De la charité à la solidarité: bilan de la deuxième Promenade de Jane

Le 6 mai dernier, près d’une trentaine de personnes ont participé à la Promenade de Jane organisée par Gilles, Tareq et moi-même. Intitulée « De la charité à la solidarité: initiatives communautaires dans Hochelaga-Maisonneuve », cette activité avait pour objectif de déceler certaines traces d’une époque où les services sociaux étaient intimement liés à la paroisse catholique. En traversant le quartier d’Ouest en Est sur la rue Adam, puis en remontant jusqu’au Marché Maisonneuve par la rue Viau (cliquer sur le lien pour voir notre itinéraire), nous avons croisé plusieurs églises, presbytères et Caisses populaires aujourd’hui convertis en organismes communautaires. En quelques coins de rues, nous avons pu voir combien l’action communautaire est imbriquée dans une histoire qui noue ensemble les acteurs publics, privés, communautaires et religieux.

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Église Saint-Clément, vers 1910. Crédit: Musée McCord, Héritage Montréal

Dans le Québec de la fin du 19ème siècle, c’est l’Église et la famille qui assurent principalement l’éducation, les soins et la sécurité sociale. C’est d’ailleurs une quinzaine d’églises (principalement catholiques) qui se retrouvent aujourd’hui sur le territoire d’Hochelaga-Maisonneuve, dont plusieurs sont bâties à cette époque. Notamment, l’Église Saint-Clément de Viauville, achevée en 1902, fait partie de l’ensemble religieux le plus vieux encore existant dans Maisonneuve aujourd’hui.

Mais certains riches industriels dans ce « Pittsburg du Canada » marquent également le début du 19ème siècle, comme c’est le cas de Charles-Théodore Viau, célèbre pour la biscuiterie du même nom, qui donne l’impulsion pour fonder une nouvelle paroisse dans le secteur de Viauville. Il défrayera d’ailleurs les coûts de construction de l’Église Saint-Clément, en plus des frais de culte durant la première année.

Article publicitaire intitulé Maisonneuve  » La Pittsburgh du Canada « . La ville la plus progressive du Dominion du Canada. Sans date. Crédit: Archives de l’Atelier d’histoire d’Hochelaga-Maisonneuve, Musée du Château Dufresne

Quelques années plus tard, durant les 35 années qu’a existé la Ville de Maisonneuve (avant son annexion à Montréal), plusieurs hommes politiques et industriels locaux sont inspirés par le City Beautiful, un mouvement urbanistique qui vise à faire de la ville un espace vert et attrayant afin de faciliter la cohabitation des familles ouvrières et bourgeoises. C’est la période de construction de plusieurs beaux édifices que l’on retrouve encore aujourd’hui autour de l’avenue Morgan.

Aujourd’hui, que reste-t-il de cette présence des congrégations religieuses dans le quartier ? Durant notre marche, nous avons remarqué que plusieurs églises ont offert leurs installations aux organismes communautaires du quartier. 

L’Église Saint-Mathias devenue le Chic Resto Pop. Crédit: Alexandre Claude

Quelques membres des congrégations religieuses ont d’ailleurs participé à la mise sur pied d’organismes qui ont pignon sur la rue Adam, comme la Soeur Annette Benoit au Chic Resto Pop ou le Frère Claude Hardi à la Maison Oxygène. Également, certains organismes communautaires reçoivent toujours du financement des congrégations – un des moins contraignants si on se fie aux représentant.es des organismes que j’ai interrogé dans le cadre d’une recherche il y a deux ans. Le patrimoine religieux ne se retrouve donc pas uniquement dans le cadre bâti, comme le disait Gilles à la fin de sa Promenade de Jane l’an dernier.

Au cours de notre circuit, nous avons aussi parlé de nouvelles initiatives qui ont émergées plus récemment dans le quartier. Parmi celles-ci, soulignons SOS itinérance qui fait la distribution de repas et de vêtements aux gens dans le besoin et qui sert de halte-chaleur durant la nuit par temps de grand froid et le Troc N Roll, un événement de troc de jouets et de vêtements pour enfants et femmes enceintes, organisé par le comité de parents de 200 portes, un projet de la table de quartier Hochelaga-Maisonneuve.

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Le Troc N Roll au Chic Resto Pop. Crédit: Mélanie Dusseault, QuartierHochelaga

Portées par des bénévoles, notamment beaucoup de femmes du quartier, ces activités pourraient être associées à une « charité » traditionnelle, c’est-à-dire à un simple acte de générosité, où les sans-abris, les personnes qui cherchent à manger ou encore les parents peuvent venir chercher des biens presque gratuitement. Pourtant, ces évènements manifestent aussi une grande solidarité, lorsqu’on s’y intéresse un peu et que l’on voit les liens tissés entre les dizaines bénévoles qui vont faire du dumpster diving (récupération des déchets alimentaires) ou qui viennent à l’avance plier les vêtements et préparer les tables avant le troc.

Bref, les manuels scolaires et les cours sur l’histoire des services sociaux québécois, comme dans bien d’autres enseignements, ont tendance à nous présenter l’histoire en période, tranchées et définies, chacunes d’elles se refermant avant la suivante. Pourtant, rien, par le passé, n’a été « tout charité » – comme rien n’est « tout solidaire » aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle il reste tant de choses à écrire !

P.S. Vous avez été quelques-un.es à me poser des questions sur mes travaux de recherche. Je vous invite à m’écrire ou consulter mon profil si cela vous intéresse. Au plaisir 🙂 ! 

Annabelle

belles d’antan

En refaisant, pour la deuxième année, notre « promenade Jane Jacobs » sur la rue Adam, j’ai remarqué la disparition d’une de ces belles anciennes demeures : la maison de la veuve St-Onge. Je vous recommande la lecture de la petite histoire de cette maison.  « [E]lle le nomma son unique exécuteur testamentaire le 1er novembre 1909. A un moment donné le Curé Dubuc acquit toutes les maisons sur cette portion de la rue Adam. »stonge1

La nouvelle demeure reprend la galerie sur deux côtés de l’ancienne. Ici il faut faire abstraction des cônes et grillages… On apprécie le fait que le troisième palier ait été réalisé en retrait de façon à préserver la continuité des façades de pierre à deux étages des anciennes maisons voisines.

On peut regretter la disparition de la « veuve St-Onge », mais la promenade de cette année nous permis de remarquer que plusieurs des plus élégantes demeures, dont la maison d’Alfred Leclaire à l’angle Adam et Leclaire, auraient « besoin d’amour » ! Mais pour avoir habité pendant une décennie une de ces grandes et belles demeures (1465 rue Letourneux, connue comme la maison du notaire Couture) je peux vous dire que ces belles vieilles coûtent cher à entretenir… Et on peut comprendre que tous les petits propriétaires n’aient pas toujours les moyens de préserver ce patrimoine. Comment pourrions-nous aider, soutenir la préservation d’un tel patrimoine, sans ajouter à l’inflation immobilière ? Une OBNL soutenue publiquement avec pour mission la préservation d’un patrimoine urbain et de loyers abordables ?

Plus encore que l’an dernier j’ai été frappé par l’opposition entre la vieille rue Adam, dans Hochelaga et les nouveaux développements de condos et coopératives, rue Viau et autour de la piste cyclable au nord d’Ontario, de Viau à Bennett. Notre parcours s’est terminé au Marché Maisonneuve où plusieurs ont poursuivi la discussion, notamment à propos de la « gentrification douce » qui caractérise, d’après moi, la transformation du quartier. « Douce » parce que les nouveaux développements ont été faits essentiellement dans des endroits qui n’étaient pas habités : anciennes usines transformées en logements, terrains industriels récupérés pour l’habitation… Naturellement, l’arrivée de nouvelles populations amène l’installation de nouveaux commerces. Qui ne seront pas à la portée de toutes les bourses… C’est une mixité qui, d’après moi, a plus de bons côtés que de mauvais. Quelles sont les conditions d’une « gentrification socialement acceptable » ? C’est ce que je devrais discuter prochainement avec Leila Ghaffari, qui a déjà travaillé la question notamment en comparant les processus de gentrification dans le quartier Madeleine Champ-de-Mars, à Nantes et dans le quartier Hochelaga, à Montréal.