Gilles en vrac… depuis 2002

Face à l’extinction

par Catherine Ingram

Texte original : Facing extinction
Traduction en français : Gilles Beauchamp

« Les cieux étaient tous en feu; la terre tremblait. » Henri IV, Partie 1
– William Shakespeare


Pendant une grande partie de ma vie, j’ai pensé que notre espèce disparaîtrait bientôt. J’ai supposé qu’on pourrait durer encore 100 ans si on était chanceux.  Maintenant, je soupçonne que nous sommes confrontés à l’extinction dans un proche avenir. Puis-je spéculer sur le moment exact où cela pourrait se produire?  Bien sûr que non.  Mon intuition est basée seulement sur la probabilité.  C’est un peu comme d’entendre parler d’un diagnostic de cancer du pancréas à un stade avancé.  Est-ce certain que la personne va bien tôt mourir?  Non, pas certain.  Est-ce très probable?  Oui, il serait sage de faire face à la probabilité et de mettre de l’ordre dans ses affaires.

Tout d’abord, examinons les données climatiques. Au cours des deux dernières décennies, j’ai étudié la perturbation du climat en lisant des articles scientifiques et en écoutant des conférences sur le climat accessibles à un profane. Il n’y a pas de bonnes nouvelles à trouver là. Nous avons brûlé tellement de carbone dans l’atmosphère que les niveaux de CO2 sont plus élevés qu’ils ne l’ont été au cours  des vingt-trois derniers millions d’années. Au cours de la dernière décennie, nos niveaux d’émissions de carbone sont les plus élevés de l’histoire, et nous n’avons pas encore eu tout leur impact.  Si nous devions cesser d’émettre du dioxyde de carbone demain, nous sommes toujours on piste pour une chaleur beaucoup plus élevée pendant au moins  dix ans. Et nous n’arrêterons certainement pas nos émissions d’ici demain. Bien que les émissions mondiales de carbone aient diminué en 2020 en raison de la pandémie de Covid, il y a eu un effet négligeable sur les températures mondiales, qui continuent d’augmenter, avec 2020 liée à 2016 comme les années les plus chaudes sur le record , malgré les effets de refroidissementdu cycle climatique connu sous le nom de La Niña en 2020. 

L’excès de carbone dans l’atmosphère a déclenché, et déclenchera, d’autres boucles de réchauffement incontrôlables, dont l’une des plus mortelles est la libération de méthane emprisonné depuis des éons sous la glace arctique et sous forme de pergélisol, ce qui est maintenant un euphémisme puisqu’une grande partie n’est plus gelée de manière permanente.

Le méthane est un gaz à effet de serre beaucoup plus puissant que le carbone, et beaucoup plus rapide. Au cours des vingt premières années suivant sa libération dans l’atmosphère, il est 86 fois plus puissant que le dioxyde de carbone. Alors que le plein effet de réchauffement d’une molécule de dioxyde de carbone prend dix ans, le réchauffement maximal d’une molécule de méthane se produit en quelques mois.

L’oxyde nitreux est un autre gaz à effet de serre dont les dangers n’ont été signalés que récemment. L’excès d’azote provenant de l’engrais devient de l’oxyde nitreux lorsqu’il s’échappe dans les sols et les eaux souterraines. Il est 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, molécule pour molécule, et représente maintenant environ 20% du réchauffement de la planète. En raison des pénuries alimentaires, certains pays utilisent plus d’engrais que jamais pour faciliter la production agricole. Les nouvelles études montrent une corrélation claire entre l’utilisation accrue d’engrais et l’augmentation des niveaux d’oxyde nitreux dans l’atmosphère.

Comme si ces émissions n’étaient pas assez effrayantes, un gaz jusqu’ici peu connu,  l’hexafluorure de soufre ou SF6, utilisé dans de nombreuses technologies vertes et renouvelable,  est 23 500 fois plus de puissant comme gaz à effet de serre que le carbone. Il fuit de la production électrique et on estime qu’il reste dans l’atmosphère pendant mille ans.

Les calottes glaciaires  de l’Arctique et de l’Antarctique fondent à des rythmes beaucoup plus rapides que même les prévisions les plus alarmantes, et le méthane s’échappe de ces régions, bouillonnant des lacs arctiques  et  s’évapore des mers et des sols du monde entier. Certains scientifiques craignent un « échappement brusque » (burp) de méthane de milliards de tonnes au moment d’une fonte complète de la glace arctique; une fonte complète n’a pas eu lieu depuis quatre millions d’années.  Si une telle libération soudaine de méthane se produisait, le réchauffement de la terre s’accélérerait rapidement en quelques mois. Ça pourrait être l’événement de l’extinction.

La glace d’été de l’Arctique est actuellement les deux tiers inférieure à ce qu’elle était aussi récemment que les années 1970, et l’Arctique se réchauffe si rapidement qu’une fonte estivale totale devient probable au cours des prochaines années. Au cours du mois de juin 2020, le cercle arctique a connu les températures les plus élevées jamais enregistrées dans la région , avec une ville sibérienne atteignant 38 °C (100 °F). Les feux de forêt qui ont fait rage pendant des mois dans l’Arctique ont maintenant établi un record de pollution en émettant 244 mégatonnes d’oxyde de carbone pendant lasaison estivale de 2020, soit 35 p. 100 de plus qu’en 2019, ce qui a également établi un record. C’est plus que la production annuelle de carbone de nombreux pays. La glace arctique est non seulement menacée par un réchauffement de l’atmosphère, mais, selon un article publié dans le Journal of Climate, « la chaleur profonde dans l’océan Arctique s’est accrue et fait maintenant fondre la glace par le bas ». La fonte des glaces antartiques a connu une accélération de  280% au cours des quarante dernières années. Les fontes massives de glace qui s’y produisent, comme la rupture de la banquise Larsen B ,  ont défié les prédictions scientifiques; la plate-forme de glace connue sous le nom de Larsen C, qui s’est détachée en juillet 2017, était de 2200 milles carrés de  taille. Le Thwaites Glacier dans l’Antarctique occidental, une masse de glace de la taille de la Floride, devient de plus en plus instable, perdant maintenant plus de 100 milliards de tonnesde glace chaqueannée. Les scientifiques craignent que son effondrement ne provoque une grande partie de la calotte glaciaire de l’Antarctique occidental à tomber dans la mer, puisque Thwaites agit actuellement « comme un bouchon de liège dans une bouteille de vin ».

La glace arctique a été le « climatiseur » de la partie nord de la planète et elle a également un impact sur le climat mondial. Sa surface blanche reflète dans  l’espace une grande partie de la chaleur du soleil, tout comme la  glace  antarctique. À mesure que la glace fond, l’océan sombre absorbe la chaleur et le réchauffement de l’océan fait fondre plus rapidement la glace restante. Au cours des quatre dernières décennies, la proportion de glace la plus ancienne et la plus épaisse de la banquise hivernale del’Arctique est passée de plus de 33 p. 100 à à peine 1 p. 100 aujourd’hui, selon le rapport annuel de 2019 de la National Oceanic and Atmospheric Administration sur l’Arctique.

Les États-Unis, la Russie et la Chine  se disputent  l’hégémonie de la région arctique afin d’atteindre les réserves massives de pétrole qui existent là-bas et qui seront accessibles à mesure que la glace fondra.  Par exemple, en 2019, la Russie a lancé une barge flottante sur laquelle deux réacteurs nucléaires ont été branchés dans son  infrastructure pour alimenter des plateformes de gaz et de pétrole dans des régions éloignées de l’Arctique. Au début de 2021,  les images satellitaires montrent une accumulation de forces militaires  russes dans l’Arctique, qu’ils ont déployées, selon un porte-parole de Vladimir Poutine, afin d’assurer le développement économique dans la région arctique, une région qu’ils considèrent comme faisant partie de la Fédération de Russie. Outre la possibilité réelle de conflagrations militaires pour le contrôle de l’Arctique, le déplacement des pétroliers « brise-glaces» et le forage dans cet écosystème sensible entraîneraient une double destruction : d’une part la détérioration rapide de la glace qui reste, accélérant ainsi les rejets de méthane; et d’autre part en libérant dans l’atmosphère encore plus de carbone en accédant à des réserves de pétrole jusqu’ici intouchées.

Toutes ces boucles de rétroaction de réchauffement sont maintenant sur une trajectoire exponentielle et deviennent auto-amplifiantes, menant potentiellement à une « terre serre » indépendamment des émissions de carbone qui les ont déclenchées.  Chaque jour, la chaleur supplémentaire qui est emprisonnée près de notre planète est équivalent à quatre-cent mille bombes Hiroshima. Il n’y a pas de technologies connues qui peuvent être déployées à l’échelle mondiale pour renverser le réchauffement, et de nombreux climatologues estiment que la fenêtre pour le faire s’est déjà refermée, que nous avons passé le point de bascule et que la chaleur continuera d’augmenter peu importe ce que nous faisons.

Nous sommes maintenant au milieu de la sixième extinction de masse avec environ 150 espèces végétales et animales qui disparaissent chaque jour.  Malgré l’expression « la sixième extinction » qui fait son chemin dans la conscience collective, grâce à la publication du livre du même titre d’Elizabeth Kolbert (lauréat du prix Pulitzer), la plupart des gens ne réalisent toujours pas que nous, les humains, sommes également sur la liste.

Certaines des conséquences auxquelles nous sommes confrontés sont des mortalités massives causées par la sécheresse généralisée, les inondations, les feux de forêts, les épidémies et la mort de la vie océanique — des phénomènes dont nous voyons dès maintenant les prémisses.  Quelques-unes de ces conséquences pourraient même entraîner l’anéantissement rapide de toute vie complexe sur terre : l’utilisation d’armes nucléaires, par exemple, à mesure que les sociétés et les gouvernements deviendront plus désespérés pour les ressources ; ou la débâcle  des 450 réacteurs nucléaires , qui deviendront probablement impossibles à maintenir à mesure que la civilisation industrielle se décomposera. Depuis 2011, lorsqu’un tsunami a frappé la côte nord-est du Japon et provoqué une quasi-fusion de trois réacteurs nucléaires à la centrale de Fukushima Daiichi, il a fallu plus de 42 000 gallons d’eau fraîche par jour pour maintenir les réacteurs refroidis.  Le maintien des éléments radioactifs contenus exige des travaux dangereux pour les travailleurs  et la construction d’un nouveau réservoir d’eau en acier tous les quatre jours pour entreposer l’eau radioactive usée. Comme ce processus est devenu de plus en plus intenable, le Japon a l’intention de commencer à déverser 1,2 million de tonnes d’eau radioactive dans l’océan Pacifique. Sous la pression de la communauté internationale, le gouvernement japonais a annoncé le 24 octobre 2020 qu’il retarderait sa décision quant au moment où la libération commencera, mais il semble certain que ce n’est qu’une question de temps.

Si nous devions passer à travers cet ensemble de menaces, nous serions toujours confrontés à la famine.  Les céréales, qui sont à la base de l’approvisionnement alimentaire mondial, sont réduites en moyenne de 6% pour chaque degré Celsius dépassant le niveau préindustriel.  Nous sommes maintenant  à environ 1,6 degrés Celsius au-dessus  et en montée rapide; les océans se réchauffent deux fois plus vite et ont absorbé  un stupéfiant 93% du réchauffement pour nous jusqu’à présent.  Si ce n’était pas le cas, les températures moyennes des terres seraient de 36 degrés Celsius (97 degrés Fahrenheit) au-dessus de  ce   qu’ils sont maintenant. Bien sûr, il y a un coût énorme pour ce réchauffement de l’océan : la mort des récifs coralliens, la perte de plancton, l’acidification océanique, les tempêtes sans précédent et l’augmentation de la vapeur d’eau, ce qui ajoute encore à l’effet de serre retenant  la chaleur dans l’atmosphère.

Tout en prenant conscience de ces faits et de plusieurs centaines d’autres, je me suis aussi émerveillé de voir à quel point la plupart des gens sont inconscients des catastrophes qui viennent. Il n’y a jamais eu de nouvelle plus importante que celle des humains qui font face à l’extinction, et pourtant cette extinction est rarement mentionnée dans les nouvelles du soir, les chaînes câblées, ou sur les premières pages des blogs et des journaux. C’est comme si les astronomes du monde nous disaient qu’un astéroïde se dirige vers nous et frappera la terre au point d’anéantir toute la vie et que le public répondait en restant fasciné par les événements sportifs, les médias sociaux, les dernières machinations politiques, et les potins des célébrités.

Cependant, à partir de 2010, quelques livres et d’autres sources d’information ont commencé à aborder les chances d’extinction complète de toute vie complexe, et ceux-ci sont devenus mon refuge, même si l’information était la plus horrible que j’aie jamais imaginée.

Pendant des décades, j’avais senti que les choses s’aggravaient de façon spectaculaire, le taux de destruction augmentant.  En tant que journaliste de 1982 à 1994, je me suis spécialisé sur les questions sociales et environnementales. J’avais écrit sur le réchauffement de la planète (l’expression que nous utilisions à cette époque) à de nombreuses reprises dans les années 1980, mais parce qu’il semblait une menace lointaine, nous pouvions en discuter intellectuellement sans craindre que cela affecte nos propres vies de façon terriblement significative. À mesure que le temps passait, j’ai commencé à prendre conscience de la vitesse de changement du climat et des impacts négatifs que cela aurait.  C’est devenu un étrange soulagement de lire et d’entendre la vérité sur la situation de la part de gens qui avaient étudié les données dures et qui venaient confirmer mon instinct et jeter une lumière sur ce qui avait été de sombres pressentiments qui dansaient comme des fantômes dans ma conscience.  Il s’agit d’un processus en cours qui m’a fait passer par un puissant cheminement interne – émotionnel et cathartique – qui, selon moi, pourrait être utile à partager avec ceux qui se sont éveillés à cette sombre connaissance ou qui sont en train de s’y éveiller, tout comme j’ai trouvé, au fil du temps, du réconfort dans les réflexions du petit nombre, aujourd’hui croissant, de camarades avec qui je partage ce voyage.

Parce que le sujet est si tragique et parce qu’il peut effrayer ou irriter les gens, ce n’est pas un essai que j’ai toujours voulu écrire; c’est un essai que j’aurais voulu lire en cours de route.  Mais les mots sur ces pages sont destinés uniquement à ceux qui sont prêts pour eux. Je n’offre aucun espoir ou solution pour la suite, seulement de la compagnie et de l’empathie pour vous, lecteur, qui sait ou soupçonne qu’il n’y a aucun espoir ou solution à trouver. Ce que nous devons maintenant trouver, c’est du courage. 

Note: La pandémie de coronavirus: J’ai écrit la version originale de cet essai en février 2019. Au moment d’écrire ces lignes, l’attention du monde entier est rivée sur la pandémie de coronavirus. Jusqu’à présent, elle a fait environ trois millions de morts et rendu des millions d’autres très malades. L’imminence de cette menace a pris une place centrale dans nos esprits, mais malheureusement les autres crises qui ont été repoussées en arrière-plan n’ont pas pour autant été ralenties. On peut aussi s’attendre à ce qu’un plus grand nombre de ces virus éclatent non seulement à la suite d’incidents de recherche sur le « gain de fonction », ou suite à la transmission animale ou au surpeuplement, mais aussi à cause de la fonte des calottes glaciaires. En janvier 2020, une équipe de scientifiques a publié ses conclusions en découvrant  28 nouveaux groupes de virus contenus dans la glace vieille de 15 000 ans. Ces virus seraient tous considérés comme « nouveaux » et, à ce titre, nous n’avons aucune immunité contre eux. L’épidémie du coronavirus nous a également montré à quel point la vie peut changer en peu de temps et à quel point la plupart de nos gouvernements sont confus, ineptes ou corrompus dans leur réponse à une crise qui tue un pourcent de leur population.

LE COURAGE

You got me singing, even though the world is gone 
You got me thinking that I’d like to carry on
You got me singing, even though it all looks grim
You got me singing the Hallelujah hymn
 – Leonard Cohen

“You Got Me Singing”

Pour le dernier quart de siècle de sa vie, Leonard Cohen était l’un de mes amis les plus proches. Nous parlions souvent à la petite table de la cuisine dans sa maison modeste à Los Angeles jusqu’aux petites heures du matin et quand je faisais un mouvement pour partir, il allait chercher ce bon porto qu’il avait conservé ou me montrait ses récents dessins, ou encore me régalait avec une histoire de son temps à Cuba au début des années soixante. Il aimait les discussions engagées et il n’y avait pas de place dans la conversation où il n’osait aller. Avec lui, je n’ai jamais censuré mes pensées. Depuis son départ, j’ai compris qu’il n’était pas seulement un ami proche mais aussi un mentor de vie. L’un des aspects les plus inspirants à cet égard était ce que l’on pourrait appeler sa bravoure de cœur. C’est, dans ma façon de voir, la plus haute forme de courage. En fait, le mot courage vient du latin cor, qui signifie coeur. Le génie spécial de Leonard était sa capacité à communiquer à la fois le chagrin et la beauté du monde, parfois dans la même phrase. Il n’a jamais détourné le regard non plus, pas même dans ses derniers mois alors que la douleur lui brisait son corps. Il avait un scintillement dans l’œil et une larme dans l’autre.

Dans les dernières années de sa vie, nous avons eu beaucoup de conversations sur le chaos du climat, comme il savait que j’étudiais le sujet. Il a toujours écouté intensément et me demandait des questions pertinentes tout au long de nos discussions. Bien que le climat n’ait pas été sa principale préoccupation (il avait plus une passion pour la politique mondiale), il n’y avait aucune surprise pour lui de voir à quel point nous sommes proches du rebord, de la fin. Il comprenait la nature humaine et supposait que nous allions nous faire nous-mêmes. Il suffit d’écouter sa chanson « The Future » pour savoir à quel point il était prescient sur la question.

Et pourtant, nous avons ri au cours des années. Rire comme des fous. Leonard était un maître de l’humour noir et j’ai moi-même une grande appréciation pour cette forme d’humour. Le pouvoir de l’humour noir, et je le recommande vivement par les temps qui courent, cela permet de jeter un œil de côté aux nuages ​​qui s’accumulent pendant que l’on sirote encore un thé dans le jardin. Tous ces petits moments de reconnaissance servent à préparer notre conscience aux difficiles réalités, à marteler les chaînes qui nous attachent afin de nous permettre de se laisser aller un peu. En échangeant sur le ton de l’humour noir, il est également réconfortant de savoir que votre ami voit aussi la tragi-comédie. Cela amoindrit le fardeau lorsque nous le partageons.

Le courage est souvent confondu avec le stoïcisme, les lèvres pincées (stiff upper lip), la bravade qui masque la peur. Il y a un autre type de courage. C’est le courage de vivre le cœur brisé, et faire face à la peur et se permettre la vulnérabilité, et c’est ce courage de continuer à aimer ce que tu aimes « même si le monde n’est plus. »

DISTRACTION ET DÉNI

Ils sont comme des enfants, jouant avec leurs jouets dans une maison en feu.

—Bouddha Gautama

Jamais ces mots du Bouddha n’ont été plus vrai. Nous aimons être distraits de nous-mêmes et nous avons des façons des myriades de façons de faire cela à notre époque. Nous payons beaucoup d’argent pour ce privilège et nous n’avons de cesse de vivre des expériences et poursuivre des objectifs à cette fin. Nous semblons être conçus de manière évolutive pour mettre de côté ou ignorer entièrement les menaces futures et nous concentrer uniquement sur des préoccupations immédiates et des désirs personnels. Cela est compréhensible puisque durant la majeure partie de l’histoire humaine, nous ne pouvions rien faire pour influencer les possibilités futures ou des événements survenant loin de nous. Avec quelques exceptions remarquables, l’évolution n’a pas sélectionné pour la planification de la survie à long terme. Être préoccupé par le changement climatique ne nous vient pas naturellement. Daniel Gilbert, auteur et professeur de psychologie à Harvard, propose quatre caractéristiques pour lesquelles nos cerveaux répondent principalement à des menaces immédiates.

Premièrement, nous sommes des animaux sociaux qui ont évolué pour réfléchir à ce que font les créatures qui nous entourent; nous sommes très sensibles aux intentions, surtout si elles nous semblent menaçantes. Deuxièmement, le changement climatique ne défie pas notre sens moral de ce qui est bon ou mauvais conduisant ainsi le cerveau vers l’action. Comme le note Gilbert, s’il était clair que le réchauffement climatique tue délibérément des chatons, nous serions tous déjà dans la rue.

Troisièmement, à moins que le chaos climatique constitue une menace imminente, pour nous aujourd’hui, nous n’y pensons pas. Je trouve que beaucoup de données que nous considérons dans les rapports conservateurs sur le climat font référence à des changements horribles qui se produiront d’ici 2100. Lorsque nous voyons l’année 2100, nous pensons facilement: «Ouf! Aucun problème.» Bien entendu, des changements à survenir d’ici 2100 suivent une chronologie trop optimiste, mais cela montre comment le cerveau répond à la menace de changement à venir, même lorsque cela affectera la vie des enfants que nous connaissons dans le présent. La quatrième raison de Gilbert pour pour laquelle nous ignorons les menaces climatiques, c’est que pour des millénaires, nous nous sommes appuyés sur notre appareil de sens très développé en tant que créatures physiques pour évaluer les changements et les menaces dans notre environnement, le poids, la pression, le son ou l’odorat. Si des changements se produisent à un rythme assez lent, ils peuvent passer inaperçus. La grenouille finit par bouillir dans le chaudron qui n’est que progressivement chauffé.

Au cours des inondations historiques du Queensland, en Australie au début de 2019, les rivières sont sorties de leurs lits et ont inondé la ville de Townsville. En conséquence, il y avait des crocodiles et des serpents dans les rues et de l’eau stagnante dans les cours des gens. Cela pourrait bien aviver l’esprit et conduire à une réponse de fuite que de se retrouver à patauger dans une dans une rue ou une cour avec des crocodiles et des serpents mortels. Mais à moins de dangers clairs et immédiats, notre réponse à la menace est lente.

Il semble que même nos gènes favorisent le gain à court terme sur des problèmes à long terme. Le biologiste du vingtième siècle George Williams a reconnu que, comme nos gènes peuvent avoir plusieurs fonctions, certains gènes ont des fonctions contraires. C’est-à-dire que, par exemple, un gène peut avoir de grands avantages pour la vie du jeune et, en même temps, causer de gros préjudice plus tard dans la vie, un processus appelé sénescence biologique. Puisque l’organisme ne se rend pas toujours à la vie âgée, le bénéfice précoce a été privilégié par l’évolution alors que le préjudice ultérieur a moins de chance d’être activé.

Le biologiste Bret Weinstein voit un analogue culturel à ce processus,  » la culture est la biologie, en aval des gènes. » Comme il l’explique, « les idées qui fonctionnent à court terme mais échouent et causent une vulnérabilité à long terme ont tendance à survivre dans notre système car elles produisent souvent des avantages économiques. Donc, si vous produisez une technologie qui présente des avantages pour l’humanité au cours de plusieurs décennies, mais le préjudice de cette technologie n’arrive que au cours des dernières décennies, vous aurez devenus riches à court terme et cette richesse aura entraîné une augmentation de votre influence politique ce qui renforcera les structures de croyances qui l’ont fait paraître comme une bonne idée en premier lieu. Le marché a tendance à voir des gains à court terme et à réduire les effets à long terme jusqu’à ce que la structure politique ait été modifiée par ce succès. Tout comme dans la sénescence biologique, la sénescence culturelle se manifeste dans un système incapable d’aller en sens inverse et se jetterais au bas d’une falaise plutôt que de reconnaître que quelque chose en son coeur nous conduit au danger. Nous avons maintenant un système culturel qui nous rend très à l’aise à court terme, mais cela conduit à liquider le bien-être de la planète de manière incroyable. »

L’évolution n’a pas non plus choisi pour nous d’être trop conscients de la mort personnelle elle-même. Autrement cela serait émotionnellement paralysant. Le livre séminal d’Ernest Becker, The Denial of Death, pour lequel il a remporté le prix Pulitzer en 1974, a examiné l’effet de conscience de la mort sur le comportement humain et les stratégies développées par l’homme pour en atténuer la peur. « C’est la terreur: » écrit Becker  » d’avoir émergé du néant, d’avoir un nom, une conscience de soi, des sentiments intérieurs profonds, de profonds sentiments intérieurs, une soif insatiables pour la vie et l’expression de soi – et avec tout cela d’avoir à mourir. »

Sheldon Solomon, auteur et professeur légendaire de psychologie à Skidmore College, a passé trente-cinq ans à mener des expériences sur la base des idées de Becker. L’ensemble de ces travaux a abouti à ce que Solomon et ses collègues appellent la théorie de la gestion de la terreur et repose sur la démonstration d’une thèse centrale de Becker: que c’est par le biais d’une vision culturelle du monde et d’une estime de soi que l’homme repousse sa terreur de la mort. Comme Sheldon m’a dit dans une interview en 2015, « Que propose Becker, c’est que les êtres humains gèrent leur terreur de la mort en souscrivant à des croyances construites culturellement à propos de la nature de la réalité qui leur donne un sentiment d’être de précieuses personnes dans un univers significatif … et alors, pour Becker, que l’on en soit conscient ou non, et le plus souvent, nous ne le sommes pas, nous devenons très motivés à maintenir notre foi dans la véracité de notre vision du monde culturelle et notre foi dans la proposition que nous sommes des personnes précieuses, c’est-à-dire, que nous avons de l’estime de soi. Et chaque fois que de ceux-ci, ce que nous appelons les « piliers jumeaux de la gestion terroriste » – la culture ou l’estime de soi-même est menacé, nous répondons de différentes manières défensives afin de renforcer notre foi dans notre culture et en nous-mêmes ». Écoutez l’interview complète ici.

Le travail de Becker s’appuie sur l’examen des stratégies de défense pour refuser de la mort personnelle. Nous sommes maintenant confrontés à la mort de tous. Par conséquent, le déni et la défense du déni sont en conséquence amplifiés et dangereux. Notre monde est inondé dans des systèmes de croyances; tout le monde arrive à choisir les siennes propres. Il existe également une montée désespérée du fondamentalisme religieux, de la superstition et d’un nouvel âge de la pensée magique, comme le prévoyait en 1996 l’astronome Carl Sagan dans son dernier livre , The Demon Haunted World: Science as a Candle in the Dark. Pour une espèce de plus en plus anxieuse, des systèmes de croyances culturelles et religieuses offrent la promesse de la vie éternelle. Et les gens se battront littéralement à mort pour eux.

Ou ils offriront leurs enfants. Des prêtres mayas qui ont jeté des enfants du haut des falaises, aux familles des porteurs de bombes suicidaires d’aujourd’hui qui célèbrent joyeusement le martyre de leur fils ou fille dans les rues avec leurs amis, les gens préférerent voir leurs enfants mourir plutôt que de renoncer à préserver et défendre leur culture leur religion. Dans les endroits où le chaos climatique est déjà en cours, nous constatons une solidification du tribalisme et des lignes de conflit entre des communautés qui avaient jusqu’ici vécu ensemble en harmonie relative. Ces pressions sont tenues d’augmenter.

Nous avons également du mal à penser de manière exponentielle. Nous pourrions saisir le concept de facteur exponentiel, mais ce n’est pas notre façon naturelle de percevoir. Par conséquent, comme le réchauffement exponentiel déclenche d’autres déséquilibres qui deviennent également exponentiels, nous ne les percevons que comme problèmes linéaires et supposons que nous aurons le temps de les résoudre. Nous continuons le train-train quotidien et retournons à « la matrice », l’illusion que les choses sont assez normales, où nos problèmes ordinaires, nos conforts et nos divertissements retiennent notre attention, comme dans le film. Mais nous en sommes maintenant venus au point de nous « amuser nous-mêmes à mort », comme le disait Neil Postman dans son livre de 1985 du même titre (Amusing Ourselves to Death).

Lorsque vous commencez à vous réveiller au spectre de l’extinction, vous ressentirez probablement la puissance du leurre de vos distractions habituelles. Vous voudrez peut-être revenir au sommeil. Mais le déni deviendra de plus en plus difficile à maintenir, car une fois que votre attention s’est éveillée, vous verrez la preuve de celle-ci partout, tant localement que globalement.

Et vous vous retrouverez parmi les foules d’humains facilement distraits et amusés, jouant avec leurs jouets alors la maison brûle, «tranquillisées par le trivial», disait Kierkegaard et parlant de l’avenir comme s’il allait toujours continuer de même. Après tout, nous sommes venus de loin. Nous avons prouvé notre supériorité à comprendre les choses et pour éliminer les obstacles devant nos désirs. Nous avons chassé la plupart des grands mammifères sauvages et la plupart des peuples autochtones afin de prendre leurs terres. Nous avons plié la nature à notre volonté, pavé les forêts et les prairies, détourné les rivières, extrait ce que journaliste Thom Hartman appelle la « lumière de l’ancien soleil » et nous avons  brûlé cette matière poisseuse dans l’atmosphère de sorte que nos véhicules puissent nous conduire autour de la terre, sur la mer et dans l’air et que nos armes puissent vaincre nos ennemis. Et maintenant nous avons donné une forte fièvre à l’atmosphère. Mais, comme le vieil adage dit, (une phrase que j’ai entendue pour la première fois dans les années 1980, qui m’a informé depuis), « La nature passe la dernière au bâton ».

Vous vous retrouverez peut-être en compagnie de personnes qui semblent n’avoir aucune conscience des conséquences auxquelles nous sommes confrontés ou qui ne veulent pas savoir ou qui pourraient avoir une vision momentanée mais ne peut pas supporter d’y faire face. Vous pouvez trouver des personnes qui ont toutes les données en main mais ne peuvent pas voir les implications, comme si vous regardiez les navires de Magellan venir à l’horizon. Vous pourriez ressentir la colère chez certaines personnes si vous orientez la conversation en direction de la crise planétaire. Vous pouvez sentir que vous devenez un paria en raison de ce que vous voyez, même lorsque vous ne le mentionnez pas, et vous risquez de vous sentir seul en compagnie de la plupart des gens que vous connaissez. Pour vous, ce n’est pas seulement l’éléphant dans la pièce, c’est l’éléphant qui est en feu dans la pièce, et pourtant vous sentez que vous pouvez rarement en parler. Mais, comme l’a dit Gandhi, « même si tu es une minorité d’une personne, ce qui est vrai est vrai. »

Une fois, j’ai demandé à Léonard de me conseiller sur la façon d’aborder ce sujet avec les autres. Il m’a répondu: « Il y a des choses qu’on ne dit pas aux enfants. » C’est important de réaliser que la plupart des gens ne sont pas prêts pour cette conversation. Ils peuvent n’être jamais prêts, tout comme certaines personnes meurent après une longue maladie, toujours en déni alors que la mort était à leur porte. Comment savoir qui peut gérer la vérité sur notre situation et qui s’en cache comme si leur santé mentale en dépendait. Il y a même un phénomène étrange que j’ai remarqué ainsi que certains de mes amis, eux aussi conscients de l’extinction : vous pourrez parfois trouver un répit en compagnie de ceux qui ne savent pas et ne veulent pas savoir. Pendant un moment, vous prétendez que tout va bien ou qu’au moins rien ne change. Vous discutez de politique, de la dernière série télé ou des nouveaux cafés. Vous refaite le monde de manière récréative. Mais cela ne dure généralement pas longtemps car la catastrophe ressurgit inlassablement.

Le piège qui enferme les parents. Il y a une catégorie de personnes particulièrement résistantes à voir cette vérité la plus sombre: les parents. Ce regard figé, particulier mais aujourd’hui familier qui vient sur leur visage lorsque la conversation s’approche du sujet de l’extinction humaine. Et comment pourrait-il en être autrement? Ça fait parti de l’ADN des parents (pas tous, bien sûr) d’aimer leurs enfants plus qu’eux-mêmes. Ils sacrifieraient tout pour eux. Donc, penser qu’il n’y aura pas d’avenir pour leurs enfants, qu’aucune somme d’argent ni héritage, ni de vie sur un bateau ni dans une communauté protégée, ni dans un bunker ou dans un jardin secret en montagne ne les sauvera est une pensée trop insupportable à tenir même pour une seconde. J’ai également remarqué qu’un éclair de colère passe au milieu de leur regard, un message presque subliminal qui dit: « Pas un autre mot à ce sujet. »

C’est un sujet que j’ai appris à éviter en compagnie des parents, bien que, à ma grande surprise, je trouve que nombre d’entre eux en arrivent finalement à aborder ce sujet. C’est une couche de chagrin qui s’ajoute, c’est sûr, et je ne peux que les admirer et compatir avec eux dans la mesure où il est peu probable que leurs enfants vivent jusqu’à la vieillesse, sans parler de ce qu’ils auront à subir d’ici là.

J’ai eu mon propre moment de désespoir avec ça. Alors que j’ai commencé à réaliser la gravité de notre situation, j’ai rapidement reconnu que ma propre mort n’était pas grand chose dans l’ensemble. Après tout, j’ai vécu longtemps, plus que la plupart des gens de l’histoire. J’ai certainement une idée sur la façon dont je voudrais mourir et je ne prétends pas n’avoir aucune peur, mais le fait de ma propre mort est quelque chose que j’ai envisagé depuis mes années d’adolescence et cela fait partie de mes nombreuses décennies d’intérêt pour le Dharma. Non, le désespoir venait des pensées de mes jeunes et superbes nièces et de petit-neveux avec qui je suis proche. Les neuf d’entre eux avaient moins de dix ans quand j’ai commencé à me rendre compte qu’ils ne sont pas susceptibles d’avoir une longue vie. L’anxiété et le désespoir dans lequel j’ai sombré étaient tels que je suis devenu très malade. J’ai développé un cas massif de zona couvrant de grandes zones de mon torse, de mon avant et de mon dos des deux côtés (apparemment, il est rare d’avoir le zona sur plus d’un côté du corps) et je me suis retrouvée à l’hôpital. Le zona (un terme beaucoup trop timide pour une maladie qui met vos nerfs en feu) est considéré comme une maladie liée au stress. Mon anxiété et mon désespoir m’avaient rendu physiquement malade. Une fois à la maison et au lit pour la meilleure partie d’un mois, j’ai pu considérer à quel point je ne pouvais laisser ma peur et mon anxiété m’empêcher d’aller de l’avant. Je devais trouver une façon de voir les choses qui me permettrait d’atteindre un peu de calme malgré ma grande tristesse, un murmure qui dit: «Ceci est dans la nature des choses. Tout passe.»

Bien sûr, il y a maintenant plusieurs millions de parents dans le monde qui sont déjà arrivés à ce constat. Des centaines de millions de réfugiés climatiques pour lesquels tout questionnement  sur l’avenir semblerait un luxe et un privilège. Ils ont du mal à survivre en raison de catastrophes climatiques, en ce moment même, alors que vous lisez ces mots.

TROUBLES SOCIAUX

J’ai vu l’avenir, mon frère. C’est un meurtre. — Leonard Cohen

L’avenir

Parmi toutes les menaces auxquelles nous sommes confrontés, celle que je trouve la plus effrayante est la disparition de la société civilisée. Nous voyons maintenant de grandes régions du monde qui sont des zones à éviter. Des États en faillite, où la vie est bon marché et la barbarie règne. D’énormes régions d’Afrique sont maintenant sans loi et contrôlées par des hommes armés et violents et des garçons errant par bandes dans les campagnes, engagés dans des actes trop répugnants pour les décrire. Le Moyen-Orient vit à peu près la même chose que certaines parties de l’Amérique du Sud. Toutes ces zones subissent de sévères périodes de sécheresse. En tant que professeur et journaliste Christian Parenti, a déclaré dans une interview avec Chris Hedges, «Comment les gens s’adaptent-ils au changement climatique? Comment s’adaptent-ils à la sécheresse, aux inondations? Très souvent … vous prenez les armes qui vous tombent sous la main et vous allez prendre le bétail de votre voisin ou encore vous accusez l’idéologie ou l’appartenance ethnique de votre voisin.»

Dans son livre, Tropic of Chaos: Climate Change and the New Geography of Violence, Parenti écrit: «Le changement climatique arrive dans un monde prêt pour la crise. Les dislocations actuelles et imminentes du changement climatique se croisent avec les crises de pauvreté et de violence déjà existantes. J’appelle cette collision des catastrophes politiques, économiques et environnementales « la convergence catastrophique »»

Dans leur désespoir, les gens, en particulier les femmes, se prostituent ou subissent d’autres formes d’esclavage moderne. Ou elles sont prises et vendues par d’autres. La traite des êtres humains est maintenant une grande entreprise dans le monde. Les gens vendent également leurs propres enfants pour sauver le reste de leur famille. J’ai vu une interview sur CNN avec une veuve et son fils et sa fille dans une tente de réfugiés en Afghanistan. Après avoir quitté la zone de la sécheresse de sa région d’origine, elle a expliqué au journaliste qu’elle vendait sa fille de six ans à un vieil homme afin qu’elle puisse se nourrir elle et son fils. La petite fille assise simplement à ses côtés, le regard triste et déconcerté, sans doute peu consciente du fait que le changement à venir dans sa vie rendra un destin déjà difficile encore pire. Assis près de là, le vieil homme qui l’achetait comme un « cadeau » pour son fils de dix ans, cette justification probablement émise au profit du journaliste, qui cachait sans doute un plan encore plus sombre pour la petite fille. Apparemment, il s’agit d’une pratique courante maintenant dans la communauté des réfugiées afghanes.

Il n’est pas étonnant que les gens quittent ces enfers sans autre chose que les vêtements qu’ils portent, risquant souvent la mort, pour aller vers des pays plus riches et plus sains. Il n’est pas non plus étonnant que ces pays ne souhaitent pas les accueillir. À un moment donné, au chargement d’un canot, l’ajout d’une personne supplémentaire le coulera. Et beaucoup de réfugiés sont des ressortissants de pays qui ont des valeurs presque opposées à celles de leur pays d’accueil. L’Europe est maintenant sur la ligne de front de la crise des réfugiés et elle lutte pour garder sa cohésion. C’est l’une des grandes ironies de l’histoire que les pays européens, peut-être les plus éclairés et les plus progressistes de tous les temps, utilisent des mesures de plus en plus draconiennes pour tenter de préserver ce qu’ils ont. Comme le philosophe américain Will Durant écrivait : « Les codes moraux s’adaptent aux conditions environnementales ». Mais les réfugiés continueront de venir, par millions puis par centaines de millions, et il n’y aura pas de murs ni d’armées suffisamment solides pour les arrêter. Ceci est vrai non seulement pour l’Europe, mais n’importe où il y a un potentiel pour une vie meilleure.

Les endroits où il existe encore une « meilleure vie » se détériorent rapidement. Le livre de Chris Hedges, America: The Farewell Tour, fait chronique de manière préoccupante du déclin de l’Amérique du 21e siècle. Les états « flyover » (pardessus lesquels on passe), c’est-à-dire presque partout à l’exception des côtes, sont minés par la pauvreté, l’alcoolisme, la prostitution, la dépendance aux drogues, au jeu ou à la pornographie, la violence, l’éducation inférieure, la dépression et d’autres maladies mentales, une mauvaise santé physique et le suicide. « Les maladies du désespoir » comme les sociologues les appellent.

Ces maladies du désespoir ont probablement une corrélation à notre coupure du monde naturel. Le monde artificiel, c’est-à-dire ce que nous avons pris à la nature et façonné pour notre usage -béton, plastique, briques, asphalte, etc., pèse plus que toute la biomasse du monde naturel. Prendre conscience de cette transformation génère du découragement. Lors du symposium de Bateson de 2017 en Suède, Rex Weyler a donné une présentation provocante  intitulée «traumatisme écologique et dépendances communes». Weyler, l’un des fondateurs de Greenpeace, définit un traumatisme écologique comme « le fait d’être témoin – consciemment ou non – des abus omniprésents et de la destruction du monde naturel, dont nous sommes une partie et pour lesquels nous avons une affinité primordiale. Presque tout le monde dans le monde moderne et industriel peut raconter des histoires d’expériences précieuses de l’enfance dans des milieux naturels ou des sanctuaires sauvages qui ont été effacés pour un centre commercial, un stationnement, une autoroute, ou toute autre fonction industrielle ou de consommation.

« Les névroses et les toxicomanies modernes, qui prévalent dans les pays industrialisés, peuvent être liées, au moins partiellement, au traumatisme de la séparation de la sécurité naturelle et au traumatisme d’avoir été témoin des abus de la nature. Les merveilles et les commodités de la société technologique ne fournissent qu’un placage mince sur notre être naturel. Nous restons des animaux biophysiques semblables aux fourmis et aux ratons laveurs.

« Indépendamment des prévisions en vigueur, nous conservons des schémas tirés de cinquante millions d’années d’évolution des primates, cinq millions d’années de développement hominien dans des habitats écologiques productifs et de 500 000 ans de culture de chasseurs-cueilleurs, d’utilisateurs du feu et de fabricants d’outils. Au cours de cette longue genèse, l’humanité s’est développée dans le confort et les contraintes d’un écosystème stable qui a fourni la subsistance, des leçons vitales, des sources d’émerveillement et un milieu de vie. Regarder ce monde tomber sous la lame de l’industrialisme nous choque profondément, que nous le sachions ou non.

« Au cours des derniers siècles la culture industrielle a élargi cette séparation d’avec la nature, elle a divisé des familles et détruit des communautés, créant ainsi des personnes aliénées s’accrochant  à de rares emplois qui sont récompensées par des aliments et des divertissements suremballés, comme le  » pain et les jeux  » que les empereurs romains offraient aux paysans démunis. »

En fait, ces dernières années, l’espérance de vie moyenne aux États-Unis a diminué en raison des suicides et des surdoses d’opiacées. Les U.S. sont maintenant au milieu de la pire épidémie de drogue dans leur histoire; il y a plus de morts dues aux surdoses d’opiacées que causées par des accidents de voiture ou des homicides par armes à feu. En raison de la pauvreté existante dans ces communautés, le respect de la loi est aussi déficient que le sont les services de base. Les municipalités locales commencent à fonctionner comme des républiques bananes.

Pacific Gas et Electric (PG&E), la plus grande entreprise de services publics des États-Unis, fournit du gaz et de l’électricité pour les deux tiers de la Californie. En janvier 2019, la Société a été forcée d’emprunter 34 milliards de dollars pour se protéger de la faillite et régler des poursuites d’environ 30 milliards de dollars en raison de ses lignes électriques qui sont accusées d’être à la source des incendies meurtriers survenus en Californie en 2018. Aussitôt que la compagnie a pu se restructurer pour éviter la faillite, elle a de nouveau été confrontée à des poursuites en raison de la négligence (prétendue) lors des incendies en Californie en 2020, qui ont brûlé plus de quatre millions d’acres, entraînant une perte de vies et de biens. PG&E a mis de côté 25 milliards de dollars supplémentaires en anticipation de ces revendications. Mais les incendies se poursuivront parce que les températures continueront d’augmenter. Les vagues de chaleur de juin 2021 ont brisé presque tous les records de chaleur dans toute la région occidentale des États-Unis.

L’effondrement économique se profile à l’horizon en raison de la pandémie coronavirus également. Bon nombre des industries les plus anciennes et les plus emblématiques de la vie moderne peuvent disparaître complètement. Les entreprises internationales dont les ailes, sous la forme de l’industrie mondiale du transport aérien, ont été raccourcies, ne peuvent pas s’attendre à un retour rapide à la « normale », et ces compagnies aériennes ont dû licencier jusqu’à présent des centaines de milliers d’employés. Bien sûr, celles-ci et de nombreuses autres industries se tournent vers les gouvernements pour obtenir des subventions afin d’éviter que leurs sociétés disparaissent. Les employés au chômage se tournent vers ces mêmes gouvernements pour obtenir de l’aide. Mais qu’arrive-t-il aux coffres de l’État lorsque les entreprises de services publics, les compagnies aériennes, de fabrication, des transports, des assurances, de construction, du tourisme et de nombreuses autres grandes industries, ainsi que la population sans travail demandent une aide financière pour rester à flot ? Typiquement, cela devient le problème de l’État ou des gouvernements fédéraux, ce qui signifie que les contribuables devront payer la note. Combien de temps les gouvernements ou leurs contribuables pourront-ils soutenir les entreprises et tous les autres en imprimant plus d’argent (c’est-à-dire en modifiant les chiffres sur les écrans)? La dette nationale américaine, par exemple, atteint plus de 28 billions de dollars et devrait dépasser ce montant de beaucoup lorsque nous sortirons de la pandémie. À quel moment cesserons-nous de croire en la valeur de la monnaie? Pendant combien de temps encore pourrons-nous continuer d’échanger des morceaux de papier ou de montrer des cartes de plastique en échange de la nourriture? Et que se passera-t-il quand nous serons obligés de faire des sacrifices encore plus grands ?

En raison de la pandémie de coronavirus, nous sommes maintenant soumis au contrôle de grandes corporations (et serviteurs gouvernementaux et médiatiques) qui amassent richesses et le pouvoirs à des échelles sans précédent. Nous subissons également la censure de tout ce qui pourrait menacer les coffres et les pouvoirs des rapaces. C’est un autre exemple illustrant pourquoi sommes rendu dans le merdier où nous nous trouvons. On peut le voir tout au long de l’histoire de l’humanité. La cupidité et l’accaparement du pouvoir lors des crises, que celles-ci soient réelles ou exagérées, cela n’a pas débuté aux temps modernes.

On peut facilement comprendre la tendance à la cupidité car la plupart d’entre nous en sont affligés. Sans doute les impératifs de l’évolution avaient peu d’utilité pour la gratification différée, car la réponse aux besoins immédiats signifiait souvent la différence entre la vie et la mort. Cependant, nous pouvons maintenant voir qu’être esclave de nos désirs primaires et de nos impulsions est contraire à notre survie aujourd’hui. Les batailles autour du papier toilette dans les magasins dans les pays développés au début de la pandémie donnent un aperçu de la dégradation sociale et économique à quoi pourrait ressembler une pénurie alimentaire généralisée lorsque les infrastructures de production et distribution alimentaire, la distribution de l’essence, le fonctionnement des réseaux électriques – cesseront d’être fiables, ou deviendront trop coûteux à maintenir ou ne fonctionneront tout simplement plus.

SURPOPULATION ET CO-EXTINCTIONS

En 1952, l’année de ma naissance, il y avait environ 2,6 milliards de personnes sur Terre. Il y en a maintenant 7,8 milliards, soit une augmentation au cours de ma vie de plus de 300%. Notre intensité d’utilisation des ressources permettrait à la planète d’héberger durablement environ un milliard de personnes. Comme William Catton l’a expliqué dans son livre Overshoot en 1980, nous sommes en « déficit de capacité porteuse. » En d’autres termes, la charge que nous imposons à la planète en consommation de ses ressources est de loin supérieure à sa capacité de renouvellement. Bien sûr, la seule façon dont nous avons pu nous en tirer est en volant les réserves du futur, tout comme nous pourrions avoir un jardin qui pourrait nourrir dix personnes pendant tout l’hiver mais nous faisons plutôt une super-fête pour mille personnes brûlons la réserve en une soirée.

Il est également troublant de comprendre que quelles que soient les mesures raisonnables que nous pourrions tenter pour atténuer la situation et nous n’en connaissons aucune qui puisse être faite à l’échelle, l’ajout d’environ 222 000 humains chaque jour (les naissances moins les morts) réduirait grandement nos efforts d’atténuation.

Selon de nombreuses études scientifiques, certains des résultats inévitables de la surpopulation dans un monde globalisé sont la prolifération des maladies infectieuses, les hôpitaux submergés, la mutation des bactéries résistantes aux antibiotiques et les maladies aéroportées, ainsi que la capacité réduite de les traiter. La surpopulation entraîne également la pollution des sources d’eau, une augmentation de la pollution atmosphérique et des maladies pulmonaires, des taux de criminalité plus élevés, de la déforestation, des pertes de faune conduisant à des extinctions de masse, des pénuries alimentaires généralisées, de la disparition de poissons dans les océans, de la prolifération du sida, moins d’accès à l’eau potable, de nouveaux parasites, la désertification, et la multiplication des conflits régionaux et des guerres.

Et maintenant nous vivons isolés ou dans un monde de masques. Pendant des années, il y a eu une utilisation accrue de masques pour la pollution chimique, la fumée, le dioxyde de carbone ou dans certains endroits, les rayonnements. Des centaines de millions de personnes portaient régulièrement des masques juste pour respirer en toute sécurité. L’utilisation la plus récente et la plus répandue des masques est bien entendu en réponse au coronavirus. De plus en plus il semble que les images des nouvelles à la télé imitent les films apocalyptiques que nous pensions être des visions de science-fiction d’un avenir infernal, mais tout ça se trouve juste devant nos yeux. Des millions de personnes portant des masques pour filtrer les poisons et les virus de ce qui était une fois – et que nous prenions pour acquis – de l’air pur?

Comme le professeur en astrobiologie, Peter Ward, a expliqué dans une histoire de la BBC: « Si vous prenez un système biologique, lorsqu’il devient surpeuplé, il commence à empoisonner sa maison. »

1- Embouteillage à 50 voies en Chine

Bien sûr, lorsque nous parlons de surpopulation, nous nous référons spécifiquement aux humains. En fait, l’activité humaine provoque des disparitions massives d’autres espèces. Avec la surpopulation et la pollution, nous perdons des habitats nécessaires au maintien de la biodiversité et nous avons ainsi perdu 68% de la faune mondiale depuis 1970. Le rapport intergouvernemental de l’ONU sur la biodiversité, qui est sorti en avril 2019, a constaté qu’un million d’autres espèces animales et végétales sont maintenant à risque d’extinction.

Seul notre bétail (livestock) augmente en nombre. Pensez à ce mot dans ses deux mots composantes: « Live » et « stock ». Animaux vivants comme stock, comme produit. Pour considérer les animaux comme des produits nécessite d’ignorer le sort de ces créatures vivantes: les systèmes alimentaires industriels torturent des centaines de millions d’animaux – animaux qui ont des émotions, soignent leurs jeunes et souffrent de peur et de douleurs uniquement pour être abattus à la fin, peut-être la seule miséricorde qu’ils connaîtront. L’élevage industriel est également connu pour être l’une des principales causes du réchauffement de la planète.

La perte de biodiversité des animaux et des plantes sauvages crée cependant un effet domino dans ce qu’on appelle co-extinctions: lorsqu’une espèce plus fragile face aux changements environnementaux meurt, les différentes espèces qui dépendaient d’elle meurent aussi, puis les espèces qui dépendait de ces dernières meurent à leur tour.

L’effet domino des extinctions conduit à une autre trajectoire de rétroaction exponentielle. Les scientifiques Giovanni Strona et Corey Bradshaw ont mené une expérience dans laquelle ils ont modelé par ordinateur « 2 000 Terres virtuelles créant les conditions de simili-espèces organisées dans des communautés écologiques interconnectées ». Ils ont ensuite soumis ces communautés à diverses contraintes environnementales, en particulier celles de la température. Ce qu’ils ont constaté peut déjà être tiré du titre de leur document, revu par des pairs, publié dans des rapports scientifiques: « Co-extinctions Annihilate Planetary Life During Extreme Environmental Change« . En d’autres termes, la santé du monde naturel interconnecté dépend du réseau de la vie qui s’y trouve. Lorsque des parties substantielles de ce réseau disparaissent, cela annihile toute vie planétaire. Cela inclut, bien sûr, les formes de vie plus élevées et complexes. C’est-à-dire nous. Penser que nous pouvons perdre la majeure partie de la biodiversité de la vie planétaire et trouver des moyens de nous nourrir est délirant.

Parallèlement à toutes les autres menaces qui nous confrontent, la co-extinction du monde naturel est en train de devenir l’un des problèmes les plus pressants. Pour toute personne familiarisée avec la théorie générale des systèmes, cela est facilement compréhensible. Pourtant, de nombreuses personnes compartimentent bien les informations lorsqu’elles entendent parler d’extinctions des plantes et autres créatures et elles pensent que cela a peu à voir avec leur propre existence. Elles voient l’image emblématique de l’ours polaire flottant sur un petit morceau de glace et pensent: 
« Qu’est-ce que la perte des ours polaires signifie pour ma vie? Rien. » Elles pourraient toutefois être surprises d’apprendre que la perte des insectes dans le monde va avoir une incidence importante sur la chaîne alimentaire car la pollinisation de la vie végétale ralentit considérablement.

Un article de 2018 à New York Times intitulé « The Insect Apocalypse Is Here« , explique également le concept de « extinction fonctionnelle » : c’est quand une espèce, même encore présente,  a tellement diminué en nombre qu’elle ne fonctionne plus ni interagit dans son environnement. Dans le cas des insectes, par exemple, il en résulte « une extinction de la dispersion des semences et de la prédation et la pollinisation et toutes les autres fonctions écologiques qu’un animal pouvait avoir, ce qui peut être dévastateur même si certains individus sont toujours présents. » Une extinction à grande échelle d’insectes ou d’autres espèces n’est pas nécessaire pour perturber leur rôle essentiel dans un éco-système sain. Une disparition partielle fera le travail. L’incapacité de cultiver des fruits, des légumes et des grains dans les régions agricoles entraînera inévitablement une flambée des prix des denrées alimentaires et de la famine pour des millions de personnes.

Comprendre les problèmes de surpopulation et de co-extinctions peut conduire certains à se questionner sur la pertinence d’amener de nouveaux bébés dans ce monde. Pour la première fois de l’histoire, il est difficile de célébrer l’arrivée des nouveau-nés lorsque l’on est conscient des pressions meurtrières de la surpopulation, du chaos climatique et de l’effondrement de nos systèmes de soutien de la vie. Il est triste de penser à ce qu’un nouveau petit être devra supporter. Et ses parents, conscients de la réalité du monde, cela risque probablement d’augmenter leur anxiété et leur chagrin. Une fois que vous connaissez un enfant, que ce soit le vôtre ou celui de quelqu’un d’autre, votre amour pour l’enfant risque de vous inquiéter grandement, surtout si vous êtes responsable de l’avoir amené dans ce monde.

Si vous voulez être un parent, envisagez plutôt d’adopter l’un des millions d’enfants ayant besoin d’un parent aimant et de lui donner une maison heureuse aussi longtemps que possible. Vous devrez contrer l’impulsion naturelle de donner naissance au vôtre. Nous sommes, à notre époque, confrontés à de nombreux défis de ce type face aux impératifs habituels de l’évolution, de la survie et des tendances naturelles.

TECHNOSOLUTIONS ET VOYAGES VERS MARS

Nous, humains, aimons la technologie. C’est ce qui nous a permis de devenir l’espèce dominante de la planète, ce qui a doublé notre espérance de vie, nous a permis de parcourir le globe en accumulant ressources et idées et c’est ce qui nous permet de rester connecté avec quiconque, qu’il soit n’importe où, et cela sans avoir à quitter nos maisons. La technologie est source de divertissement, d’éducation, de créativité artistique, d’avancées médicales et d’usages trop nombreux pour en faire ici la liste. La technologie a également été la cause de beaucoup de destructions. Nous avons rapidement rasé et empoisonné notre éco-système et provoqué l’extinction d’une grande partie du monde naturel.

Les technologies de l’énergie et des industries ont déstabilisé et empoisonné notre atmosphère et nos voies navigables. Notre cyber-technologie a créé une industrie mondiale de fraudes en ligne, de pornographie pour enfants et de prédation, de vol d’identité, de drogues illicites et autres actes criminels rendus possibles via Internet. Les technologies de guerre nous ont rendu l’espèce la plus meurtrière de l’histoire. Au XXe siècle, on a estimé que 231 millions de personnes, des non-combattants pour la plupart, sont morts au cours des guerres et des conflits. Les armes de haute technologie du XXIe siècle sont encore plus capables de répandre mort et destruction à grande échelle sur simple poussée d’un bouton à des milliers de kilomètres de distance.

Comme Joanna Macy me disait, dans une interview il y a plus de trente ans, « Nous pensons que la technologie nous sauvera. Mais c’est la technologie qui nous a mis dans ce pétrin. « 

Et pourtant, de nombreuses personnes supposent que la technologie résoudra nos difficiles problèmes écologiques en modifiant l’humain pour l’adapter aux problèmes ou en nous éloignant simplement de la Terre. Certains de ces « solutionnistes », ceux qui pensent que la technologie créera un meilleur futur, veulent nous envoyer sur Mars. Il y a aussi ceux qui croient que nous pourrions nous extraire de notre base biologique (qui veut encore d’une carcasse de viande?) en téléchargeant notre conscience dans des ordinateurs et ainsi vivre pour toujours. Penser, pour toujours. 

Ou peut-être préférons-nous devenir partie robot partie humain. Elon Musk, PDG de Tesla et de Space X et cofondateur de Neuralink a ​​des projets qui nous permettront d’injecter un maillage de neurones informatisé dans notre cerveau, un filament semblable à la dentelle qui se déploie dans le cerveau et crée ainsi la capacité d’échanger avec un ordinateur. La procédure permettrait aux connaissances numériques d’être stockées et accédées directement par sa propre matière grise. Ce mélange de technologie numérique et biologique, dans la perspective de Musk, nous donnerait une chance contre ce qu’il considère comme les menaces à venir d’une intelligence artificielle non réglementée. En août 2020, Musk a annoncé qu’il avait implanté un minuscule ordinateur avec des fils en tant que prototype de neurolien dans le cerveau d’un cochon, décrivant la nouvelle technologie comme « comme un Fitbit dans votre crâne ».

Musk travaille également sur des plans de colonisation de Mars. Il entrevoit la possibilité que des humains deviennent « une espèce multi-planète », ce qui, il imagine, atténuera nos problèmes sur la Terre, en particulier si la Troisième Guerre mondiale devait éclater. En mai 2020, la société SpaceX de Musk a lancé la première de ses Starships to Mars, une fusée portant deux astronautes à la station spatiale internationale. Il envisage un premier groupe de voyages vers la planète rouge dans des fusées de trente-cinq étages qu’il est à concevoir actuellement. Le plan de Musk comprend également des enceintes en forme de dôme, terra-formées, dans lesquelles les gens vivront sur Mars l’intégralité de leurs jours et de leurs nuits (après tout, ils ne peuvent pas sortir en raison de la quasi sans oxygène, une atmosphère de dioxyde de carbone de 95%, des niveaux de radiation équivalant à 24 CAT scans par jour et des températures moyennes de moins soixante-trois degrés Celsius). Bill Maher a fait un segment hilarant et perspicace à propos de ce déménagement vers Mars dans un segment de son spectacle « Real Time with Bill Maher« . 

En planifiant un déménagement vers Mars, il pourrait également être utile de considérer les impacts psychologiques pour les terriens ayant à vivre dans des quartiers rapprochés et n’ayant aucun contact avec le monde extérieur. Pour avoir une idée de ce que serait la vie dans une colonie sur Mars, on peut penser à l’expérience menée sur Terre au début des années 90. C’est ce qu’on a appelé la Biosphère 2 et c’était une tentative de reproduire les systèmes biologiques de la Terre dans une serre complètement fermée couvrant environ trois acres dans le désert de l’Arizona. La structure comprenait sept « biomes » (diverses régions biologiques, telles qu’une forêt tropicale, un mini-océan, un récif corallien, une mangrove, une savane) et pendant deux ans huit membres de l’équipage, appelés les « Biosphériens », y ont vécu en faisant pousser leur propre nourriture et en veillant au bon fonctionnement des systèmes internes. 

Sauf qu’il y a eu des problèmes. Tôt dans l’expérience, qui a débuté en 1993, les niveaux de dioxyde de carbone ont commencé à augmenter alors que l’oxygène et les niveaux alimentaires ont commencé à manquer. De plus, il s’est développé un syndrome appelé « antagonisme irrationnel », dans lequel les frictions et querelles entre les huit membres de l’équipage ont abouti à une bataille à quatre contre quatre qui s’est poursuivie jusqu’à la fin de l’expérience. Comme Jane Poynter, l’une des huit originaux, a déclaré dans une TED talk : « Nous sommes tous virés fous, je dirais. » Un an plus tard dans une deuxième tentative de vie dans la Biosphère, un nouveau groupe a pu développer suffisamment de nourriture et n’a pas eu besoin d’apport en oxygène, mais ils n’ont vécu dans l’installation que pendant six mois. En tout état de cause, lorsque des problèmes impliquant de l’oxygène, des aliments ou de l’eau sont apparus, l’aide n’était qu’à un coup de téléphone et un court trajet, au lieu de cinquante-trois millions de kilomètres. Les expériences de la Biosphère pourraient également servir d’avertissement contre les prétentions des milliardaires qui se construisent des bunkers souterrains de luxe ici sur terre.

J’ai regardé de nombreuses entrevues avec Elon Musk. Je l’aime bien lui. Je ne le vois pas comme le Dr Evil. Il s’apparente à l’enfant génie en classe qui vous montre avec enthousiasme la miniature Hadron Collider qu’il a construit avec son ensemble Lego. Musk et les ingénieurs qui retraitent la nature font partie d’une longue lignée de sorciers techno qui ont fait de notre époque ce qu’on appelle aujourd’hui l’Anthropocène, « l’ère géologique dans laquelle l’activité humaine est l’influence dominante sur le climat et l’environnement ».

J’ai regardé de nombreuses interviews avec Elon Musk. Je l’aime bien. Je ne le vois pas comme le Dr. Diable. Il me rappelle le petit génie de la classe qui vous montre avec enthousiasme le collisionneur Hadron miniature qu’il a construit avec son jeu de Lego. Musk et les ingénieurs qui veulent refaçonner la nature font partie d’une longue lignée de magiciens qui ont fait de notre époque ce que l’on appelle maintenant l’Anthropocène : l’âge géologique où l’activité humaine devient l’influence dominante sur le climat et l’environnement. »

Ça a été notre privilège historique de découvrir de nouvelles frontières de ressources inexploitées chaque fois que nous dépassions les capacités d’une région donnée. Nous pouvions toujours passer à un autre endroit, soit il était inhabité, soit nous devions négocier, soumettre ou éliminer les personnes qui occupaient déjà cet endroit. La Terre était grande et abondante pour la majeure partie de l’histoire humaine. Mais le monde se rétrécit maintenant rapidement. C’est-à-dire que nous sommes de plus en plus nombreux alors que les habitats qui pourraient soutenir la vie de font plus rares, comme Bill McKibbin le décrit dans un article de New Yorker 2018 intitulé « How Extreme Weather is Shrinking the Planet« .

L’« économie » aujourd’hui englobe la population mondiale et tous les habitats capables de soutenir la vie. Et là, nous sommes en déficit. Aussi, cela peut sembler une bonne idée pour les personnes telles qu’Elon Musk et d’autres de trouver de nouvelles façons pour la vie humaine de se poursuivre, que ce soit dans l’espace ou avec un nouveau type de cerveau.

La géo-ingénierie, ou l’ingénierie climatique, constitue une forme plus réaliste de solutionnisme dans la mesure où plusieurs de ses propositions semblent plus réalisables que la numérisation de nos cerveaux, le téléchargement de la conscience ou notre déménagement sur Mars. Pour cette raison, la géo-ingénierie est plus troublante car elle est probablement de plus en plus déployée car le monde devient bientôt plus désespéré.

Un type de géo-ingénierie implique une gestion de rayonnement solaire (solar radiation management-SRM), qui consiste à réfléchir la lumière du soleil dans l’espace. Il s’agit de pulvériser des tonnes de sulfates (ou, un peu moins inquiétant, de cristaux de sel) dans l’atmosphère pour bloquer la lumière du soleil et modifier les nuages, les plantes et la glace pour les rendre plus réfléchissants. Un groupe de scientifiques de Harvard, partiellement financés par Bill Gates, prévoyait tester une nouvelle technologie visant à bloquer la lumière du soleil en libérant du carbonate de calcium dans la stratosphère au dessus de la Suède. Un problème évident avec le SRM est que, laissant de côté les impacts potentiellement mortels qu’il y a à jouer avec l’air même que nous respirons, nous allons toujours continuer de réchauffer au sol. C’est comme de mettre un pare-soleil sur la fenêtre de votre voiture par une journée chaude. La voiture est toujours en train de se réchauffer à l’intérieur mais un peu moins vite.

Un autre type de géo-ingénierie est connu sous le nom de capture de carbone et de séquestration (CSC) qui consiste à éliminer le carbone de l’atmosphère et des industries émettrices pour le stocker. L’une des nombreuses propositions considérées est d’ensemencer l’océan avec des boulettes de fer pour favoriser la croissance du plancton, ce qui a pour effet de stocker du carbone. Une autre perspective semblable est connue sous le nom de capture de carbone et stockage bio (Bio Energy Carbon Capture and Storage-BECCS). Un exemple de ceci, qui est maintenant un projet « démonstrateur » au Royaume-Uni, est de brûler du bois, puis de capter le carbone, l’idée étant que les arbres séquestrent du carbone, de sorte que la croissance et la combustion dans une installation de capture à proximité créeraient des émissions de carbone négatives. Les critiques de cette méthode indiquent qu’on n’y calcule pas avec précision les coûteux processus énergétiques (et les émissions de carbone induites) impliquées par une telle entreprise.

Si la lecture de ces méthodes vous rend patraque, vous n’êtes pas seul. Beaucoup d’entre nous résistent intuitivement à l’idée de jouer avec l’atmosphère ou aux méthodes permettant aux émissions de carbone de se poursuivre tout en maintenant l’illusion que nous contrôlons la situation. Des conséquences imprévues peuvent probablement accélérer la destruction. Et une tristesse presque cellulaire nous vient à la pensée que des mains humaines continuent de manipuler le climat alors que nous l’avons déjà tant perturbé. Mais beaucoup de gens voudraient essayer la géo-ingénierie, même si les données montrent à quel point c’est inefficace, coûteux en carbone et dangereux.

Clive Hamilton, professeur d’éthique publique et membre de l’Autorité du changement climatique de l’Australie, explore cela en profondeur dans son livre, Earth Masters: The Dawn of the Age of Climate Engineering. Voir également le rapport de Greenpeace sur la capture et le stockage du carbone.

Les plans de géo-ingénierie sont effrayants car ils sont proposés non seulement par des conspirationnistes, mais par certains des esprits les plus riches, les plus puissants et les plus brillants ingénieurs de notre époque. Et ils sont financés par des coalitions d’entreprises pétrolières et gazières et des gouvernements qui dépendent d’une science qui minimise les dangers d’une telle aventure.

Bien que le profit soit sans aucun doute un motif fort, il est inutile de diaboliser les personnes qui poursuivent ces voies, surtout lorsqu’ils espèrent atténuer une crise. Mais il est également important de comprendre que leur sagesse n’est peut-être pas aussi développée que leurs formes d’intelligence particulières. Il n’est pas vrai que, simplement parce qu’une technologie est possible, nous devrions l’essayer parce que nous sommes en crise. (« Si nous pouvions le faire, nous devrions le faire. ») Nous avons ignoré, maintenant à nos périls, les conséquences à long terme de nombreuses technologies et nous les avons adoptées sans discussion publique. 

Alors que Jerry Mander m’a dit dans une interview en 1991 à la suite de la publication de son livre In the Absence of the Sacred, « Les nouvelles technologies nous sont introduites sans véritable discussion sur la manière dont ils vont affecter la planète, les relations sociales, les relations politiques, la santé humaine, la nature, ou nos conceptions de la nature et de nous-mêmes. Chaque nouvelle technologie affecte ces choses. Les voitures, par exemple, ont complètement changé la société. Il y aurait eu un débat sur l’existence des voitures, et nous aurions pu demander : 
« Voulons-nous que l’ensemble de notre monde soit pavé? Voulons-nous que toute la société emménage dans le béton des centres urbains ? Souhaitons-nous qu’une seule ressource (le pétrole) domine les relations humaines et politiques du monde? » Notre culture manque de fondement philosophique, d’une compréhension correcte du rôle des humains sur la terre qui nous permettrait d’orienter ces développements. Nous pourrions alors dire, non, nous ne pouvons pas aller dans cette direction, car c’est contraire à la vie, ce n’est pas ancré dans le monde naturel et cela manque de tout sens des limites. Vous voyez, une fois que vous vivez dans une société industrielle, technologique, les choix deviennent beaucoup plus difficiles. Même si vous croyez que les voitures sont inappropriées, vous ne pouvez presque pas fonctionner sans l’utilisation d’une voiture. Vous ne pouvez pas fonctionner si vous n’avez pas de téléphone ni d’ordinateur, sauf si vous vous retirez du monde ».

La différence entre la sagesse et l’intelligence peut conduire à la perte de nombreuses autres formes de vie dans l’univers. Il y a une théorie connue sous le nom de grand filtre, qui cherche à expliquer pourquoi, malgré les grandes probabilités de vie sur d’autres planètes, nous n’avons encore entendu parler d’aucune d’entre elles. Les astrophysiciens ont maintenant calculé que dans l’univers connu, il y a environ 10 milliards de billions** (?) de planètes dont les orbites sont dans une proximité particulière de leur étoile qui ressemble à la nôtre, pas trop proche ni trop loin. Juste ce qu’il faut.

La théorie du grand filtre suggère qu’avant qu’une civilisation n’atteigne le niveau de développement qui permettrait une communication et des voyages intergalactiques, elle meurt à cause du changement climatique, de la surpopulation ou d’autres facteurs ayant à voir avec la montée de la civilisation technologique. Comme Adam Frank, professeur d’astrophysique à l’Université de Rochester, à New York, a expliqué dans une interview chez Chris Hedges: «Si vous développez une civilisation industrielle comme la nôtre, la route sera semblable. En particulier, vous allez avoir du mal à ne pas déclencher le changement climatique. Contrairement à la guerre nucléaire. Pour qu’une civilisation se détruise par la guerre nucléaire, elle doit avoir certains types de caractéristiques émotionnelles, non? Vous pouvez imaginer des civilisations (en disant): «Je ne construirai pas ça; c’est fou ! » Mais vous ne pourrez pas échapper au changement climatique. Si vous construisez une civilisation, vous utilisez d’énormes quantités d’énergie; l’énergie qui se nourrit de la planète, et vous allez vous retrouver dans une sorte d’anthropocène, il est donc probablement universel. Et puis la question est: « Est-ce que quelqu’un réussit ? »

Après tout, chacun de nous est un moteur thermique. Des études au MIT et ailleurs ont montré que l’empreinte mondiale d’émissions de carbone moyenne par an est de quatre tonnes (la moyenne américaine par personne est de vingt tonnes par an).

J’ai d’abord lu la grande théorie du filtre il y a quelques années. Cela a fait sens pour moi dès l’abord. Au cours des années précédentes, j’avais envisagé notre situation comme un «problème d’espèce», que nous avions un terrible défaut dans notre évolution qui nous a rendus écocidaires, homicidaires et suicidaires. Mais la théorie du grand filtre m’a permis d’envisager la possibilité que les humains ne font que faire ce que nous étions destinés à faire, portés par l’évolution. Ce n’est pas une aberration de l’évolution, même si elle détruira probablement toute la vie complexe. Ce n’est pas non plus le résultat d’un fil d’évolution, d’un âge particulier ou d’une avancée technologique ou d’un système économique.

Prenez le capitalisme par exemple. Il est insoutenable en son cœur, car il s’appuie sur une expansion et une croissance économique continues dans un cadre de ressources finies. Dans le processus, il accélère également l’élimination des ressources sur lesquelles il repose. Mais le problème est que la nature humaine n’osera pas défier ce système tant que les marchandises continuent de circuler, peu importe les coûts futurs. Le capitalisme est une représentation parfaite du besoin humain et de l’envie de toujours plus, l’avenir fut-il damné. Très peu de cultures dans la civilisation moderne ont réussi à résister à cela. Il y a maintenant beaucoup de faux espoirs autour du « capitalisme vert » et de la business verte aux États-Unis. Étant donné que le capitalisme, de toutes tendances, repose inévitablement sur l’extraction de ressources dans la production et le transport de marchandises, se sentir encouragée par le capitalisme vert est une autre forme de négociation faussée dans les étapes du deuil de Kubler-Ross. Comme Derrick Jensen le définit élégamment: « Le capitalisme est un système par lequel le vivant est converti en mort. »

Le capitalisme lui-même se dirige vers sa propre extinction. À mesure que les ressources diminuent et que le nombre de personnes qui les convoitent augmente, nous sommes confrontés à l’effondrement du plus grand réseau Ponzi de tous, le système financier mondial.

LA FIN DE L’HÉRITAGE

Au fur et à mesure que votre conscience métabolise les menaces mortelles à venir et l’improbabilité des solutions qui en changeront le cours, vous pourriez voir vos pensées et de vos motivations se réorganiser étrangement. D’une part, vous n’aurez plus besoin de considérer ce que vous pourriez laisser derrière vous car il n’y aura probablement personne pour le voir ou l’expérimenter, du moins pas pour longtemps.

Il y a une dissonance cognitive à laquelle il faut s’habituer lorsque vous réalisez qu’il n’est pas nécessaire de considérer comment vous ou votre nom sera considéré par les futures générations. Non seulement cela, votre intérêt pour les projections futures commence à s’estomper. Vous pouvez être surpris du nombre de conversations personnelles ou portant sur des sujets d’actualités qui supposent que la vie humaine continue indéfiniment. Vous aurez peut-être du mal à vous intéresser à ces conversations et à ces histoires… comme si vous tombiez par hasard sur un fou au coin d’une rue proclamant avec sérieux ses grands projets pour l’avenir alors qu’il est clair qu’il est déséquilibré. Vous ne vous attarderez  pas à chacun de ses mots.

Mais l’habitude de penser à l’avenir est difficile à ébranler.

Les gens sont souvent conditionnés à l’idée de laisser un héritage, et ils passent une grande partie de leur vie dans un dévouement peut-être inconscient à ce projet. Ils érigent des monuments à leur nom ou au nom de leurs proches de multiples façons, du Taj Mahal en Inde à un nom sur un banc de parc dans leur ville natale. Ils construisent des empires financiers ou laissent derrière eux des œuvres, des créations artistiques, littéraires, des idées et des inventions. Certaines personnes pourraient simplement vouloir vivre dans les souvenirs de ceux qu’elles aimaient.

Mais la forme d’héritage la plus courante et de loin la plus chargée émotionnellement est d’avoir des enfants. Ces temps remettent en question toutes les joies et tous les espoirs habituels que les parents peuvent avoir en voyant leurs enfants grandir. Vous les regardez bachoter pour les examens, apprendre à jouer du violon, postuler à des programmes ou toute autre formation ou activité dans laquelle un travail acharné et des études dans le présent auraient promis un avancement futur – et votre cœur en souffre.

Face à l’extinction, vous vous surprenez à penser : « À quoi bon tout cet effort ; devraient-ils même prendre la peine d’aller à l’école ? Peut-être devrions-nous simplement trouver des moyens de profiter du temps qu’il nous reste avec nos enfants sans aucun objectif futur. » Vous pouvez également vous demander si vous ne devriez pas dépenser votre compte en banque si vous êtes assez privilégié pour avoir un excédent de richesse.

Lâcher prise sur le futur signifie réorganiser vos tendances à penser à l’avenir.

La mesure dans laquelle vous avez été psychologiquement investi dans vos idées et vos espoirs pour l’avenir déterminera probablement dans quelle mesure vous vous adapterez à ignorer ce genre de pensées à mesure qu’elles surviennent. Vous pouvez également vous conforter dans la conscience actuelle qui commence à prévaloir. Et si votre propre projet d’héritage impliquait beaucoup de stress et de tension dans l’espoir de vous construire (ou de maintenir) un nom pour vous-même, vous pourriez même trouver un grand soulagement et une grande liberté dans l’abandon de ces pensées et des efforts impliqués. Vous pouvez être libéré à la fois du projet d’héritage pour l’avenir et d’un projet similaire dans le présent, celui que j’appelle « The Me Project », qui est dédié à l’importance personnelle et est particulièrement en vogue parmi les accros des médias sociaux.

Vous pouvez également avoir l’impression de perdre le passé. En cette période de Grande extinction, il peut sembler pour vous, comme pour moi, que les souvenirs des temps passés deviennent la hantise de tout ce qui a été perdu à jamais. Le contraste entre la façon dont les choses se sentaient alors et ce que les choses se sentent maintenant peut être insupportable. Je remarque que j’évite de regarder des documentaires des années 60 et 70, une époque où je suis devenu majeure, où l’espoir et toutes les formes de liberté imaginables étaient notre quotidien, représentés dans notre musique, notre activisme politique et dans une joie presque chatoyante dans l’atmosphère. Nous allions « changer le monde, réorganiser le monde », comme l’écrivait Graham Nash dans les paroles de sa chanson de protestation « Chicago » en 1971.

Maintenant, je dois faire attention à ne même pas entendre la musique de ces beaux jours.

Il y a longtemps, un ami qui avait passé deux ans dans une prison fédérale pour avoir cultivé de la marijuana m’a dit que le moment le plus difficile de chaque mois était lorsque sa femme et ses jeunes enfants faisaient de nombreuses heures de route pour lui rendre visite. Il finirait déprimé pendant des jours après leurs visites, étant entré pour ces moments dans le rappel vivant du monde coloré, loin des murs cendrés des siens. Mais au moins dans son cas à cette époque, l’autre monde était un monde auquel il pourrait éventuellement retourner ou pourrait imaginer que ses enfants continueraient à profiter.

Bien sûr, abandonner à la fois le futur et le passé ne signifie pas que vos actes d’affirmation de la vie dans le temps présent ne sont pas pertinents. Lauréat du prix Pulitzer et poète lauréat américain W.S. Merwin a écrit : « Le dernier jour du monde, je voudrais planter un arbre. » C’est la forme d’offrande la plus pure, celle qui n’a aucune possibilité de récompense future. Nous aussi, nous pouvons faire de nos derniers actes sur terre un témoignage de la capacité humaine à la miséricorde, un arc vivant à notre plus grand bien – pour lui-même – même si cela ne sauvera pas la situation.

PAS DE BLAME

« Tout au long de l’histoire et de la préhistoire, l’avancée humaine a coïncidé avec la dévastation écologique. »  John Gray (philosophe britannique)

Chiens de paille , 2002

Vous pouvez parfois ressentir de la fureur en voyant la profanation du monde naturel et en réalisant que sa destruction est due à l’activité humaine sur la planète. Il semble tragiquement injuste qu’une espèce puisse entraîner l’élimination de presque toutes les autres. Le taux d’extinction est maintenant environ 1 000 fois plus rapide qu’avant l’arrivée des humains. Il est naturel de vouloir trouver un coupable. Nous voulons avoir une cause première sur laquelle nous pouvons déplacer notre colère et avoir un sentiment de contrôle. « Si seulement nous n’avions pas développé l’agriculture » (qui a permis le stockage de nourriture à long terme et conduit à la surpopulation) ; « Si seulement le monde avait été dirigé par des matriarches » « Si seulement nous avions un système économique plus égalitaire » « Si seulement nous avions tous appris à méditer ». Si seulement.

L’écrivain James Kunstler propose une théorie lapidaire expliquant pourquoi les humains ont choisi chaque étape de notre chemin dans l’histoire : « Cela semblait juste une bonne idée à l’époque. » On s’enfonçait à chaque nouvelle façon de faire, à chaque nouvelle invention, parce que cela rendait la vie plus facile à l’époque.

Il n’y avait aucune intention de nous détruire. Au contraire, la plupart du temps depuis la révolution industrielle, il semblait que la vie s’améliorait pour un plus grand nombre de personnes. Avec les progrès de la médecine, nous avons éliminé la plupart des maladies mortelles contagieuses, des infections contrôlées et une espérance de vie considérablement prolongée. Nous avons construit des capacités de transport qui nous ont permis de voyager aux extrémités de la terre en une journée et ainsi d’apprendre d’autres cultures tout en étant sur leur propre terrain. Et puis nous nous sommes accrochés les uns aux autres dans un monde de communication instantanée, ce qui a été très amusant. Mais nous n’avons pas pris en compte le coût de toute cette générosité lorsque nous avons construit la civilisation moderne. Nous ne savions pas que courir le monde avec les combustibles fossiles nécessaires à nos machines – nos voitures, nos avions, nos cargos, nos pétroliers, nos réseaux électriques et à peu près tout – nous ferait un jour souffrir. Nous avons presque tous continué le trajet et apprécié les avantages, et maintenant la fête est terminée et la facture est arrivée à échéance. Mais qui peut-on blâmer ?

Comme l’a réfléchi le physicien théoricien Peter Russell lors d’une conversation en podcast avec moi en 2016, 

« Et si nous nous voyions comme une flamme cosmique s’épanouissant dans l’univers et arrivant à sa fin naturelle ? »

Et si on pardonnait tout à tout le monde ?

LE DEUIL

Nous pleurons parce que nous aimons. Dans la mesure où votre cœur est brisé par la perte, c’est précisément la mesure dans laquelle vous avez aimé ce qui est parti. Nous savons que se réconcilier avec sa propre mort personnelle ou la mort d’un être cher peut conduire à l’acceptation, la dernière étape du deuil de Kubler-Ross. Il existe d’innombrables exemples de ce décompte final dans lequel une personne mourante lâche les derniers fils qui l’attachent à ce monde et meurt en paix. Je connais personnellement des dizaines de personnes qui sont décédées de cette façon. Et nous connaissons également de nombreux cas où des personnes ont réussi à accepter la mort d’un être cher et à avancer dans leur vie, souvent avec une plus grande appréciation pour ceux qui sont toujours là.

Cependant, assister à la mort de toute vie, même s’il peut y avoir acceptation du fait et même si l’on ne peut plus blâmer personne ni rien, vient avec un autre type de chagrin. C’est déprimant à une échelle unique à notre époque. Même enfant, je sentais que les films les plus horribles étaient ceux sur la fin de toute vie sur la planète. Maintenant, ces images jouent dans nos têtes comme une possibilité réelle, et les gens se sentent abattus par elles. Partout dans le monde, il y a des vagues de détresse, d’anxiété et de dépression, qui sont basées sur les circonstances et pas seulement sur la chimie du cerveau qui a mal tourné. La détresse, l’anxiété et la dépression sont des réponses appropriées pour faire face à la menace d’extinction totale.

Peu importe à quel point notre compréhension de la situation est claire et rationnelle, beaucoup de mes amis conscients de l’extinction admettent que l’ampleur de la perte que nous subissons est inacceptable pour la psyché la plus intime. Cela peut ressembler à un parent qui perd un jeune enfant.

Même lorsqu’il n’y avait personne à blâmer et aucune histoire de « si seulement », le chagrin peut rarement être complètement surmonté. Seulement cette fois, ce sont tous les petits enfants. Tous les animaux. Toutes les plantes.

Toute la glace.

Beaucoup d’entre nous sont également dans un deuil anticipé; c’est-à-dire que dans la période menant à l’extinction totale, nous sommes conscients de la difficulté des choses, tout comme pour ceux qui vivent déjà marginalement, comme près d’un milliard de personnes qui sont aujourd’hui sous-alimentées et qui doivent chaque jour chercher de la nourriture. Ces nombres augmenteront et la nourriture et l’eau douce deviendront impossibles à trouver. Même ici, dans un pays riche, je connais beaucoup de gens qui vivent au mois, faisant à peine le loyer, renonçant à tout sauf aux nécessités les plus élémentaires. Ils sont considérés comme les pauvres dans nos pays du premier monde, et ils sont également de plus en plus nombreux. Aux États-Unis seulement, beaucoup de ceux qui appartenaient autrefois à la classe moyenne vivent maintenant dans leur voiture, dans des refuges pour sans-abri ou dans la rue. Même ceux qui sont en situation d’abondance dépendent souvent d’emplois voués à disparaître ou de comptes bancaires et d’investissements qui disparaîtront probablement également. Après tout, une grande partie de la soi-disant richesse des privilégiés ne sont que des chiffres numériques flottant sur les cyberécrans.

Ces chiffres ont changé en une seule journée pendant la crise financière mondiale de 2008.

Un jour, le solde d’un portefeuille a fait clignoter un chiffre à l’écran ; le lendemain, il a clignoté un nombre qui était beaucoup moindre. 

Vous pouvez commencer à ressentir un deuil anticipé pour tout le monde – les animaux, les jeunes, les pauvres, les nouveaux pauvres, la classe moyenne, les riches et, surtout, vos propres proches. Peu de gens sont même peu préparés, émotionnellement ou physiquement, à ce qui va arriver, peut-être surtout ceux qui sont les plus privilégiés. Un ami m’a raconté l’histoire suivante : son père était un survivant d’un des camps de concentration nazis. Il a dit que les personnes qui avaient les meilleures chances de survie dans les camps étaient celles qui avaient connu la pauvreté et des difficultés dans leur vie avant les camps. Ceux qui étaient issus de milieux privilégiés ont été les premiers à mourir.

Je suis conscient que pratiquement personne dans ma famille et peu de mes amis ne sont prêts à entendre cette information maintenant ou ne seront prêts à faire face à ce qui les attend dans le temps. C’est inutile d’essayer de les avertir s’ils ne sont pas prêts. Mes tentatives d’allusion conduisent généralement à des regards vides ou à de l’agitation. J’en suis venu à accepter que pour certaines personnes, leur destin est de continuer à se défouler, sans se soucier des dangers qui les attendent. Il est peut-être préférable qu’ils profitent des bons moments qui leur restent, même s’il peut y avoir une panique extrême dans la dernière phase. C’est peut-être aussi bien qu’ils continuent comme ils l’ont été le plus longtemps possible. Peut-être que cela retardera le chaos et l’anarchie dans le monde entier jusqu’à ce que les systèmes s’effondrent complètement. Mais pour ceux d’entre nous qui ne peuvent détourner le regard, nous portons un chagrin anticipé pour ceux qui ne peuvent pas supporter de regarder.

Le journaliste climatique primé Dahr Jamail connaît bien le processus de deuil en regardant la terre changer sous ses yeux. Alpiniste de longue date, il a observé le recul permanent d’innombrables glaciers en Alaska, dans le nord-ouest du Pacifique et ailleurs, ayant connu ces régions lorsque les glaciers étaient encore pleins.

Dans le dernier chapitre de The End of Ice : Bearing Witness and Finding Meaning in the Path of Climate Disruption, il écrit : « Chaque fois qu’une autre étude scientifique est publiée, elle montre une nouvelle accélération de la perte de glace au sommet de l’océan Arctique, ou les projections d’augmentation sont encore intensifiées, ou la nouvelle d’une autre espèce qui a disparu est annoncée, mon cœur se brise pour ce que nous avons fait et faisons à la planète. Je suis en deuil, mais ce processus en cours ressemble davantage à l’épluchage des couches d’un oignon – il y a toujours plus de travail à faire, alors que la crise que nous avons créée pour nous-mêmes continue de se dérouler. Et quelque part le long de la ligne, j’ai abandonné mon attachement à tous les résultats qui pourraient découler de mon travail. Je suis libéré de l’espoir. »

J’ai récemment interviewé Dahr sur la question de l’espoir en ce qui concerne les nombreux projets de géo-ingénierie non nocifs ou naturels d’atténuation et de réduction du carbone en cours, contrairement aux projets effrayants susmentionnés. Ceux-ci incluent la plantation d’arbres, l’enrichissement du sol, l’utilisation de formes particulières d’algues efficaces pour la capture du carbone et le refroidissement des océans, les fermes solaires, les éoliennes terrestres, les régimes alimentaires riches en plantes et l’éducation des filles (les filles éduquées ont moins de bébés), pour n’en nommer que quelques-uns. Mais Dahr se méfie de la chronologie de ces propositions.

« L’espoir concerne l’avenir et nous donne le sentiment que nous avons plus de temps alors qu’en fait, nous n’avons plus le temps. Je pense que c’est génial que les gens fassent des choses pour atténuer les dégâts car c’est la bonne chose à faire. Certains d’entre nous se sentent moralement obligés d’agir de cette manière. D’un autre côté, lorsque vous regardez la quantité de carbone qui doit être retirée et à quelle vitesse cela doit se produire, il est physiquement impossible de s’adapter au niveau qui serait nécessaire.

« Prenez, par exemple, le rajeunissement à grande échelle du sol. Si chaque agriculteur était incité et mandaté pour incorporer des pratiques qui rajeuniraient le sol à l’échelle mondiale et si nous combinions cela avec la plantation d’arbres à grande échelle – bien sûr, toutes ces choses prennent du temps – au moins nous aurions mis en place des actions qui pourraient encore aider. Ce qui rend la géo-ingénierie naturelle, la séquestration du sol, la plantation d’arbres, etc. impossibles pour inverser la tendance, c’est qu’il y a un manque presque total de volonté politique pour imposer tout cela. Si tout à coup nous pouvions remplacer les horribles gouvernements par des gouvernements fonctionnels qui représentaient ce dont nous avons besoin maintenant et si c’est là que tout le financement allait, oui, cela pourrait en fait faire une brèche dans l’atténuation. Mais la réalité est qu’il n’y a pas un pays que je connais qui fait tout ce qu’il peut dans cette direction. Certes, aucun des principaux émetteurs – la Russie, les États-Unis, la Chine et l’Inde – ne fait quoi que ce soit d’important ; tous les quatre continuent de rouler plein gaz. Rien n’indique qu’un changement de cap se produira. Rien. Pas maintenant. Pas l’année prochaine. Pas dans dix ans. Ainsi, le manque de volonté politique va annuler tous les efforts de géo-ingénierie naturelle. Néanmoins, nous sommes toujours obligés de faire ce que nous pouvons à notre manière, même s’il n’y a aucune chance d’atténuation à long terme. »

Pourtant, on nous dit souvent que nous ne pouvons pas continuer sans espérer au moins une issue un jour. Parce que nos cultures occidentales, en particulier celles d’Amérique, sont obsédées par une adhésion presque enfantine à l’espoir, elles célèbrent de vieux clichés tels que « Tu dois avoir de l’espoir », « Nous ne devons pas perdre espoir », « Gardez l’espoir vivant » (ou encore « tant qu’il y a de la vie, il y a de l’espoir »). Les politiciens et les PDG sont élus avec de tels slogans. Les militants obtiennent des fonds pour leurs projets et leurs idées même s’ils sont cinq décennies trop tard. Et les leaders d’opinion religieux et du nouvel âge font des millions en colportant un hopium spirituel, une intoxication auto-induite qui ignore la réalité et offre une illusion de contrôle ou d’évasion. Certes, il y a des moments et des lieux d’espoir où il est possible de changer un cours qui peut être changé. Mais s’accrocher à l’espérance quand il n’y a plus rien à faire, quand le cours ne peut être changé, fait de l’espérance elle-même un fardeau.

On est forcé de faire semblant intérieurement, un déni plus profond. Pour les personnes qui ont une capacité limitée de déni, et je soupçonne que si vous avez lu jusqu’ici vous êtes l’une d’entre elles, maintenir l’espoir devient impossible. C’est un soulagement surprenant de lâcher prise car il n’y a qu’un froid réconfort dans les faux espoirs.

Cependant, vous pouvez alors ressentir la force brutale du chagrin. La douleur, cruelle. Il peut se faufiler dans vos rêves. Cela peut survenir dans des moments ordinaires, comme sentir le jet odorant d’une orange ; ou lorsqu’un enfant que vous aimez dit les mots « Quand je serai grand… » Cela peut venir lorsque vous observez la cupidité, l’ignorance et la cruauté, car ce sont des rappels de la raison pour laquelle le monde est en train de mourir. Parfois, vous pouvez avoir l’impression que vous pourriez pleurer et ne jamais arrêter de pleurer.

Pour rester stable, vous pouvez être amené à regarder le monde de suffisamment loin pour contenir votre chagrin. Vous vous habituerez peut-être à vivre avec le deuil sans supposer qu’il devrait ou va se dissiper. Malgré cela ou à cause de cela, vous remarquerez alors une tendance croissante à apprécier les simples moments de connexion et de nombreuses petites joies. Et vous pouvez vous sentir plus éveillé que vous ne l’avez été depuis longtemps.

Vivre avec le chagrin d’être confronté à l’extinction humaine peut s’apparenter à la façon dont une personne avec un diagnostic terminal pourrait vivre sa dernière période, la conscience indéniable de la mort et la magnificence de la vie de plus en plus évidentes.

L’AMOUR

So come my friends, be not afraid 
We are so lightly here 
It is in love that we are made
In love, we disappear
 — Leonard Cohen

Rue Boogie

Qu’y a-t-il d’autre à faire maintenant ? Nous voici parmi les derniers humains à découvrir cette belle planète depuis que l’Homo sapiens a commencé son voyage il y a environ 200 000 ans. Maintenant, face à l’extinction de notre espèce, vous pouvez vous demander s’il est utile de continuer. Si vos futurs projets n’ont plus de sens, si vous pensez qu’il n’est pas sage d’avoir des enfants et que les choses vont devenir vraiment difficiles et mauvaises, vous ne voudrez peut-être plus vous embêter à vivre. Pourtant, il existe d’autres façons d’utiliser votre attention qui rendent la vie toujours pertinente et même belle.

Depuis près de trente ans, j’anime des sessions publiques et des retraites silencieuses à travers le monde. Dans ces rassemblements, j’encourage les gens à gérer leur propre attention en la déplaçant vers la conscience présente, la gratitude et une immersion dans les sens. La façon dont vous utilisez votre attention à un moment donné conditionne l’expérience que vous vivez à ce moment-là. Nous vivons à une époque où la gestion de notre attention sera d’autant plus nécessaire pour rester calme et nous permettre de profiter et d’être utile quel que soit le temps qui nous reste. Diriger l’attention est une facilité qui devient habituelle avec le temps. Abandonné à ses propres schémas conditionnés, notre esprit se retrouve dans toutes sortes de problèmes (à moins que l’on ait eu beaucoup de chance dans son conditionnement, ce qui est rare). Développer l’habitude de rediriger votre conscience lorsque votre esprit est perdu dans la peur ou des histoires troublantes induit la confiance en cours de route. Votre l’attention commence à s’incliner vers la facilité plus fréquemment. Vous trouvez que vous pouvez choisir le calme. Vous pouvez choisir la gratitude. Vous pouvez choisir l’amour.

Jonathan Franzen, lauréat du National Book Award et de nombreux autres honneurs littéraires, écrit dans son dernier livre The End of the End of the Earth: « Même dans un monde en train de mourir, de nouveaux amours continuent de naître. » C’est maintenant le moment de vous abandonner à ce que vous aimez, peut-être de manière nouvelle et plus profonde. Votre famille et vos amis, vos amis les animaux, les plantes qui vous entourent, même si cela ne signifie que les petites pousses qui se frayent un chemin à travers le trottoir de votre ville, la sensation d’une brise sur votre peau, le goût de la nourriture, le rafraîchissement de l’eau, ou les milliers de petites choses qui composent votre monde et qui sont vos propres trésors et plaisirs uniques. Faites briller vos moments dans l’expérience de vos propres sens et dirigez votre attention vers tout ce qui réjouit votre cœur. Vivez votre bucket list (liste de choses à faire absolument) maintenant.

Il existe également quelques réflexions et actions simples qui pourraient être utiles :

Trouvez votre communauté (ou créez-en une). Les gens commencent à se réveiller et à en parler partout dans le monde. Extinction Rebellion, qui a commencé au Royaume-Uni, a des rassemblements dans de nombreuses villes d’Europe, d’Amérique du Nord et d’Australie. Il existe également des groupes Facebook conscients de l’extinction, tels que Near Term Human Extinction Support group et Faster Than Previously Expected. Ces groupes organisent des articles scientifiques et des nouvelles sur le climat et proposent des explorations sincères en portant ces nouvelles. Vous voudrez peut-être entamer des discussions dans votre propre maison avec des amis et des voisins. Les gens ont réfléchi à ces questions et discuté de questions telles que les jardins communautaires, l’eau et la sécurité, et il existe un nombre croissant d’informations en ligne pour les communautés qui souhaitent devenir résilientes. Avoir une communauté autour de vous est important à la fois pour le bien-être mental et pour ce que Jem Bendell couvre dans son article en ligne, Deep Adaptation: A Map for Navigating Climate Strategy. pour la stratégie de navigation sur le climat. En cette période d’isolement, connectez-vous avec votre communauté de toutes les manières encore disponibles, en ligne ou en personne avec distanciation sociale en autant qu’aucun de vous ne se sent malade. Jetez également un œil à Resilience.org et aux colonnes de Dahr Jamail sur Truthout.org, où vous trouverez des dizaines d’articles et de données sur le climat. Harry Gibbs au Royaume-Uni organise un excellent résumé des nouvelles quotidiennes sur le climat et l’économie intitulé Climate Change and Global Economy. Voir la section suivante ci-dessous pour des recommandations sur la façon de rester émotionnellement stable.

Rester calme. En plus de diriger judicieusement votre attention, incluez également toutes les activités quotidiennes qui induisent un plus grand calme dans votre vie – marcher dans la nature, un repas lent avec vos proches ou seul, lire ou écouter de la musique, danser, nager – quel que soit votre truc, donnez-lui la priorité chaque jour. Votre relaxation et votre calme ne sont pas une indulgence mais plutôt une mise au point pour votre bien-être mental et physique, ce qui conduit à une intelligence plus éveillée et réactive. Depuis 2015, j’anime une chaîne de podcast dédiée aux façons dont nous pouvons utiliser judicieusement notre attention : « In the Deep with Catherine Ingram » (tiré directement de mes sessions publiques de dharma au fil des ans et de nos sessions Zoom actuelles).

Libérez-vous des visions sombres du futur et contrôlez votre consommation de nouvelles effrayantes. Bien que des images effrayantes sur ce qui s’en vient peuvent survenir dans votre imagination, il est préférable de ne pas les entretenir. Il est également utile de vous retenir de trop lire ou de regarder des nouvelles. Il y a une tendance, une fois qu’une catastrophe saisit l’attention, de continuer à regarder les nouvelles comme si on était témoin d’un accident d’avion en temps réel. Résister au désir d’être constamment immergé dans les données cumulatives du chaos. Choisissez de réduire votre consommation d’informations au besoin, et reposez votre esprit fatigué. Un de mes amis se débranche périodiquement et marche en montagne; un autre se débranche et travaille pendant des heures dans son jardin. Ils sont tous deux bien conscients des réalités en cours, et connaissent la tristesse inévitable qui vient avec cette conscience. Pourtant, les deux ont appris à gérer et à profiter du temps précieux qui reste, vivant en suivant l’éthique Navajo: « Puis-tu marcher dans la beauté. »

Soyez de service. Sachez que quoi qu’il arrive dans le futur, il sera agréable de rendre service de toutes les manières dont vos dons peuvent être utilisés et à n’importe quelle échelle qui vous semble juste et vraie, que ce soit dans votre vie personnelle de famille et d’amis ou dans une communauté plus large. Il n’est pas nécessaire de tenir des comptes pour savoir si vos actions porteront leurs fruits un jour. Être au service fait du bien en soi et donne un sens à votre vie, le sentiment que vous êtes bien utilisé, comme un bon compost dans le domaine de la vie.

Être reconnaissant. La longévité n’a jamais été une garantie pour qui que ce soit à aucun moment de l’histoire.

Quel que soit le temps qui nous reste, nous sommes les plus chanceux. Nous avons pu faire l’expérience de la vie, malgré les fortes probabilités que ce ne soit pas le cas, comme le souligne souvent le biologiste Richard Dawkins. Quand nous pensons à toutes les fois où nos ancêtres ont dû enfiler l’aiguille de la survie et vivre assez longtemps pour procréer, chaque vie, cela met en perspective combien précieuse est cette expérience que nous vivons. La gratitude pour la vie elle-même devient la réponse appropriée. Dirigez votre conscience plusieurs fois au cours de la journée vers toutes les petites choses pour lesquelles vous êtes reconnaissant. C’est un secret de polichinelle pour induire un esprit plus calme.

Abandonnez le combat avec l’évolution. Elle gagne. L’histoire d’un faux pas humain dans l’histoire, le point imaginaire où nous aurions pu prendre une route différente, est un exercice mental inutile. Notre évolution est basée sur des quintillions de mouvements de la terre, des adaptations biologiques incrémentielles, des nécessités de survie et des désirs humains. Nous sommes exactement là où nous nous dirigions depuis le début.

Bien que nous ayons causé tant de destruction, il est important de considérer également le large éventail de possibilités qui composent une vie humaine. Oui, à une extrémité de ce spectre se trouvent la cupidité, la cruauté et l’ignorance ; de l’autre côté, la bonté, la compassion et la sagesse.

Nous sommes imprégnés d’une grande créativité, d’une communication brillante et d’une appréciation et d’un talent extraordinaires pour la musique et d’autres formes d’art. Nous pleurons de tendresse lorsque nous sommes touchés par l’amour, la beauté ou la perte. Nous pleurons d’empathie pour la douleur des autres. Certains d’entre nous sacrifient même leur vie pour des étrangers. Il n’y a aucune autre créature connue dont le spectre de conscience est aussi large et varié que le nôtre.

Vous connaissez probablement bien le spectre de la conscience humaine en vous. Peut-être avez-vous eu de nombreux moments où la cupidité ou la haine ont envahi votre esprit. Mais il est probable que vous ayez également eu de nombreux moments où vous saviez que l’amour était tout ce qui comptait vraiment. Et dans vos derniers souffles, il est probable que ce soit tout ce qui reste de vous, une histoire cosmique murmurée une seule fois.

Comme Leonard l’a dit: « C’est dans l’amour que nous sommes faits; dans l’amour, nous disparaissons. »

— Catherine Ingram
NSW, Australie

Publié pour la première fois en février 2019
(dernière mise à jour juillet 2021)

REMERCIEMENTS

Comme dans tout ce que je fais, « I get by with a little help from my friends ». Je suis profondément reconnaissante à :

Leonard Cohen pour la bourse qu’il m’a accordée en 2015 pour écrire ce que nous pensions être un livre sur ce sujet et pour l’image flamboyante de l’arbre de vie, un cadeau qu’il m’a créé en 2002 comme couverture possible de mon livre Présence passionnée . L’éditeur a décidé de ne pas l’utiliser pour ce livre, mais je pense que Leonard aurait approuvé qu’il soit utilisé à cette fin à la place.

Shayla Oates et Annika Korsgaard pour l’aide avec les citations

Richard Cohen pour l’œil littéraire aiguisé

Steve Marvel pour la maîtrise du site Web et l’abandon de tout ce qu’il faisait à tout moment

Anna Crichton pour l’illustration des tuataras menacés de Nouvelle-Zélande : www.annacrichton.com

Alex Mankiewicz pour l’utilisation de la photo de la forêt de bambous : @alexmango1

Mark Oates, Michael Shaw, Justin Golden, Alan Clements, Geneen Roth, Juliette Prentiss, Steven Ruddell et Mark Joiner, pour leur soutien, leurs encouragements et/ou leurs notes.

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