le « ventre » de l’économie

Respecter le « local », dans ce qu’il a d’unique, d’idiosyncrasique* et non seulement pour sa capacité à se conformer à la norme. Le local est aussi générateur de normes nouvelles, il a une capacité instituante autant que critique (ou de détournement) de la norme, confronté qu’il est aux défis et contradictions posés par des interventions et des programmes centraux toujours en retard d’une ou deux coches sur la réalité.

L’autorité centrale peut parfois aider, à certaines conditions. Et toujours elle doit « partir de ce qui existe ». Ne pas simplement faire descendre un cadre, des normes…

Par ailleurs le citoyen lambda est souvent moins préoccupé de participer aux débats et à la décision établissant de nouvelles règles que de voir ces décisions finalement prises et surtout implantées équitablement et fermement pour tous. « Qu’ils se décident et on s’adaptera, on se conformera à un nouveau contexte. »

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On a beaucoup parlé d’économie sociale et solidaire (ESS) ces derniers temps : dossier spécial dans La Presse, numéro spécial de la revue Interventions économiques, symposium international anniversaire… À plusieurs reprises on a mentionné le chiffre de 10% du PIB pour dire l’importance de ce secteur. Un secteur qui a su se développer en un écosystème d’institutions, de réseaux et de passerelles (Lévesque, 2016)((Économie sociale et solidaire et entrepreneur social : vers quels nouveaux écosystèmes ?)). Un secteur qui porte des valeurs et des objectifs qui sont plus que jamais essentiels dans le contexte de crise actuel (Favreau, 2016)((Économie coopérative et solidaire, écologie et développement des communautés : les nouveaux défis en habitation)). Mais comment le secteur se voit-il dans quelques années ? Représentant 12, 15 ou 20% du PIB ? En grugeant des parts de marché dans les secteurs qu’il occupe, ou en développant de nouveaux services ?

Mais qu’en est-il des 90% ou 85% restants ? N’y a-t-il pas une certaine urgence à changer les choses non pas à la marge, mais sur toute la page ? À défaut de transformer l’ensemble de la société en une fédération de coopératives et d’OBNL… il nous faudra bien trouver moyen d’inciter au changement, de mobiliser dans l’action le gros de l’économie… son ventre.

appartements

Je suis toujours sidéré par les discours bien pensants qui n’hésitent pas à mettre dans le même panier toutes les entreprises privées, tout ce qui n’est pas public ni coopératif et sans but lucratif. Dans le même panier que Walmart et Exxon le restaurant du coin, le boulanger, le couvreur ou le petit entrepreneur… Quand on conflictualise ainsi l’économie, la saisissant d’un bloc, caractérisé par sa capacité d’exploitation des hommes et de la nature, une capacité de production de biens et services (que nous sommes par ailleurs les premiers à apprécier, pourvu qu’ils soient de qualité et à bon marché)… Quand on amalgame la grande entreprise et celle, artisanale, de la petite entreprise où le travail du patron est aussi essentiel à la survie de l’entreprise que celui de l’ouvrier… petite entreprise dont l’objectif est moins de croitre que de survivre, se maintenir dans la niche qu’on s’est construit à force de travail, d’expérience, de constance…

Ce ventre de l’économie n’est pas plus capitaliste qu’il ne serait socialiste dans un autre contexte…

Les entreprises sociales sont définies par leur objet (Ni État ni marché), par leur structure qu’on étudie et modélise en idéal-types (Laville et alii, 2016)((Théorie de l’entreprise sociale et pluralisme : L’entreprise sociale de type solidaire)). Mais les entreprises économiques qui se sont développées sur des terrains non investis par l’État et l’économie sociale doivent-elles se contenter de payer leurs impôts et soutenir Centraide comme seules manières de participer à l’émergence d’une nouvelle économie plurielle, plus équitable, plus durable ? Nous avons besoin d’une conception de l’économie qui fasse de la place et fasse connaitre les multiples façons qu’a et qu’aurait l’entreprise « traditionnelle » de participer à cette émergence, ce changement de régime. Par la philanthropie, l’investissement responsable; par l’inclusion, les stages ou le compagnonnage; mais aussi par des technologies et procédés éco-responsables…

Considérant l’urgence d’un changement profond, paradigmatique, on ne peut se priver de l’apport volontaire, créatif des petites (et moyennes) entreprises. La philanthropie, qu’elle soit financière ou d’expertise, peut être une alliée précieuse pour le développement d’une économie plus solidaire. Mais toute la philanthropie ne passe pas par l’économie sociale et solidaire. Et toutes les collaborations à visées sociales n’ont pas à être formalisées; elles ne seront pas toutes visibles si ce que nous cherchons à impulser n’est pas simplement une loi, ni même un programme… mais un changement de paradigme, un mouvement. Au delà des finalités sociales, dont on peut faire un critère de distinction, d’inclusion ou d’exclusion, il y a la finalité globale, qui devra inclure des fins sociales, économiques, écologiques…

Les finalités qui tisseront l’écheveau d’une société plus durable, plus durable parce que plus économe, plus équitable et plus solidaire, ces finalités seront sociales, mais aussi économiques (faire bien à juste prix) et écologiques. Comment éviter que les lois et programmes de soutien à l’économie sociale et solidaire ne deviennent des barricades et des remparts opposant les tenants de l’ESS et les autres ? Comment faire pour construire des alliances débordant largement les rangs de l’ESS pour mobiliser le « ventre de l’économie » ? Des alliances capables de mettre en œuvre un nouveau modèle de développement ?

Une alternative propre, solidaire et d’avenir. Qui sache mobiliser le gros de l’économie – rallier les petits entrepreneurs, les cadres et professionnels éclairés, mais aussi les petits épargnants…

23915835489_b2140bcd30_oPar mobiliser plus largement que les seules franges de l’ESS, j’entends reconnaitre, respecter la valeur, l’existence de ce qui ne participe pas nécessairement de la même idéologie / religion de l’ESS. Excusez la comparaison, mais en regard du poids des principes, des filières, de la vertu dans les finalités… on ne peut s’empêcher d’utiliser de tels termes.

Est-ce à dire que mon approche est simplement libérale : rassembler au delà des idéologies ? Vivre et laisser vivre ? Laisser exister les secteurs de l’économie qui n’ont pas de finalité sociale, ou plutôt qui n’ont pas d’autre finalité sociale que de produire des biens (ou services) qui soient de qualité, utiles, technologiquement innovateurs ou porteurs de traditions, de savoirs. Je ne crois pas car s’il y a une reconnaissance de secteurs à finalités autres que sociales, il y aura toujours du social dans l’économique (amitiés, camaraderies, solidarités, partages d’expertises et de savoirs) tout comme cette entreprise devra toujours s’insérer dans une société.

De même, il y aura toujours mille façons pour l’entreprise de s’inscrire dans ce mouvement pour une nouvelle économie. Une économie plus propre, plus sobre de moyens, moins axée sur le développement brut du PIB que sur la durée, la qualité, le réparable plutôt que le jetable. Cette même entreprise participant par ailleurs à d’autres mouvements, soutenant d’autres causes et solidaire de familles et collègues frappés ou dans le besoin.

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Au delà des mots

Le danger de ne pas voir, ne pas comprendre ou tenir compte de ce qui n’est pas dit. Ce qui n’est pas explicite mais plutôt tacite, passant par les actes, la pratique plutôt que les mots. Le danger de prendre les mots pour le réel – il suffirait de se prétendre généreux pour ne plus avoir à l’être. Le risque, particulièrement fort pour les intellectuels, de prendre la carte pour le territoire.

La délibération est un art qui s’apprend en le pratiquant, comme tous les arts. Aussi est-il normal que ceux qui ont passé 20 ans sur les bancs d’école à discuter et débattre auront plus de facilité à délibérer. Mais les processus collectifs de délibération conduisent-ils toujours à de meilleures décisions que les structures moins explicites, plus individuelles ? De fait, les processus moins délibératifs et plus tacites ne sont pas nécessairement individuels : les structures d’action et de décision peuvent être éminemment collectives, construites sur les actions passées, des rapports de pouvoir, des partages de compétences…

[Contribution à Nous.blogue, à paraitre le 30 mars]

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* idiosyncrasique : comportement propre à un individu résultant des interactions historiques ou actuelles avec son milieu

** paradigme : conception du monde, modèle de penser et d’agir

écosystèmes de l’ESS

Un numéro spécial de la revue Interventions économiques, sur le thème : Économie sociale et solidaire, ses écosystèmes. On y retrouve, parmi d’autres,  un texte introductif de Benoît Lévesque Économie sociale et solidaire et entrepreneur social : vers quels nouveaux écosystèmes ?; de Jean-Louis Laville et al. Théorie de l’entreprise sociale et pluralisme : L’entreprise sociale de type solidaire; et de Hugues Sibille D’où vient, où va l’entrepreneuriat social en France ? Pour un dialogue France-Québec sur l’entrepreneuriat social.

économie sociale et action collective

Un beau petit texte de Hugues Sibille, publié il y a un an sur le blogue de Louis Favreau : D’où vient et où va l’économie sociale et solidaire ? Merci, Louis de nous l’avoir rappelé.

Un rappel historique sur les étapes de développement de l’économie sociale et solidaire, mais aussi rappel des difficultés actuelles de collaboration de ces deux courants frères, et des difficultés encore présentes à promouvoir l’entreprenariat social, à percer le « plafond de verre »…

Sur le sujet de la dépendance et du vieillissement, l’ESS est présente partout : mutuelles d’assurance et de santé, associations de services aux personnes, coopératives d’intérêt collectif. Pourtant on laisse in fine assez largement le sujet aux investisseurs privés.

Dans un autre registre, ce texte de Elinor Ostrom, Collective Action and the Evolution of Social Norms (ici en format « textualisé »). J’ai trouvé particulièrement intéressante l’idée qu’il y a des types d’acteurs différents avec lesquels construire une théorie de l’action collective. Le texte se veut une réponse opposée aux théories (Olson, Hardin) de l’acteur individuel « rationnel » qui tendrait « naturellement » à profiter des actions collectives sans s’y engager. Des actions collectives qui, si la théorie était vraie, ne verraient jamais le jour !

LevesqueInnovaJ’ai réécouté la conférence de Benoît Lévesque donnée au Symposium sur l’économie sociale et la finance solidaire récemment. Je venais de terminer la lecture de l’excellent recueil de textes publié par ce dernier, en collaboration avec Jean-Marc Fontan et Juan-Luis Klein : L’innovation sociale, les marches d’une construction théorique et pratique.

On y retrouve plusieurs textes importants publiés depuis 1991 par Lévesque et ses collaborateurs, sur la fin du « compromis fordiste », l’émergence de nouveaux acteurs sociaux. Une présentation de l’approche de la régulation et un positionnement « Ni structuralisme, ni individualisme méthodologique ». Des textes de fond sur l’histoire du développement de l’économie sociale au Québec; sur la gouvernance des territoires; une analyse détaillée du processus d’institutionnalisation des services de garde à la petite enfance;   plusieurs textes sur le « modèle québécois de développement ». Le dernier chapitre « Un monde qui se défait, un monde à reconstruire » est une belle synthèse des crises récentes et des opportunités qu’elles ouvrent.

« Les formes institutionnelles comme produits de compromis institutionnalisés permettent d’articuler le micro et le macro, l’individuel et le collectif, l’acteur et le champ »

Dans sa conférence de février dernier, le professeur Lévesque présentait l’écosystème de l’innovation sociale québécoise sous cette forme : Système innovation sociale

À plusieurs reprises il souligne l’importance de développer des passerelles entre les secteurs. Je crois qu’il en faudra non seulement entre les secteurs de l’économie sociale et entre l’économie sociale et l’économie solidaire… mais aussi entre le socio-communautaire et l’économie sociale; entre l’économie publique, l’économie privée et l’économie sociale…

Une réflexion et un recul historique qui nous font apprécier les efforts déployés au cours des 30-40 dernières années, les constructions sociales et institutionnelles qui sont le fruit de ces efforts. La capacité que ces structures et réseaux nous ont donné collectivement pour résister (un peu) aux virages et déboulonnages néo-libéraux.

Ce livre (L’innovation sociale) est une somme, celle d’un sociologue passionné, chercheur dévoué, pédagogue infatigable qui a accompagné et éclairé mouvements sociaux et syndicaux depuis quarante ans.

<Ajout 03.25> Le thème de la conférence de M. Lévesque donnée au symposium de février se trouve développé dans son introduction au dossier de la revue Interventions économiques sur les écosystèmes de l’économie sociale et solidaire.

libérez les codes postaux

J’ai suivi avec intérêt une discussion animée (sur la liste CivicAccess)  autour d’un projet de lettre adressée au gouvernement fédéral concernant l’accès au fichier des codes postaux qui, jusqu’ici, est gardé précieusement (et commercialisé) par Poste Canada. Ici la version finale de la lettre (en anglais) déjà endossée par plusieurs organisations, qui devrait être appuyée largement parce que l’accès libre aux délimitations des codes postaux est un levier de développement tant pour la recherche que pour le développement économique et social des communautés.

la bataille de la rue que mènent ces femmes

Janette Sadik-Khan, qui a transformé New York pour faire plus de place aux piétons et cyclistes de 2007 à 2013 et qui accompagne depuis de nombreuses villes du monde. Son livre-guide Street Fight : Handbook for an Urban Revolution. Lancé aujourd’hui.

Elle fait parti de ces femmes qui ont transformé nos villes : Jeanne Mance, Jane Jacobs, Anne Hidalgo…

Je découvre avec ces articles le blogue Urbabillard, et sa page FB. Des flux à suivre.

Bravo Marco !

Les Nomades de Montmorency champions du Qc 2016

Je sais, Marc-Olivier, tu me diras que votre victoire est une affaire d’équipe… et tu auras certainement raison !

Après tout, le basketball, ce n’est pas le golf ou le tennis,  c’est un sport d’équipe. Et même le coaching y est une affaire d’équipe. Sans compter la famille, la conjointe, les enfants, qui sont des atouts, une partie du socle, de la base à partir de laquelle tu as déployé ton enthousiasme, ton leadership, ta créativité.

Mais au même titre que tes joueurs peuvent être fiers d’avoir, finalement, emporté la victoire après des mois, des années d’efforts tu peux certainement être fier d’avoir recruté, mobilisé, guidé cette troupe vers sa conquête.

Je n’ose imaginer le bouillonnement quotidien des volontés, des humeurs et des égos en développement de ces jeunes chargés à bloc de testostérone, à qui il faut pour l’un encourager la persévérance, pour l’autre l’humilité, et l’autre encore la discipline et l’effort…

Dans le contexte du sport collégial, coacher est un véritable travail de Sisyphe, qu’il faut toujours recommencer, soulignant d’autant le rôle formateur de la compétition sportive pour ces jeunes adultes qui emporteront avec eux sur divers chemins de carrière les leçons apprises, la discipline acquise.

La victoire de cette année marque l’aboutissement de plusieurs années d’efforts. Je te souhaite d’en récolter encore longtemps les fruits en terme d’attraction de jeunes talents québécois !

Les photos prises lors du match de championnat québécois remporté hier soir à Gatineau par les Nomades de Montmorency qui rencontraient les Cavaliers de St-Lambert. Les fiches des équipes de la division 1, et le compte-rendu du match, sur le site du Réseau du sport étudiant du Québec (RSEQ).

Cliquer la photo pour ouvrir l’album sur Flickr.