Octobre 1992 – Interaction communautaire #23

À propos d'une intervention en HLM...

 

par Gilles Beauchamp

 CLSC Hochelaga-Maisonneuve (Montréal)

 

En quittant, en juin, la dernière rencontre avec le comité de locataires d'un HLM du quartier, Adrien et moi nous étonnions mutuelle­ment des changements qui se sont produits depuis le début de notre intervention concer­tée, il y a de cela quinze ou seize mois. Ce qui me frappait le plus, alors, c'était que nous n'avions pas particulièrement «fait quelque chose»» mais plu tôt, d'abord et avant tout, simplement, été là.

Naturellement la vérité n'est pas aussi transparente, et sans doute Pierrette s'offusquerait, avec raison, de m'en tendre dire cela. Elle a certainement fait plus qu'«être là» durant cette période: ratissant les corridors de ce pâté de 200 HLM-familles, rassemblant quelques 500 personnes, toutes scrupuleuse­ment choisies pour leur indigence, présente ou passée. Elle a rencontré, avec Adrien, avec une autre religieuse ou encore avec moi, plus de la moitié des ménages de ce «bled». Ce qui lui aura permis d'inviter quelques familles à se joindre à son groupe d'en­traide entre mères... d'en invi­ter quelques autres au comité de locataires ou encore à la cuisine collective. C'est un tra­vail de moine, de soeur (?), qu'elle a accompli là, avec une patience et une détermination admirables. Naturellement toutes les portes ne s'ou­vraient pas avec la même chaleur. Certaines même se refer­mèrent bruyamment. Mais cette visite systématique a contribué, plus que toute autre chose, à changer l'atmo­sphère, à mettre en mouve­ment certaines personnes.

Invité à intervenir auprès du comité de locataires, par la présidente de l'époque, en même temps que quelqu'un du YMCA, un autre de l'Of­fice municipal, puis de Tan­dem, je me suis joint au groupe d'intervenants désirant répondre aux préoccupations et besoins importants de ce milieu. Nous avions de plus l'intention d'expérimenter une approche inspirée de l'o­rientation Quartier en santé1qui avait déjà été réalisée dans un quartier voisin. Sans nécessairement tirer de re­cettes de cette expérience voi­sine - elle avait été réalisée dans un tout nouveau HLM alors que le nôtre avait vingt ans d'histoire derrière lui - il aurait été fou de se priver d'une carte qui semblait dé­lier la bourse de l'Office muni­cipal, et faciliter les négocia­tions avec la Ville!

Le travail d'équipe, en assso­ciant plusieurs organismes, plusieurs ressources et ap­proches du milieu était un as­pect du projet qui intéressait tous les partenaires. Bien que cette ouverture à la collaboration inter-institutionnelle2 soit fréquente dans le quar­tier, peut-être n'aurait-elle pas été poussée aussi loin sans le contexte de la politi­que de VMS.

Beaucoup de projets

Toujours est-il que le nombre d'intervenants fut parfois tel qu'on pouvait se demander s'il n'y avait pas plus de chefs que d'indiens... si les projets soutenus par les organismes collaborateurs ne risquaient pas de dépasser les capacités d'absorption du comité de lo­cataires. Une partie des dis­cussions entourant la planifi­cation de ces projets s'est d'ailleurs réalisée entre inter­venants seulement, au début du processus. Cette décision fut prise d'abord pour alléger et harmoniser les présentations faites au comité. Un peu plus tard, des représentants du comité de locataires furent associés à ces réunions d'inter­venants, puis elles cessèrent tout à fait, laissant au comité lui-même le soin d'appeler les personnes ressources qu'il dé­sirait rencontrer. Il a toute­fois été question, à la dernière rencontre des intervenants impliqués dans divers projets, qui s'est tenue avec tout le co­mité de locataires, de faire au moins une fois l'an une telle rencontre plénière, ne serait-­ce que pour avoir parfois une vue d'ensemble de la situa­tion.

Sans blague, ça faisait beau coup de monde: le projet de coop de travail, soutenu par la CDEST, avec Mario, et Formec, visant à transformer des espaces de garage inutilisés en espaces locatifs (pour autos, naturellement!) profi tant de la proximité du Stade olympique; les Cuisines collectives, qui par ailleurs fonction­naient déjà avant notre arrivée; le groupe de femmes de Pierrette, qui se tenait dans des locaux à côté du HLM, mais mobilisait plusieurs fa milles de la place; Julien, de la ville, avec ses intervenants jeunesse du samedi, puis du jeudi soir; l'étudiante-stagiaire, Louise, qui a animé un comité de jeunes; avec Serge, de Tandem, comité qui s'est impliqué dans la réalisation d'un mini photo-roman sur la situation des jeunes dans le quartier; la même Louise qui, avec Pierrette, a formulé une demande au CRSSS, pour sou tenir à plus long terme l'inter­vention-jeunesse; le projet de­mandé au YMCA afin de financer la participation populaire aux cours et activités du centre sportif et communau­taire, qui est juste à côté; la coop jeunesse de services, mise sur pied pour l'été, avec l'aide de Formec 3 et de Manon, du YMCA; sans parler de l'animation au comité de loca­taire, supportée en tandem par le CLSC et le "Y", du comité journal, etc.

Toutes ces initiatives et inter ventions n'ont pas, heureuse­ment pourrait-on dire, donné des résultats immédiats: la de­mande au CRSSS est encore pendante, de même que celle adressée au YMCA. Mais la Ville a accru sensiblement son support auprès des jeunes habitant le HLM, et l'Office a investi dans l'amélioration du local, prêté un logement à la coopérative-jeunesse de ser­vices... sans parler du renou­vellement de la direction et de la motivation des membres du comité de locataires. Parlons­en, justement.

La direction en place

Au delà de la bousculade apparente des interventions, c'est la transformation pacifi­que, élégante même, de la situation politique au comité de locataires qui m'a le plus sur­pris.

Au début de l'intervention le comité était dirigé, depuis quelques années déjà, par une libérale bon ton, ou plutôt de bon coeur, qui était, ce qu'on pourrait appeler, une autocratique impénitente: chaque année, elle organisait un dépouillement d'arbre de Noël monstre, pour « ses » pau­vres. Elle n'avait pas la lan­gue dans sa poche, et s'en ser­vait de son mieux pour obtenir ce qui lui semblait bon pour «ses pauvres»».

De fait, c'était une femme controversée, qui s'était fait plusieurs ennemis dans la place, dans «le plan» comme on dit encore là-bas, même si ses bons coups n'étaient pas négligeables: n'avait-elle pas obtenu des politiciens municipaux le jet d'eau, dans le parc, pour les enfants? Et les fleurs, l'an dernier, c'était elle! Et la promesse, faite par le député, de donner un projet PDE au comité, devant tout le monde au party de Noël, c'é­tait encore grâce à ses relations et à son audace... Mais elle avait aussi beaucoup de difficultés à souffrir quelqu'opposition, à accepter la discus­sion, la différence... la démo­cratie en fait. Son dernier bon coup fut sans doute de mobili­ser autour d'elle toutes ces ressources, aiguillonnée en cela par Adrien, de l'Office.

La dynamique qu'elle avait elle-même mise en branle échappa à son contrôle. Pen­dant près d'un an elle a continué à diriger les destinées du comité de locataires mais la multiplicité des projets l'empêchait d'avoir la main haute sur chacun d'eux. Puis la pré­sence d'animateurs, au comi­té, préoccupés d'entendre le point de vue des nouveaux, de faire parler les silencieux, ou ceux que sa prestance faisait taire, tout cela brisait avec le modèle de direction qu'elle connaissait. Aussi, quelques jours avant les élections, elle annonçait qu'elle ne se représentait pas, même s'il n'y avait pas d'opposition qui se fut encore manifestée.

Au nom de la démocratie...

La tentation avait été grande, chez quelques intervenants, de mousser une candidature adverse, au nom de la démocratie. Mais comment aurions ­nous pu continuer à travailler avec le groupe, si elle n'avait pas été battue? Même battue, une telle ingérence n'aurait-­elle pas accentué les divi­sions? J'avais, pour ma part, pris le parti, et défendu, non sans hésitation, le respect du leadership issu du milieu, malgré les défauts qu'on pouvait lui trouver. Mais je n'a vais pas prévu ce départ en douce, qui est tout à l'honneur de l'ex-présidente: elle a su reconnaître qu'elle n'était plus celle qu'il fallait dans la situation. Le respect que nous lui avons témoigné a sans doute permis que cela se fasse sans déchirements.

 

Le nouveau comité, élu en fé­vrier, s'embarque à fond de train. Il bénéficie de la conti­nuité d'engagement de plu sieurs membres, et nouveaux et anciens ont pris la barre collectivement avec enthousiasme. Quels seront les écueils de la prochaine année? Le comité saura-t-il ajuster son rythme, négocier avec les personnes ressources ex­ternes, les utiliser pour mobi­liser le plein potentiel de son milieu de vie?

La première rencontre de la rentrée, tenue hier soir, au­gure très bien à ce propos: tous étaient là, s'impliquant graduellement dans plusieurs comités de travail. On apprend à travailler ensemble, à se respecter, à se faire confiance, en commençant par soi-même!

 

 

1) C'est le nom donné aux comités de quartier mis sur pied dans le cadre de la politique Vivre Montréal en santé, elle-même intégrée au mouvement international des Villes et villages en santé soutenu par l'Organisation mondiale de la santé.

2) Pour reprendre le mot de Jean-Louis Laville, dans «Économie et solidarité: trois axes de développement et de recherche», in L'autre économie, une économie alternative un recueil de textes réunis par Benoît Lévesque, aux Presses de l'Université du Québec (1989)

3) Pour Formation à l'emploi coopératif