La ville et le Nord : le Canada dans l’école de sociologie de Chicago

Traduction de The City and the North: Canada in the Chicago School of Sociology, 2 juin 2025, The American Sociologist.

Cet article explore les histoires entremêlées de l’école de sociologie de Chicago et de la sociologie canadienne, remettant en question l’idée reçue selon laquelle le développement de l’école de Chicago s’est limité à la ville de Chicago. En examinant le parcours universitaire d’éminents chercheurs canadiens tels qu’Annie Marion MacLean, Roderick McKenzie, Helen et Everett Hughes, et Erving Goffman, il montre comment leurs contributions ont joué un rôle déterminant dans le développement de l’école de Chicago et de la sociologie canadienne. Cette recherche, qui s’appuie sur de nombreuses archives provenant de sources primaires et secondaires, suggère que la mobilité et les interactions continues entre les chercheurs de Chicago et du Canada ont joué un rôle important dans l’évolution historique de la pensée sociologique. L’étude vise à « décentrer » l’école de Chicago en mettant en lumière les contributions importantes, mais souvent négligées, des sociologues canadiens, offrant ainsi une nouvelle compréhension de son héritage et de son impact mondial.

L’histoire de la sociologie est étroitement liée non seulement à des personnalités éminentes, mais aussi à des lieux spécifiques. Prenons l’exemple de l’école de Chicago. La plupart des chercheurs partent du principe que cette longue tradition sociologique est née exclusivement dans la ville de Chicago en 1892, avec des générations d’études ethnographiques menées dans divers quartiers, mais centrées autour de l’université de Chicago à Hyde Park (Faris, 1967 ; Bulmer, 1984 ; Abbott, 1999 ; Chapoulie, 2020). Cette hypothèse est toutefois problématique, car elle néglige les parcours de vie diversifiés des personnes dont les travaux constituent l’école de Chicago. En effet, de nombreuses figures majeures de cette tradition ont passé une partie importante de leur carrière universitaire ailleurs, et rares sont celles qui sont nées et ont grandi à Chicago. Par conséquent, une histoire complète de l’école de Chicago doit tenir compte des expériences et des contributions de ses membres dans divers endroits au-delà de Chicago.

Parmi ces autres lieux, le Canada occupe une place particulière dans l’histoire de l’école de Chicago. Annie Marion MacLean, une Canadienne, a été l’une des premières doctorantes en sociologie à l’université de Chicago dans les années 1890. Ernest W. Burgess et Roderick D. McKenzie, deux figures clés de la première école de Chicago dans les années 1920 et 1930, étaient tous deux Canadiens, tout comme Erving Goffman dans la deuxième école de Chicago de l’après-guerre. Helen et Everett Hughes, un couple qui a joué un rôle essentiel dans le rapprochement entre la première et la deuxième école de Chicago, ont enseigné au Canada pendant plus de dix ans et ont contribué à la création du département de sociologie de l’Université McGill, en collaboration avec Carl Dawson, un autre ancien élève de Chicago. Oswald Hall, étudiant de Dawson et des Hughes à McGill et à Chicago, a joué un rôle influent dans la sociologie canadienne d’après-guerre et dans la reconnaissance de la sociologie à l’Université McGill et à l’Université de Toronto (Clark, 1994 ; Brown, 2006). Il n’est pas exagéré de dire que l’histoire de l’école de Chicago et celle de la sociologie canadienne sont étroitement liées depuis plus d’un siècle.

Dans cet article, nous nous concentrons sur les liens entre le Canada et l’école de Chicago et présentons une histoire interconnectée de la sociologie qui ne se limite pas à un ou deux sites spécifiques, mais qui est plutôt le fruit de la mobilité continue des chercheurs et des étudiants entre « la ville » (c’est-à-dire Chicago) et « le Nord » (c’est-à-dire le Canada). Notre objectif théorique est de « décentrer » l’école de Chicago, c’est-à-dire d’aller au-delà de la « métropole » d’une école intellectuelle et de montrer comment ce site central de production de connaissances universitaires est rendu possible grâce à ses liens avec d’autres lieux et, plus important encore, aux personnes qui voyagent entre eux. Certaines de ces connexions sont intellectuelles, comme les idées ou les données qui traversent les frontières, tandis que d’autres sont interpersonnelles ou interorganisationnelles, comme les réseaux formés entre les chercheurs qui ont influencé la recherche et l’enseignement. Cette dynamique s’applique à la fois à l’école de Chicago et à la sociologie canadienne : la ville et le Nord ont trouvé leur place respective dans le paysage de la sociologie mondiale grâce à leurs interactions mutuelles au fil du temps et à la mobilité des chercheurs entre eux.

Les documents d’archives utilisés dans cet article proviennent de sources primaires et secondaires. Nous avons grandement bénéficié des nombreuses recherches antérieures sur l’histoire de l’école de Chicago et des biographies de figures clés telles que MacLean, McKenzie, Hughes et Goffman, parmi d’autres sociologues canadiens. Ces études inestimables sont complétées par nos propres recherches primaires menées à la bibliothèque de l’Université de Chicago, à la bibliothèque de l’Université de Toronto et dans d’autres archives, notamment les Everett Cherrington Hughes Papers et les Erving Goffman Archives. De plus, nous avons examiné minutieusement les écrits originaux des chercheurs dont il est question dans les pages qui suivent. Ensemble, ces sources diverses constituent une base solide pour explorer les histoires et les contributions interdépendantes de ces sociologues canadiens de l’école de Chicago.

La pionnière : Annie Marion MacLean

La ville et le Nord sont entrés en contact bien avant que l’école de Chicago ou la sociologie canadienne ne prennent forme. En 1892, William Rainey Harper, président de la toute nouvelle Université de Chicago, a nommé Albion Small pour créer le premier département d’études supérieures en sociologie au monde. Inspiré par le modèle de l’université de recherche Johns Hopkins, Harper recruta Small, qui venait d’obtenir son doctorat à Johns Hopkins et était devenu président du Colby College en 1889. La théologie chrétienne eut une influence marquée sur la naissance de la sociologie de Chicago, car Harper était impliqué dans un « mouvement sociologique » visant à améliorer la société par le savoir (Diner, 1975). Outre Small, Charles R. Henderson, un pasteur baptiste, fut également recruté comme spécialiste de l’administration caritative au sein du département. Sous la direction de Small, le département de sociologie de Chicago connut une croissance rapide dans les années 1890 et forma la première génération de doctorants en sociologie en Amérique du Nord (Abbott, 1999).

Parmi ces premiers doctorants à Chicago figurait une Canadienne, Annie Marion MacLean, qui obtint sa maîtrise en 1897 et son doctorat en 1900. MacLean est née en 1869 sur l’Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.), au Canada. Ses grands-parents ont immigré d’Écosse à l’Î.-P.-É. en 1829 et se sont installés dans ce qui était alors « une forêt, où ils ont sans doute connu de nombreuses difficultés et n’ont joui que de peu ou pas de luxe » (Deegan, 2014 : 13). MacLean fréquente une école préparatoire affiliée à l’Église baptiste et termine ses études de premier cycle et de deuxième cycle à l’Université Acadia de Wolfville, en Nouvelle-Écosse. Elle souhaite poursuivre ses études supérieures à l’Université de Chicago après en avoir entendu parler par son frère, Haddon MacLean. Cependant, après avoir été admise au programme de doctorat en sociologie en 1894, Annie Marion MacLean a mis deux ans à « rassembler suffisamment de ressources, en enseignant au Mt. Carrol Seminary dans l’Illinois, avant de pouvoir commencer ses études doctorales » (Forbes, 1900 : 303 ; cité dans Deegan, 2014 : 3).

Annie et Haddon MacLean ont tous deux étudié à l’université de Chicago au milieu des années 1890. Haddon a commencé ses études supérieures en 1892, a travaillé comme secrétaire à l’information et aux échanges en 1896, puis est devenu directeur des bâtiments et des terrains en 1903 (Deegan, 2014 : 25). En 1896, Annie Marion MacLean rejoint son frère à l’université en tant qu’étudiante à temps plein en sociologie et étudie avec Charles R. Henderson, Albion W. Small, George E. Vincent, W. I. Thomas et Charles Zueblin (Deegan, 2014 : 33). George Herbert Mead fit partie du comité de maîtrise de MacLean et, en 1897, elle devint la première femme à obtenir une maîtrise en sociologie à l’université de Chicago (Faris, 1967 : 141). Sa thèse, intitulée « Factory Legislation for Women in the United States » (La législation sur les usines pour les femmes aux États-Unis), fut publiée dans l’American Journal of Sociology en 1897 (MacLean, 1897).

MacLean passa l’année universitaire 1897-1898 à collecter des données pour sa thèse de doctorat au Canada. Son alma mater, l’université Acadia en Nouvelle-Écosse, l’accueillit et elle y donna des conférences sur « A People within Our Borders, or the Acadians of To-Day » (Un peuple à l’intérieur de nos frontières, ou les Acadiens d’aujourd’hui) le 14 mars 1898 (Deegan, 2014 : 33). Sur la base de ses travaux sur le terrain en Nouvelle-Écosse, MacLean a terminé sa thèse intitulée The Acadian Element in the Population of Nova Scotia (L’élément acadien dans la population de la Nouvelle-Écosse) en 1900. Pendant la rédaction de sa thèse de doctorat, elle a publié un autre article dans l’American Journal of Sociology sur « Factory Legislation for Women in Canada » (La législation sur le travail des femmes dans les usines au Canada) (MacLean, 1899), une étude parallèle à son article précédent sur les États-Unis. S’appuyant sur des statistiques provenant des sept provinces canadiennes (Colombie-Britannique, Manitoba, Nouveau-Brunswick, Nouvelle-Écosse, Ontario, Île-du-Prince-Édouard et Québec) et des territoires, ainsi que sur la législation du travail au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, en Ontario et au Québec, MacLean a fourni la première analyse sociologique des conditions de travail des femmes canadiennes.

Annie Marion MacLean est devenue la deuxième femme à obtenir un doctorat en sociologie à l’université de Chicago. En tant que l’une des « nouvelles femmes » de la fin du XIXe siècle « qui voulaient faire entrer les femmes dans la vie publique et leur assurer l’égalité sociale avec les hommes » (Deegan, 2014 : 2), elle s’est engagée dans le mouvement Hull House, où des féministes telles que Jane Addams et Florence Kelley cherchaient à unir les idées et l’action dans une communauté démocratique et coopérative (Schneiderhan, 2011). MacLean a adopté cette approche holistique de la sociologie et ses études sur la législation relative aux usines au Canada et aux États-Unis ont été manifestement influencées par le programme de Hull House visant à améliorer les conditions de travail, en particulier le travail de Florence Kelley. Kelley a non seulement façonné la thèse de maîtrise de MacLean sur la législation relative aux usines pour les femmes, mais elle lui a également donné l’occasion d’étudier les conditions de travail à Chicago et à New York (Deegan, 2014). MacLean, Addams, Kelley et d’autres féministes de Hull House « ont formé un réseau étroitement tissé de chercheurs et de militants intéressés par des sujets similaires, la justice sociale et ce qui a finalement émergé comme l’État-providence féministe pragmatique aux États-Unis » (Deegan, 2014 : 74).

En outre, MacLean est également reconnue pour son utilisation de l’observation participante ainsi que de méthodologies qualitatives, expérientielles et quantitatives. Elle est considérée comme « la mère de l’ethnographie » par Hallett et Jeffers (2008) pour avoir introduit les méthodologies ethnographiques dans cette discipline. Cependant, Deegan et al. (2009 : 656) critiquent ce point de vue, estimant qu’il ne permet pas de situer « pleinement ou correctement » « la carrière de MacLean dans la division sociologique du travail entre les sexes » et affirment que les travaux de MacLean ont été fortement influencés par Harriet Martineau, une ethnographe féministe qui a rédigé le premier manuel de méthodes et d’ethnographie intitulé Society in America.

Il convient également de noter que les liens religieux et familiaux ont joué un rôle essentiel dans l’engagement de MacLean auprès de l’université de Chicago à ses débuts. Ayant grandi dans une famille baptiste, MacLean partageait le même héritage religieux que plusieurs fondateurs de l’université de Chicago et de son département de sociologie, notamment William Rainey Harper, Albion Small et Charles R. Henderson, ainsi que les bailleurs de fonds de l’université, John D. Rockefeller et l’American Baptist Education Society. C’est ce réseau religieux qui l’a amenée à Chicago. Plus tard, elle a noué des liens familiaux plus étroits avec Small par l’intermédiaire de son frère Haddon. Haddon a épousé Pearle Harris et le frère de Pearl, Hayden Bartlett Harris, a épousé la fille d’Albion Small, Lina, faisant ainsi de Lina et Haddon des beaux-frères et belles-sœurs. Comme l’écrit Deegan (2014 : 27), « il est significatif que la fille du directeur de thèse d’Annie soit également la belle-sœur du frère d’Annie ».

MacLean espérait retourner au Canada après ses études doctorales, mais sa carrière fut gravement perturbée par la maladie. Bien qu’elle ait enseigné à l’université de Chicago en tant que professeure adjointe de sociologie au département d’études à domicile de 1903 à 1934, MacLean fut en mauvaise santé pendant de nombreuses années. C’est son frère Haddon qui prit en charge ses frais médicaux. Malgré sa maladie, MacLean publia huit livres et de nombreux articles, dont un autre article dans l’American Journal of Sociology intitulé « Significance of the Canadian Migration » (MacLean, 1905). Dans cet article, elle présentait des statistiques sur les immigrants canadiens aux États-Unis et abordait les questions des relations entre le Canada et les États-Unis et de l’identité canadienne britannique. Dans une certaine mesure, cet article était une réflexion sur sa propre expérience d’immigrante, aspirant à « former une seule famille » avec « les Canadiens au pays, les Canadiens aux États-Unis et les citoyens américains » (MacLean, 1905 : 823).

En tant que pionnière dans le voyage des Canadiens du Nord vers la ville, MacLean s’est engagée non seulement dans une école de sociologie de Chicago, mais dans plusieurs écoles en devenir. Parmi ses mentors figuraient non seulement les fondateurs du département de sociologie, tels que Small, Mead et Thomas, mais aussi Jane Addams et d’autres femmes universitaires de la Hull House. Contrairement aux générations suivantes de Canadiens à Chicago, dont les travaux universitaires portaient clairement la marque d’un style particulier de sociologie, les écrits de MacLean étaient pluralistes sur le plan méthodologique et ambigus sur le plan théorique. Son orientation intellectuelle était toutefois manifestement progressiste, sans doute grâce à ses interactions avec les femmes et les hommes du pragmatisme américain qui prônaient la « (re)construction de la citoyenneté, de la démocratie et de la paix » (Schneiderhan, 2011 : 592).

L’écologiste humain : Roderick Duncan McKenzie

Deux autres Canadiens ont rapidement apporté une contribution significative à l’histoire de l’école de Chicago. Ernest Watson Burgess, né à Tilbury, en Ontario, en 1886, a émigré aux États-Unis avec ses parents en 1888. Il a poursuivi des études supérieures au département de sociologie de 1908 à 1913. En 1916, trois ans après avoir obtenu son doctorat, Burgess est revenu au département en tant que membre du corps professoral, où il est resté jusqu’à sa retraite. Bien qu’il ait passé la majeure partie de sa vie aux États-Unis, Burgess a conservé sa citoyenneté canadienne et n’est devenu citoyen américain que tard dans sa vie. Roderick Duncan McKenzie, né à Carman, au Manitoba, en 1885, est arrivé à Chicago en 1913 après avoir terminé ses études à l’Université du Manitoba. Alors que Burgess était canadien de naissance, McKenzie a passé les 28 premières années de sa vie au Canada. Cette section se concentrera donc davantage sur les contributions de McKenzie à l’école de Chicago.

Burgess et McKenzie se sont rencontrés pour la première fois à l’université d’État de l’Ohio en 1915, où McKenzie enseignait l’économie et la sociologie pendant ses études de doctorat, tandis que Burgess était professeur assistant. Après le retour de Burgess à Chicago en 1916, les deux hommes ont collaboré étroitement avec Robert E. Park pour développer ce qui allait devenir l’« écologie humaine » (Park et al., 1967 ; Hawley, 1986). Bien que Park et Burgess aient reçu la plupart des honneurs pour cette approche, en partie grâce à leur manuel influent, Introduction to the Science of Sociology(Park et Burgess [1921], 1969), c’est McKenzie qui a été le premier à utiliser le terme « écologie humaine » dans sa thèse de doctorat, The Neighborhood: A Study of Local Life in the City of Columbus, Ohio, publiée sous forme de cinq articles dans l’American Journal of Sociology en 1921-1922 (McKenzie, 1923).

Il est important de noter que l’écologie humaine, concept phare de la première école de Chicago, a non seulement été inventé par un Canadien, mais qu’il s’inspire également des recherches menées par McKenzie à Columbus, dans l’Ohio. Bien que cette étude ait été largement « oubliée » par les générations suivantes de sociologues urbains (Parker, 2020), elle remet en question l’idée répandue selon laquelle les contributions de l’école de Chicago ont principalement été développées dans la ville de Chicago grâce à des travaux ethnographiques menés sur place. Dans son étude, McKenzie a examiné la vie communautaire, la désintégration et la reconstruction sociale d’un quartier urbain de Columbus, ainsi que la mobilité de sa population. Comme le soutient Parker (2020), les conclusions de McKenzie ont fourni des preuves empiriques au modèle des zones concentriques de Burgess (1967), notamment dans le paragraphe suivant :

« La population de toute ville est répartie en fonction du statut économique dans des zones résidentielles où les loyers varient en fonction de la valeur des biens immobiliers. Le revenu familial tend à séparer la population d’une ville en différents quartiers économiques, tout comme le prix des billets de théâtre divise le public en plusieurs strates économiques et sociales distinctes. » (McKenzie, 1921 : 152).

En outre, McKenzie a étudié le quartier en tant qu’« unité de réforme sociale et politique » (McKenzie, 1922 : 780), démontrant comment la ségrégation des électeurs correspondait aux « regroupements naturels de la population » (McKenzie, 1922 : 797). Ces regroupements naturels étaient toutefois de plus en plus mobiles et transitoires, manquant de la stabilité d’une communauté traditionnelle. Comme il le commentait dans le paragraphe conclusif de son étude :

« Même si nous idéalisons les valeurs de solidarité sociale du quartier traditionnel et aspirons à leur retour, il n’en reste pas moins que notre ordre social a profondément changé par rapport à la vie organique des anciens hameaux ou villages. Les mouvements bouillonnants de la population ne montrent aucun signe d’essoufflement. La vie communautaire est de plus en plus mobile et transitoire… Tout cela fait partie de la phase dynamique de l’ordre économique et social dans lequel nous vivons actuellement. Avec ce changement, nous perdons sans doute certaines des valeurs qui accompagnaient la solidarité, mais, d’un autre côté, nous gagnons beaucoup grâce à la souplesse même de la structure sociale actuelle. » (McKenzie, 1922 : 799).

Il est difficile de déterminer dans quelle mesure le point de vue de McKenzie sur la structure sociale très mobile de la société américaine du début du XXe siècle a été influencé par sa propre expérience migratoire du Canada vers les États-Unis. Comparées aux communautés rurales du Manitoba, où il a grandi en tant que « fils d’agriculteurs écossais de noble lignée » (Hawley, 1968 : viii), Chicago et Columbus représentaient toutes deux des sociétés plus grandes et plus transitoires, dépourvues de « vie organique », mais pleines d’énergie et de possibilités. Cette vision dynamique et mobile de la société est devenue plus tard une caractéristique de l’approche sociologique de l’école de Chicago, à laquelle McKenzie a apporté une contribution durable. Elle fait également écho à la description de la vie urbaine faite par Simmel dans son ouvrage fondateur, « La métropole et la vie mentale » (Simmel, 1971).

Dans son article de 1924, McKenzie a donné la définition classique de l’écologie humaine comme « l’étude des relations spatiales et temporelles des êtres humains sous l’influence des forces sélectives, distributives et accommodantes de l’environnement » (McKenzie, 1924 : 288). Bien que les idées qui sous-tendent cette perspective sociologique révolutionnaire aient été développées conjointement par Park et al. (1967), ni Park ni Burgess n’ont formulé de déclarations définitives sur l’écologie humaine comme l’a fait McKenzie. Comme l’a commenté Hawley (1968 : xi), « l’esprit très imaginatif et agité de Park était impatient face aux détails et à la rigueur d’un raisonnement rigoureux », tandis que « Burgess, en revanche, était irrésistiblement attiré par des problèmes empiriques spécifiques ». En revanche, McKenzie a non seulement fourni une définition, mais a également décrit de manière systématique le champ d’application de l’écologie humaine. Cela comprend la distribution écologique, les unités écologiques, la mobilité et la fluidité, la distance écologique, les facteurs écologiques et les processus écologiques (McKenzie, 1968). Les processus écologiques englobent la concentration, la spécialisation, la dispersion, la centralisation, la ségrégation, l’invasion et la succession, qui « opèrent tous au sein d’une base structurelle plus ou moins rigide » (McKenzie, 1968 : 32).

Comparée au modèle classique de zones concentriques de croissance urbaine de Burgess (1967), l’approche écologique de McKenzie est sans doute plus dynamique. Alors que le modèle de Burgess présente une configuration spatiale relativement stable (par exemple, le quartier central des affaires, la zone de transition, les logements ouvriers, la zone de banlieue, etc.), McKenzie se concentre sur les processus de changement au sein de la ville et de ses quartiers. Par exemple, il a longuement discuté des processus d’invasion, d’accommodation et de succession dans le développement urbain, en partant du principe que les quartiers et les groupes ethniques sont toujours dans un état de mobilité fluide. Cette divergence entre McKenzie et Burgess, comme l’explique Hawley (1968 : xvi), pourrait s’expliquer par le fait que « McKenzie, ayant déjà commencé sa carrière d’enseignant, a rédigé sa thèse in absentia ». En d’autres termes, bien qu’il ait été l’un des membres fondateurs de l’école de Chicago, McKenzie n’a pas passé beaucoup de temps dans cette ville. Burgess et McKenzie sont certes devenus « des amis proches et des collègues à la faculté de l’université d’État de l’Ohio » (Hawley, 1968 : xvi), mais leurs expériences de recherche à l’université de Chicago ne se sont pas chevauchées.

Après avoir obtenu son doctorat en 1920, McKenzie obtint un poste de professeur à l’université de Washington et passa les dix années suivantes à Seattle. Pendant cette période, il appliqua l’approche écologique à la région de Puget Sound, examinant les processus de ségrégation, de concentration, d’intégration et de sélection régionaux, qu’il décrivit comme « les étapes successives de la croissance régionale » (McKenzie, 1968 : 242). Il a également publié un rapport commandé intitulé Oriental Exclusion (McKenzie, 1927), qui traitait des conditions de vie des migrants orientaux aux États-Unis. Ce rapport « a été largement salué pour avoir rétablit la vérité sur les contributions des Orientaux à ce pays et mis en évidence les effets néfastes de la législation sur l’exclusion » (Hawley, 1968 : x). Au cours du trimestre d’été 1925, McKenzie retourna à l’université de Chicago et donna deux cours : « La famille » (Sociologie 351) et « Écologie humaine » (Sociologie 361) (université de Chicago, 1925 : 161).

En 1930, McKenzie rejoignit l’université du Michigan pour diriger son nouveau département de sociologie. Jusqu’à sa mort en 1940, McKenzie travailla à la publication d’un traité sur l’écologie humaine. On pense que l’idée de ce traité « germa dans l’esprit de McKenzie dès 1924 » et qu’il accepta « la demande de Park de le nommer coauteur du livre » (MacDonald, 2011 : 282). Cependant, « Amos Hawley affirmait que McKenzie et Park s’étaient disputés au sujet de l’utilisation présumée par Park de documents que McKenzie lui avait remis », ce qui est corroboré par le fait qu’il n’existe « aucune trace de correspondance » entre Park et McKenzie après la publication de l’article de Park intitulé « Human Ecology » dans l’American Journal of Sociology en 1936 (MacDonald, 2011 : 282). Finalement, un livre sur l’écologie humaine a été rédigé par Hawley, un doctorant de McKenzie (1950). Cependant, Hawley n’a pas mentionné McKenzie comme coauteur, car « le travail de McKenzie sur le livre se limitait à des notes sommaires », et ces notes « ont été détruites dans un incendie qui a ravagé le bâtiment abritant le bureau de Hawley à l’université du Michigan en 1950 » (MacDonald, 2011 : 282).

Ainsi, tandis que Park et Burgess fondaient l’école de Chicago et formaient une génération d’ethnographes urbains à l’université de Chicago, McKenzie suivait une voie différente dans les États de l’Ohio, de Virginie occidentale, de Washington et du Michigan. Bien qu’il fût un membre éminent de l’école de Chicago, McKenzie passa peu de temps à Chicago et développa son propre programme de recherche sur l’écologie humaine. Bien que McKenzie ait souvent été considéré comme un élève de Park et Burgess, il était d’un an l’aîné de Burgess et pouvait être considéré comme son égal sur le plan intellectuel. Néanmoins, ses contributions à la théorie sociologique ont été éclipsées par celles de Park et Burgess. Alors que l’écologie humaine est devenue un domaine d’étude à part entière, le nom de McKenzie a été largement oublié par les sociologues contemporains.

Le pont du milieu du siècle : Everett Hughes et Helen Hughes

Parmi les étudiants de Park à l’université de Chicago se trouvait un couple qui s’était rencontré pendant ses études supérieures : Everett Cherrington Hughes et Helen MacGill Hughes. Everett Hughes est né en 1897 à Beaver, dans l’Ohio, d’un « pasteur méthodiste cultivé et très lis Everett et ceux qui le connaissaient associaient son inspiration pour l’écriture et la sociologie à son enfance marginale. Son père était victime de l’intolérance religieuse et raciale du Ku Klux Klan parce qu’il était « ami des nègres » et doutait de la Bible (Riesman, 1983). Helen Hughes, quant à elle, était une femme blanche anglo-saxonne protestante (WASP) née et élevée à Vancouver par Helen Gregory MacGill, une féministe pionnière et l’une des premières femmes juges au Canada. Helen a étudié l’économie et l’allemand à l’Université de Colombie-Britannique, mais c’est au cours de sa dernière année qu’elle s’est intéressée à la sociologie (Hughes, 1977). Au cours de son dernier semestre, elle obtint une bourse pour étudier à la Carola Woerishoffer School of Economics du Bryn Mawr College, mais elle y renonça après la visite de Robert E. Park, qui menait une enquête sur les relations raciales sur la côte ouest (Hughes, 1977). Park convainc Helen de s’inscrire plutôt à l’université de Chicago : « Nous lançons un nouveau programme de recherche, et vous y apprendrez davantage sur les sujets qui vous intéressent qu’à Bryn Mawr. » (Hughes, 1977 : 75) À son arrivée à Chicago en 1925, Helen rencontre Everett Hughes, qui prépare un doctorat sous la direction de Park.

En 1927, Helen a terminé sa thèse de maîtrise intitulée « Land Values as an Ecological Factor in the Community of South Chicago » (La valeur foncière en tant que facteur écologique dans la communauté du sud de Chicago) (Hughes, 1927). Elle était « la seule femme parmi six ou sept étudiants masculins » (Eichler, 2001 : 381). Cette thèse est un exemple typique de l’ethnographie de l’école de Chicago des années 1920. Elle commence par une présentation détaillée des quartiers et des groupes ethniques du sud de Chicago, suivie d’une analyse de la façon dont la valeur foncière fluctue et diminue à mesure que l’on s’éloigne du centre-ville. Dans le chapitre conclusif, Helen applique le modèle des zones concentriques de Burgess et discute du « caractère organique de la ville » (Hughes, 1927 : 99).

En 1927, Helen et Everett se marièrent à Vancouver, et Everett Hughes commença sa première carrière universitaire à l’Université McGill, au Québec. L’année suivante, Everett soutint sa thèse de doctorat intitulée The Growth of an Institution: The Chicago Real Estate Board (Hughes, 1931). Helen a poursuivi ses études de doctorat sous la supervision de Park, alternant entre Montréal et Chicago afin de satisfaire aux exigences de résidence de l’Université de Chicago, jusqu’à l’obtention de son diplôme en 1937 (Hughes, 1977). Sa thèse de doctorat, intitulée News and the Human Interest Story: A Study of Popular Literature (Hughes, 1940), a été publiée par les Presses de l’Université de Chicago en 1940.

Les années qu’Everett Hughes a passées au Québec ont été déterminantes pour sa carrière. Le département de sociologie de l’Université McGill a été fondé en 1925 par Carl A. Dawson, un Canadien qui a d’abord étudié la théologie à la Divinity School de l’Université de Chicago avant de s’orienter vers la sociologie, s’alignant sur l’école émergente de Chicago, en particulier Park et Burgess (Shore, 1985). L’arrivée d’Helen et d’Everett Hughes en 1927 a consolidé l’influence dominante de l’école de Chicago sur les débuts de la sociologie canadienne. Comme l’indique le site web du département de sociologie de l’Université McGill, « Au cours de la première partie de cette période (les années 1920 et 1930), le centre mondial de la sociologie était l’Université de Chicago ». Dawson a présidé le département jusqu’en 1952, période durant laquelle de nombreux sociologues formés à l’Université de Chicago ont rejoint le corps professoral, notamment Forrest LavioletteNote de bas de page 1, Aileen RossNote de bas de page 2, Nathan KeyfitzNote de bas de page 3, William WestleyNote de bas de page 4, David SolomonNote de bas de page 5 et Fred ElkinNote de bas de page 6. Alors que Ross, Keyfitz et Solomon étaient des Canadiens qui avaient étudié à l’Université de Chicago, Laviolette, Westley et Elkins étaient des Américains qui avaient quitté Chicago pour s’installer à Montréal après avoir obtenu leur doctorat. Il n’est pas exagéré de dire que les sociologues formés à Chicago ont joué un rôle central dans l’établissement de la sociologie canadienne, l’Université McGill servant de centre névralgique pour les idées et les activités de recherche jusqu’à ce que l’Université de Toronto et d’autres institutions prennent de l’importance dans l’après-guerre (Brym, 2002 ; Cormier, 2002).

Pendant son séjour au Québec, Everett Hughes s’est efforcé de s’immerger dans la culture canadienne-française. Il « était fasciné par la survie des Canadiens français » (Fournier, 2002 : 45) et critiquait l’Université McGill pour ne pas offrir « aucune possibilité d’observer sur le terrain la langue et la culture canadiennes-françaises » (Chapoulie, 1996 : 14). Il est même allé jusqu’à s’installer dans un quartier francophone et a engagé un tuteur de français pour l’aider dans ses recherches (Hughes, 1970). Finalement, son poste d’enseignant à l’Université Laval lui a permis de « vivre le français » (Hughes, 1970 : 14). L’exposition à un environnement multilingue a inspiré l’intérêt de Hughes pour l’influence de l’industrialisation et de l’urbanisation sur la manière dont différents groupes de personnes se rassemblaient (Riesman, 1983). Il a mené des travaux de terrain sur les effets de l’industrialisation à Drummondville, une petite ville du Québec qu’il appelait « Cantonville » (Hughes, 1943). Ces recherches, menées conjointement avec Helen Hughes, ont abouti à son ouvrage classique intitulé French Canada in Transition, publié pour la première fois par les Presses de l’Université de Chicago en 1943 (Hughes, 1943).

Cet ouvrage est peut-être la deuxième étude majeure de l’école de Chicago sur le Canada, après la thèse de doctorat d’Annie Marion MacLean sur la Nouvelle-Écosse. L’influence de l’approche écologique de Robert E. Park est évidente tout au long du livre ; en fait, Hughes a dédié son ouvrage à Park. L’analyse de Cantonville par Hughes englobe non seulement les caractéristiques des groupes et les interactions sociales entre les populations française et anglaise, mais aussi leurs différences religieuses et professionnelles.

Cette orientation reflète son intérêt de longue date pour la sociologie du travail et des professions, qui a influencé des générations de sociologues de l’école de Chicago, notamment Howard Becker, Eliot Freidson et Andrew Abbott. Après une étude approfondie de Cantonville dans la deuxième partie, Hughes s’est intéressé à Montréal dans la troisième partie, où il a examiné l’économie et le mode de vie des Canadiens français urbains par rapport à ceux des habitants des zones rurales et des Anglais. Le chapitre sur Montréal évoque parfois l’essai fondateur de Simmel (1971) intitulé « La métropole et la vie mentale ». Associé à la thèse de McKenzie évoquée précédemment, cela montre clairement l’influence durable de Simmel sur les sociologues de l’école de Chicago.

Dans le chapitre conclusif, intitulé « Le Québec cherche un bouc émissaire », Hughes affirme que « compte tenu de la mentalité défensive face à la pression et à l’influence étrangères engendrée par un siècle et demi d’existence en tant que minorité, il est tout à fait naturel que les Canadiens français voient la main des étrangers culturels dans toutes leurs difficultés » (Hughes, 1943 : 217). Outre « la conquête militaire » et « les invasions commerciales » du passé, la révolution industrielle en cours « déplace des masses de population des campagnes vers les villes, bouleverse l’équilibre des classes, porte atteinte au contenu et aux objectifs mêmes de l’éducation et menace un mode de vie qui, dans le passé, a apporté confort et profonde satisfaction à ses adeptes » (Hughes, 1943 : 217). Cette insistance sur l’impact de la modernité sur les valeurs et les modes de vie traditionnels fait écho à la conclusion de McKenzie dans son étude sur Colomb (citée plus haut). Cependant, comparé à la vision optimiste du changement de McKenzie, Hughes semble plus sympathique au statut minoritaire persistant des Canadiens français et à la désorganisation de leur vie pendant l’industrialisation et l’urbanisation.

Les recherches de Hughes ont influencé toute une génération de sociologues québécois, connus sous le nom d’« école Laval (Québec) », dont les études rejetaient « un nationalisme ethnocentrique au profit de la modernité » et se concentraient sur « l’antinomie entre la civilisation urbaine américaine et l’identité religieuse et culturelle des Français » (Fournier, 2002 : 46). Jean-Charles Falardeau, « premier sociologue francophone du Québec », « élève de Park et Burgess à l’Université de Chicago et « héritier » d’E. C. Hughes », était une figure de proue de cette école (Fournier, 2002 : 46). Les travaux de Falardeau « ont mis en évidence l’« infériorité » des Canadiens français et ont fourni une justification à deux mouvements « nationalistes » » (Fournier, 2002 : 46-47) au Québec dans les années 1960.

En 1938, un an après l’obtention de son doctorat par Helen Hughes, Everett Hughes s’est vu offrir un poste de professeur à l’université de Chicago. Par conséquent, le couple quitte Montréal pour retourner à Chicago. Everett Hughes est largement reconnu comme un pont essentiel au milieu du siècle entre la première école de Chicago et les sociologues formés à l’Université de Chicago dans les années 1940 et 1950 (Chapoulie, 1996), dont plusieurs Canadiens notables, notamment Erving Goffman. Les travaux de la deuxième école de Chicago de l’après-guerre trouvent en partie leur origine dans l’enseignement et les recherches de Hughes (Chapoulie, 1996). Cependant, Hughes lui-même rejetait l’idée d’une école de Chicago distincte. Dans une conversation avec Herbert Blumer, il déclara : « Je n’aime pas l’idée de parler d’une école de Chicago ou de tout autre type d’école… allez-y, soyez une école de Chicago si vous voulez. » (Lofland, 1980 : 276-277) Il aurait également détesté être considéré comme un disciple ou un membre de l’école de Chicago (Helmes-Hayes, 1998).

Pendant cette période, Helen Hughes a donné naissance à deux filles, en 1938 et 1940. Elle est ensuite devenue rédactrice en chef de l’American Journal of Sociology, où elle a débuté comme assistante de rédaction en 1944 à l’invitation de Herbert Blumer, avant de devenir rédactrice en chef de 1955 à 1961. Dans un article ultérieur intitulé « Maid of All Work or Department Sister-in-Law? The Faculty Wife Employed on Campus », Helen qualifie cette période de « 17 années gratifiantes et non rémunérées » et la décrit comme « un exemple parfait de la Kreuzung sozialer Kreise (l’interaction des cercles sociaux) » de Simmel (Hughes, 1973 : 767, 771). En effet, elle n’était pas seulement l’épouse d’Everett Hughes, mais aussi une étudiante de Burgess et une camarade de Blumer, Wirth et Hughes, qui ont tous occupé le poste de rédacteur en chef de l’AJS pendant son mandat. Néanmoins, elle soulignait également que « [c]’était clairement le résultat du sexisme » (Hughes, 1973 : 772).

De 1938 jusqu’à leur retraite, Everett et Helen Hughes ont maintenu des liens étroits avec le Canada et sa discipline émergente, la sociologie. Même dans les années 1960, ils lisaient encore The Montreal Star et assistaient aux réunions des sociétés savantes canadiennes. Dans son essai de 1970 intitulé « Teaching as Fieldwork », Everett Hughes a fait allusion à l’émergence d’une sociologie canadienne distincte. Après que ses étudiants lui eurent reproché de leur assigner des publications américaines et britanniques, Hughes s’est adapté en s’engageant dans ce qu’il a appelé la « sociologie canadienne », un concept qu’il attribuait à Carl Dawson. Il encourageait ses étudiants à rédiger des rapports sur leurs propres communautés et familles (Hughes, 1970 : 14). Selon Hughes, les différences subtiles entre la sociologie américaine et la sociologie canadienne trouvaient leur origine dans les efforts respectifs de ces deux pays en faveur de l’émancipation. Au Canada, les étudiants se concentraient sur l’émancipation vis-à-vis des contraintes culturelles ou religieuses, tandis qu’à Chicago, les étudiants étaient « toujours en quête d’émancipation », même onze ans après la réalisation de travaux sur le terrain similaires au Canada (Hughes, 1970 : 14). Bien que Hughes ne discute pas explicitement d’une influence potentielle du Canada sur la sociologie américaine, il conclut son essai en soulignant la nécessité de relations d’enseignement et d’apprentissage flexibles qui s’adaptent à l’évolution du climat sociopolitique – une approche qui pourrait avoir été inspirée par ses expériences d’enseignement au Québec.

L’écrivain crypto-biographique : Erving Goffman

Dans l’après-guerre, l’un des Canadiens les plus éminents à avoir étudié la sociologie à l’université de Chicago était sans doute Erving Goffman. Malgré l’abondante littérature sur les contributions de Goffman à la sociologie, sa biographie reste peu explorée en raison de son aversion pour la divulgation de sa vie privée (Winkin, 1999 ; Jacobsen & Kristiansen, 2015). Il a d’ailleurs déclaré un jour : « Seul un imbécile étudie sa propre vie » (Shalin, 2014 : 2-3). Néanmoins, comme le soutient Dmitri N. Shalin, « une grande partie des écrits de Goffman est crypto-biographique » et « son imagination sociologique s’inspire de son expérience personnelle » (Shalin, 2014 : 3). Son livre Asylums: Essays on the Condition of the Social Situation of Mental Patients and Other Inmates (Goffman, 1961) ou son essai autobiographique « The Insanity of Place » (Goffman, 1969), qui reflète probablement son expérience auprès de sa femme atteinte de troubles mentaux dans un établissement psychiatrique du Maryland, bien qu’il n’en fasse pas explicitement mention dans le livre, en sont des exemples notables. De même, les premières années de Goffman au Canada et ses interactions avec Everett Hughes ont considérablement influencé ses travaux ultérieurs en tant que sociologue. Cette section se concentrera sur cet aspect, d’autant plus qu’il existe une littérature abondante sur sa vie et son œuvre ultérieures en tant qu’homme de la classe moyenne vivant aux États-Unis.

Erving Goffman est né à Manville, en Alberta, le 11 juin 1922, dans une famille d’immigrants juifs originaires d’Ukraine. Son père, Max Goffman, « a servi comme conscrit juif dans l’armée russe » (Jacobsen & Kristiansen, 2015 : 12) et, après avoir émigré de Novokrainka à Winnipeg, gagnait sa vie en « vendant des articles de mercerie et en s’essayant à la bourse » (Shalin, 2014 : 12). Pendant l’enfance de Goffman, sa mère montait des pièces de théâtre amateur et sa sœur, Frances Goffman Bay, est finalement devenue actrice professionnelle. Erving Goffman « a lui-même participé à une mise en scène de Hamlet au lycée » (Shalin, 2014 : 4). Après avoir obtenu son diplôme du lycée technique St. John’s en 1939 et étudié la chimie à l’université du Manitoba, il a travaillé pour l’Office national du film du Canada à Ottawa en 1943 avant d’entrer à l’université de Toronto pour étudier la sociologie en 1944. Il est plausible que ces premières expériences avec le théâtre et le cinéma aient influencé le développement de ses concepts dramaturgiques dans son premier livre, The Presentation of Self in Everyday Life (Goffman, 1959).

Cependant, Goffman n’a pas interrompu ses études universitaires à Winnipeg par passion pour le théâtre ou le cinéma. Il cherchait plutôt à éviter d’être enrôlé dans l’armée, comme son père l’avait été. Étant un homme juif de petite taille, il craignait de devenir « une cible pour le bizutage s’il était dans l’armée » et a donc accepté un emploi dans la fonction publique à Ottawa (Wrong, 2010 ; Shalin, 2014 : 6). Son parcours vers la sociologie fut tout aussi fortuit. Alors qu’il travaillait à l’Office national du film, Goffman rencontra Dennis Wrong, un étudiant de premier cycle à l’université de Toronto qui y occupait un emploi d’été en 1944. Lorsque Goffman mentionna à Wrong qu’il ne souhaitait pas retourner à l’université du Manitoba pour étudier la philosophie, qu’il trouvait « trop spécialisée à son goût », Wrong lui suggéra : « Pourquoi ne pas essayer la sociologie ? » (Wrong, 2010). Un an plus tard, en 1945, Goffman et Wrong obtiennent tous deux une licence en sociologie et anthropologie à l’université de Toronto. Ils poursuivent ensuite leurs études de doctorat aux États-Unis, respectivement à l’université de Chicago et à l’université Columbia, et deviennent finalement des sociologues américains d’origine canadienne influents au milieu du XXe siècle.

Outre son expérience du théâtre, l’enfance de Goffman, garçon juif dans une petite ville du Manitoba, a considérablement influencé certaines des idées présentées dans son livre Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity (Goffman, 1963). Comme le note Shalin (2014 : 12), « dissimuler son passé était une pratique courante chez lui, et fuir ses racines juives était une véritable obsession ». Grandir dans une famille juive de statut social modeste dans une petite ville canadienne dans les années 1920 et 1930 a été une expérience stigmatisante, « où parler une autre langue était synonyme d’homosexualité » (Hymes [1984] 2000 : 628). Ce n’est pas un hasard si Goffman a ensuite développé le concept de « stigmatisation tribale », qui désigne le type de stigmatisation « qui peut se transmettre par les lignées et contaminer de manière égale tous les membres d’une famille » (Goffman, 1963 : 4). Son enfance marginalisée, comme le soutient Shalin (2014), a contribué à la fois à sa théorie de la stigmatisation et à son premier article « On Cooling the Mark Out » (Goffman, 1952), qui examine comment les escrocs professionnels et d’autres acteurs aident les victimes à s’adapter à l’échec.

Il est également important de reconnaître l’influence significative d’Everett Hughes sur Erving Goffman. La décision de Goffman de poursuivre ses études de doctorat à l’université de Chicago a été prise à la suite d’une « rencontre avec son collègue sociologue canadien Everett C. Hughes » (Jacobsen & Kristiansen, 2015 : 12). Bien que W. Lloyd Warner ait été le principal directeur de thèse de Goffman, Hughes a également été un mentor important pendant ses années à Chicago. Goffman s’est inscrit au séminaire de Hughes sur le travail et les professions, « où il a entendu pour la première fois l’expression « institutions totales » » (Fine & Manning, 2003 : 35). Dans une interview accordée en 1980, Goffman déclarait : « Mes professeurs étaient Park, Burgess et Louis Wirth. Puis, plus tard, Everett Hughes. » (Verhoeven, 1993 : 321)Note de bas de page 7 Il est intéressant de noter que Goffman rejetait l’étiquette d’« interactionnisme symbolique » souvent associée à lui, se décrivant plutôt comme « un ethnographe urbain hughésien ». Aux côtés de Howard Becker, Joseph Gusfield, Eliot Freidson et d’autres, il a identifié cette génération de doctorants de Chicago comme des « sociologues d’entités à petite échelle telles que les professions, avec une perspective hughésienne, qualitative et ethnographique » (Verhoeven, 1993 : 318-319).

Dans la même interview, Goffman se souvient de l’orientation intellectuelle de l’université de Chicago dans les années 1940 : « Quand j’étais à Chicago dans les années 40, on pouvait encore combiner beaucoup de choses différentes : l’écologie et l’organisation sociale, l’analyse des classes et Warner, etc. Tout le monde lisait tous les articles des revues, on suivait des cours dans tous les domaines, on ne traçait pas de frontières » (Verhoeven, 1993 : 333) entre la sociologie quantitative et qualitative. Il citait Hughes comme exemple de cet éclectisme méthodologique : « Mais Everett Hughes, qui incarne lui-même la sociologie ethnographique, utilisait des chiffres chaque fois qu’il en avait l’occasion. Si vous regardez son livre sur le Canada français en transition [1943], vous y trouverez toutes les données quantitatives qu’il pouvait rassembler. La frontière n’était donc pas très nette. » (Verhoeven, 1993 : 334).

Ce lien intrigant entre Hughes et Goffman est largement ignoré dans la littérature abondante sur l’école de Chicago. Alors que Hughes est généralement considéré comme un sociologue du travail et des professions, Goffman est souvent associé à la microsociologie et à l’interactionnisme symbolique. Cependant, au plus profond de leurs orientations intellectuelles se trouve un thème commun influencé par les expériences des deux chercheurs dans la ville et dans le Nord, que Goffman a qualifié d’ethnographie urbaine hughésienne. La contribution significative de Goffman à cette tradition est son exploration des aspects intimes et parfois inconfortables des interactions humaines. La meilleure illustration en est peut-être les commentaires de Hughes sur Goffman dans sa critique de Interaction Ritual: Essays on Face-to-Face Behavior(Goffman, 1967) :

« Goffman et Lorenz travaillent de la même manière. Ils observent avec une intensité agressive le comportement de leurs sujets dans des situations ou des occasions données. L’observation avec une telle intensité constitue en effet une menace pour l’image des sujets observés, s’ils sont des êtres moraux. Chargé d’une connaissance coupable et embarrassante, Goffman sauve la face de tous ceux qui se contentent d’être considérés comme des êtres humains normaux et faillibles. Ceux qui ne peuvent accepter son analyse sont sans doute tentés de se débarrasser de lui et, peut-être, de tous les sociologues. Ceux qui peuvent l’accepter verront leur esprit envahi par des associations libres, des souvenirs embarrassants tirés de leur propre expérience et des incidents corroborants. » (Hughes, 1969 : 426).

Conclusion

Qu’est-ce qui caractérise l’école de Chicago ? Si nous adoptons l’approche interactionniste de l’école de Chicago pour répondre à cette question, nous constatons que cette école de pensée, comme toute autre, est constituée par les chercheurs et les étudiants qui se réunissent et interagissent dans des lieux spécifiques pendant des périodes particulières. Cependant, la ville de Chicago et l’université de Chicago, située dans son quartier sud, ne représentent qu’un des nombreux lieux qui ont contribué à la formation et à la diffusion de l’école de sociologie de Chicago. Dans cet article, nous avons exploré les parcours universitaires de plusieurs sociologues canadiens qui ont étudié à l’Université de Chicago, mais qui ont passé une grande partie de leur carrière et de leur vie dans le Nord et ailleurs, notamment Annie Marion MacLean, Roderick McKenzie, Helen et Everett Hughes, et Erving Goffman.

Si nous disposions de plus d’espace, notre liste pourrait facilement s’allonger pour inclure de nombreux autres étudiants canadiens qui ont poursuivi leurs études à l’Université de Chicago, ainsi que des diplômés de Chicago qui se sont aventurés dans le nord pour enseigner et mener des recherches au Canada. Les expériences de ces chercheurs sont diverses, chacune étant façonnée de manière unique par des circonstances personnelles et des aspirations académiques. Il est souvent difficile de dissocier leurs « expériences canadiennes » de leurs expériences de vie plus larges, car les deux sont intégrées dans leur identité universitaire.

Néanmoins, c’est grâce à leurs contributions universitaires et à leur parcours de vie que l’histoire de l’école de Chicago et celle de la sociologie canadienne se sont profondément entremêlées tout au long du XXe siècle. L’examen du cas du Canada constitue une première étape vers l’élaboration d’une histoire « décentrée » de l’école de sociologie de Chicago, qui dépasse le cadre traditionnel de la « métropole » et met l’accent sur les mouvements et les interactions de ses membres à travers divers lieux géographiques et contextes sociaux au fil du temps.

Cette histoire décentrée peut sembler peu conventionnelle, mais elle est essentielle pour reconnaître pleinement les contributions des sociologues qui sont passés par Chicago mais ont laissé leur empreinte ailleurs. Beaucoup de ces chercheurs ont été oubliés et exclus du « canon » établi de l’école de Chicago (Faris, 1967 ; Bulmer, 1984 ; Abbott, 1999 ; Chapoulie, 2020). Néanmoins, le réseau complexe de cercles sociaux (Simmel, 1955) qu’ils ont construit, aux côtés de ceux qui sont restés à Chicago, s’est étendu bien au-delà des frontières physiques et intellectuelles de la ville ou du Nord. Cet esprit intrépide qui transcende l’espace et le temps est peut-être ce qui définit en fin de compte l’école de Chicago.


Notes

  • Forrest LaViolette (1904-1989) est né à Devil’s Lake, dans le Dakota du Nord, et a grandi dans l’Oregon. Après avoir obtenu une licence en anthropologie en 1933, il a commencé des études supérieures en sociologie à l’université de Chicago. Après avoir terminé sa thèse de doctorat, il a accepté un poste de professeur adjoint de sociologie à l’université McGill en 1940. Pendant l’après-guerre, LaViolette est devenu un fervent défenseur des Canadiens d’origine japonaise et de leurs droits à la citoyenneté.
  • Aileen D. Ross (1902-1995) est née dans une famille aisée de Montréal. Après avoir obtenu son baccalauréat en sciences à la London School of Economics en 1939, elle a poursuivi ses études à l’Université de Chicago, où elle a obtenu une maîtrise en 1941 et un doctorat en sociologie en 1951 avec une thèse sur les relations anglo-françaises au Canada. Ross a commencé sa carrière universitaire pendant la Seconde Guerre mondiale en tant que chargée de cours en sociologie à l’Université de Toronto (1942-1945). Elle a rejoint l’Université McGill en 1944 et a enseigné au département de sociologie jusqu’à sa retraite en 1970.
  • Nathan Keyfitz (1913-2010) était un pionnier de la démographie mathématique. Pendant la Grande Dépression, il a obtenu un baccalauréat en mathématiques à l’Université McGill en 1934, puis a commencé sa carrière professionnelle en tant que statisticien de recherche au Bureau de la statistique du Canada, où il est finalement devenu conseiller statistique principal. En 1951, il a obtenu un doctorat en sociologie à l’Université de Chicago avec une thèse sur la fécondité au Canada. Keyfitz a occupé des postes dans des universités renommées, notamment à Toronto, Montréal, Chicago, Berkeley, Harvard et dans l’État de l’Ohio. Il a enseigné à temps partiel à l’Université McGill pendant son séjour à Montréal. Ses travaux ont contribué à façonner le domaine en illustrant comment des outils mathématiques simples peuvent permettre d’aborder des questions démographiques complexes.
  • William Anthony Westley (1920-2012) a grandi dans la région de New York. Il a poursuivi ses études à l’université Cornell et à l’université de Chicago jusqu’à ce que la Seconde Guerre mondiale interrompe ses études. Après avoir servi dans les services de renseignement pendant la guerre, Westley a obtenu un doctorat en sociologie à l’université de Chicago. En 1951, il s’installe à Montréal pour rejoindre l’Université McGill, où il consacre sa carrière à l’enseignement, à la présidence du département de sociologie et à la direction du Centre des relations industrielles. Entre 1953 et 1957, Westley est notamment membre de la direction de l’Association des professeurs de l’Université McGill, où il contribue à la gouvernance et à la représentation du corps professoral.
  • David Nathan Solomon (1917-1981) était un sociologue et anthropologue canadien dont la carrière universitaire était étroitement liée à l’Université McGill. Solomon a obtenu une licence en sociologie à l’Université McGill en 1939, puis une maîtrise en 1942. Il a poursuivi ses études et obtenu un doctorat en sociologie à l’Université de Chicago en 1952. Après avoir terminé ses études, Solomon a rejoint le corps professoral de l’Université McGill, où il a enseigné la sociologie et l’anthropologie pendant plus de deux décennies et a occupé le poste de directeur du département de sociologie de 1971 à 1975.
  • Fred Elkin (1918-2011) est né à Atlantic City, dans le New Jersey, et a servi dans la division du renseignement d’origine électromagnétique de l’armée américaine pendant la Seconde Guerre mondiale. Après la guerre, il s’est lancé dans une carrière universitaire en sociologie qui l’a amené à exercer une influence considérable sur les sciences sociales au Canada. Elkin a occupé des postes d’enseignement et de recherche dans plusieurs institutions canadiennes prestigieuses, notamment l’Université McGill, l’Université de Montréal et l’Université York. Tout au long de sa carrière, Elkin s’est penché sur des questions cruciales liées aux changements sociaux et à la dynamique familiale au Canada.
  • Il convient de noter que Robert E. Park a pris sa retraite de l’Université de Chicago en 1933 et est décédé en 1944, un an avant que Goffman ne termine ses études de premier cycle à l’Université de Toronto. L’influence de Park sur Goffman s’est donc principalement exercée à travers ses publications et ses étudiants, qui sont ensuite devenus les professeurs de Goffman.

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