Traduction d’une revue critique de l’oeuvre en titre : Learning in a Time of Abundance: The Community Is the Curriculum, de Dave Cormier.
Critique : Terry Anderson, professeur émérite, Université Athabasca, Canada

Dans cet ouvrage facile à lire, Dave Cormier explore toute une gamme d’idées, de comportements et de coutumes qui évoluent à mesure que nous passons d’un monde où l’information était rare à un monde où elle est abondante. Ce qui rend ce livre remarquable et le distingue des ouvrages universitaires plus sérieux, c’est la personnalité de Dave Cormier. Ses réflexions originales, présentées sous forme de remarques en marge et d’exemples, font sourire même les critiques littéraires les plus sérieux et parfois les plus grincheux. Par exemple, en s’appuyant sur une campagne de marketing pour une entreprise imaginaire de cupcakes sur Internet, il affirme que les personnes de moins de 45 ans sont les plus susceptibles d’acheter des cupcakes en ligne, avant de nuancer cette affirmation en précisant qu’il « n’a aucune idée si cela est vrai, mais que vous ne le savez probablement pas non plus » (p. 82).
Plutôt que de partir de l’idée conventionnelle selon laquelle l’éducation crée ou du moins génère l’apprentissage, Cormier soutient que l’éducation formelle a tenté de définir fondamentalement ce qu’est l’apprentissage et comment il doit être mesuré. Cela est vrai, même si la plupart d’entre nous (y compris les enseignants) avons des idées très différentes sur ce qu’est l’apprentissage. S’agit-il d’attitudes, de faits mémorisés, de procédures apprises par cœur, d’astuces maîtrisées, de savoir ce qu’il faut éviter, de la capacité à s’entendre avec les autres ou à les diriger, ou d’autre chose encore ? Au cours des deux derniers siècles, l’éducation formelle a eu le monopole de l’apprentissage et a mis en place des systèmes structurés pour évaluer et récompenser certains types d’apprentissage. Mais tous ces systèmes ont été construits à une époque où l’information était rare et où les réponses issues de l’IA n’existaient pas. « Ce temps est venu » (p. 21). Cormier soutient que l’éducation, en tant que système social, a évolué à une époque où l’information était rare, et que cette époque est révolue depuis longtemps.
Il ne s’agit pas d’un ouvrage académique : à un moment donné, il dénonce comme une forme de pensée rétrograde la nécessité de citer toutes les affirmations contenues dans le livre, comme si le fait de citer des travaux antérieurs garantissait simplement la non-originalité du livre. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres où Cormier met en évidence une contradiction dans notre contexte d’information fragmenté, mais ironiquement, son commentaire semble contredit lorsqu’il évoque plus loin la nécessité de développer des sources d’information fiables. Il ne s’agit toutefois pas d’une erreur fatale ; ses exemples provocateurs servent à renforcer l’idée que l’abondance d’informations apporte rarement la certitude et que vivre avec un niveau sain d’incertitude et de doute est peut-être la compétence la plus importante pour le XXIe siècle.
L’ouvrage aborde les virus, les distorsions intentionnelles, le ghosting, la propension que nous avons tous à faire des commentaires désobligeants et sarcastiques, et une foule d’autres préoccupations qui surgissent lorsque nous mettons entre les mains de tous une presse à imprimer capable de diffuser mondialement. Le monde de l’abondance n’est pas seulement une richesse de contenus qui nous aide à apprendre presque tout ce qui est imaginable, mais aussi une abondance d’opinions, de théories du complot, de distorsions et de contrevérités. Cormier montre à l’aide d’exemples que nous avons besoin de nouvelles compétences et théories pour nous aider à discerner ce qui est pertinent, à donner un sens à ce qui en vaut la peine et à ignorer ce qui est absurde.
Cormier note à quel point, à bien des égards, les coutumes et les pratiques sociales ont subi des changements considérables à l’ère des réseaux : nous ne partageons plus un film dans l’avion, nous sommes trop occupés avec nos écrans pour profiter des bienfaits créatifs de l’ennui, nous envoyons des SMS avant d’appeler, nous savons qu’il ne faut jamais critiquer nos amis, mais plutôt nous en prendre aux étrangers, que nos photos et commentaires privés deviennent, volontairement ou non, publics, et tout cela avant l’intrusion imminente de l’intelligence artificielle. La voix unique de la vérité qui nous réconfortait dans les manuels scolaires et les bulletins d’information de la CBC est désormais noyée, ou du moins lutte pour rester à flot dans un océan de désinformation, de « fausses nouvelles », de satires, de ragots et de diversion. Bien sûr, nous devons faire place à d’autres voix précédemment ignorées, mais devons-nous les élever au même rang ou même oser les évaluer selon une catégorie de justesse convenue ? Tout cela sans même parler des implications pratiques, telles que l’intérêt actuel pour l’interdiction des smartphones dans les salles de classe.
Lorsque j’ai vu ce livre publié, j’ai repensé à mes relations personnelles et professionnelles avec Cormier. Je connais Cormier grâce aux MOOC, à ses blogs, à de rares rencontres en personne lors de conférences et à ses publications sur les réseaux sociaux. Je connais également Dave en tant qu’administrateur universitaire compétent, expert franc-parler dans divers domaines des technologies numériques émergentes, menuisier amateur, professeur d’université et père de famille. Toutes ses nombreuses traces numériques témoignent de ces compétences et sont marquées par un humour spontané et ironiquement fiable. Mais lorsque j’ai vu que le livre avait pour sous-titre « The Community Is the Curriculum » (La communauté est le programme), je pensais trouver le type de livre que Tony Bates ou même moi-même aurions pu écrire sur la dernière adaptation de la technologie au programme des cours en ligne. J’ai été surpris par le contenu, mais pas désagréablement.
Cormier n’hésite pas à aborder des questions culturelles sensibles, comme les pronoms, les réfugiés syriens, la vérité et la réconciliation, le changement climatique, etc. En bref, ce livre nous apprend à servir et à survivre dans un contexte saturé d’informations, mais dépourvu de certitudes et de sagesse. Il fournit une multitude de bons conseils, d’avertissements et de révélations personnelles originales qui informeront, éduqueront et amuseront la plupart d’entre nous, y compris les enseignants.
Le livre se concentre sur les innombrables façons dont l’abondance d’informations rendue possible par les réseaux modifie notre vie sociale, politique, familiale et professionnelle, même pour ceux qui ne sont pas enseignants. Cela ne veut pas dire que ce livre n’a rien à dire aux enseignants de l’éducation formelle. Cormier soutient que, trop souvent, l’éducation formelle s’est concentrée sur le contenu et a dérivé des questions qui ont des réponses ; bien que ces réponses puissent être alambiquées et difficiles à déterminer, il existe des réponses correctes et incorrectes à ces questions. Aujourd’hui, les élèves et les enseignants sont contraints de se débattre avec des problèmes complexes : la vaccination et les confinements étaient-ils justifiés ? La solution à deux États pour le Moyen-Orient est-elle la meilleure voie à suivre ? La science autochtone doit-elle être enseignée au même titre que les notions traditionnelles de la science ? Devons-nous continuer à brûler du gaz naturel et utiliser les profits pour passer au nucléaire ou aux énergies renouvelables ? Pour ces questions, il n’y a ni pénurie d’informations ni réponse correcte incontestable, malgré la légion d’adeptes des réseaux sociaux qui défendent agressivement leurs réponses. Même les solutions « de bon sens » s’avèrent souvent inadéquates. Ainsi, le livre souligne la nécessité de trois compétences illusoires mais nécessaires au XXIe siècle. La première est surprenante : il s’agit d’une exigence d’humilité. Presque toutes nos décisions comportent une part d’incertitude, et les décisions les plus importantes que nous avons à prendre sont empreintes d’une incertitude colossale. Nous commettrons des erreurs et nous nous tromperons, souvent. La deuxième compétence est la nécessité de cultiver des sources de confiance éclairée. Aucune source, aucun gourou, aucun enseignement n’est toujours correct, mais de nombreuses sources contiennent des informations précieuses à partager. La dernière compétence consiste à toujours réfléchir aux valeurs que nous défendons et partageons, qui sont toujours présentes dans notre pensée et notre discours. Nous avons tous été élevés et avons vécu des expériences qui nous ont appris à considérer la nouveauté à travers le prisme de notre expérience passée. Nous filtrons donc personnellement les informations, souvent à travers le filtre de nos valeurs. Nous concluons souvent que ces informations doivent être vraies parce qu’elles correspondent à nos croyances personnelles ou à celles de nos parents, de notre église ou de nos meilleurs amis. Mais ce ne sont pas des sources de vérité ; ce ne sont que des conclusions biaisées, qui, espérons-le, sont éclairées par l’expérience. La nécessité d’être conscient de ces biais est une condition préalable à la maîtrise de l’information.
Cormier conclut et résume son livre en recommandant sept pratiques. La première souligne la nécessité de vérifier en permanence les informations recherchées ou qui semblent découler du contexte. Il nous montre qu’il faut être particulièrement méfiant lorsque nous ressentons un fort lien affectif avec quelque chose que nous lisons ou voyons. Nos sentiments peuvent altérer notre capacité de discernement, et c’est le moment de vérifier minutieusement les faits. La deuxième pratique tend ironiquement à réfuter son argument précédent sur la valeur (ou l’absence de valeur) des citations formelles dans le milieu universitaire. Cette deuxième pratique recommandée consiste à laisser des traces de nos sources afin que d’autres puissent vérifier les faits et peut-être approfondir les informations que nous partageons. La troisième pratique touche au cœur même de l’enseignement formel, comme en témoignent l’utilisation d’outils tels que Turnitin et l’appréhension manifeste de nombreux enseignants lorsqu’ils réalisent à quel point les outils d’IA tournent en dérision leurs pratiques d’évaluation de l’apprentissage. Cette troisième pratique consiste à tricher, soit à collaborer avec des amis et à utiliser des outils sophistiqués pour venir à bout de ses tâches éducatives. Ce faisant, nous ne tricherons pas, mais apprendrons plutôt plus efficacement. Je laisse les quatre dernières pratiques à votre curiosité, qui, je l’espère, vous donneront envie de commander le livre. Dans un esprit de partage, je vous suggère également de recommander à votre bibliothèque locale d’acheter ce livre et, bien sûr, de le transmettre à un ami ou à une petite bibliothèque gratuite lorsque vous l’aurez terminé.