scientifiques) dont l’autonomie, toujours relative mais essentielle, est un objet renouvellé de débats et d’enjeux politiques et sociaux.

L’orientation, la nature des interventions des institutions de la société civile sont un terrain distinct de celui de la gouvernance de l’État. Mais dans le contexte québécois où l’État est quasi seul bailleurs de fonds des réseaux de la santé et de l’éducation, il est facile d’assimiler la gestion des affaires de l’État à celle d’institutions dont l’ devrait être jalousement défendue, au nom de l’efficacité de leur action propre (de nature scientifique, culturelle, ou sociale) autant qu’en regard des principes définissant les limites de l’action d’un État démocratique.

Dans ce contexte, suivant qu’on accepte ou non la participation d’une institution comme le CLSC à la société civile, les enjeux d’interface avec la communauté locale seront formulés en termes de démocratisation d’un appareil d’État ou d’autonomie d’une institution de la société civile. Du point de vue concret, de la qualité d’un service à rendre, la différence n’est pas évidente.

On pourrait formuler ainsi l’alternative: Vaut-il mieux risquer la bureaucratisation par un contrôle étatique éloigné, standardisant, déqualifiant, conduisant à une sclérose et un enfermement de l’institution sur des programmes peu adaptables auxquels les clientèles devront se plier OU prendre le risque d’une politisation locale, en contexte de grande autonomie, politisation / opposition entre les logiques politiques des élus locaux, soumises aux pressions et revendications immédiates et les logiques professionnelles, à tendance à l’ilotement autonomiste?

Le contrôle de l’action professionnelle, cheval de Troie de l’intervention étatique

La complexité et l’autonomie du travail professionnel peut être vue comme une raison de l’ascendant étatique imposé graduellement sur les CLSC: la dynamique démocratique locale n’ayant que peu d’emprise sur les logiques professionnelles auto-supervisées.

Pourtant l’Université, comme lieu de concentration des compétences et débats professionnels n’ont pas amené d’intégration de l’Université dans l’appareil d’État: au contraire son autonomie est défendue ardemment au nom de la logique scientifique, qui se doit d’être indépendante à la fois du pouvoir et de l’argent (tout étant relatif par ailleurs!).

L’orientation des services sociaux et de santé offerts par les CLSC implique une interaction communicationnelle où clie?ts et professionnels établissent des contrats qui diffèrent, qui ont pour but, le plus souvent, de mobiliser le potentiel d’autonomie de leur client et de son milieu… Il ne s’agit pas d’administrer, simplement, des programmes pré-établis, mais bien de négocier, renégocier des ententes de service qui évolueront en fonction de la situation, de la mobilisation du milieu, en plus des facteurs biologiques ou sociaux traditionnellement pris en compte lors d’une évaluation clinique.

Si les professionnels-soignant-les-individus-et-leurs-familles peuvent s’accommoder d’un statut d’inféodation à un appareil d’État qui garantirait leur autonomie d’action dans le cadre de programmes normés,

de même que les syndicats peuvent trouver leur compte à travers une structure unique, mur-à-mur, garantissant par le fait même des conditions de travail rigoureusement identiques sur tout le territoire — et une capacité de négociation décuplée,

on peut douter de l’effet positif de cette intégration sur la capacité d’action autonome et de développement de la communauté locale: le milieu perd ce qu’il pu avoir de pouvoir, de capacité d’influencer cette institution locale dans la mesure où celle-ci devient de plus en plus une simple succursale distributrice locale de programmes régionaux et nationaux.

À l’interface de la communauté locale et de l’institution le conseil d’administration cesse d’être un lieu de négociation et d’interaction communicative permettant au milieu de déterminer les orientations de cette ressource locale, mais il cesse aussi d’être partie prenante des espaces démocratiques qui définissent les enjeux et avenues qui baliseront le devenir de cette communauté là. L’institution devenant déterminée par le haut, par ailleurs, elle cesse d’être un potentiel mobilisable dans le débat pour l’affirmation d’une identité locale, d’une collectivité agissante par et pour elle-même. Le CLSC cesse d’être un acteur du projet de développement social local, parce qu’il s’est mis à l’abris de toute négociation avec le milieu: pour être parti d’un projet local de développement, il lui faudrait mettre dans le « des ressources » mobilisées par ce projet une partie significative des siennes… Ce qu’il fait… un peu. Certainement plus que l’école primaire ou secondaire locale . Mais alors que l’école s’ouvre ( ou pense à peut-être s’ouvrir un jour ) le CLSC se voit de plus en plus étroitement programmé.

Mais qui a besoin, à qui profite l’autonomie locale du CLSC ? Ou qu’est-ce que ça change de concevoir le CLSC comme faisant partie de la société civile ?

Si le CLSC est perçu et défendu, maintenu comme une partie vivante de la société civile, c’est dire que nous préservons sa capacité à interagir intelligemment, de façon créatrice avec son milieu, avec les familles, les organismes de la communauté locale. Cette institution comme un levier de prise en charge, de mobilisation des ressources du milieu vers son développement social, le maintien de sa qualité de vie… et non seulement comme un véhicule de distribution de services définis ailleurs, selon des standards moyens, en regard de valeurs et de cultures n’appartenant à personne.

Est-ce à dire qu’une telle façon de voir le CLSC le rendrait irresponsable devant les bailleurs de fonds publics ? L’imputabilité devant les décideurs, en regard des programmes établis comme prioritaires par les appareils, ne devrait pas se traduire par plus de rigidité, de distance ou d’imperméabilité dans le milieu. Il faut trouver le moyen d’articuler l’imputabilité verticale (en fonction des mécanismes macro-sociologiques de solidarité et de contrôles démocratiques) et celle horizontale, sans laquelle l’action sociale et sanitaire produit plus de dépendance que de santé.

 

En conclusion

Tout n’est pas noir et blanc. Comme nous le disions en introduction, le réseau des CLSC se révèle être fort diversifié, pour des raisons historiques mais aussi en tant que reflet de la diversité des milieux et localités. Il ne faudrait pas que les CLSC perdent toute velléité d’indépendance, tout sentiment d’appartenance à leur communauté locale, parce qu’ils font parti du réseau des services sociaux et de santé. Une articulation verticale efficiente du réseau de la santé est certe importante pour assurer une distribution équitable des ressources de la société.

Mais l’interaction intelligente, communicative entre des services professionnels sensibles aux besoins en évolution dans une société en redéfinition, et des citoyens qui s’impliquent, interpellent et s’engagent parce qu’on leur reconnait une légitimité…. ce sont les ingrédients d’une institution responsable. Imputable grâce aux mécanismes de planification régionale et de représentation politique, mais surtout solidaire et responsable au sein d’une communauté locale vivante, elle-même en procès de responsabilisation…

Le CLSC, institution née de la société civile, qui y demeure encore enracinée.

M. Gilles Beauchamp
organisateur communautaire,
CLSC Hochelaga-Maisonneuve

Avril 1999

Notes

1 Aujourd’hui encore, 5 des 11 personnes du conseil d’aministration sont élues au suffrage universel du territoire. Ces cinq personnes en cooptent deux autres; trois employés siègent aussi au conseil .

2 une conjoncture passant, de 1972 à 1987, de la période de l’État-providence aux politiques néo-libérales

3 issus des expériences de community development et de luttes à la pauvreté des américains, mais aussi dans les pays en voie de développement.

(ancien URL de ce texte : www.gillesenvrac.ca/carnet/stories/2002/02/13/uneHistoireDeClsc.html)

Commentaires

2 réponses à “une histoire des CLSC après 25 ans”

  1. ABerthiaume

    Intéressant à lire en 2018 ! 🙂

  2. Oui, 20 ans (ou presque) après le 25e anniversaire, c’est à une préhistoire qu’on a affaire tellement la situation a changée ! Ton commentaire m’aura fait relire cet article assez long, et truffé de coquilles (je vais les corriger). Je me rend compte que l’histoire de ces CLSC, celle de la première génération en particulier, tirait à sa fin, en 1999. Ce qui permettra, en 2003, l’intégration des CLSC dans les CSSS… qui elle-même conduira, dix ans plus tard, à l’intégration des CSSS en CISSS et CIUSSS.

    Merci de ton commentaire, Annabelle.

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