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populisme de gauche – démocratie radicale

Le problème est qu’il semble que nous ne pouvons pas arrêter, ni même ralentir. C’est le choix ultime et fatal du capitalisme: nous devons détruire l’avenir de nos enfants pour nous accrocher à nos emplois aujourd’hui. (Richard Smith, Six Theses for Saving the Planet – ma traduction)

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La victoire de Trump aux États-Unis mais aussi la victoire du « Brexit » en Grande-Bretagne ont mis en lumière à la fois la montée de l’influence d’un populisme de droite et la faiblesse de la gauche à rejoindre et unifier les différentes fractions et luttes populaires.

La gauche (y compris, en fait principalement la gauche social-démocrate) n’a pas su construire une alternative crédible, une unification hégémonique génératrice de l’identité d’un « peuple » (Laclau, 2016). C’est en s’opposant au statuquo et à la bureaucratie de Washington que Trump s’est gagné des appuis populaires. Même si ses affirmations étaient peu précises, souvent peu crédibles du point de vue des experts, elles savaient toucher les points sensibles et préjugés des classes populaires notamment la méfiance à l’endroit des experts (et des immigrants). Durant le règne de Harper on l’a vu souvent jouer de cette corde anti-intellectuelle, anti-experts.

Ernesto Laclau et Chantal Mouffe se sont fait chantres d’un populisme de gauche, acceptant de confronter les connotations péjoratives du terme « populisme » pour en retenir la capacité de mobilisation, d’articulation dans ce « moment horizontal » des équivalences entre les différentes luttes populaires. Premier moment dans création d’une alternative, cette « logique équivalentielle » permet l’émergence d’une solidarité entre les revendications exclues, insatisfaites. Une articulation horizontale « constitutive du peuple en tant qu’acteur collectif »(1). Le second moment de l’établissement de ce « populisme de gauche » étant celui d’un processus d’identification autour d’un leader, où une fraction de l’ensemble exerce un leadership permettant l’établissement d’une nouvelle relation hégémonique capable de remplacer l’ancienne.

Chantal Mouffe critique la « démocratie délibérative » (en référence à Habermas) comme masquant la dimension conflictuelle du politique et la dénonce comme porteuse d’une illusion consensuelle (L’illusion du consensus) qui sert d’abord les intérêts néo-libéraux : comme si tous les intérêts pouvaient être inclus dans une approche pluraliste inclusive et résolus par la seule délibération rationnelle. Pourtant « les questions proprement politiques impliquent toujours des décisions qui exigent de faire un choix entre des alternatives qui sont indécidables d’un point de vue strictement rationnel ». (Politique et agonisme,  Chantal Mouffe, 2010)

Sa référence à Gramsci et son concept d’hégémonie me semble bien adaptée à l’obligation de changement de paradigme devant laquelle nos sociétés se trouvent. Nous devrons  changer profondément nos manières et valeurs, alors que les forces populaires semblent plus que jamais divisées en un patchwork de luttes, réseaux et communautés intentionnelles. Chantal Mouffe insiste sur l’importance du conflit comme élément constitutif du politique, créateur d’un « nous » qui se définit contre un « eux », sans lequel il n’y a pas de démocratie véritable.

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Nous devrons faire plus que changer de gouvernement, nous devrons changer de mode de vie. Il y a urgence en la demeure. Il faut « sauver la maison commune » disait le pape François dans son encyclique Laudato Si. Les mots nous manquent pour dire cette urgence après l’ajout répété de nouveaux superlatifs à chaque rapport produit par les scientifiques du climat, entre autres. Ici une formulation récente (novembre 2016)  « six thèses pour sauver la planète », par Richard Smith, un économiste spécialiste de l’économie chinoise, fondateur du site System Change Not Climate Change (systemchangenotclimatechange.org) Six Theses on Saving the Planet publié sur le site The Next System. Voici, traduites avec l’aide de Google Translate les 6 thèses de Smith, en espérant que cela vous donne le goût d’aller y voir de plus près. Notez l’image ci-contre qu’on trouve en frontispice du document. Ça ressemble drôlement à un frein à disque… Et ça représente assez bien l’idée principale des thèses : arrêtons de faire ce que nous faisons !

Smith-Break

1. Le capitalisme est le principal moteur de l’effondrement écologique planétaire et il ne peut pas être suffisamment réformé pour sauver les humains.

2. Les solutions à notre crise écologique sont aveuglément évidentes et prêtes à l’emploi, mais tant que nous vivons sous le capitalisme, nous ne pouvons pas prendre les mesures évidentes pour prévenir l’effondrement écologique demain parce que cela ferait précipiter l’effondrement économique aujourd’hui.

3. Si le capitalisme ne peut s’empêcher de détruire le monde, alors quel choix y a-t-il de socialiser la plupart des économies industrielles du monde et de les planifier directement pour le bien commun?

Que devrions-nous faire pour sauver la planète?

A. Nous devrions supprimer radicalement la consommation de combustibles fossiles dans les pays industrialisés dans toute l’économie, de la production d’énergie au transport, à la fabrication, à l’agriculture et aux services.

B. Nous devrions «contracter et faire converger» la production autour d’une moyenne mondiale qui soit soutenable et, espérons-nous, heureuse qui puisse fournir un niveau de vie digne pour tous les peuples du monde.

C. Nous devrons révolutionner la production des biens et services pour minimiser la consommation de ressources et produire des biens durables, réparables, recyclables et partageables, au lieu d’être jetables.

D. Nous devons orienter les investissements vers les choses dont la société a besoin, comme les énergies renouvelables, l’agriculture biologique, les transports publics, les systèmes publics d’approvisionnement en eau, l’assainissement de l’environnement, la santé publique et les écoles de qualité.

E. Nous devons élaborer une approche rationnelle et systématique pour traiter et éliminer autant que possible les déchets et les substances toxiques.

F. Si nous devons fermer les industries nuisibles, nous devons fournir des emplois équivalents à tous les travailleurs déplacés, non seulement parce que c’est une obligation morale, mais aussi parce que, sans emploi garanti ailleurs, ces travailleurs ne peuvent pas supporter les énormes changements structurels que nous devons faire pour sauver les humains.

4. La planification rationnelle exige la démocratie.

5. La démocratie exige une égalité socio-économique minimale (rough).

6. Impossible? Peut-être, mais quelle est l’alternative?

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En résumé, le capitalisme vert ne sauvera pas la planète (2). Il faudra encadrer, réduire la liberté du capital : sa liberté d’utiliser des énergies et composantes sans égard à leur coûts environnementaux; sa liberté d’investir là où ça rapportera le plus à court terme sans égard aux conséquences sociales-environnementales.  Mais comment pourrons-nous supprimer radicalement la consommation d’énergies fossile, réorienter la production, fermer des industries ? Avec quels pouvoirs ? Quels argents ? Smith produit une éloquente dénonciation des absurdités du capitalisme, ce système qui ne va pas à sa (notre) perte, il y coure ! Mais quand il s’agit de se donner collectivement les moyens d’ambitions aussi audacieuses ou radicales : « completely reorganize and reprioritize the whole economy, indeed the whole global industrial economy »  ou encore « abolish “the great wealth concentrated in the hands of the few” »,  l’auteur se rabat sur des articles de la Déclaration des droits de l’homme de 1948, ou encore l’exemple de la gestion publique américaine de l’électricité! (ne sont-ce pas ces mêmes commissions qui bloquent encore l’émergence du solaire dans plusieurs États américains ?)

Autrement dit, ses thèses s’évaporent dans un nuage idéaliste lorsqu’elles n’osent pas dire les conflits qui s’annoncent. Les conflits que nous devrons envisager, engager si nous sommes sérieux dans la dénonciation de l’imminence du danger, associé par Smith à un suicide collectif.

De là l’intérêt de Mouffe et Laclau. J’y reviendrai.

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(1) Logiques de construction politique et identités populaires, Ernesto Laclau publié dans Les gauches du XXIe siècle sous la direction de Jean-Louis Laville et José Luis Coraggio, 2016.

(2) C’est d’ailleurs le titre du livre du même auteur, Green Capitalism: the God that Failed, publié par World Economic Association Press, en 2015

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