Qu’est-ce que l’économie des fondements ?

Traduction de l’article What is the foundational economy?

L’économie des fondements1NDT J’ai préféré utiliser cette traduction du concept de « foundational economy » plutôt que économie fondamentale est une approche évolutive du développement socio-économique qui met l’accent sur la fourniture de services universels essentiels à la vie quotidienne, tels que l’alimentation, le logement, les services de santé et les transports, dans les limites de la planète. Elle offre une analyse socio-économique distinctive de la situation chaotique dans laquelle nous nous trouvons et propose une politique d’amélioration à partir de là où nous en sommes. L’approche politique varie en fonction de l’analyse du moment et du lieu, et l’analyse des fondements s’est développée au fil du temps à travers des débats internes et des réponses aux critiques externes.

Au cours de la décennie qui a suivi 2013, des chercheurs et des praticiens de plusieurs pays européens ont contribué à ce développement et, à tout moment, il existe des différences et des débats au sein des groupes nationaux et entre eux. Le compte rendu ci-dessous représente la compréhension actuelle du groupe de chercheurs britanniques qui ont rédigé les principales publications en anglais, qui dirigent ensemble une agence de recherche-action, Foundational Economy Research Ltd, et qui se sont associés à des praticiens au sein de Foundational Alliance Wales, un réseau d’acteurs du changement1.

Le point le plus fondamental concernant l’économie des fondements est qu’elle n’est pas toujours la même. Il s’agit d’un ensemble de réflexions et d’actions en constante évolution où, comme l’explique cette introduction, d’anciens éléments sont repris et intégrés dans l’analyse de la conjoncture changeante. L’économie des fondements a évolué au cours de la dernière décennie (2013-2023), et nous identifierions trois publications anglophones marquantes qui représentent chacune une étape importante dans ce parcours.

En 2013, le Manifeste de l’économie des fondements2 introduit une conception zonale des économies coexistantes, empruntée à l’historien français Fernand Braudel. Il s’oppose à l’idée d’une économie unitaire où toute activité est ou devrait être soumise à une logique et à un ensemble de principes uniques. Au contraire, « l’économie » est divisée en zones, chacune avec des principes, des modes de fonctionnement et des objectifs différents. Les politiciens sont obsédés par le secteur commercialisable et concentrent leur « politique industrielle » sur ce secteur relativement restreint, dans le but d’améliorer la compétitivité, en particulier dans les nouvelles industries prestigieuses et de haute technologie. Mais pour les citoyens ordinaires, ce qui importe davantage, c’est l’économie des fondements. Il s’agit de la zone vaste, négligée et protégée de l’économie qui emploie environ 40 % de la main-d’œuvre et fournit aux ménages des biens et services de base tels que les soins de santé, l’éducation, les services publics et l’alimentation.

En 2018, le livre Foundational Economy3 élargit le débat, passant de la refonte de l’économie à une nouvelle façon de faire de la politique et d’élaborer des politiques. Sur le plan politique, il soutient que le droit à la provision fondamentale est la base substantielle de l’exercice effectif de la citoyenneté, qui, sans cela, resterait un statut vide et formel4. Négliger l’économie des fondements n’est donc pas simplement un choix économique, mais une érosion des droits démocratiques. En termes de politique, l’ouvrage de 2018 a commencé à discuter de ce qui pourrait être fait pour redynamiser l’économie des fondements et a identifié une série de conditions préalables. Il s’agissait notamment de demander aux citoyens quelles étaient leurs priorités fondamentales, d’instaurer un système d’autorisation sociale pour garantir que les entreprises respectent les priorités sociales, d’encourager les petites et moyennes entreprises privées et sociales et de refinancer l’État en réinventant la fiscalité. Une deuxième édition publiée en 2022 comprend une nouvelle préface qui résume utilement les développements intervenus depuis la première publication5.

Le livre When Nothing Works6, publié en 2023, présente des arguments et des preuves qui nous font avancer de plusieurs pas sans remettre en cause les arguments initiaux sur l’importance de la zone fondamentale et l’accent mis sur la citoyenneté. Cet ouvrage consolide plusieurs années de travail de l’équipe de chercheurs britanniques, non seulement sur les activités, mais aussi sur les lieux. Ce travail comprend une étude pionnière sur la ville de Morriston, dans le sud du Pays de Galles7, qui a mis en évidence l’importance des infrastructures sociales, ainsi qu’une étude novatrice sur les quartiers défavorisés de Newcastle upon Tyne, qui a mis en évidence les problèmes liés au revenu résiduel des ménages et aux déplacements domicile-travail8. Sur la base de ces enseignements, l’ouvrage de 2023 a franchi plusieurs étapes supplémentaires. Il a introduit le concept de « vivabilité » reposant sur trois piliers : le revenu résiduel, les infrastructures sociales et les services essentiels. Il a insisté sur le fait que l’unité d’analyse de la vivabilité devait être le ménage et non l’individu. Enfin, il propose une approche « réutilisation adaptative » des politiques pour les années 2020, qui contourne les contraintes qui entravent les politiques traditionnelles.

Si vous devez choisir une seule source en anglais, le livre de 2023 offre une déclaration de position actualisée et est disponible en livre de poche à un prix abordable. Avant ou à la place de la lecture du livre de 2023, cette introduction explique d’où nous venons et détaille le développement de la réflexion et de l’action fondamentales.

Dans d’autres langues, il existe diverses introductions sous forme de livres.

Le livre Foundational Economy de 2018 est une introduction générale qui a été traduit en allemand sous le titre Die Okonomie des Alltaglebens9 (2018), en italien sous le titre Economia Fondamentale10 (2018), en portugais sous le titre Economia Fundamental11 (2021) et en turc sous le titre Yaşamin Temel Ekonomisi12 (2022). Les éditions portugaise et turque ajoutent de nouvelles préfaces destinées à ces publics, la préface turque soulignant la pertinence de l’économie des fondements pour les pays à faible et moyen revenu.

Les spécificités nationales ayant leur importance, des groupes locaux ont produit des analyses nationales. Les lecteurs belges et néerlandais peuvent se référer à De Essentiele Economi13 (2022). Le groupe italien a quant à lui publié son propre manifeste dans Il Capitale Quotidiano14 et une synthèse intitulée Prima I Fondamentali 15 (2022).

Une orientation radicale

Ceux qui s’efforcent de cataloguer les nouvelles idées demandent souvent où se situe l’économie des fondements sur l’échiquier gauche/droite, qu’ils interprètent comme une préférence pour l’État ou le marché. Ce cadre n’est pas pertinent lorsque le capitalisme financiarisé ne nous apporte pas le marché, mais le monopole, avec un capitalisme de plateforme et des conglomérats d’externalisation qui se nourrissent de l’État. Et dans notre cas, il est hors de propos, car nous ne sommes ni de gauche ni de droite, mais des collectivistes libéraux radicaux qui comprenons les limites des mécanismes du marché et de l’intervention de l’État.

La pensée fondationnelle est libérale en raison de ses objectifs. Comme l’a fait valoir Amartya Sen16, le développement doit permettre aux citoyens de mener la vie qu’ils ont des raisons de valoriser (et non de satisfaire un ensemble de besoins que nous définissons pour eux ou d’accroître la production du marché et d’améliorer la compétitivité). Sur cette base, le rôle des politiques publiques est de faciliter les conditions préalables, tant du côté de la demande que de l’offre, pour mener une telle vie libre. De ce point de vue, les politiques ne devraient pas viser directement à accroître le bien-être ou à garantir le bonheur, car, dans la pensée fondamentale, le bien-être est le résultat de l’exercice responsable de la liberté, et le bonheur humain est la conséquence souvent éphémère des choix individuels et collectifs.

La pensée fondamentale est collectiviste, car les services de base quotidiens, tels que les services de santé, ne seront pas accessibles à tous en fonction des besoins s’ils sont considérés comme des biens de consommation privée financés par les revenus individuels. Il en découle que les politiques publiques doivent trouver un équilibre entre les préoccupations liées à la croissance des revenus et la nécessité de renouveler la fourniture collective des services essentiels et des infrastructures sociales. Dans le contexte actuel d’urgence climatique, ce renouvellement est une priorité urgente, car les services de base tels que les transports et le logement sont des sources importantes d’émissions. Cette vision plus large distingue la pensée fondamentale de la comptabilité nationale, qui additionne la valeur financière de la production et des revenus comme si la valeur marchande représentait l’ordre supérieur de la valeur.

Dans le même temps, la réflexion fondamentale est agnostique quant aux formes de propriété. Il n’existe pas de solution unique, car la forme de propriété appropriée varie en fonction de l’activité, du modèle économique et des capacités de l’opérateur. Ainsi, l’expansion des entreprises publiques et sociales dans les domaines d’investissement à risque est peu judicieuse, car ces entreprises ne disposent pas de la gouvernance ni des capacités de gestion nécessaires pour réussir des investissements dont les revenus et les profits sont incertains17. De même, la privatisation des services publics et l’externalisation des services ont été une erreur manifeste dans la mesure où elles ont permis à des opérateurs extractifs de se nourrir de revenus garantis et, dans le même temps, elles ont érodé la capacité de l’État à organiser et à contrôler des opérations complexes, de sorte qu’il est difficile de revenir en arrière.

Des fondements collectifs solides et une propriété appropriée deviennent de plus en plus importants dans un monde de plus en plus instable. La notion de « polycrise », causée par l’interaction de crises multiples, sous-estime l’ampleur de ces problèmes18. Dans la réflexion fondamentale, le problème est que d’ici les années 2020, nous vivrons tous dans une zone sismique à l’intersection d’une série de failles concernant (1) un système financier instable basé sur la dette, (2) des chaînes d’approvisionnement longues et vulnérables, (3) la concurrence entre les grandes puissances dans un monde multipolaire, (4) la menace pandémique pour la santé publique dans un contexte (5) d’urgence climatique et environnementale. Nous ne pouvons pas prédire le prochain séisme et nous savons seulement que la réponse inefficace au dernier séisme a épuisé les gouvernements nationaux et aggravé le désordre dans lequel nous devons vivre.

L’économie des fondements peut donc être comprise comme une réinvention radicale, pour une époque chaotique, de la tradition de collectivisme libéral de Beveridge et Keynes, dont l’effondrement dans les années 1980 a été documenté par les membres les plus âgés de l’équipe britannique19.

Plus un chantier qu’un système fermé

L’analyse socio-économique distinctive de l’économie des fondements et sa politique d’amélioration pour les années 2020 sont en partie issues d’une insatisfaction à l’égard du mode académique de production des connaissances, dans des disciplines de plus en plus spécialisées qui génèrent des débats destinés à de petites communautés qui lisent la même littérature. Contrairement aux sciences sociales académiques, l’économie des fondements rassemble des chercheurs et des praticiens dans le cadre d’une recherche-action afin que la conceptualisation, la construction d’un système intellectuel et la critique soient combinées avec la facilitation et la mise en œuvre d’innovations sociales positives.

En tant que chercheurs et praticiens ouverts sur l’extérieur, nous nous attachons à comprendre la spécificité des activités et les implications d’une conjoncture en mutation pour la possibilité d’amélioration et la nécessité de changement. C’est pourquoi l’équipe britannique de chercheurs a produit une série de rapports sur un large éventail d’activités galloises, allant du reboisement aux petites villes en passant par les services de santé, où des entreprises et des alliances progressistes étaient déjà à l’œuvre, mais où le changement de système reste difficile à cerner20. Les événements bouleversants tels que la pandémie de Covid, la « crise du coût de la vie » et la réponse gouvernementale qui s’ensuit constituent une occasion d’apprendre à développer une réflexion et une action fondées (plutôt que d’inscrire les événements dans un cadre préexistant).

Si l’économie des fondements est un travail en cours, elle est en évolution instable, stimulée par les événements, les changements politiques et les innovations des entreprises, à mesure que les chercheurs et les praticiens fondateurs répondent à des défis nouveaux et anciens dans différents lieux et à différents niveaux. L’objectif n’est donc pas de changer de paradigme en produisant un système intellectuel fermé, qui fixe les relations entre les variables dans un champ défini du visible. Le résultat actuel ressemble davantage à un chantier où le bâtiment se construit sans plan directeur contraignant, les chercheurs et les praticiens travaillant à l’ajouter des extensions.

L’orientation et la conception des extensions dépendent de la manière dont les chercheurs et les praticiens établis répondent aux spécificités des activités et aux événements dans une conjoncture changeante, ainsi que de la manière dont les chercheurs et les praticiens nouvellement recrutés rejoignent le collectif et introduisent de nouveaux concepts, perspectives et questions.

Certaines des évolutions observées chez les praticiens seront mentionnées dans la quatrième section de cette introduction, consacrée à l’innovation sociale par la réutilisation adaptative. Nous pouvons déjà noter ici certaines des évolutions les plus importantes de la recherche depuis le manifeste original de 2013 sur l’économie des fondements.

L’insistance des chercheurs autrichiens sur le fait que l’EF est la pierre angulaire de la transition socio-écologique sur une planète endommagée21. Dans le même ordre d’idées, des chercheurs britanniques affirment que nous avons désormais besoin d’une EF 2.0 qui reconnaisse les problèmes environnementaux créés par les systèmes EF 1.0 des années 1870-1950, qui ont rendu la vie urbaine sûre et civilisée22.

Un courant important de travaux a été consacré à la relation entre les systèmes et les lieux. Il a été initié par les travaux conceptuels de Schafran et al. sur les systèmes de dépendance urbaine et l’importance d’un contrat spatial garantissant la disponibilité des services de base dans les villes23. Ces travaux ont été suivis par des études sur la politique et l’aménagement du territoire dans une banlieue de Vienne24 et dans de petites villes galloises25.

La réponse du collectif à la Covid-19 a pris la forme d’un manifeste traduit en quatre langues26. L’équipe britannique a appuyé ce manifeste par un rapport détaillé qui attribuait l’inefficacité de la réponse à la pandémie du NHS anglais au sous-financement qui avait créé un système hospitalier fragile et saturé et un système de laboratoires de santé publique trop centralisé27.

Le travail de construction s’accélère avec la publication du prochain ouvrage de la série Manchester Capitalism, Culture is Not an Industry de Justin O’Connor, qui revendique le caractère fondamental de la culture28, suivi du livre de Kevin Morgan, Public Plate, sur l’alimentation dans les écoles, les hôpitaux et les prisons.

Tout cela relève d’un élargissement qui développe et renforce des positions antérieures. Ainsi, pour les membres du collectif, s’engager dans l’économie des fondements, c’est partir en voyage. Comme nous l’avons noté, il y aura toujours des divergences d’opinion et des débats internes sur les développements récents et à venir. Mais il y a aussi, à tout moment, un objectif fédérateur pour la recherche et la réforme des pratiques. Comme nous le verrons dans la section suivante, l’accent est actuellement mis sur la qualité de vie des ménages.

L’accent actuel de la recherche sur la qualité de vie des ménages

La qualité de vie – la capacité à s’épanouir en jouissant de la liberté – est notre priorité actuelle et le fil conducteur qui relie plusieurs courants de recherche et d’innovations pratiques. Le point de départ de ces différents courants est l’idée que si l’économie et la société existent pour permettre la liberté selon Sen, alors l’objectif pratique est de maintenir et d’améliorer la qualité de vie en s’attaquant aux différentes conditions préalables à la qualité de vie au niveau des ménages.

Cette importance accordée au ménage rompt avec les sciences sociales des 50 dernières années, qui ont pris l’individu (et souvent l’individu moyen, comme dans le PIB ou la VAB par habitant) comme unité d’analyse pour conceptualiser le bien-être, la prospérité et le bien-être. À l’inverse, nous observons que 70 % des citoyens britanniques vivent dans des ménages composés de plusieurs personnes qui partagent leurs dépenses ; le partage des revenus est devenu plus important avec l’augmentation de la participation des femmes au marché du travail, de sorte que dans 75 % des ménages britanniques avec enfants, les deux parents travaillent. Le ménage est devenu l’unité qui consolide de plus en plus deux sources de revenus et met en commun les dépenses, de sorte que, par exemple, les ménages monoparentaux sont en moyenne gravement défavorisés sur le plan financier29.

Cette observation de la diversité des formes de ménages n’a rien à voir avec les valeurs conservatrices de l’extrême droite et sa nostalgie d’une famille traditionnelle composée d’un homme et d’une femme chargés de procréer. Mais les implications du choix du ménage comme unité d’analyse sont radicales. En effet, dans tous les pays à revenu élevé, les politiques ont privilégié le fonctionnement de l’économie afin de générer de la croissance grâce à une augmentation de la productivité, qui pourrait soutenir des salaires plus élevés et des recettes fiscales permettant de financer les services publics. L’alternative fondamentale consiste à faire fonctionner le ménage en s’attaquant directement aux conditions préalables à la viabilité fondamentale.

Le diagramme du temple de la viabilité dans le livre When Nothing Works résume ensuite le cadre fondamental des conditions de viabilité des ménages30. Le revenu des ménages qui importe n’est pas le salaire brut, mais (1) le revenu résiduel après paiement des quatre besoins fondamentaux universels que sont le logement, les services publics, l’alimentation et les transports. Tout aussi importants que le revenu résiduel sont (2) l’accès des ménages aux services universels tels que la santé et l’éducation et (3) les infrastructures sociales, qui sont nécessaires parce que nous sommes des animaux sociaux.

Du point de vue des trois piliers, la « crise du coût de la vie » actuelle s’inscrit dans une crise plus large et plus longue de la viabilité, causée par l’effondrement des trois piliers de la viabilité. Les services publics et les infrastructures sociales se sont effondrés au Royaume-Uni en raison du sous-financement pendant la décennie d’austérité des années 2010. Au lendemain de la crise financière de 2008, les gouvernements ont persisté à ne pas réformer les impôts sur le revenu et la consommation, tandis que l’argent bon marché a fait grimper la valeur des actifs et les inégalités de richesse. Puis, après le début de la guerre en Ukraine, la flambée des prix de l’énergie et l’inflation des prix des denrées alimentaires ont considérablement réduit le revenu résiduel des ménages à faibles revenus, qui ont alors souvent dû choisir entre se chauffer et se nourrir.

Dans la conjoncture actuelle, la recherche de la qualité de vie des ménages du côté de la demande est limitée par les conditions du côté de l’offre. Les entreprises responsables et compétentes jouent ici un rôle important, car elles sont – ou peuvent être – à la fois des pourvoyeurs d’emplois décents pour les salariés et des fournisseurs de biens et de services de qualité pour les ménages. La financiarisation (qui met l’accent sur le rendement du capital privé et l’austérité budgétaire publique) a effectivement érodé la motivation des entreprises privées et la capacité des organisations publiques à fournir ces produits de base aux ménages. La réforme de l’offre est donc le corollaire de l’amélioration de la qualité de vie des ménages. Mais la « politique industrielle » fondamentale ne se concentre pas sur les secteurs de l’innovation de haute technologie et les gains de productivité qui ne se concrétisent jamais ; l’objectif est plutôt l’innovation sociale dans la fourniture de biens et de services et des conditions de travail décentes ainsi que des salaires équitables.

Dans un contexte d’urgence climatique et écologique, la qualité de vie dans la crise écologique actuelle doit être repensée en reconnaissant la nécessité urgente de restaurer et d’améliorer les écosystèmes naturels, qui sont le fondement même de la vie sur cette planète. Les solutions d’une génération sont devenues les problèmes de la suivante. Les services fondamentaux existants sont en grande partie responsables de nos problèmes actuels, car plus de la moitié de nos émissions proviennent aujourd’hui de ces services, en particulier de l’alimentation, des transports et de l’énergie. Comme le souligne le document de synthèse sur l’économie des fondements 2.031, cela pose de nouveaux défis, qui consistent à décarboner les systèmes de dépendance fondamentaux existants, tels que le système de mobilité, ainsi qu’à construire de nouveaux systèmes de dépendance, tels que ce que nous avons appelé « l’économie du bois », qui remplacerait l’acier et le ciment par du bois issu de la production locale.

« Réutilisation adaptative » et innovation sociale grâce aux organisations moteurs

Dans nos systèmes politiques complexes, sous un gouvernement à plusieurs niveaux, les organisations à but non lucratif et les intérêts privés ont tous un rôle à jouer au sein de multiples systèmes de gouvernance, au milieu d’ordres de valeur contradictoires. Comment pouvons-nous changer les choses dans ce contexte chaotique ? L’économie des fondements traditionnelle rejette les réformes modernistes qui promettent transition et transformation32, mais qui entraînent des problèmes inattendus à un coût élevé. Elle privilégie plutôt une réforme par le bricolage, à partir de là où nous sommes, en réutilisant ce qui est à notre disposition. C’est l’approche que les architectes français Lacaton et Vassal appellent « réutilisation adaptative », avec pour slogan « ne jamais démolir, toujours ajouter, transformer et réutiliser »33.
Les acteurs capables de mener à bien la réutilisation adaptative varieront selon le moment et le lieu. Après une décennie d’austérité et dans le contexte de crise des années 2020, les gouvernements sont distraits par de multiples objectifs (dont certains anachroniques comme la croissance économique) et manquent de plus en plus de ressources et de capacités de gestion pour initier des changements à grande échelle. Les gouvernements ne peuvent être ignorés, car ils sont une source de légitimité et de financement aux niveaux supérieurs et un soutien potentiel aux niveaux inférieurs. Mais un gouvernement constructif consiste désormais moins à agir qu’à rassembler et à faciliter le changement, car dans de nombreux cas, il suit plutôt qu’il ne mène l’innovation sociale.

Dans la conjoncture actuelle, l’initiative du changement viendra souvent de la base, de la société civile et de toutes les institutions situées entre l’État et les ménages. Au niveau micro, le développement communautaire est important pour réutiliser les actifs à la portée de la communauté afin de relever les défis sociaux et écologiques. D’où l’importance des pubs communautaires et des réseaux alimentaires locaux. Mais au niveau méso, nous devons nous appuyer sur un large éventail d’organisations intermédiaires pour apporter des changements à une échelle susceptible de faire la différence au niveau régional. Au Royaume-Uni, ces intermédiaires comprennent actuellement les associations de logement, les trusts et conseils de santé, les prestataires de soins et les PME (petites et moyennes entreprises) locales à but lucratif. Tous ces acteurs sont précieux dans la mesure où ils disposent de capacités de gestion et peuvent mobiliser des ressources financières pour l’innovation sociale.

L’objectif fondamental est de disposer d’un plus grand nombre d’intermédiaires de toutes sortes, plus performants, qui apportent des avantages à la communauté en améliorant la qualité de vie des ménages. Le but est de transformer les « ancres » qui ne font que quelques actions, comme des achats locaux sur facture, en moteurs d’innovation sociale radicale. Un moteur est une entreprise qui profite à la communauté et qui utilise son pouvoir d’action pour innover socialement, soit en fournissant des biens et des services différemment, soit en élargissant la gamme de biens et de services proposés.

La bonne nouvelle, c’est que de nombreuses organisations au service de la communauté ont commencé à mener des actions fondamentales en faveur de la qualité de vie parce qu’elles partagent les mêmes valeurs. Elles ont innové, souvent sans avoir lu nos recherches et sans faire de publicité pour leurs réalisations. Voici quelques exemples au Pays de Galles :

  1. Le passage d’un système de soins aux adultes basé sur le temps et les tâches à un système de soins à domicile, comme dans le cadre du programme Gwynedd Home Care, qui accorde une plus grande responsabilité aux travailleurs et favorise le travail d’équipe entre un prestataire de soins de confiance et d’autres organismes.
  2. L’extension de l’offre de services de logement social (sans pour autant négliger les besoins fondamentaux), comme dans le programme Clwyd Alyn Housing Well Fed, tout en gérant les locations de manière à éviter toute expulsion pendant quatre ans34.
  3. Dans le secteur des soins de santé à forte intensité de main-d’œuvre, les conseils de santé Aneurin Bevan et Hywel Dda ont mis en place un programme de développement de la main-d’œuvre « grow your own » (cultivez votre propre main-d’œuvre)35. Ce programme permet aux aides-soignants peu qualifiés de devenir infirmiers diplômés, leur ouvrant ainsi l’accès à une profession.
  4. Merthyr Valley Homes a introduit la « semaine de 4 jours » ou des horaires réduits pour son personnel, tout en maintenant la même qualité de service. Ce gain de temps est particulièrement important pour les travailleurs faiblement rémunérés qui n’ont pas les moyens de recourir à des services extérieurs et qui doivent assumer des responsabilités familiales.
  5. Dans le domaine de la rénovation urbaine, il existe des modèles commerciaux innovants pour la réhabilitation des friches urbaines, comme Coastal Housing dans la High Street de Swansea ou Galeri Caernarfon, qui relie une série de projets de développement à travers la ville.

Ces exemples montrent que l’avenir est déjà là, mais qu’il est inégalement réparti, car les innovations sociales énumérées ci-dessus restent locales et leurs bonnes pratiques ne se propagent pas. Le défi adaptatif consiste à consolider, à mettre à l’échelle et à institutionnaliser les expériences expérimentales ascendantes, et donc à rendre le changement structurel. Pour relever ce défi, un groupe gallois de chercheurs et de praticiens de base a souligné l’importance de mobiliser des alliances politiques sur la base d’une compréhension commune et d’une approche fondée sur des données probantes pour traiter les spécificités des lieux et des secteurs. Compte tenu de l’interconnexion de nombreuses activités dans certains domaines ou secteurs, l’action et l’influence dépendent souvent d’alliances pour le changement qui englobent le gouvernement, le secteur tertiaire et les organisations à but lucratif, y compris des entreprises de différentes tailles.

Luca Calafati, Julie Froud, Colin Haslam, Sukhdev Johal and Karel Williams, Août 2023


  1. For which see the websites at https://foundationaleconomyresearch.com/ and foundationalalliance.wales ↩︎
  2. J. Bentham et al (2013) “Manifesto for the Foundational Economy” (CRESC Working Paper 131) https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2017/01/wp131.pdf ↩︎
  3. J. Froud et al (2018) Foundational Economy, https://manchesteruniversitypress.co.uk/9781526133984/ ↩︎
  4. Foundational arguments about citizenship have subsequently been developed in F. Barbera and I.R. Jones (eds. 2020) The Foundational Economy and Citizenship https://policy.bristoluniversitypress.co.uk/the-foundational-economy-and-citizenship ↩︎
  5. J.Froud et al. (2022 second edition) Foundational Economy, https://manchesteruniversitypress.co.uk/9781526164681/ ↩︎
  6. L. Calafati et al (2023) When Nothing Works https://manchesteruniversitypress.co.uk/9781526173713/ ↩︎
  7. L. Calafati et al. (2019) “How an ordinary place works” https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2019/05/morriston-report-v6-13-may-2019.pdf ↩︎
  8. L. Calafati et al. (2022) “Jobs and Liveability” https://foundationaleconomyresearch.com/index.php/recent-research-reports/ ↩︎
  9. https://www.suhrkamp.de/buch/foundational-economy-collective-die-oekonomie-des-alltagslebens-t-9783518127322 ↩︎
  10. https://www.einaudi.it/catalogo-libri/problemi-contemporanei/economia-fondamentale-collettivo-per-leconomia-fondamentale-9788806241605/ ↩︎
  11. https://www.almedina.net/economia-fundamental-as-infraestruturas-do-quotidiano-1604568034.html ↩︎
  12. https://www.imge.com.tr/kitap/yasamin-temel-ekonomisi-gunluk-yasamin-altyapisi-julie-froud-9789755339702 ↩︎
  13. https://www.aspeditions.be/en/book/de-essentiele-economie/18275 ↩︎
  14. https://www.donzelli.it/libro/9788868434861 ↩︎
  15. https://fondazionefeltrinelli.it/schede/prima-i-fondamentali/ ↩︎
  16. A. Sen (1999) Development as Freedom. It should be noted that the Austrian team dissent and ground their version of foundational economy in human needs. ↩︎
  17. L. Calafati et al (2023) Municipal Trading Then and Now, https://foundationaleconomyresearch.com/wp-content/uploads/2023/06/Municipal-Trading-then-and-now.pdf ↩︎
  18. K. Whiting (2023) “This is why poly crisis is a useful way of looking at the world right now” https://www.weforum.org/agenda/2023/03/polycrisis-adam-tooze-historian-explains/ ↩︎
  19. T. Cutler et al (1986) Keynes, Beveridge and Beyond. ↩︎
  20. For the range of recent Foundational Economy Research Limited reports by the British team, see the relevant section of their website: https://foundationaleconomyresearch.com/index.php/recent-research-reports/ ↩︎
  21. R. Bärnthaler et al. (2021) “The Foundational economy as a condition for social ecological transformation” Sustainability, https://www.mdpi.com/2071-1050/13/18/10460 ↩︎
  22. L. Calafati et al. (2021) “Meeting social needs on a damaged planet”, Working Paper no 8. https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2021/01/fe-wp8-meeting-social-needs-on-a-damaged-planet.pdf ↩︎
  23. A. Schafran et al. (2020) The Spatial Contract https://manchesteruniversitypress.co.uk/9781526143372/ ↩︎
  24. R. Bärnthaler et al. (2022) “Social-ecological politics for everyday life” https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2022/05/baernthaler-fec-report-final-5-may-2022.pdf ↩︎
  25. L. Calafati et al. (2021) “Small towns, big issues” https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2021/08/small-towns-big-issues-report-june-2021.pdf ↩︎
  26. Foundational Economy Collective (2020) “What comes after the pandemic“
    https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2020/03/what-comes-after-the-pandemic-fe-manifesto-005.pdf ↩︎
  27. J. Froud et al. (2020) “When systems fail “ / https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2020/08/when-systems-fail-uk-acute-hospitals-and-public-health-after-covid-19.pdf ↩︎
  28. J. O’ Connor (2023 forthcoming) Culture is Not an Industry, https://www.amazon.co.uk/Culture-Not-Industry-Reclaiming-Manchester/dp/1526171260 ↩︎
  29. L Calafati et al. (2023) When Nothing Works, pp. 71-81 ↩︎
  30. L Calafati et al. (2023) When Nothing Works, pp. 81-94 ↩︎
  31. L. Calafati et al. (2021) “Meeting social needs on a damaged planet”, Working Paper no 8. https://foundationaleconomy.com/wp-content/uploads/2021/01/fe-wp8-meeting-social-needs-on-a-damaged-planet.pdf ↩︎
  32. It should again be noted that Austrian foundational researchers do use the terms transition and transformation. ↩︎
  33. J. Froud et al. (2022) Foundational Economy (2nd edition) “Preface to 2022 edition”. ↩︎
  34. https://www.cancook.co.uk/about-well-fed/ ↩︎
  35. L. Calafati et al. “NHS Wales as a driver of economic value“ https://foundationaleconomyresearch.com/wp-content/uploads/2023/03/NHS-Wales-Public-Interest-Report-June-2022.pdf ↩︎

Notes

  • 1
    NDT J’ai préféré utiliser cette traduction du concept de « foundational economy » plutôt que économie fondamentale