04/10/2025

Réclamer l’espace

Traduction de Claiming Space1article « cadeau » accessible même aux non-abonnés par Alexander Macdonald et Chris Hadfield, The Globe and Mail. 27 septembre 2025


Alors que le gouvernement Carney annonce des niveaux historiques de dépenses en matière de défense, des investissements judicieux dans les systèmes spatiaux permettraient à notre pays de se positionner en tant que leader à l’avenir.

Alexander Macdonald est l’ancien économiste en chef de la NASA et l’auteur de The Long Space Age: The Economic Origins of Space Exploration from Colonial America to the Cold War (La longue ère spatiale : les origines économiques de l’exploration spatiale, de l’Amérique coloniale à la guerre froide).

Le colonel Chris Hadfield est un ancien pilote de chasse et d’essai de l’ARC et un astronaute de l’ASC qui a effectué trois vols. Il dirige et conseille plusieurs entreprises, dirige un incubateur technologique mondial et est l’auteur de cinq best-sellers.

Le Canada entame une phase importante de réarmement. Avec des augmentations du budget militaire prévues à des niveaux historiques jamais atteints depuis la Seconde Guerre mondiale – le nouvel objectif de l’OTAN est de 5 % du PIB, ce qui pourrait signifier des dépenses annuelles de défense pouvant atteindre 150 milliards de dollars d’ici 2035 –, les conséquences économiques de cette mesure nécessaire seront profondes.

Mais cela dépendra en grande partie de la mesure dans laquelle ces dépenses permettront de développer de nouvelles industries, technologies et capacités au sein du pays.

Si nous voulons maximiser les chances que nos dépenses de défense stimulent la croissance économique ainsi que la sécurité et la souveraineté, nous devons veiller à investir dans les capacités nécessaires pour réussir dans les conflits armés de demain, et non dans ceux d’hier. Pour que le Canada en tire le maximum de bénéfices, nous devrions investir principalement dans les entreprises nationales qui produisent de nouvelles technologies à double usage, notamment dans les domaines de l’intelligence artificielle, de l’espace, de l’informatique quantique, du nucléaire, des drones et de la robotique. Parmi celles-ci, la défense spatiale mérite une priorité, justifiant au moins 5 % de l’objectif de 5 %, soit 7,5 milliards de dollars par an d’ici 2035.

Il y a quatre raisons principales pour lesquelles le Canada devrait accorder une priorité importante aux systèmes spatiaux dans le cadre de sa stratégie de défense nationale et d’industrialisation à double usage : l’importance croissante des systèmes spatiaux pour la défense nationale dans son ensemble ; la situation géopolitique et de défense nationale spécifique du Canada ; la valeur économique mondiale croissante des systèmes spatiaux ; et la force actuelle de la base industrielle spatiale canadienne.

Au cours des deux dernières décennies, les systèmes spatiaux sont devenus essentiels à la défense nationale à l’échelle mondiale. Les pays avancés communiquent entre leurs forces grâce aux télécommunications par satellite. Les satellites de reconnaissance collectent des renseignements et détectent des cibles. Les constellations de satellites de positionnement, de navigation et de synchronisation (PNT) guident les charges utiles de précision. Les systèmes de détection précoce basés dans l’espace restent essentiels pour surveiller les lancements de missiles nucléaires dans le monde. Si la constellation Starlink de Spacex a retenu l’attention du public lors de la guerre entre la Russie et l’Ukraine, elle ne représente qu’une fraction du rôle militaire croissant de l’espace.

Cette dépendance a entraîné une augmentation correspondante des capacités antispatiales : des systèmes spatiaux capables de détruire, de désactiver ou de perturber d’autres systèmes spatiaux. Les États-Unis, la Russie, la Chine et l’Inde ont tous démontré leurs capacités en matière de missiles antisatellites ; la Chine et les États-Unis ont investi massivement dans des opérations de proximité avec des satellites et dans des infrastructures de ravitaillement spatial, tandis que la Russie a démontré sa capacité à lancer des armes nucléaires en orbite qui pourraient désactiver les satellites en orbite basse grâce à des impulsions électromagnétiques. Il est largement admis que si une guerre éclate entre des nations de force égale ou presque égale, il est très probable que certaines des premières manœuvres et des premiers tirs auront lieu dans l’espace.

Si le Canada veut maintenir sa souveraineté et se défendre contre de futurs adversaires, nous avons besoin de systèmes spatiaux avancés pour les communications sur le champ de bataille, le renseignement et la détection des cibles, ainsi que pour le contrôle de l’espace, ce qui inclut le développement de capacités antispatiales. En tant que grande nation arctique, nos alliés de l’OTAN et des Five Eyes comptent sur le Canada pour jouer un rôle de premier plan dans la défense de l’Arctique, où les systèmes spatiaux jouent un rôle démesuré en raison du vaste territoire de la région et de la présence humaine limitée. Éloigné géographiquement des principaux théâtres d’opération en Europe et dans la région indo-pacifique, le Canada aura un avantage comparatif en contribuant aux efforts des alliés avec des systèmes spatiaux plutôt que des systèmes terrestres, maritimes ou aériens.

Si l’impératif de sécurité nationale pour les systèmes spatiaux avancés est la raison principale des dépenses canadiennes en matière de défense spatiale, il s’agit également d’un domaine d’opportunités économiques en pleine croissance. L’économie spatiale mondiale devrait presque tripler, passant de 630 milliards de dollars américains en 2023 à 1 800 milliards de dollars américains en 2035. Les budgets spatiaux des gouvernements du monde entier s’orientent également vers les dépenses militaires. Aux États-Unis, le budget proposé par la NASA pour le prochain exercice financier est historiquement bas, à 18,8 milliards de dollars américains, tandis que le budget de la Force spatiale américaine devrait atteindre le montant sans précédent de 39,9 milliards de dollars américains. Le Japon, quant à lui, vise à multiplier par dix ses investissements dans le domaine spatial, motivé par des intérêts de défense, et l’Europe augmente ses investissements dans le domaine spatial avec une motivation similaire.

Si le Canada signale qu’il allouera un vingtième de son engagement total envers l’OTAN à la défense spatiale, cela transformerait le paysage des investissements dans notre secteur spatial et attirerait d’importants capitaux mondiaux. Cette convergence entre nécessité militaire et opportunité économique représente l’un des leviers les plus importants dont dispose actuellement le gouvernement canadien dans ses décisions économiques et technologiques.

Rien de tout cela ne serait possible si le Canada n’était qu’une nation spatiale émergente aux capacités limitées. Mais n’oublions pas que le Canada a été le troisième pays à se lancer dans la conquête spatiale. Aujourd’hui, des entreprises canadiennes telles que MDA, Telesat et Kepler, parmi tant d’autres, offrent des capacités de classe mondiale en matière de fabrication de satellites, de robotique spatiale, de télécommunications, d’observation de la Terre et de connaissance de la situation spatiale.

La 3e Division spatiale canadienne, créée en 2022 et désormais sous le commandement du brigadier-général Christopher Horner, a déjà identifié toutes les capacités susmentionnées, y compris les systèmes antispatiaux, comme essentielles à la sécurité nationale. Nous devrions faire en sorte que notre pays soit le premier parmi nos alliés de l’OTAN et des Five Eyes en matière de déploiement et d’utilisation des ressources de défense spatiale.

Compte tenu de l’importance des systèmes spatiaux pour la défense, il serait raisonnable de consacrer 5 % de notre nouvel engagement envers l’OTAN à la défense spatiale canadienne et aux systèmes à double usage. Même si la plupart des dépenses seraient encore effectuées dans les années à venir, prendre un tel engagement aujourd’hui pourrait contribuer à catalyser une série de changements essentiels dans les marchés publics, la culture de la fonction publique et les ambitions scientifiques et technologiques du Canada, grâce à une seule décision politique transformatrice.

Que pourrait apporter un tel engagement au Canada au cours des dix prochaines années ? En consacrant 5 % de notre objectif de 5 % du PIB fixé par l’OTAN à l’espace, le Canada pourrait simultanément atteindre les objectifs suivants : des capacités de pointe en matière de communications par satellite dans l’Arctique, d’observation de la Terre dans l’Arctique et de communications quantiques par satellite à l’échelle mondiale au sein de l’OTAN et de nos alliés du groupe Five Eyes ; une flotte de satellites spatiaux capables de collecter des données sur la situation ; une flotte de satellites spatiaux capables de mener des activités antispatiales, en coordination avec les alliés ; un jumeau numérique de la Terre à double usage, leader mondial, qui serait utile aux opérations militaires et de résilience climatique ; de multiples capacités nationales souveraines de lancement orbital et de production de satellites ; et une constellation souveraine de satellites PNT. Il ne s’agirait pas seulement d’actifs militaires, mais de technologies à double usage qui stimuleraient l’innovation civile, créeraient des emplois hautement qualifiés et positionneraient les entreprises canadiennes pour conquérir des marchés mondiaux en pleine croissance. Ils reflètent également les idéaux canadiens, tout en offrant de réelles opportunités d’avantages économiques et de contributions significatives aux efforts des alliés.

Pour que le Canada survive et prospère au XXIe siècle, il doit se considérer comme un leader mondial de l’avenir. Les investissements spatiaux à double usage offrent au Canada l’une des meilleures occasions de définir une vision clairement canadienne du leadership mondial. Le Canada s’est engagé à utiliser l’espace à des fins pacifiques à long terme, et l’un des meilleurs moyens d’exercer une influence sur les décisions mondiales relatives à son utilisation sera de disposer d’actions et d’actifs significatifs.

L’engagement du gouvernement Carney à augmenter les dépenses de défense représente une occasion unique de jeter les bases d’une nouvelle ère de croissance technologique au Canada. Pour catalyser cette opportunité, nous devons veiller à ce que ces dépenses liées à l’OTAN soient répercutées sur les entreprises nationales de technologie de pointe par le biais de l’achat de matériel et de services. Les champions nationaux qui en résulteront non seulement préserveront la souveraineté tout au long du XXIe siècle, mais conquériront également les marchés mondiaux dans les décennies à venir.

Des investissements dans la défense spatiale à l’échelle susmentionnée propulseraient instantanément le Canada au premier rang mondial dans ce domaine crucial. Cela montrerait à nos alliés que nous prenons au sérieux le partage des charges tout en tirant parti de nos atouts. Cela démontrerait à nos adversaires que nous ne céderons pas notre position dominante. Plus important encore, cela montrerait aux Canadiens que les dépenses de défense peuvent stimuler l’innovation, créer des opportunités et bâtir les industries de demain.

Commençons donc dès aujourd’hui à embrasser un avenir dynamique et affirmé pour le Canada dans l’espace.

Lien vers l’original : Claiming Space.


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Notes

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