Réintégrer les économies dans les écosystèmes : renforcer la résilience dans les communautés plus qu’humaines

TRADUCTION par Gilles en vrac

J.K Gibson-Graham

Institute for Culture and Society
Western Sydney University
k.gibson@westernsydney.edu.au

Ann Hill

Institute for Culture and Society
Western Sydney University
a.hill@westernsydney.edu.au

Lisa Law 

Centre for Tropical Urban and Regional Planning
College of Science and Engineering
James Cook University
lisa.law@jcu.edu.au

TRADUCTION par Gilles en vrac de la version préliminaire (pré-publication) de :

J.K. Gibson-Graham, A. Hill et L. Law, 2016 « Re-embedding Economies in Ecologies: Resilience Building in More than Human Communities » Building Research Information 44, 7:703-736. 

Résumé

La séparation extrême entre l’économie et l’écologie dans le monde moderne a rompu les liens qui unissaient les êtres humains aux environnements et aux espèces qui leur permettent de vivre. La première étape vers le renforcement de la résilience à l’échelle humaine consiste à apprécier, à prendre soin et à réparer les relations écologiques ancestrales qui ont soutenu la vie pendant des millénaires. La capacité à apprécier ces relations a toutefois été affaiblie par la position utilitariste adoptée par les sciences économiques à l’égard des environnements naturels. Les écologistes sont allés plus loin en saisissant l’interdépendance des économies et des écologies à travers le concept de résilience socio-écologique. Il est toutefois préoccupant de constater la persistance d’une vision d’une économie régie par les déterminants du marché, dans laquelle il n’y a pas de place pour la négociation éthique entre les humains et le monde non humain. Cet article recadre les relations entre l’économie et l’écologie, en replaçant les humains au sein des communautés écologiques et les non-humains dans une perspective éthique. Il met en avant l’idée d’économies communautaires (par opposition aux économies capitalistes) et soutient que celles-ci doivent être mises en place si nous voulons préserver la vie à l’ère de l’Anthropocène. L’argumentation est illustrée par deux projets de construction situés en Asie des moussons. 

Mots-clés 

résilience locale, comportement éthique, changement climatique, négociations.

Remerciements

Nous tenons à remercier Ethan Miller, Isaac Lyne et Stephen Cairns pour les précieuses informations théoriques et empiriques qu’ils ont partagées et qui ont enrichi cet article. Nous remercions également les membres du Community Economies Research Network, nos évaluateurs anonymes et les rédacteurs de ce numéro spécial pour leurs commentaires critiques et clarificateurs qui nous ont poussés à expliciter davantage notre argumentation. Nous tenons à remercier les organisateurs de la conférence Architecture and Resilience on a Human Scale qui s’est tenue à l’université de Sheffield en septembre 2015, où Katherine Gibson a présenté l’essentiel de cet article dans son discours d’ouverture. Les recherches menées dans le cadre de cet article ont été soutenues par l’Australian Research Council pour le projet Discovery « Strengthening economic resilience in Monsoon Asia » DP150102285. 

Introduction

Dans ce qu’on appelle l’ère de l’Anthropocène, les systèmes humains sont devenus une force géologique capable d’influencer et de modifier les systèmes terrestres (Steffan, Broadbate, Deutsch, Gaffney et Ludwig, 2015).i On craint que nous ayons atteint une phase de transition critique où les systèmes planétaires ont été poussés hors du domaine de stabilité de l’Holocène (Folke et al., 2010). Il apparaît de plus en plus clairement que le modèle d’organisation économique et de croissance qui a guidé le développement au cours des 200 dernières années est responsable de cette crise (Dumanoski, 2009). L’impact mondial de la « grande accélération » du produit intérieur brut, de la croissance démographique, de l’urbanisation, de la consommation d’énergie et d’eau depuis les années 1950 a entraîné un réchauffement climatique mesurable, une instabilité climatique accrue et une perte dramatique de biodiversité (Steffan et al., 2015). La vie « telle que nous la connaissons » est menacée. 

Dans divers domaines, les chercheurs s’accordent à dire qu’un changement radical est nécessaire de toute urgence. La philosophe féministe et écologiste Val Plumwood, par exemple, a lancé cet avertissement puissant :

Si notre espèce ne survit pas à la crise écologique, ce sera probablement parce que nous n’aurons pas réussi à imaginer et à mettre en place de nouvelles façons de vivre avec la Terre, à nous réinventer et à adapter nos sociétés à forte consommation d’énergie et hyper-instrumentales. (2007, p. 1)

Elle a écrit qu’il était nécessaire de « continuer sous une autre forme d’humanité » si nous voulons survivre à la crise écologique que les humains ont provoquée. Dans le même ordre d’idées, le théoricien du design Tony Fry a appelé à un nouveau projet, le « Sustainment » (la durabilité), d’une ampleur et d’une importance équivalentes à celles du Siècle des Lumières. Le Sustainment est, pour Fry : 

un projet intellectuel et pragmatique vital de découverte marquant un tournant pour l’humanité, qui reconnaît que « se maintenir » nécessite un autre type d’habitation terrestre qui comprend : la relation indivisible entre création et destruction ; que rien ne changera si notre mode d’existence ne change pas ; et que ce qui doit changer s’étend à toutes les dimensions de l’existence humaine, qu’elle soit environnementale, économique, sociale, culturelle ou psychologique. Comprendre cela, c’est comprendre que le « développement » humain jusqu’à présent a été lié à une condition de non-durabilité toujours croissante, dans laquelle le « progrès » humain a nié toutes les conditions liées à « notre » dépendance. (non daté) 

La séparation extrême entre les humains et la nature qui s’est opérée au sein des économies industrialisées au cours des deux derniers siècles a réduit la capacité des humains à être affectés par le monde non humain. Plumwood et Fry appellent à de nouvelles façons d’habiter la terre. Ils soulignent la nécessité de repenser ce qu’est le développement économique et de reconfigurer les relations vécues entre les économies, les écologies et les environnements construits.

Le domaine relativement nouveau de la science de la résilience s’intéresse aux systèmes adaptatifs complexes et constitue une avancée prometteuse par rapport à la séparation conceptuelle entre l’analyse écologique et l’analyse économique qui a contribué à la crise actuelle. Le concept de « résilience socio-écologique », par exemple, situe les personnes et la nature, ou les économies et les écologies, comme des systèmes interdépendants qui changent, s’adaptent et se transforment (Holling 2001 ; Folke et al 2010 ; Walker et Cooper, 2011). Cet article examine si la réflexion sur la résilience, telle que développée par la Resilience Alliance (par exemple Holling, 1973, 1986, 2001 ; Folke, 2006 ; Folke et al., 2010), peut offrir des orientations dans le contexte actuel. Dans un système socio-écologique, l’adaptabilité est la capacité à mobiliser l’action collective pour « rebondir » après une menace et rétablir une certaine stabilité, tandis que la transformabilité est la capacité à « rebondir vers l’avant » et à « créer un système socio-écologique fondamentalement nouveau lorsque les conditions écologiques, politiques, sociales ou économiques rendent les conditions existantes intenables » (Folke 2006, p. 262 ; Manyena, O’Brien, O’Keefe et Rose, 2011). Cet article pose la question suivante : la pensée résiliente peut-elle guider le type de changement transformationnel qu’exige l’avènement de l’Anthropocène ? Que dit l’approche résiliente sur la manière dont l’économie pourrait « rebondir vers l’avant » ? En particulier, le concept de résilience socio-écologique peut-il s’appliquer à la transformation de l’environnement bâti des villes, où la croissance économique se manifeste physiquement dans des structures matérielles durables ? 

L’argumentation est organisée en trois sections. La section 1 passe en revue de manière critique la littérature sur la résilience afin d’examiner comment l’interdépendance entre les écologies et les économies est positionnée. Elle suggère que le modèle économique utilisé par la science de la résilience est limité par une importance excessive accordée aux stocks et aux flux de capital et au potentiel des marchés auto-organisés pour apporter une transformation. Elle soutient que la politique et l’éthique sont non seulement bannies du fonctionnement de la dynamique de résilience, mais aussi de la représentation discursive de la résilience. 

La section 2 propose une nouvelle formulation de l’identité économique et de la dynamique de la résilience socio-écologique. Elle propose une vision non capitalocentrique de l’économie diversifiée dans laquelle des pratiques éthiques de préservation de l’habitat pourraient être activement poursuivies afin de renforcer la résilience des économies communautaires non humaines. S’appuyant sur le domaine des sciences humaines environnementales, cette section situe l’activité économique humaine au sein des écologies. Ici, l’interdépendance n’est pas envisagée en termes d’écologies « naturelles » fournissant des services aux économies « humaines », mais en termes de négociations éthiques entre les économies humaines et non humaines dans les écologies de communautés plus qu’humaines. La réflexion de Jane Jacobs (2000) sur la « nature des économies » et la théorie des économies communautaires de J.K. Gibson-Graham (2006) sont utilisées pour aider à théoriser les moments éthiques de la construction de la résilience. La section 3 aborde la question des bâtiments et des infrastructures physiques dans les économies communautaires de quartier. Deux processus innovants de co-construction, l’un en Indonésie, l’autre au Cambodge, sont examinés pour ce qu’ils révèlent sur l’interdépendance des diverses économies et écologies humaines et non humaines, et sur le rôle de la négociation éthique dans le renforcement de la résilience des quartiers. Ces cas sont présentés comme des exemples locaux de « continuité » dans une optique exploratoire qui accepte et travaille avec l’instabilité, l’incertitude et la contingence. 

1. Résilience socio-écologique : une approche systémique de l’interdépendance écologique et économique

Le concept de résilience est utilisé dans de nombreux contextes différents : gestion des ressources naturelles, ingénierie, conception, anthropologie et psychologie sociale. Ces dernières années, la pensée résiliente s’est répandue depuis sa formulation dans les sciences des écosystèmes pour « infiltrer rapidement de vastes domaines des sciences sociales », en particulier ceux qui s’intéressent à la logistique de la gestion des crises (Walker et Cooper, 2011, p. 143, 144). Si la résilience a remplacé la durabilité comme « mot à la mode » selon Porter et Davoudi (2012, p. 329), c’est probablement parce qu’elle répond à la nécessité de théoriser les dynamiques de transformation à travers les vastes fronts que sont les systèmes naturels, les systèmes sociaux, les psychés et les environnements construits. L’argumentation développée dans cet article est motivée par le souci de travailler avec le concept de résilience, mais en accordant une attention critique à la manière dont l’interdépendance entre les écologies et les économies est représentée. La discussion se poursuit en examinant la notion de résilience socio-écologique de Holling comme une théorie qui intègre la société, l’économie et la biosphère (Walker et Cooper, 2011, p. 147) et « approfondit notre compréhension des systèmes liés entre eux que sont l’écologie, l’économie et la prise de décision » (Holling, 2001, p. 391). 

Dans le passage d’une résilience « technique » axée sur l’équilibre à une résilience véritablement « écologique », les cycles adaptatifs non linéaires sont considérés comme produisant des états modifiés, voire de nouvelles relations systémiques, mais avec la persistance d’une structure systémique déterminante. Le terme « capital » est utilisé pour désigner « le potentiel inhérent d’un système qui est disponible pour le changement » (Holling, 2001, p. 393). Le capital est la « richesse » stockée d’un système, qu’il s’agisse d’un écosystème composé de capital biophysique ou d’un système économique composé de capital financier, manufacturé, culturel, social et humain (Folke et al., 2010, p. 261). Les cycles adaptatifs sans fin qui relient les systèmes naturels, les systèmes humains, les systèmes homme-nature et les systèmes socio-écologiques impliquent « la croissance, l’accumulation, la restructuration et le renouvellement » (Holling, 2001, p. 392-4). Cette théorie intégrative de la transformation fait écho aux récits schumpétériens et marxistes du développement capitaliste impliquant crise, destruction créatrice, restructuration et émergence de « nouvelles » formes de capitalisme. Walker et Cooper établissent des liens conceptuels entre les travaux ultérieurs de Holling sur les capacités d’auto-organisation et d’autorégulation des systèmes adaptatifs complexes et la « théorie mature de l’ordre spontané du marché et de l’évolution sociale » de Hayek (2011, p. 147). Ils affirment que, dans leurs écrits des années 1970, Holling et Hayek rejetaient tous deux les « métaphores de la thermodynamique classique » et étaient « préoccupés par les questions des limites épistémiques de la prédiction ». Tous deux critiquaient, par exemple, les « affirmations du Club de Rome sur les limites écologiques de la croissance » (p. 144). Dans son article de 2001, Holling s’intéresse aux « comportements prospectifs des individus » :

Ces comportements jouent un rôle dans la transmission des pénuries futures aux prix actuels, induisant ainsi des comportements de conservation dans le monde économique réel. Ce processus prospectif fonctionne à travers les marchés à terme et l’achat et la détention stratégiques de matières premières. Il incite fortement certaines personnes à mieux prévoir les pénuries à venir que le reste du marché et à se positionner pour en tirer profit. Mais ce qu’un acteur du marché peut faire, tous peuvent le faire ; ce processus transmet donc l’information à l’ensemble du marché. (2001, p. 401)

Holling note qu’il existe bien sûr des limites au fonctionnement de ce système complexe, par exemple lorsque la rigidité institutionnelle et le pouvoir politique pervertissent le fonctionnement « essentiellement libéral et équitable » d’un marché (p. 401). On voit ici la synergie avec la politique néolibérale inspirée par l’adhésion de Hayek à la dynamique d’auto-organisation du marché « libre » (Walker et Cooper 2011, p. 150). 

La conception de l’interdépendance entre l’écologie et l’économie qui sous-tend cette vision fondatrice de la résilience n’est qu’une représentation (très influente) parmi d’autres. La question qui nous intéresse dans cet article est de savoir si cette approche peut être utilement mise en œuvre pour engager les transformations radicales, en particulier dans le domaine économique, qui sont nécessaires aujourd’hui. De nombreux chercheurs travaillant dans ce domaine seraient d’accord avec Folke pour dire que « la recherche sur la résilience socio-écologique en est encore à un stade exploratoire » (2006, p. 263). Dans le but de contribuer à cette exploration, il convient d’examiner ce qui est exclu d’une théorie unificatrice des systèmes socio-écologiques et les effets de cette exclusion. 

La quête d’une intégration aussi simple que possible de « l’essence de la théorie des sciences écologiques, économiques et sociales » motive la pensée systémique qui sous-tend la science de la résilience (Holling, 2001, p. 391). Un système est « une entité discernable et stable qui maintient sa structure malgré la plasticité de ses micro-changements continus et le remplacement de ses composants » (Lawn, 2001, p. 148). Tout système est défini non seulement par ce qu’il inclut, mais aussi par ce qu’il exclut. Ainsi, tout comme les débuts de l’écologie « excluaient les humains ou traitaient les actions humaines comme externes au système » (Folke, 2006, p. 262), les représentations modernistes de l’économie excluaient l’environnement de leur système. Il a fallu attendre l’émergence d’une nouvelle discipline, l’économie écologique (voir, par exemple, Daly et Farley, 2010), pour traduire l’environnement en « capital naturel » et le positionner au sein du système économique en tant que fournisseur de « services écologiques ». Les études sur la résilience ont embrassé cette fusion de deux systèmes distincts en un seul et ont instauré une logique unificatrice d’adaptation et de transformation complexes pour régir l’interdépendance entre l’économie et l’écologie. Mais des exclusions subsistent. Qu’en est-il de toutes les activités économiques humaines diverses qui ne peuvent être capitalisées et évaluées ? Qu’en est-il des relations entre les humains et les environnements qui ne relèvent pas de la « prestation de services », mais plutôt de la prise en charge mutuelle et de la gestion responsable ? Qu’en est-il des dynamiques de développement qui ne sont pas motivées par l’accumulation, la libération du potentiel, la restructuration créative et le maintien des structures ? En effet, si c’est le système économique capitaliste (même sous la forme d’un nouveau « régime d’accumulation ») qui persiste, comment une transformation radicale et une nouvelle trajectoire de développement pourraient-elles voir le jour ? 

Plus important encore, les systèmes excluent la politique. Lorsque le langage du capital est utilisé pour évaluer les stocks et les flux de tout, de l’eau des rivières aux soins familiaux, le « capitalisme » devient synonyme d’« économie ». La culture, le gouvernement et la vie elle-même sont considérés comme fonctionnant « au sein du capitalisme ». Représenté comme un système de production, de marchés et de finance opérant à l’échelle mondiale, rien n’échappe à l’emprise du capitalisme, il n’y a pas d’alternative, pas d’extérieur. Cette façon de penser « capitalocentrique » limite l’imaginaire d’« autres mondes » et contraint la politique (Gibson-Graham, 1996, p. 6). Mais en sortant d’une épistémologie réaliste et en acceptant la nature politique de la production de connaissances, il est de plus en plus admis que les théories offrent des « approches » performatives qui rendent certaines choses plus réelles que d’autres (Law et Urry, 2004). Il faut donc choisir si l’économie capitaliste doit être représentée comme une force de la nature ou comme un assemblage précaire de pouvoirs, de pratiques, de technologies et de discours qui doivent être continuellement reconfigurés et mis en œuvre (St. Martin, Roelvink et Gibson-Graham, 2015). De même, il faut choisir si l’environnement doit être représenté comme une ressource destinée à la consommation humaine ou comme un complexe dynamique de communautés interconnectées d’êtres vivants et non vivants ayant la volonté de s’épanouir (Rose, 2004). 

En résumé, la science de la résilience a fait des progrès majeurs dans la compréhension des systèmes adaptatifs complexes qui fonctionnent selon une dynamique « loin de l’équilibre » (Folke, 2006, p. 257). Elle a mis en évidence l’instabilité des systèmes vivants. Ce travail est inestimable pour comprendre les interactions entre les systèmes terrestres et humains à l’échelle planétaire et locale. Elle a contribué à la compréhension du réchauffement climatique et de ce que signifie l’avènement de l’Anthropocène en termes de seuils critiques et de transitions. Cependant, la représentation de l’économie comme des stocks et des flux de capital qui libèrent du potentiel, se restructurent et se reconfigurent selon le fonctionnement spontané des marchés limite la capacité de l’approche de la résilience à imaginer un changement économique radical. Elle ne parvient pas à surmonter la séparation entre les mondes humain et non humain et renforce un instrumentalisme dangereux. Si le changement transformationnel profond préconisé par Plumwood et Fry doit se produire, il est nécessaire de concevoir la dynamique économique de manière plus expérimentale et plus éthique et d’adopter une vision moins utilitaire de l’interdépendance entre l’économie et l’écologie.

2. Réintégrer l’économie au sein de l’écologie et redéfinir la résilience comme étant plus que l’épanouissement de la communauté humaine

Dans cette section, les nouveaux développements en sciences humaines environnementales et la pensée économique non capitalocentrique sont utilisés pour théoriser l’interdépendance entre écologie et économie à partir d’un point de départ écologique différent. Comme on le sait, le terme grec oikos, racine étymologique commune des mots « économie » et « écologie », est traduit par « ménage » ou « habitat ». Oikonomia,ou économie, associe oikos à nomos, un terme qui incarne certaines tensions entre sa signification de « gestion » et « négociation » du foyer domestique ou de l’habitat, ou de « coutume », par opposition à l’État et à la loi — montrant ici le lien entre nomos et nomade.ii Gibson-Graham et Miller (2015) proposent une définition de l’économie comme la négociation de l’ordre au sein des habitats. Cette définition permet de prendre en compte les économies de différentes espèces qui négocient leurs moyens de subsistance dans des habitats variés, élargissant ainsi le terme bien au-delà de la « gestion » domestiquée et axée sur la maîtrise des ménages humains et des économies nationales, pour l’orienter vers le type de négociation multispécifique qui doit être cultivé à l’ère de l’Anthropocène (Miller, 2016, pers.com). Qu’en est-il alors de l’écologie ou oikologia, qui associe oikos à logos, c’est-à-dire la connaissance ou le récit de l’habitat ? Plutôt que d’assimiler l’écologie à des « systèmes naturels », comme c’est couramment le cas, l’écologie devient un cadre conceptuel à partir duquel on peut appréhender l’ensemble articulé des économies en interaction, y compris l’interdépendance de l’ordre dans les habitats humains, animaux et végétaux. 

L’idée que les êtres humains ne sont pas les seuls à avoir une économie, mais que d’autres espèces et entités vivantes gèrent et négocient également leurs moyens de subsistance (par exemple, les économies des abeilles, des bambous, des bactéries, etc.), et l’idée que les économies humaines sont en relation d’interdépendance permanente avec ces autres économies peuvent sembler étranges. Mais, comme le font valoir Gibson-Graham et Miller : 

il n’y a pas plus de raison de construire une « économie » humaine séparée de son contexte écologique qu’il n’y en aurait pour les écologistes de considérer les pratiques d’approvisionnement des abeilles comme un « système » indépendant, avec ses propres lois et impératifs internes, totalement séparé de ses interrelations constitutives avec les plantes à fleurs, les autres pollinisateurs, les mycorhizes du sol, les bactéries fixatrices d’azote, les oiseaux et les mammifères disperseurs de graines. La socialité humaine n’est qu’une manifestation particulière des interrelations mutuelles entre les espèces et entre les communautés d’êtres vivants qui impliquent des vies allant des mitochondries de nos cellules aux pollinisateurs qui rendent l’agriculture possible. (2015, p. 10)

Le degré d’étrangeté de cette notion n’est que la mesure du succès d’un puissant discours économique moderne qui a séparé la négociation des moyens de subsistance humains de celle des moyens de subsistance non humains. Ainsi, lorsque des éléments de l’environnement sont représentés comme des « ressources » ou des « services écologiques » qui fonctionnent comme des réserves de « capital naturel » pouvant être mobilisées sous forme d’« intrants » monétisés dans le système économique humain, ils sont complètement dissociés des écosystèmes vivants dont ils sont issus. Dans le même temps, l’interdépendance entre les humains et les non-humains est réduite à une question d’utilité et dépouillée de tout contenu éthique.iii

Une approche écologique met en évidence la grande diversité des activités économiques qui soutiennent les moyens de subsistance dans une économie « plus que capitaliste ». Cela inclut le travail non rémunéré et rémunéré de manière alternative ainsi que le travail salarié ; le partage et la répartition de produits non marchandisés ainsi que les transactions sur les marchés de marchandises ; l’entreprise individuelle, les coopératives et l’entreprise sociale ainsi que l’entreprise capitaliste ; les formes collectives privées et communautaires de propriété ainsi que la propriété privée individuelle ; et les formes d’investissement non conventionnelles parallèlement à la finance traditionnelle (Gibson-Graham, 2008 ; Gibson-Graham, Cameron et Healy, 2013). Les pratiques non capitalistes et leurs interdépendances dynamiques ne sont pas prises en compte par le discours économique capitalocentrique. Elles sont en effet jugées sans importance au regard des dynamiques systémiques telles que l’accumulation et la désaccumulation du capital, la financiarisation et la crise, les mécanismes de l’offre et de la demande de marchandises et d’investissements. Aujourd’hui, on s’intéresse beaucoup à la croissance des économies non capitalistes ou postcapitalistes, c’est-à-dire les économies sociales, coopératives, buen vivir, décroissantes et collaboratives, dans lesquelles la dynamique activatrice est constituée par des engagements éthiques envers une série de résultats autres que la rentabilité et l’accumulation de richesse privée (voir, par exemple, Bollier et Helfrich, 2014).iv Un cadre non capitalocentrique permet d’explorer la résilience au sein de cette écologie de la diversité économique interactive. 

Dans une économie diversifiée, les êtres humains, les espèces non humaines et les éléments naturels peuvent tous être considérés comme coproduisant activement le bien-être et les soins. Les réflexions philosophiques de Plumwood sont utiles pour aider à dissocier l’action de l’être humain. Elle écrit :

le matérialisme réductionniste considéré comme le nouveau départ de la modernité n’est en réalité qu’un dualisme tronqué qui préserve en son cœur le processus original de division et de réduction, en dépouillant la matérialité de l’esprit, de l’intelligence et de l’action pour les attribuer à un moteur distinct. Il représente la nature comme passive et dépourvue de créativité, la véritable créativité provenant uniquement de (divers) moteurs identifiés à l’esprit, généralement humains ou humanoïdes. (2009, p. 119)

Dans le domaine des sciences humaines environnementales, que Plumwood a contribué à établir, cette séparation est surmontée par l’étude des liens éthiques. Rose, par exemple, étend la vision de Levinas sur la connectivité humaine, selon laquelle la subjectivité se manifeste « sous la forme d’une responsabilité envers autrui », aux relations entre les humains et les non-humains (Newton, 1995, p. 12 cité dans Rose 2004, p. 13). Selon elle, la connectivité et la responsabilité sont au cœur du fonctionnement de la résilience. Elle transpose le langage des systèmes dans le domaine éthique de l’épanouissement mutuel : 

Le terme « résilience » est utilisé de manière technique par les écologistes. Il fait référence aux relations au sein des écosystèmes et est en phase avec l’instabilité des systèmes vivants. Chaque être vivant a sa propre volonté de s’épanouir, son propre « conatus » en langage philosophique. La volonté de s’épanouir met chaque être vivant en relation avec d’autres éléments vivants et non vivants de l’environnement. Lorsque ces relations permettent à la vie de s’épanouir, on peut dire que le système lui-même est résilient. … il sera auto-organisé et auto-réparateur. En termes humains, la résilience a une signification similaire, désignant la capacité de groupes de personnes à se maintenir dans des relations épanouissantes avec leur environnement, à faire face aux catastrophes et à trouver des moyens de continuer. (2004, p.7)

Lorsque la connectivité éthique (qui peut être représentée par une notion plus expérimentale de connectivité des systèmes) est prise comme point de départ, l’analyse économique identifie dans un premier temps l’éventail des activités économiques qui maintiennent les moyens de subsistance humains et non humains, ainsi que les interactions dynamiques entre les diverses économies humaines et non humaines. Les questions qui se posent alors sont, par exemple : quels types de relations économiques favorisent des modes de prospérité durables ? Quelles relations économiques favorisent la résilience et lesquelles la détruisent ? 

Dans son livre The Nature of Economies, Jane Jacobs (2000) propose de s’inspirer de la dynamique des écosystèmes naturels pour cultiver des régions économiques durables et résilientes.v Elle met en évidence la dynamique :

  • du maintien de l’habitat, c’est-à-dire l’ajustement et la correction continus des relations entre les organismes pour bien survivre ensemble,
  • de l’augmentation de la diversité et de la redondance, car plus la diversité est grande, plus le soutien à la vie est efficace,
  • la circulation et la capture de l’énergie et de la matière qui aident diverses activités et niches à s’autoalimenter, et
  • l’interdépendance complexe des développements et des co-développements qui coévoluent de manière imprévisible mais auto-organisée.

Jacobs suggère que ces dynamiques peuvent être activées au sein des économies régionales grâce, par exemple, à la diversification sectorielle de l’économie et au renforcement des interactions locales tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Gibson-Graham, Cameron et Healy (2013) ont en outre lié ces dynamiques à la construction d’économies communautaires plus qu’humaines, dans lesquelles l’être-en-commun est négocié avec toutes les autres formes de vie. Ici, les « économies communautaires » ne sont pas simplement des transactions commerciales et des activités économiques opérant dans une zone locale. Comme nous l’avons déjà mentionné, le terme « économie » renvoie à l’oikos, ou habitat, ce qui soutient la vie, tandis que le terme « communauté » est évoqué dans le sens actif de négociation de l’être-en-commun en tant que communauté multispécifique, humaine et non humaine, un « nous » qui inclut tous ceux avec lesquels les moyens de subsistance humains sont interdépendants et interreliés. vi Une économie communautaire est donc un espace d’apprentissage commun dans lequel les humains commencent à « voir la sphère non humaine en termes éthiques » (Plumwood 2009, p. non paginée).vii Cela ne signifie pas situer la conscience éthique dans le non-humain, mais inclure les non-humains dans une communauté plus large, au-delà de l’humain. Les préoccupations éthiques des économies communautaires (telles qu’elles sont exposées dans Gibson-Graham, Cameron et Healy, 2013, pp. xviiixix) peuvent être interprétées à travers l’ensemble des dynamiques de résilience de Jacobs comme suit.

Dans une économie communautaire, le maintien de l’habitat est soutenu par :

  • le travail des humains et des autres êtres vivants pour satisfaire les besoins fondamentaux et survivre ensemble dans de bonnes conditions et de manière équitable,
  • les interactions avec les autres êtres humains et vivants d’une manière qui favorise le bien-être mutuel, et
  • une consommation durable.

La diversité dans une économie communautaire implique de favoriser :

  • la coexistence de multiples formes de travail, de transactions, d’entreprises, de propriété et d’investissement,
  • la diversité sectorielle de l’économie, et
  • la diversité des espèces et de l’écosystème.

L’auto-alimentation dans une économie communautaire se fait par :

  • la distribution des surplus naturels et sociaux afin d’enrichir la santé sociale et environnementale,
  • la préservation, le renouvellement et le développement des biens communs naturels et culturels, et
  • l’investissement de la richesse dans les générations futures d’êtres humains et d’autres êtres vivants afin qu’ils puissent bien vivre.

Les développements coévolutifs et l’interdépendance résultent :

  • des négociations entre humains et entre humains et non-humains au sein des économies communautaires, qui ne peuvent être spécifiées à l’avance et dont les limites sont continuellement fixées et élargies.

Les principales avancées théoriques de cette section ont donc consisté, dans un premier temps, à redéfinir l’identité de « l’économie » comme étant diverse et dépassant le cadre humain, et à réintégrer les économies dans les écologies. Dans un deuxième temps, il s’est agi d’appréhender la dynamique des interactions entre les économies humaines et non humaines en termes de négociation éthique. Une fois de plus, le fait que l’idée que les matériaux animés et inanimés puissent posséder des propriétés créatives et agentives soit si étrange ou ridicule témoigne du succès des systèmes de pensée occidentaux. Changer la façon de penser dans ce domaine implique le type de changement radical auquel Fry fait allusion dans son concept de « The Sustainment ». Cela pourrait bien nécessiter un nouveau type de pratique analytique dans laquelle le jugement critique serait suspendu pendant que des travaux exploratoires seraient menés sur la manière dont ce « nous » reconfiguré négocie les questions de besoins et de survie, de génération et de distribution des surplus, de transactions et de rencontres, de consommation, de partage des biens communs et d’investissement dans l’avenir.

Cette section se termine par une brève réflexion sur les implications de cette nouvelle approche pour la résilience dans l’environnement bâti. Comme le documentent Steffan et al. (2015), l’urbanisation rapide qui a eu lieu dans le monde entier depuis les années 1950 est l’un des éléments puissants de la Grande Accélération de l’activité humaine qui affecte les systèmes planétaires. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit dans des zones urbaines (ONU, 2014). Si l’on veut relever les défis du changement climatique afin de poursuivre l’humanité sous une autre forme, les capacités de transformation doivent se concentrer sur « les bâtiments, les infrastructures et les paysages culturels » (Hassler et Kohler, 2014, p. 222) que la croissance économique a produits. 

Pourtant, l’environnement bâti est souvent représenté en termes de durabilité et de rigidité au changement, comme un stock sédimenté de capital naturel, humain et financier qui « permet et facilite certains types d’activités » et, pourrait-on ajouter, en empêche d’autres (Hollnagel, 2014, p. 222 ; voir également Harvey, 1985). Comment alors évoluer vers un autre mode d’humanité ? Comment les environnements bâtis peuvent-ils faire face à l’instabilité et à l’imprévisibilité du changement tout en continuant à fournir des habitats florissants pour les humains et les autres êtres vivants ? Comment la résilience dans les économies communautaires non humaines peut-elle être mise en pratique dans les environnements bâtis et les systèmes urbains ? La dernière section reprend la conception de Hollnagel des environnements bâtis (ou systèmes, selon ses termes) en tant qu’habitats socio-techniques (2014, p. 227) et explore comment la résilience peut être construite à travers 1) des négociations continues visant à garantir le maintien des habitats humains et non humains, 2) la protection et la création d’une diversité économique et écologique et 3) le développement d’une nouvelle relation à la durabilité, moins axée sur la pérennité des formes construites et davantage sur la capacité à reproduire durablement des actes éthiques. 

3. Renforcer la résilience en Asie des moussons

Certaines des croissances démographiques et urbanistiques les plus rapides de la planète ont lieu en Asie du Sud et du Sud-Est, une région historiquement appelée « Asie moussonique » par l’Occident (Steffan et al., 2015). Dans cette région, la perspective d’une élévation du niveau de la mer constitue une menace majeure pour de nombreuses zones nouvellement urbanisées, et les pays sont déjà confrontés à la force massive de systèmes climatiques de plus en plus imprévisibles. Les deux exemples de pratiques de renforcement de la résilience qui seront examinés dans cette section se situent dans l’arrière-pays urbain de cette région. Le premier concerne un pont éphémère en bambou qui est construit chaque saison sèche sur le Mékong, entre la deuxième plus grande ville du Cambodge, Kampong Cham, et le petit village de Koh Paen. Le second est une ville tropicale expérimentale pour les travailleurs migrants à Batam, en Indonésie. Ces deux projets de construction visent à faire face à une instabilité permanente et inhérente. La ville tropicale fait face à la fluidité des flux de travailleurs migrants entrant et sortant de la zone, tout en essayant de préfigurer un autre type d’économie grâce à la création d’un habitat urbain où le travail et le logement ne sont pas séparés et où l’autosuffisance est possible. La reconstruction annuelle du pont de Kampong Cham est une pratique éthique qui va au-delà de la construction d’une communauté humaine et constitue un moyen de coexister avec les flux du fleuve grâce à une conception régénérative. 

Les scientifiques spécialistes de la résilience Folke et al (2010, p. 20) proposent que « les changements transformationnels à petite échelle permettent la résilience à grande échelle » et que 

la société doit sérieusement réfléchir à des moyens de renforcer la résilience des SES [systèmes socio-écologiques] plus petits et plus faciles à gérer qui contribuent à la résilience du système terrestre, et explorer les options pour une transformation délibérée des SES qui menacent la résilience du système terrestre. (Folke et al., 2010, résumé, ajout). 

Ces deux petites études de cas sont présentées comme des exemples provisoires de renforcement de la résilience qui pourraient donner un aperçu de transformations plus délibérées et à plus grande échelle dans l’environnement bâti. 

Le pont éphémère en bambou de Kampong Cham

Dans la ville de Kampong Cham, sur les rives du Mékong, dans l’est du Cambodge, un pont en bambou de 1,5 kilomètre de long est construit chaque année pendant la saison sèche pour relier l’île de Koh Paen, située au milieu du fleuve (figure 1). Lorsque les pluies de mousson arrivent, le pont est submergé par les eaux et emporté, pour être reconstruit à la saison sèche. Le blog d’un voyageur donne une idée concrète de la structure :

« En regardant le pont de côté, on peut voir de nombreux bâtons de bambou entrecroisés qui forment une belle charpente… Un tapis de plusieurs couches de cannes coupées en deux s’étend au-dessus, absorbant l’impact des véhicules… J’adore traverser le pont à vélo. Le sol irrégulier bouge sous mes roues, il oscille et s’adapte aux véhicules qui passent à chaque instant, ce qui donne une grande sensation d’aventure… Au début, traverser le pont à côté d’une voiture est assez effrayant, car le sol se courbe sous le poids du véhicule, mais après quelques fois, on se détend en réalisant que le pont est suffisamment solide… (Marante, 2016)

À seulement un kilomètre en amont, là où le fleuve se rétrécit, se dresse l’imposant pont Kizuna, également long de 1,5 kilomètre, symbole par excellence de la modernité du Cambodge. Perché sur des pylônes pour échapper aux inondations, cet ouvrage en béton et en acier affiche toute l’élégance et l’efficacité d’une forme courbe au service de la fonction. Achevé en 2001 et financé par une subvention de 56 millions de dollars du gouvernement japonais, il enjambe le Mékong et a été le premier pont à relier l’ouest et l’est du pays, permettant ainsi le développement économique et commercial du nord-est du Cambodge et l’établissement de liens commerciaux avec le Vietnam (Premier ministre Hun Sen, BBC News, 4/12/2001). 

Figure 1 à insérer ici

Depuis le pont Kizuna, en regardant vers l’aval, que peut-on voir ? Est-ce un regard rétrospectif sur une époque prémoderne où le design vernaculaire, les matériaux locaux, le travail manuel et une nature dominante asservissaient la survie à la répétition sans fin d’une tâche pénible ? Ou bien le pont en bambou recèle-t-il des enseignements pour un avenir économique et écologique résilient ? 

Ce pont éphémère fonctionne avec l’instabilité et fait pourtant partie d’un écosystème florissant qui combine des économies humaines et non humaines interdépendantes. La relative solidité et la vulnérabilité du pont rappellent constamment les interdépendances complexes entre les êtres humains et les autres êtres vivants qui sont nécessaires à une coexistence harmonieuse. En tant que construction humaine, le pont tire sa force des fibres naturelles suffisamment solides pour supporter le trafic humain, animal et mécanique. En même temps, en tant que construction naturelle incapable de résister à la force de l’eau pendant la saison des pluies, le pont se brise et est emporté lorsque la force des courants est trop importante. 

Le pont en bambou fait partie intégrante du maintien des habitats humains et non humains. Sa reconstruction annuelle se poursuit depuis au moins 100 ans, avec une interruption seulement pendant le régime de Pol Pot.viii La (re)construction s’aligne sur la temporalité cyclique des rituels humains, des flux d’eau et de la croissance du bambou. Chaque année, il est reconstruit à temps pour soutenir l’intense activité sociale des fêtes du Nouvel An, lorsque la structure en bambou croule sous le poids de la circulation. Il est emporté au début de la saison des moussons, permettant à la rivière en crue de gérer l’augmentation massive de son débit.ix Les habitats de bambou situés le long du Mékong fournissent les matériaux nécessaires à la reconstruction annuelle du pont. La récolte implique la négociation d’une relation éthique mutuellement bénéfique. Le bambou a un cycle de vie de 3 à 7 ans. Lorsqu’il est récolté, le système souterrain de racines et de rhizomes reste intact et la plante produit de nouvelles pousses qui deviennent des tiges. Une récolte trop fréquente d’un seul bouquet peut mettre en danger sa survie, mais l’éclaircissement régulier des tiges et l’élimination des tiges en décomposition permettent à la lumière de mieux passer et favorisent la repousse. Lorsque les relations entre l’homme et le bambou sont équilibrées, les touffes bien entretenues ont une productivité plus élevée que les touffes sauvages non récoltées. Les pratiques de maintien des habitats du bambou ont à leur tour des effets positifs sur d’autres habitats, en contrôlant l’érosion des berges, en améliorant le niveau des nappes phréatiques et la nutrition des sols (Hill, 2013 ; van der Lugt, Vogtländer et Brezet, 2009).

Le pont est un agent de l’économie communautaire locale, contribuant à la diversité des pratiques de travail en fournissant un emploi rémunéré à des personnes vivant dans une économie largement non monétaire. Il fournit du travail aux récolteurs de bambou du village et à jusqu’à 30 charpentiers et couvreurs. Bon nombre des artisans du pont sont également des agriculteurs et des pêcheurs de subsistance, de sorte que cet emploi rémunéré complète leur revenu de subsistance en nature. Les contrôleurs de la circulation à chaque extrémité du pont sont payés pour organiser la circulation à sens unique à l’aide de talkies-walkies, et un petit péage est perçu pour l’utilisation du pont. Pendant sa durée de vie, le pont est entretenu par cinq réparateurs. Les ouvriers sont employés par un homme d’affaires local « riche », ou mécène, qui remporte le contrat de cinq ans pour la construction du pont et perçoit les recettes du péage pour payer les matériaux, les ouvriers et les réparateurs. 

L’énergie captée et circulant dans et autour du pont favorise l’auto-approvisionnement d’une économie communautaire qui dépasse le cadre humain. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’approvisionnement local en bambou pour la construction du pont favorise la croissance de nouvelles tiges de bambou. Les travaux sur le pont de bambou reviennent chaque année et fournissent une source de revenus provenant des touristes et des résidents locaux qui paient le péage, qui circule ensuite au sein de la communauté, via le mécène local, vers les réparateurs du pont et les fournisseurs de nourriture et de services. Les compétences en matière de construction en bambou des artisans locaux font partie du patrimoine social et culturel. La reconstruction annuelle du pont permet de préserver les techniques traditionnelles de construction en bambou et constitue une forme de renouvellement continu qui empêche la perte des compétences entre les générations. On ne sait pas si l’homme d’affaires/mécène local tire un profit financier de la construction du pont pendant cinq ans. La manière dont le pont est lié à la génération et à la distribution des excédents ne peut donc être que matière à spéculation. Il pourrait agir en tant qu’entrepreneur social organisant une activité « à but social » au service des habitants locaux, ce qui pourrait avoir d’autres avantages en termes de loyauté et de pouvoir politique (Lyne, 2016). Ou bien il pourrait entreprendre la construction uniquement dans le but d’en tirer un profit personnel. 

Les éléments de ce cas qui pourraient servir de modèle pour le renforcement de la résilience à l’ère de l’Anthropocène peuvent être mis en évidence dans le contexte du pont Kizuna. Ce grand projet de construction en béton a généré des emplois rémunérés à court terme et ponctuels pour les ouvriers du bâtiment. Ses liens et son interdépendance avec les carrières de calcaire et de gravier (et la dégradation environnementale qu’elles entraînent) et les fonds d’aide internationale (et les accords politiques qui en découlent) restent cachés et invisibles. En revanche, le pont en bambou est une infrastructure socio-technique qui favorise des négociations éthiques transparentes. 

La « relation indivisible entre création et destruction » (Fry, n.d.) est au cœur de ces négociations. Si la structure physique du pont est régulièrement créée et détruite, le processus de négociation de la construction – interaction avec les bosquets de bambous, les courants d’eau, le mécène local, les pêcheurs et les agriculteurs qui sont également artisans – implique une sensibilité à la survie et à la durabilité. Ce qui constitue la durabilité dans ce cas n’est pas la résilience de l’ingénierie du pont, mais les pratiques éthiques transparentes qui entourent sa construction.

Ce n’est qu’après le régime de Pol Pot que la construction de ponts, qui était autrefois un processus communautaire non monétisé, a été commercialisée. Cette évolution n’a toutefois pas compromis le fonctionnement de l’économie communautaire, mais a ajouté une nouvelle source de travail rémunéré et de flux financiers à un paysage économique déjà diversifié. Le pont contribue de manière continue à la diversité économique et à l’auto-alimentation et à l’épanouissement de nombreuses économies humaines et non humaines. 

Projet de logement progressif à Batam

Les centres urbains de l’Asie des moussons sont soumis à une pression croissante pour loger un nombre toujours plus important de personnes, les migrants des zones rurales affluant vers les villes pour trouver un emploi et rejoindre les membres de leur famille qui s’y sont déjà installés. Une expérience visant à renforcer la résilience des quartiers est menée par une équipe de chercheurs du Future Cities Laboratory (ETH Zurich) sur l’île indonésienne de Batam. Batam est située dans le triangle de croissance Indonésie-Malaisie-Singapour créé à la fin des années 1980-1990, à quelques minutes en ferry de Singapour.x Elle fait office de port franc et d’arrière-pays industriel, ou site de sous-traitance, où les secteurs tertiaire et quaternaire de Singapour peuvent accéder à une main-d’œuvre, des terres et des ressources bon marché pour la fabrication et l’entreposage, et vers lequel affluent les capitaux d’investissement. Batam connaît un afflux constant de main-d’œuvre provenant d’autres régions d’Indonésie, avec un flux limité vers Singapour, principalement composé de travailleurs domestiques. 

Les nouveaux arrivants vivent soit dans des dortoirs non mixtes situés dans des complexes liés aux zones industrielles et aux hôtels touristiques, soit dans un nombre limité d’immeubles de six étages sans ascenseur subventionnés par l’État, appelés rusun ou rumah sunsun (maisons verticales), soit dans des maisons construites de manière artisanale, appelées ruli ou rumah liar (littéralement « maisons sauvages » ou « non réglementées »), dans des bidonvilles surpeuplés (Cairns, 2015, p. 3). Les bidonvilles se sont développés le long des routes, dans les réserves naturelles et les parcs. 

Ils comprennent des bâtiments construits 

progressivement, en fonction des fluctuations de la taille et de la composition des ménages et des variations de l’économie domestique qui y est associée. Une pièce peut être agrandie, une véranda fermée, un étage ajouté, un jardin cultivé, selon les besoins du ménage, ses moyens financiers et son imagination. Le tissu bâti du bidonville peut être aussi diversifié que son tissu social et économique. 

(ibid., p. 4)

Comme dans les bidonvilles du monde entier, la production domestique et les transactions non marchandes se mêlent aux espaces de fabrication et de commerce. Les activités habituellement menées dans l’espace privé du foyer débordent dans la rue et dans tous les espaces publics. Les ménages utilisent un mélange hétéroclite de matériaux naturels et de matériaux manufacturés recyclés pour construire leurs maisons. Certains peuvent améliorer leur logement grâce aux fonds envoyés par des parents travaillant à l’étranger. Cela se traduit généralement par une structure en béton et un toit en tôle. Les bâtiments sont fonctionnels, mais de construction médiocre et inefficace, et les installations sanitaires et d’approvisionnement en eau sont improvisées. 

Des chercheurs dirigés par Stephen Cairns, du Future Cities Laboratory, se sont associés à des urbanistes du département de l’urbanisme de la municipalité de Batam et à des architectes de l’université d’Indonésie pour mettre au point un concept de logements abordables et modulables, conçus pour pouvoir s’agrandir sans augmenter l’empreinte au sol des bâtiments, afin de répondre aux besoins d’une population migrante en forte croissance.xi Les immeubles les moins chers de Batam sont destinés à la classe moyenne en expansion et sont hors de portée de la plupart des ménages migrants ruraux. Le projet Tropical Town vise à combler cette lacune. Le projet consiste à faire appel à des promoteurs philanthropiques pour construire un prototype de ce type de logement afin de vérifier la densité prévue, l’empreinte écologique et la viabilité du modèle économique.

Le modèle rubah ou rumah tambah (maison extensible) est :

une habitation qui peut être agrandie verticalement en fonction des besoins, de la capacité ou des souhaits du ménage… Chaque habitation « rubah » intègre également un système simple de collecte des eaux de pluie, de production d’énergie solaire et de fosses septiques collectives, ce qui lui confère une certaine autonomie en matière de ressources… La maison offre un potentiel de génération de revenus… sous la forme d’espaces à louer ou d’activités économiques telles que la couture, la vente de nourriture ou la réparation d’appareils électroniques. (Cairns, 2015, p. 6) 

Ce modèle (voir figure 2) a été élaboré en collaboration avec des membres de la communauté migrante dont les ruli existants fournissent certaines des caractéristiques de conception extensible. D’autres contributions des membres de la communauté ont été obtenues grâce à une enquête sur les activités, les besoins et l’évolution des ménages. Un inventaire économique diversifié a été utilisé pour documenter le large éventail d’activités de subsistance auxquelles se livrent les habitants, qui a ensuite été intégré dans la conception des logements individuels.

Figure 2 à insérer ici

Un modèle de croissance des ménages multigénérationnels a été élaboré sur la base des besoins prévus en matière d’espace, de revenus, d’eau, d’énergie, de gestion des déchets et de production alimentaire dans les jardins pour la subsistance ou la vente. Comme le montre la figure 3, le plan du quartier permet un peuplement dense, qui peut s’étendre verticalement sans compromettre l’espace réservé aux jardins, aux bambouseraies et aux espaces communs publics. 

Figure 3 à insérer ici

Le rubah offre de nombreuses possibilités de négociation éthique qui pourraient contribuer à la résilience du quartier. Tout d’abord, il permet d’accueillir et de maintenir de multiples habitats humains et non humains. Les maisons sont construites de manière à pouvoir accueillir relativement facilement la famille élargie, des amis ou des inconnus. L’habitat s’adapte aux conditions changeantes, garantissant ainsi aux habitants de bien vivre ensemble avec un espace et des équipements adéquats. La collecte de l’eau par les ménages et un système d’assainissement collectif réduisent la pression sur les ressources en eau locales. Ces technologies établissent une relation de soin pour le stockage, la qualité et le débit de l’eau, constituant un bien commun dont les avantages sont répartis entre les humains et les non-humains. Enfin, l’énergie solaire librement accessible est captée et partagée, constituant un autre bien commun qui soutient la vie en réduisant la pollution de l’atmosphère. Tous ces aspects du rubah peuvent être considérés comme contribuant à la résilience architecturale (Vale, Shamsuddin, Gray et Bertumen, 2014). 

Deuxièmement, la conception de Tropical Town soutient explicitement la diversité des activités économiques. De nombreux migrants ne trouveront pas immédiatement un emploi rémunéré dans l’économie dite « formelle », c’est-à-dire dans des entreprises capitalistes ou des administrations publiques. Ils créeront plutôt des micro-entreprises ou deviendront employés dans de petites entreprises non enregistrées. Les biens et services offerts par ces micro et petites entreprises, tels que des repas bon marché pour les personnes pressées et des transports publics individuels ou en petits groupes, répondent aux besoins de la ville dans son ensemble. La conception des logements de Tropical Town tient compte de la précarité de l’emploi salarié et prévoit donc des espaces pour l’autosuffisance alimentaire des ménages sur une petite parcelle de terrain, ainsi que des activités de production ou commerciales indépendantes dans une petite boutique ou un atelier au rez-de-chaussée de la maison. Il s’agit d’une innovation majeure dans la conception de logements progressifs qui intègre dansle tissu d’une zone « résidentielle » des possibilités d’économies diversifiées.

Tropical Town est donc bien plus qu’un simple projet de logement. L’environnement bâti favorise une économie diversifiée qui offre des possibilités de mise en relation entre les services et les petits producteurs et un potentiel accru de génération d’excédents au niveau des ménages. Cela crée les conditions nécessaires à l’autosuffisance à l’échelle du quartier. L’extensibilité des maisons permet de maintenir de bonnes relations avec le lieu d’origine des migrants, ce qui favorise l’épanouissement des communautés translocales grâce aux mouvements à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Enfin, le prix abordable des maisons signifie que chaque génération pourra progressivement acheter et posséder un logement tout en conservant une épargne à investir dans l’éducation et les générations futures.

Tropical Town à Batam est encore en phase de développement et les résultats positifs escomptés restent hypothétiques. La promesse qu’elle représente en matière de résilience reste à concrétiser. Les conditions sont toutefois réunies pour le développement conjoint d’une forme très intéressante de résilience économique urbaine. Des expériences sont actuellement menées au Future Cities Laboratory sur l’utilisation de matériaux de construction renouvelables tels que le bambou et d’autres fibres naturelles. Le principal défi consiste à déterminer comment les habitats végétaux et animaux détruits par le développement à Batam peuvent être restaurés afin de former à nouveau une communauté plus solide, au-delà de la seule dimension humaine. Peut-être que la pratique de construire et de vivre dans les ruma permettra aux habitants d’apprendre à être affectés d’une manière qui renforcera leur désir d’un bien-être qui dépasse le cadre humain.

Conclusion

La question de ce qui constitue la résilience est actuellement au centre des préoccupations et a donné lieu à une littérature riche et florissante dans de nombreux domaines. Cet article a plaidé en faveur de la nécessité de réintégrer les économies dans les écologies, en reconnaissant que toutes les formes de vie sont impliquées dans la négociation de moyens de subsistance dans des habitats interconnectés avec d’autres. Les économies humaines sont interdépendantes avec les économies végétales, animales, bactériennes et autres, et l’avenir dépend de la capacité à vivre ensemble dans des écologies florissantes qui fonctionnent avec une complexité et une instabilité déséquilibrées. Les études de cas sur le maintien des habitats et le renforcement de la résilience en Asie moussonique fournissent des matériaux riches pour explorer les moyens par lesquels des communautés résilientes, au-delà de l’humain, pourraient voir le jour grâce à des pratiques de réflexion économique éthique et de conception de l’environnement bâti.

Partout en Asie des moussons, il existe des exemples de pratiques de renforcement de la résilience qui n’ont pas encore été documentées et théorisées en tant que telles.xii Beaucoup d’entre elles consistent à encourager et à faciliter diverses activités économiques (telles que l’échange réciproque de main-d’œuvre, la mise en commun des excédents pour les redistribuer aux membres de la communauté, le don de main-d’œuvre et de biens, le troc, l’autosuffisance) visant à préserver les habitats et à les restaurer à la suite de catastrophes naturelles (Bankoff, 2007). Cela inclut toute une série de pratiques et de méthodes de conception, de construction et de réparation de l’environnement bâti. Les études de cas présentées dans cet article montrent comment les pratiques de délibération éthique et de conception des bâtiments se combinent pour produire des économies communautaires résilientes à l’échelle du quartier. Dans les deux cas, la résilience est liée à la capacité d’adaptation à la mobilité des personnes et des structures matérielles, ainsi qu’à la temporalité des flux d’eau et de migrants, à la croissance des plantes et à l’énergie solaire. À mesure que la nécessité d’une conception régénératrice sera reconnue, les économies communautaires plus humaines que jamais fourniront des laboratoires vivants pour poursuivre l’expérimentation et le développement de modèles. 

Pour conclure, la notion de « résilience progressive » de Vale (2014) relie la résilience à des voies de délibération démocratique et participative dans la prise de décision éthique. Vale introduit dans le débat une notion de pouvoir et de politique qui mérite d’être reprise ici :

Qui prendra le contrôle du terme et en déterminera l’usage ? Sera-t-il guidé par la conception de l’ingénieur, qui voit la résilience comme un « rebond » vers un statu quo antérieur à la perturbation, supposé plus souhaitable que le présent, ou la réflexion sur la résilience embrassera-t-elle les incertitudes des modèles écologiques, dans lesquels un nouveau système pourrait fonctionner avec une hiérarchie différente ? Les deux versions de la résilience supposent toutefois trop facilement l’existence d’un état stable futur (ou d’un retour à un état stable passé). Mais que se passe-t-il si les hypothèses sur la stabilité passée ou future sont indéfendables, ou si les environnements sociaux stables sont également profondément inéquitables ? (2014, p. 192)

Dans cette conception, la résilience englobe « les possibilités d’expression politique, de résistance et de remise en cause des structures du pouvoir » (Shaw dans Vale 2014, p. 198). Cette version plus performative de la résilience est attentive à la manière dont la résilience s’articule dans les récits, les symboles et la politique. Elle détourne l’attention des systèmes pour la porter sur les questions politiques. L’environnement bâti apparaît moins comme un artefact que comme un habitat socio-écologique complexe et interdépendant, qui n’est ni stable ni uniformément réparti. 

Cet article a présenté un certain nombre de stratégies visant à développer une compréhension plus riche de la résilience dans l’environnement bâti, condition préalable à la survie dans un monde en mutation climatique. Il n’a pas présenté de modèle pour un rebond transformateur (utopique), mais a plutôt mis en évidence des relations écologiques et économiques transformatrices dans le présent, c’est-à-dire dans des cas où la résilience est actuellement expérimentée. Cette démarche performative renforce une notion de résilience qui rompt avec les dualismes, les systèmes et les notions linéaires du temps, du développement et du changement. L’accent mis sur les relations entre l’écologie et l’économie, mobilisées autour de préoccupations ou de dynamiques éthiques, met en évidence une approche de recherche moins axée sur des modèles universels et davantage sur l’apprentissage à partir d’expériences en cours de construction de la résilience. L’espoir est que cet apprentissage puisse être réarticulé ailleurs, dans des communautés où les circonstances et les relations entre écologie et économie sont très différentes et où la construction d’un quartier plus résilient prend une forme différente. Le maintien de l’habitat, la diversité et la co-conception sont des stratégies éthiques importantes, mais la manière dont elles sont mises en œuvre sur le terrain exige des chercheurs qu’ils fassent preuve d’ouverture à la surprise.

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i  L’Anthropocène est le nom donné à la nouvelle ère géologique qui suit l’Holocène et marque le début de l’activité humaine en tant que facteur majeur de transformation des systèmes terrestres (Crutzen et Stoermer, 2000 ; Gibson, Rose et Fincher, 2015). Steffan et al. (2015) plaident en faveur d’un recentrage du début de l’Anthropocène, qui ne serait plus le début de l’industrialisation en 1750, mais 1950, date à laquelle « la grande accélération » de la croissance économique et de l’interférence écologique a pris son essor. Le terme « Anthropocène » est de plus en plus contesté, certains lui préférant « Capitalocène » ou « Plantationocène » (Haraway, 2015). Haraway défend l’Anthropocène comme un événement limite, ouvrant ainsi la question de ce qui pourrait émerger (autre que l’hésitation) pour caractériser l’ère dans laquelle nous entrons (p. 161). 

ii  Tel que développé par Deleuze et Guattari dans Mille plateaux. Merci à Ethan Miller pour ces idées et clarifications (comm. pers. 20/02/2016). iii La tendance à reconnaître « l’économie » comme une création historique et discursive ayant des effets réels, plutôt que comme une catégorie ontologique objective (Mitchell, 1998, 2008 ; Callon, 2007), invite à s’interroger davantage sur les inclusions et les exclusions qui constituent la connaissance économique moderne. iv Le Next System Project rassemble des essais sur bon nombre de ces approches économiques alternatives. Voir http://thenextsystem.org/new-systems-possibilities-and-proposals/

v La discussion de Jacobs sur le développement régional inspiré par l’écologie a été appliquée à l’échelle des localités ou des quartiers par Gibson, Cahill et McKay (2010).  vi Cette formulation suit celle du philosophe Jean Luc Nancy (2000), mais étend sa réflexion de l’être-en-commun des humains à ce qui est plus qu’humain.

vii D’autres questions préoccupantes font également l’objet de cet apprentissage mutuel, notamment les droits des animaux destinés à l’alimentation, la santé des sols et la gestion des maladies. viii Mme Sengkeang, une habitante de l’île de Koh Paen, rapporte que le pont est construit chaque année depuis la chute du régime de Pol Pot il y a 40 ans. M. Kroch Sokheng, également résident de l’île de Koh Paen, se souvient que sa grand-mère disait qu’il était construit chaque année depuis sa naissance, ce qui en fait une pratique centenaire. Nous remercions Isaac Lyne et Heng Seanghath d’avoir recueilli ces informations et d’avoir partagé leurs connaissances sur le pont en bambou. 

ix  Michelle Bastian soutient que l’appréciation d’autres temporalités (non linéaires) est un élément important pour repenser les conceptions occidentales étroites de l’action et permettre à la nature d’être réécrite « en tant qu’acteur créatif puissant » (2009, p. 116). 

x  Nous remercions Stephen Cairns pour les discussions que nous avons eues au fil des ans sur le développement de Batam et pour nous avoir donné accès au projet Tropical Town en constante évolution. Les observations incluses dans cette discussion datent également du travail de terrain mené par Katherine Gibson en décembre 2000.  xi Voir le projet Tropical Town http://www.fcl.ethz.ch/project/tropical-town/. Bien que Tropical Town soit similaire au projet de logement progressif très médiatisé de l’architecte chilien Alejandro Aravena à Quinta Monroy (voir Aravena et Iacobelli, 2013 ; Vale et al., 2014), il existe quelques différences importantes. Par exemple, Tropical Town est explicitement conçu pour intégrer diverses fonctions de subsistance dans le quartier résidentiel. 

xii Il s’agit d’un objectif clé du projet de recherche Discovery « Renforcer la résilience économique en Asie moussonique » DP150102285 de l’Australian Research Council, qui a soutenu les recherches menées pour cet article.