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énergie propre et patrimoine

[Ajout 8 déc.] Un manifeste paru après la rédaction de cet article : 14 revendications d’un regroupement de la société civile pour un avenir énergétique juste et viable au Québec.

Si vous n’avez pas vu passer la consultation menée par le gouvernement du Québec sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec c’est normal : elle se sera tenue du 1er juin au 2 août, sans tambour ni trompette. C’est un article du Devoir, signé Alexis Riopel, qui m’a mis la puce à l’oreille : Ode à la sobriété énergétique. Une entrevue avec Bruno Detuncq, professeur de génie mécanique à Polytechnique Montréal, à la retraite depuis 2017.

Riopel parlait du mémoire déposé par le professeur dans le cadre d’une consultation dont je n’avais pas entendu parler… J’ai réussi à trouver le site officiel de la consultation, mais pas les mémoires déposés. M. Riopel m’a bien aimablement dirigé vers le site élaboré par le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec. On peut y trouver le mémoire du professeur Detuncq (Avenir énergétique du Québec – Sobriété et Problèmes énergétiques) de même que 25 autres.

Cette incursion dans le monde de la planification énergétique m’a obligé à me familiariser avec des termes tels le bloc d’électricité patrimonial, accumulateurs de chaleur, tarification dynamique et autres. Mais les enjeux entourant la fourniture d’électricité « propre » pour l’avenir sont très liés à l’atteinte de nos cibles de décarbonation. À l’évidence, il faudra ajouter des capacités de production d’électricité pour remplacer les sources d’énergie fossile dont il nous faut sortir au plus tôt.

De l’énergie à revendre !

Faut-il pour autant continuer de promouvoir le Québec comme terre d’accueil de tous les projets énergivores ? Des batteries pour Hummer, vraiment ? Des parcs de cryptomonnaie ? Plusieurs mémoires présentés lors de cette consultation s’inquiètent de l’orientation productiviste des documents déposés et des questions posées par ce gouvernement.

[L]a lecture des documents fournis en appui à cette consultation et le contenu du questionnaire que vous proposez à la population, auquel nous avons choisi de ne pas répondre, nous font craindre que la cible de décarbonation d’ici 2050 soit un prétexte et non l’objectif réellement visé, qui serait en fait une vigoureuse relance du développement industriel et son cortège de mesures corrosives pour la nature et la société.

Vers la sobriété énergétique, mémoire du RVHQ (je souligne)

Alors que des gouvernements d’autres pays adoptent l’approche sobriété-efficacité-renouvelables, le gouvernement du Québec mise sur la croissance de la production et n’offre qu’un simulacre de consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Nous remettons en question l’idée selon laquelle la demande et la production d’énergie au Québec doivent augmenter de façon « naturelle », continue et apparemment sans limite.

Mémoire de Greenpeace (je souligne)

La sobriété, qui devrait être au premier rang d’un plan de développement d’énergie propre (les kWh évités sont les plus propres !), semble la dernière des préoccupations gouvernementales. C’est vrai que ce gouvernement semble plus intéressé à flatter les désirs d’enrichissement à court terme de ses électeurs (étalement urbain et autoroutes plutôt que transport collectif et densification) que de faire face à la « réelle révolution énergétique, écologique, économique et sociale » (mémoire FTQ) qui est devenue nécessaire.

Parler sérieusement de sobriété, ça veut dire (tous les acteurs s’accordent là dessus) adapter le code du bâtiment afin que tous les nouveaux bâtiments soient d’une efficacité énergétique croissante, allant vers la carboneutralité (2040 ?). Pour le stock de logements déjà construits des interventions plus ou moins lourdes et coûteuses devront être faites. Des interventions difficiles à justifier économiquement considérant que le retour sur investissement est minimisé par la tarification actuelle à bas prix du secteur résidentiel bénéficiant d’un interfinancement des secteurs industriel et commercial. 1Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

La sobriété énergétique d’ici 2050, c’est dans 27 ans, et cela devrait se traduire par une diminution du nombre de voitures automobiles sur les routes. Ce n’est pas juste le ministre Fitzgibbon qui le dit… Ce à quoi le chef s’est empressé de rétorquer que son gouvernement n’avait pas l’intention d’empêcher quiconque de s’acheter une deuxième voiture (« notre approche, c’est vraiment de dire qu’il faut aller vers l’auto électrique »). Ce gouvernement se veut celui de la carotte, et non du bâton ! Mais quand il n’y a pas de carotte où il devrait y en avoir, que se passe-t-il ? Le Québec investi trois fois moins par habitant que son voisin ontarien en transport collectif (1548$ VS plus de 4000$ en Ontario, mémoire du RVHQ).

Les pays européens comme la France et l’Allemagne planifient une réduction importante (40%) de leur consommation d’électricité. Ici, on dirait qu’on favorise une augmentation de la consommation : à chacun sa voiture électrique, son bungalow en banlieue et son chalet à la campagne (ou son voyage annuel dans le sud).

En mettant l’accent sur l’accroissement nécessaire de la production électrique plutôt que sur la transition vers un mode de vie plus sobre et propre… on évite les débats difficiles et les arbitrages nécessaires. On reporte à plus tard ? On laisse à d’autres (aux mécanismes du marché ?) le soin de décider ? C’est ce qui se dessine quand on affirme que la libéralisation du marché de la production est nécessaire pour rencontrer les besoins de demain.

Privatiser ou non ?

La première recommandation du mémoire déposé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal :

Recommandation 1 : Ouvrir rapidement le marché de la fourniture d’électricité aux consommateurs industriels à tous les producteurs.

La grande majorité des autres mémoires déposés s’oppose à une telle libéralisation (privatisation) même si plusieurs promeuvent l’autoproduction et l’engagement des municipalités, coopératives et communautés autochtones dans la production d’électricité.

On s’oppose pour s’assurer collectivement du contrôle dans un secteur jugé stratégique… et pour maintenir l’accessibilité (les bas prix) de l’énergie, en pensant particulièrement aux populations pauvres et peu fortunées qui pâtiraient grandement d’une « mise à niveau » du prix de l’électricité vers les coûts réels actuels de développement.

[C]es bas prix contribuent grandement à la très forte consommation des Québécois. Pour réussir la transition énergétique, le gouvernement devra revoir son approche à la communication des prix de l’énergie de manière à conditionner les attentes et comportements des consommateurs.

Mémoire Chaire de gestion de l’énergie

Le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) est aussi d’avis qu’il faut une tarification reflétant les coûts actuels de développement pour inciter à la sobriété et l’efficacité.

Recommandation 19
Le RNCREQ est d’avis que les tarifs de l’électricité devraient refléter son vrai coût et inciter à la sobriété et l’efficacité énergétiques. Ainsi, le RNCREQ recommande d’étudier et de faire évoluer les tarifications et les autres mesures fiscales en ce sens, tout en développant des mesures de compensation pour ne pas impacter les ménages à faible revenu.

Comme le soulignait la Chaire dans son mémoire, citant une recherche récente : l’annonce d’une augmentation à venir accroit l’impact en terme de changements comportementaux. Adopter un plan annonçant d’avance les changements tarifaires stimulerait d’autant les investissements en sobriété et efficacité que les économies seraient substantielles.

Comment se fait-il que les grands projets de développement immobiliers n’ont pas encore adopté la géothermie (associée à des mesures de stockage local) comme source écologique d’énergie ? Parce que les tarifs résidentiels pratiqués actuellement ne justifient pas de tels investissements. Ni pour Hydro-Québec, ni pour les constructeurs. Pourtant, comme plusieurs le suggèrent, si la production décentralisée (municipalités, coopératives) était favorisée, avec des mesures de stockage et d’échange bi-directionnel permettant de diminuer la pression de pointe sur le système (par exemple en permettant d’utiliser la batterie des autos électriques ou les accumulateurs d’ensembles résidentiels) c’est la productivité de l’ensemble qui y gagnerait.


Il ne faut pas s’attendre à ce que la CAQ se fasse chantre de la sobriété ! Ce gouvernement semble plutôt orienté vers la vente à bon marché des ressources énergétiques et environnementales de ce pays ! Et quand il y aura de l’opposition à transformer chaque vallon et chaque rivière en source d’énergie… on se tournera vers l’énergie atomique ?

En terminant, le mémoire du Front commun pour la transition énergétique est court (8 pages) et se veut surtout un appel au débat et à la prudence. Celui, déjà cité, du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement est le seul, il me semble, à mettre de l’avant le développement des échanges inter-provinciaux. Plusieurs misent sur la sobriété et une approche écologique respectueuse du vivant (Cessons la fuite en avant, Boulimie énergétique écocide, Priorité au vivant, Une décarbonation en harmonie avec le vivant). Le mémoire du professeur Detuncq, Ode à la sobriété énergétique, est celui qui résume le mieux, il me semble, en les quantifiant les besoins d’électrifications des différents secteurs.

Notes

  • 1
    Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

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