Publics imaginaires – sur la transformation structurelle de l’enseignement supérieur et de la science. Une perspective post-Habermas

Georg Krücken

Traduction de l’article Imagined publics – On the structural transformation of higher education and science. A post-Habermas perspective, publié dans le numéro spécial de Philosophy & Social Criticism : Structural Transformation of the Public Sphere.


Résumé

En référence à l’ouvrage fondateur de Habermas, « La transformation structurelle de la sphère publique », cet article examine les transformations contemporaines de l’enseignement supérieur et de la science. Pour ce faire, il développe dans un premier temps une perspective post-habermasienne, qui implique deux changements par rapport aux fondements théoriques de l’analyse de Habermas. D’une part, nous sommes au cœur d’une transformation sociale qui a conduit à une pluralisation des conceptions du public, c’est-à-dire des publics. La représentation de la société dans la société ne trouve plus une forme homogène ; elle n’a lieu que dans le cadre de différents publics partiels. Ces publics gagnent en importance pour différents types d’organisations (entreprises, administrations publiques, ONG, etc.). C’est là qu’intervient le deuxième changement par rapport au concept de Habermas, car, d’autre part, du point de vue adopté dans cet article, ces publics sont des constructions des organisations elles-mêmes, c’est-à-dire des publics imaginaires. La fécondité d’une telle perspective post-habermasienne sur la sphère publique sera illustrée en se concentrant sur l’enseignement supérieur et la science. Les universités, en tant qu’incarnation organisationnelle de l’enseignement supérieur et de la science, ne représentent pas seulement un espace discursif dans la sphère publique, mais elles se transforment également de plus en plus en organisations agissant stratégiquement qui imaginent et façonnent activement les publics qui les concernent. Quatre exemples seront utilisés pour présenter des observations empiriques qui émergent de la perspective théorique proposée ici. Ces exemples nécessitent toutefois des recherches plus approfondies et ne servent qu’à illustrer un nouveau programme de recherche sur les « publics imaginaires ». À la fin de cette contribution, nous nous demanderons quelle est la portée des processus de changement vers des universités en tant qu’organisations stratégiques et quelles en sont les conséquences pour une compréhension discursive et communicative des universités.

Mots-clés

enseignement supérieur, publics imaginaires, organisation, sciences sociales, transformation sociale


1. Introduction

La contribution qui suit doit être replacée dans le contexte du débat critique suscité par l’analyse novatrice de Jürgen Habermas1 sur la transformation structurelle de la sphère publique, publiée en 19622. Le texte original en allemand et sa traduction anglaise de 1989 font l’objet de nombreuses discussions en philosophie et en sciences sociales3. Deux éléments constituent le point de départ de ce débat. D’une part, nous sommes au cœur d’une transformation sociale qui a conduit à une pluralisation des conceptions du public, c’est-à-dire des publics. La représentation de la société dans la société ne trouve plus une forme homogène ; elle ne se fait plus que dans le cadre de différents publics partiels. Ces publics gagnent en importance pour différents types d’organisations (entreprises, administrations publiques, ONG, etc.). C’est là qu’intervient la deuxième idée fondamentale car, d’autre part, du point de vue développé ici, ces publics sont des constructions des organisations elles-mêmes, c’est-à-dire des publics imaginaires.

Cette perspective post-habermasienne, qui s’inspire de l’analyse novatrice de Habermas, est explorée à l’aide de l’exemple de l’université en tant que type spécifique d’organisation. Les universités présentent un intérêt particulier car, au cours de leur transformation en acteurs stratégiques, elles ont tenté à plusieurs reprises ces dernières années d’imaginer des publics qui leur sont pertinents et de développer des capacités d’action en conséquence. Dans cette perspective, les universités ne doivent pas être comprises principalement comme des communautés discursives de communication, mais – tout comme les organisations économiques et politiques – comme des organisations agissant de manière stratégique. Cette transformation organisationnelle recèle une transformation structurelle essentielle de l’enseignement supérieur et de la science. Après avoir décrit les considérations théoriques et conceptuelles sur lesquelles repose cette contribution (partie 1), des exemples empiriques sont discutés afin d’illustrer le concept de publics tel qu’il est imaginé par les universités (partie 2). Enfin, nous discutons brièvement des possibilités qui s’offrent aux universités, malgré toutes les transformations qui les conduisent à devenir des acteurs stratégiques, pour être considérées comme des communautés discursives de communication qui représentent des lieux de débats publics de plus en plus importants (partie 3).

2. Transformation structurelle de l’université et publics imaginés

Dans sa longue préface à la nouvelle édition de son analyse originale, Jürgen Habermas répond en 1990 aux critiques qui suggèrent d’importantes extensions de son analyse.4 Deux références sont particulièrement importantes pour cette contribution : l’expansion croissante de l’éducation, que Talcott Parsons qualifiait déjà de « révolution éducative »5 en 1971, ainsi que la référence conclusive, donc mise en évidence, aux « effets des médias électroniques sur la restructuration des interactions simples »6 et des communautés traditionnellement définies dans l’espace. Habermas anticipe ici avec clairvoyance deux processus globaux de changement social et technologique qui caractérisent la société contemporaine et dont l’importance n’était pas encore perceptible en 1962, et tout au plus sous une forme rudimentaire en 1990.

Les changements technologiques sont spectaculaires. Manuel Castells, par exemple, qui s’est intéressé très tôt et avec une approche théorique sociologique à l’Internet, a inventé le terme « galaxie Internet ».7 À l’instar d’une galaxie qui représente une accumulation d’objets astronomiques différents (étoiles, planètes, nuages de poussière cosmique, matière noire, etc.) causée par la gravitation, l’Internet, dont l’utilisation commerciale et généralisée dans la société n’a commencé que dans les années 1990, relie et produit des objets sociaux très différents tels que de nouvelles formes d’expression, des branches économiques ainsi que de nouvelles formes de médias de masse et de communication politique. Les effets sur la démocratie et la sphère publique sont vastes, multiples et ambivalents ; ils ne permettent pas une évaluation sans ambiguïté.

Si les changements technologiques dans la science et la société font l’objet de larges débats, l’expansion de l’enseignement supérieur au sein de la société mentionnée par Habermas se déroule de manière plus progressive et suscite donc moins de discussions, tant dans les débats allemands qu’anglais sur les transformations récentes de la sphère publique.8 Pourtant, ici aussi, l’ampleur et les conséquences sont importantes. L’intégration de segments toujours plus larges de la population dans le système d’enseignement supérieur est une caractéristique essentielle du développement de la société. L’expansion considérable et continue de l’enseignement supérieur est visible, par exemple, dans le taux d’étudiants. En Allemagne, entre 2002 et 2020, il est passé de 37 à 55 %, dépassant ainsi largement la part de ceux qui suivent une formation professionnelle, traditionnellement très importante dans ce pays.9 En conséquence, les établissements d’enseignement supérieur deviennent des instances centrales de socialisation dans la société :10 premièrement, ils permettent d’acquérir les principes fondamentaux de l’individualité moderne, tels que l’autorégulation, la tolérance à la frustration et à l’ambiguïté, ainsi que l’expressivité et la résilience ; deuxièmement, ils jouent un rôle de plus en plus important pour la mobilité sociale et la dynamique sociale ; troisièmement, elles conduisent à une augmentation des exigences en matière de participation sociale ; quatrièmement, malgré la persistance des inégalités sociales, elles deviennent de plus en plus une institution sociale qui facilite les échanges et le dialogue entre différents contextes culturels et sociostructurels.

Avec cette évolution brièvement décrite, l’Allemagne s’inscrit dans une tendance mondiale. Frank et Meyer, par exemple, montrent à l’aide de données exhaustives que nous sommes actuellement au milieu d’une tendance historique unique d’expansion de l’enseignement supérieur, observable dans différentes régions du monde, indépendamment des caractéristiques nationales ou socio-économiques. L’expansion des établissements d’enseignement supérieur s’accompagne également d’un changement structurel dans l’organisation de l’enseignement supérieur qui façonne sa relation avec ses publics. Les universités ne représentent pas seulement un espace discursif dans la sphère publique, mais elles se transforment également de plus en plus en acteurs organisationnels qui imaginent et façonnent activement les publics qui les concernent. Là encore, elles s’inscrivent dans une tendance plus large du développement social.

Si l’on considère les publics comme des constructions imaginaires d’organisations, comme le propose cette contribution, il convient tout d’abord de souligner la pertinence sociétale des organisations. Dans un sens très fondamental, les sociétés sont des sociétés organisationnelles, car les organisations et leur logique imprègnent tous les domaines de la vie, non seulement l’économie, la politique et l’administration, mais aussi, par exemple, la science, l’éducation, la santé, le sport ou le partenariat.11 Il suffit de considérer le domaine universitaire, qui est fortement façonné par les organisations et leur logique, depuis les études universitaires jusqu’au recrutement du personnel, en passant par les sociétés savantes, les maisons d’édition, les organismes de financement et les réseaux nationaux et internationaux. La recherche sur la mondialisation et la société mondiale considère également l’expansion mondiale des organisations comme une caractéristique centrale des processus mondiaux de rationalisation et de socialisation ; les organisations sont les vecteurs de ces processus. Elles agissent comme si leur environnement était composé d’autres organisations, même dans des domaines traditionnellement caractérisés par des mots liés à la vie communautaire.12

Avec la pénétration croissante des organisations dans des domaines très différents de l’action sociale, un type d’action se répand qui, selon Habermas, peut être décrit comme une action stratégique par opposition à l’action communicative.13 Cela ne signifie pas pour autant que les organisations n’offrent pas un large espace à l’action communicative, par exemple dans le cadre des partis politiques, des universités ou des ONG. Cependant, les relations environnementales de ces organisations et d’autres sont orientées vers la primauté de l’action stratégique, car ce type d’action est propre aux organisations en général. Nous élargissons ainsi l’accent mis par Habermas sur la primauté de la rationalité intentionnelle dans les sphères économique et politico-administrative en supposant que la rationalité intentionnelle est au cœur de toutes les organisations, et pas seulement des organisations économiques et étatiques.14 Des organisations issues de domaines très différents de la société établissent leurs relations environnementales de manière stratégique en imaginant les publics qui leur sont pertinents – dans le contexte d’interprétations culturelles supposées légitimes – et en s’adressant à eux : les partis politiques découvrent les réseaux sociaux afin de s’adresser et d’attirer en particulier le public jeune dont ils ont entendu parler ; les entreprises revendiquent l’importance de la responsabilité sociale des entreprises pour leurs propres organisations afin de regagner leur légitimité sociale ; les ONG environnementales et de développement s’appuient fortement sur la visualisation afin de s’adresser le plus efficement possible aux publics identifiés comme groupes cibles ; les administrations publiques affichent leur orientation client dans le cadre de la nouvelle gestion publique ; et les écoles élaborent des déclarations de mission afin d’atteindre le plus efficacement possible les environnements qui les concernent, tels que les parents, les élèves et les autorités.

Les universités présentent un intérêt particulier à cet égard, car l’expansion de l’enseignement supérieur entraîne également une transformation structurelle des caractéristiques fondamentales des universités. Traditionnellement, l’université tire sa légitimité sociale de son statut d’institution mondiale ou nationale, et non de celui d’organisation individuelle. Olsen et Maassen15 ont développé cette idée et l’ont qualifiée de vision de l’université européenne en tant que « communauté de chercheurs ». Cette vision a été progressivement complétée par celle d’une « démocratie représentative » et, plus éloignée encore de la vision classique, par celle de l’université en tant qu’« instrument des agendas politiques » et « entreprise de services ». Dans le débat allemand, Habermas s’est concentré sur l’idée traditionnelle de l’université en tant que communauté et s’est très tôt posé la question de savoir comment cette idée pouvait encore être représentée au regard des processus de croissance et de différenciation scientifiques.16 La réponse réside dans des discours spécifiques à chaque discipline, qui reposent sur des « formes communicatives ou discursives d’argumentation scientifique »17 et expriment ainsi l’idée de l’université et des processus d’apprentissage universitaire dans leur ensemble. En complément, du point de vue de la recherche sur les organisations, les universités sont décrites comme des organisations expertes auto-organisées et faiblement couplées en interne, car, selon cette recherche, une telle structure organisationnelle est considérée comme particulièrement adaptée à l’organisation de la recherche et de l’enseignement, à leur fondement communicatif et aux objectifs systémiques de production et de transfert de connaissances.18

Même si, comme nous l’avons brièvement esquissé dans le paragraphe précédent, l’université continue de représenter un espace discursif qui incarne l’idée de l’université en tant qu’« organisation spécifique »19, elle se transforme de plus en plus en un acteur stratégique qui n’a plus grand-chose à voir avec la description organisationnelle classique. Cette transformation modifie également la base de sa légitimité, qui ne lui est plus attribuée uniquement en tant qu’institution mondiale ou nationale, mais de plus en plus en tant qu’organisation individuelle. Cette évolution a commencé relativement tôt dans les universités américaines, même si celles-ci ont également servi de modèle à la description organisationnelle bien connue esquissée ci-dessus.20 Pour les universités allemandes, cette transformation est observable depuis environ vingt à trente ans.21 Pour ne citer que quelques aspects pertinents, les universités s’efforcent de plus en plus de se présenter au monde extérieur comme une « marque », une organisation dotée d’une stratégie et d’un profil clairs. Alors que l’université était autrefois considérée, en particulier dans la tradition allemande, comme une institution, c’est-à-dire une entité dont les tâches et les structures étaient considérées comme acquises sans être remises en question, il s’agit aujourd’hui davantage de développer une identité organisationnelle individuelle qui s’exprime tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’organisation. De plus, la plupart des directions universitaires exigent aujourd’hui une mise en réseau interfacultaire dans la recherche et l’enseignement. Le fort caractère « ascendant », qui commence par les personnes impliquées dans la recherche et l’enseignement et, en particulier dans les sciences humaines et sociales, suggère une recherche individuelle et des relations dyadiques enseignant-étudiant dans les études doctorales, est de plus en plus remplacé par la création de réseaux de recherche plus importants et de groupes de formation à la recherche. Parallèlement, les instances d’autogouvernance universitaire perdent leur pouvoir décisionnel au profit des présidences et des chefs de département et de leur personnel de direction, qui ont des mandats plus longs. De même, l’organisation universitaire elle-même se considère de plus en plus comme un acteur dans diverses compétitions. En Allemagne, cela est particulièrement vrai dans le contexte des concours lancés par l’État, tels que l’Initiative d’excellence ou le Pacte pour la qualité de l’enseignement, alors que dans d’autres systèmes d’enseignement supérieur, la concurrence pour les étudiants joue un rôle beaucoup plus important. Les classements mondiaux contribuent également à la perception de soi et à la perception externe en tant qu’acteurs compétitifs. Tous ces processus – « branding », mise en réseau et concurrence organisationnelle – se renforcent mutuellement et s’accompagnent d’une expansion considérable de l’administration centrale des universités, qui peut être observée dans tous les domaines, de la gestion de la qualité et du contrôle à la transmission des connaissances et des technologies, en passant par l’internationalisation et les relations publiques. La transformation de l’université telle qu’elle est décrite ici – qui consiste à considérer des tâches telles que la recherche, l’enseignement et le transfert comme des tâches de l’organisation concernée, et non du système universitaire dans son ensemble ni des individus engagés dans la recherche et l’enseignement – s’accompagne d’une différenciation interne au sein de l’organisation qui est également importante pour les relations avec le public. Des unités administratives hautement spécialisées s’adressent de manière ciblée à des publics spécifiques de l’organisation ; la différenciation interne va de pair avec une pluralisation de la conception du public.

Ces processus de transformation de l’université en tant qu’organisation sont intéressants non seulement du point de vue de la théorie des organisations, mais aussi de celui de la théorie sociale. Au sens de Reckwitz, cela exprime une tendance culturellement hégémonique à la singularisation qui s’observe dans toute la société et qui favorise l’émergence de caractéristiques supposées uniques et distinctives chez les individus, mais aussi dans les villes, les régions et les organisations.22 Le fait que la pression à la singularisation pèse sur tout le monde et que la marge de manœuvre pour les singularisations soit limitée par la société indique la constitution paradoxale d’acteurs singularisés qui expriment leur ancrage dans la société à travers leur singularité. Comme nous le verrons dans la deuxième partie de cette contribution, ce paradoxe vaut également pour les publics imaginaires des universités.

Réfléchir à la relation entre l’université, la science et le public en adoptant une perspective plus large et socialement ancrée sur les organisations n’est certainement pas évident, bien au contraire. Tout comme une grande partie des réflexions passées sur l’université dans les sciences humaines et sociales se caractérisent par une certaine « inconscience organisationnelle », on retrouve des schémas similaires dans la recherche bien établie sur le thème « science et public ». Du côté de la science, ces recherches se concentrent principalement soit sur les scientifiques individuels – en ce qui concerne les médias de masse traditionnels23, la science citoyenne24 et les médias sociaux25 – soit sur l’ensemble du système scientifique26, sans saisir l’importance constitutive du caractère organisationnel de la science et de sa communication vers l’extérieur27.

Le changement de perspective proposé ici va toutefois au-delà de la simple mise en évidence du caractère organisationnel de la science et de l’enseignement supérieur par rapport à différents publics. Comme l’indique le titre de cette contribution, nous partons du principe que ces publics n’existent pas simplement dans l’environnement de l’organisation universitaire et qu’il suffit de les représenter en interne. Ils sont plutôt imaginés et activement façonnés par l’organisation universitaire. Outre la justification issue de la théorie organisationnelle présentée ci-dessus, qui considère cela comme le résultat de l’orientation stratégique et environnementale croissante des organisations, l’idée fondamentale de la théorie sociologique des systèmes selon laquelle les environnements – y compris les publics au sens où nous l’entendons ici – n’entrent en jeu qu’en tant que constructions de systèmes revêt également une importance centrale ici.28 Les attentes environnementales sont donc anticipées par les systèmes sociaux – mais aussi par les individus, comme on peut le supposer si l’on suit Luhmann29 – et traitées au sein du système concerné comme des attentes anticipées. Alors que Luhmann se concentre particulièrement sur les publics respectifs des systèmes fonctionnels – l’opinion publique pour le système politique ou le marché pour le système économique –, l’accent est ici mis exclusivement sur les publics construits par les organisations. Une telle conception constructiviste du public est difficile à concilier avec les prémisses fondamentales de l’analyse de Habermas30, mais elle représente une perspective complémentaire qui s’inspire certainement de l’analyse de l’orientation stratégique dans les organisations de l’administration publique et du système économique soulignée par Habermas dans sa « théorie de l’agir communicatif » et transpose ce type d’action aux universités en tant qu’organisations centrales du système scientifique et de l’enseignement supérieur.31 En m’inspirant librement du concept novateur de communautés imaginées d’Anderson, j’aimerais également parler ici de publics imaginés.32 Son analyse des communautés nationales dans le cadre des schémas interprétatifs nationalistes repose sur l’idée que ces communautés sont imaginées et ne sont pas le reflet de communautés réelles. Les publics de l’organisation universitaire sont eux aussi imaginés en ce sens. Ils n’ont pas de correspondance biunivoque dans le monde extérieur des universités. De plus, ils ne sont pas compris comme une sphère d’échange entre individus, mais comme des publics différents composés non seulement d’individus, mais aussi d’organisations telles que d’autres universités et ministères, ainsi que de schémas abstraits tels que les classements. En général, ces publics imaginés par l’université en tant qu’organisation se caractérisent par un degré élevé de fictionalité et d’imagination orientées vers l’avenir.33 Cela sera illustré empiriquement dans la suite.

3. Illustrations empiriques

Il convient tout d’abord de noter que les évolutions de l’enseignement supérieur et de la science décrites dans la partie 1 doivent être comprises comme globales ; ils jouent un rôle dans des systèmes nationaux très différents.34 Néanmoins, le niveau national ne disparaît pas en tant que niveau de référence ; au contraire, il peut même être renforcé, comme le montrent, par exemple, les efforts nationaux visant à obtenir des classements mondiaux pour les universités.35 Dans le cadre d’une université de plus en plus stratégique, la « gestion de la réputation »36 revêt une importance fondamentale. En tant qu’organisations, les universités peuvent se référer à des publics très différents. D’un point de vue analytique, on peut distinguer trois types de publics imaginaires : il s’agit tout d’abord d’individus, comme par exemple les étudiants dans le domaine de l’enseignement, ou les citoyens dans le domaine de la recherche, ces derniers étant destinataires des résultats de la recherche ou, de plus en plus, partenaires actifs dans le domaine de la science citoyenne. Malgré son hétérogénéité et sa structure floue, ce groupe de destinataires fait de plus en plus l’objet de mesures censées être spécifiques à chaque groupe cible. Cependant, l’orientation externe croissante des organisations et des classements semble encore plus importante. Ainsi, des organisations très différentes dans l’environnement social sont ciblées par l’université concernée. Cela vaut tant pour des organisations telles que les ministères, les organismes de financement et les entreprises que pour d’autres universités. C’est précisément la mise en réseau et l’orientation concurrentielle décrites ci-dessus qui conduisent les universités à s’observer et à s’adresser les unes aux autres. Troisièmement, les classements, auxquels les universités accordent une importance croissante, occupent une place de plus en plus centrale. Les classements, au sens de la célèbre « sociologie de la concurrence » de Georg Simmel37, représentent une tierce partie qui met en relation différents concurrents qui tentent d’anticiper les souhaits de cette tierce partie et de s’attirer ses faveurs.38 Alors que Simmel s’intéresse au « public » en tant que tiers et aux « changements à venir dans les goûts, la mode, les intérêts »39 que les concurrents anticipent avec « un instinct presque clairvoyant »40, les classements représentent une forme très standardisée de mesure et de quantification qui, en tant que tiers, condensent des informations très différentes en une position dans un classement.41

Outre cette différenciation selon les groupes de destinataires, il convient de distinguer différents niveaux auxquels s’adressent les publics imaginaires. Pour les universités, la distinction entre les niveaux mondial, national et régional s’applique en particulier.42 Ainsi, par exemple, les classements mondiaux, les ministères nationaux ou les corporations régionales sont identifiés comme des environnements pertinents. Dans ce qui suit, quatre exemples seront utilisés pour présenter des observations empiriques qui émergent de la perspective théorique et conceptuelle proposée ici. Ces exemples ne servent toutefois qu’à illustrer et à mettre en évidence un programme de recherche dont les résultats devraient être démontrés dans le cadre d’études plus approfondies. Le premier exemple, les logos des universités, montre le caractère mondial de l’évolution esquissée ici. Le deuxième exemple, les déclarations de mission des universités, représente un examen plus approfondi de la construction des publics dans un contexte national, ici à l’aide de l’exemple des universités allemandes. Dans le troisième exemple, l’accent est mis sur des études de cas de gestion de la réputation dans les universités de Hong Kong, mettant ainsi en lumière les liens entre la mondialisation et le comportement stratégique des universités vis-à-vis de différents publics. Le quatrième exemple montre que la tendance commune à l’expansion des services de relations publiques dans deux contextes nationaux, l’Allemagne et les États-Unis, peut très bien s’accompagner de différences dans l’imaginaire des publics.

Commençons par le premier exemple. Tout comme les déclarations de mission, le merchandising, les brochures de présentation ou les publicités vidéo, les logos font partie intégrante de l’image de marque des universités. Les logos des universités s’inscrivent dans la tradition des sceaux. Dès leurs origines, les universités ont développé des sceaux spécifiques, comme en témoignent les plus anciennes universités d’Europe (Universitá di Bologna, 1088) et d’Allemagne (Universität Heidelberg, 1386). Une étude mondiale des représentations récentes et anciennes, menée à la fois de manière historique et qualitative et à l’aide de méthodes de « big data », montre que l’image que les universités ont d’elles-mêmes peut être très bien reconstituée en fonction de leurs relations avec leur environnement social à partir de leurs sceaux et logos.43 Les premiers sceaux universitaires font fortement référence à l’Église catholique romaine et aux origines monastiques des universités. Ils représentent des érudits et des étudiants plongés dans l’étude de textes. Les représentations évoluent au fil du temps. La compréhension des activités menées dans les universités et le caractère d’une communauté universitaire changent considérablement au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Les sciences naturelles et les symboles techniques soulignent l’élargissement du canon des matières enseignées ; les références aux États-nations dans lesquels les universités sont implantées remplacent de plus en plus une institution qui se comprend comme mondiale et communautaire.

Avec le début du XXIe siècle, le développement des sceaux en logos ainsi que la création de nouveaux logos sont devenus un élément important des activités de « branding » par lesquelles les universités tentent de s’adresser de manière stratégique aux environnements qui les concernent. D’une part, le défi central consiste à établir une marque prétendument unique qui sera reconnue à maintes reprises dans l’environnement imaginé par l’université, tout en positionnant celle-ci dans le cadre de symboles, d’objectifs et de visions généralement souhaitables. Dans ce contexte, trois éléments apparaissent clairement : premièrement, l’individu actif, l’ouverture d’esprit et la référence au niveau mondial constituent actuellement des points de référence importants. Il est intéressant de noter que cela s’applique aux universités de systèmes nationaux très différents et correspond à l’analyse susmentionnée de Frank et Meyer44 d’une évolution de plus en plus mondiale des universités, qui s’inscrit également dans une tendance sociale plus générale vers une « société de marque ».45 Deuxièmement, la plupart des universités tentent de trouver un équilibre entre la visualisation de leur propre organisation et l’institution globale qu’est l’« université ». Cela revêt également une importance particulière pour les publics auxquels s’adressent les universités. Il existe toutefois des cas où le logo ne permet plus de déterminer clairement s’il s’agit d’une université, d’une entreprise ou d’une ONG. Troisièmement, des organisations externes sont généralement impliquées dans la création des logos, qu’il s’agisse de cabinets de conseil ou d’agences de design. En faisant appel à des consultants externes, les universités poursuivent un processus qui a débuté dans les entreprises dans la seconde moitié du XXe siècle et qui, depuis la fin de ce siècle, s’est étendu à d’autres types d’organisations telles que les administrations publiques, les hôpitaux et les institutions de services sociaux. Malgré la diffusion des concepts de gestion et des logos dans tous les secteurs par l’intermédiaire des consultants, une connaissance fondamentale du secteur social dans lequel on opère est nécessaire. Cela a été démontré par l’échec de logos nouvellement créés. Aux États-Unis, par exemple, un logo qui tentait de visualiser une université commençant par la lettre D avec un « d+ » – une note médiocre dans les universités américaines – a dû être retiré. De même, une tentative de symboliser une université canadienne avec un logo inspiré d’un monument néoclassique italien de l’époque de Mussolini a également échoué. Comme le montrent ces exemples, le positionnement stratégique exprimé par les logos dans le cadre d’un public imaginaire que l’on souhaite influencer activement est un processus qui est tout sauf trivial et qui peut faire l’objet de différentes interprétations. De même, en particulier dans le cas des universités plus jeunes, l’université doit exprimer à la fois sa propre histoire et ses ancrages passés, ainsi que sa vision d’elle-même et ses ancrages futurs à l’aide d’un seul signe graphique. les universités plus anciennes, en revanche, peuvent se contenter de faire référence à leur histoire, tandis que leur ouverture sur l’avenir peut être soulignée avec assurance par une brève mention à côté du logo, comme c’est le cas, par exemple, à Heidelberg, où l’on peut lire : « Université de Heidelberg. L’avenir depuis 1386 ».

Le deuxième exemple concerne les déclarations de mission. Tout comme les logos, l’élaboration de déclarations de mission par les universités représente également une tendance mondiale dans l’évolution récente de l’université. Cependant, contrairement aux logos, ce phénomène a déjà fait l’objet de nombreuses études, par exemple en Allemagne.46 Les déclarations de mission trouvent leur origine dans les entreprises, où elles sont considérées comme faisant partie de la communication stratégique destinée à l’intérieur (les employés) et surtout à l’extérieur (les clients, les fournisseurs, les concurrents, etc.). En ce qui concerne les universités allemandes, on constate que la plupart d’entre elles ont une déclaration de mission. Celles-ci ont vu le jour de manière très différente : certaines dans le cadre d’un large débat interne, d’autres ont été élaborées par la direction ou l’administration de l’université. Les déclarations de mission expriment le positionnement stratégique ainsi que les visions d’avenir de l’organisation. En Allemagne, cependant, les déclarations de mission sont plus que des communications diffuses destinées à l’extérieur dans le but d’obtenir une légitimité, même si celle-ci est d’une grande importance. Elles servent, par exemple, à l’accréditation des universités privées, reflètent les missions des universités exprimées dans les lois nationales sur l’enseignement supérieur, telles que la promotion du transfert de connaissances et de technologies, jouent un rôle dans les accords d’objectifs entre les ministères et les universités publiques, et ont été exigées des universités candidates à un financement dans le cadre de la troisième ligne (« Stratégies institutionnelles ») de l’Initiative d’excellence.

L’analyse des déclarations de mission des universités montre deux choses : d’une part, il s’agit d’intégrer des attentes imaginaires différentes, parfois contradictoires. Par exemple, les universités doivent avoir un profil régional et mondial, disciplinaire et interdisciplinaire, voire transdisciplinaire. Elles doivent également promouvoir la recherche, l’enseignement et les relations directes avec l’environnement social, exprimer leur propre histoire ainsi que les avenirs attendus et poursuivre des objectifs socialement souhaitables tels que l’égalité des sexes, l’inclusion et la durabilité. D’autre part, à l’instar des logos des universités, il s’agit de se positionner stratégiquement dans un environnement caractérisé par des caractéristiques institutionnelles générales et des caractéristiques organisationnelles plus spécifiques. Les universités utilisent des descriptions classiques et institutionnelles, telles que l’accent mis sur la recherche et l’enseignement, afin d’être reconnues et acceptées comme des universités dans leur environnement. La recherche et l’enseignement sont toutefois également utilisés comme formules descriptives de l’université individuelle, enrichies de caractéristiques qui ne sont pas censées s’appliquer à toutes les universités dans la même mesure qu’à leur propre organisation. L’équilibre entre les points communs et les différences permet d’identifier des modèles et des types spécifiques, où l’année de fondation, l’éventail des matières enseignées et la situation géographique, entre autres facteurs, jouent un rôle important dans la création de différences. Dans le même temps, cependant, en ce qui concerne les publics imaginaires, les hypothèses culturelles fondamentales sur ce que doit être une université ne sont pas transgressées, ce qui est tout à fait conforme à la constitution paradoxale des acteurs singularisés décrite ci-dessus. Pour résumer les deux premiers exemples, on peut noter que, dans le processus mondial de leur transformation en acteurs stratégiques, « les établissements d’enseignement supérieur sont devenus des communicateurs importants »47 et que les activités de « branding », telles que la création de logos et de déclarations de mission, ont gagné en importance.

Le troisième exemple consiste en une analyse plus approfondie de la gestion de la réputation à travers des activités de branding et de rebranding, notamment des logos et des déclarations de mission, dans différentes universités de Hong Kong. À l’aide de trois études de cas, Lam (2023) montre que les classements mondiaux, la concurrence pour les places dans ces classements et d’autres biens rares pour lesquels les universités sont en concurrence (attention, réputation, personnel, étudiants, etc.) ont un impact sur les universités en tant qu’organisations agissant de manière stratégique. Elles tentent de façonner, voire de contrôler, leur image publique à travers un large éventail d’activités de relations publiques. Les politiques d’information sont centrales et ciblent des publics spécifiques. Il peut s’agir des classements mondiaux, des décideurs politiques à Hong Kong ou des étudiants chinois non locaux. Les stratégies de communication des universités sont aussi diverses que les publics ciblés. À l’aide de nombreuses données empiriques, Lam (2023) montre que différentes « communautés imaginaires » sont abordées de manière très stratégique, tandis que l’action communicative au sens de Habermas (1984, 1987a) et l’interaction directe qui y est associée revêtent une importance mineure. Il est tout aussi important de noter que ces efforts ne sont pas nécessairement couronnés de succès et que les pièges des universités agissant de manière stratégique deviennent évidents. Comme le démontre Lam (2023), l’un des effets de cette stratégie est que les universités peuvent exclure les étudiants et le personnel qui ont exprimé leur désaccord lors du processus de branding et, en particulier, de rebranding.

Les publics imaginés par les universités varient toutefois considérablement selon le contexte national. C’est ce que montre le quatrième exemple, qui compare les universités américaines et allemandes. Pour les États-Unis, Espeland et Sauder48 ainsi que Xie et Teo49, entre autres, ont montré que la présentation externe des universités joue un rôle central dans les relations publiques50. Dans ce contexte, il s’agit avant tout de montrer le « retour sur investissement » (ROI) des coûts liés aux études, qui sont considérés comme un investissement individuel dans son propre capital humain. Un ROI positif signifie une réussite sur le marché du travail et des revenus plus élevés par rapport à ceux qui n’ont pas suivi le cursus choisi.

Cependant, comme le montrent Espeland et Sauder51, un tel ROI positif ne peut plus être considéré comme acquis dans le cas des facultés de droit qu’ils ont étudiées, et il est remis en question dans de nombreux cas. Cela conduit également à des efforts de communication accrus de la part des universités et de leurs facultés de droit. Il est intéressant de noter que dans le cadre de la présentation externe, les étudiants potentiels et leurs parents ne sont pas seulement abordés directement en tant qu’environnements pertinents, mais aussi indirectement via les classements nationaux des facultés de droit. En raison de l’instabilité permanente des classements, qui met sous pression les acteurs individuels et organisationnels, Espeland et Sauder52 les qualifient également de « moteurs de l’anxiété ».

On observe également en Allemagne une importance croissante des services de relations publiques dans les universités. Ceux-ci ont été considérablement développés depuis le début des années 2000 et leur importance du point de vue de la direction des universités s’est accrue53. L’orientation vers les relations publiques vise en particulier la politique de l’enseignement supérieur et de la science, tandis que les groupes cibles pertinents aux États-Unis jouent ici un rôle beaucoup plus limité. Malgré tous les efforts déployés pour se présenter comme des acteurs mondiaux, les deux pays restent principalement axés sur le niveau national, en Allemagne même très fortement lié à la sphère ministérielle. En Allemagne, pour le dire sans détours, l’État est le public central imaginé de l’université en tant qu’organisation. Cela contredit les efforts souvent proclamés visant à se concentrer principalement sur la population au sens large et à la atteindre à travers différents formats. La forte orientation vers l’État et les tentatives qui en découlent pour anticiper et satisfaire ses souhaits – en tant que tiers, selon la définition de la concurrence donnée par Simmel – également dans le domaine des relations publiques, sont d’autant plus remarquables que les réformes de la politique de l’enseignement supérieur des deux ou trois dernières décennies sont généralement assimilées, dans le discours sur la politique de l’enseignement supérieur, à une plus grande autonomie des universités vis-à-vis de l’État.54

L’orientation stratégique vers les environnements étatiques dans le domaine des relations publiques, qui a été élaborée par la recherche sur les médias et la communication et qui a également joué un rôle important dans l’exemple des déclarations de mission des universités, correspond également à nos propres études sur la création de bureaux de transfert de technologie dans les universités allemandes. Avec l’aide de ces bureaux, il s’agissait de renforcer les liens entre les universités et les entreprises afin de faciliter et d’accélérer le transfert de connaissances et de technologies.55 Malgré cette approche programmatique, ils ont été créés principalement comme un signal visible de l’extérieur à l’intention de la politique de l’enseignement supérieur et de ses attentes. En revanche, les attentes anticipées de l’industrie jouent un rôle tout aussi secondaire que celles des scientifiques universitaires actifs dans le transfert. Selon l’analyse de Meyer et Rowan, les bureaux de transfert font partie de la structure formelle des universités qui est orientée vers l’extérieur.56 En tenant compte des attentes environnementales qui lui sont propres – ou, selon Meyer et Rowan, des mythes – qui s’expriment dans la structure formelle d’un bureau visible de l’extérieur, l’université obtient une légitimité ainsi que des ressources,57 dans notre cas notamment par le biais d’accords d’objectifs et de concours organisés par l’État. Dans le même temps, la structure des activités orientées vers l’intérieur peut être dissociée, ce qui empêche que les exigences de légitimité en rapide évolution, notamment de la part de l’État, se traduisent tout aussi rapidement par des changements organisationnels. On peut supposer que des modes de réaction similaires de la part d’organisations universitaires agissant de manière de plus en plus stratégique à l’égard de l’État en tant que public central imaginaire peuvent également être observés dans des thèmes d’actualité – pensons aux exigences globales liées à la gestion des « grands défis » ou, dans le contexte de la pandémie de coronavirus, à la numérisation et à la communication scientifique.

Le fait que les universités, dans la course aux classements, à la légitimité environnementale et aux ressources matérielles, agissent de manière de plus en plus stratégique, en particulier dans leur présentation externe, et investissent massivement dans le développement de leurs services de relations publiques, s’applique à différents systèmes nationaux. On observe toutefois que les publics imaginés par les universités et auxquels elles souhaitent s’adresser dans ces conditions se trouvent plutôt dans la sphère du marché ou de l’État. Il est intéressant de noter que le fait que les universités américaines aient tendance à s’adresser aux premiers, tandis que les universités allemandes s’adressent plutôt aux seconds, correspond à des conclusions un peu plus anciennes de la recherche sur la gouvernance universitaire. Burton Clark, par exemple, a développé un triangle de coordination très influent dont les pierres angulaires sont l’oligarchie académique (ou l’autogouvernance), l’État et le marché, et dans lequel différents systèmes nationaux peuvent être situés.58 Alors que la coordination aux États-Unis s’effectue principalement par le biais du marché, le système d’enseignement supérieur allemand se caractérise par une combinaison d’influence de l’État depuis l’extérieur et d’oligarchie académique interne. Pourtant, malgré tous les changements et réformes intervenus dans la gouvernance de l’enseignement supérieur, en particulier en Allemagne, depuis l’étude de Clark en 1983, les différentes orientations externes des universités semblent toujours être une caractéristique déterminante des deux systèmes. Cependant, d’autres publics imaginaires viennent s’ajouter. Ceux-ci sont notamment formés par l’orientation et la mise en réseau croissantes des universités à l’échelle mondiale et dans une logique de concurrence, ainsi que par des schémas abstraits tels que les classements, qui structurent de plus en plus l’attention des individus, des acteurs étatiques et du marché en tant que destinataires potentiels.

4. Discussion

Comme nous avons tenté de le montrer, l’enseignement supérieur et la science, ainsi que l’université en tant qu’incarnation organisationnelle de ceux-ci, constituent des lieux très pertinents, bien que souvent négligés, pour aborder de manière critique l’analyse de Habermas sur les transformations structurelles de la sphère publique et d’autres aspects centraux de son œuvre. À la suite de cette réflexion critique, la perspective que nous avons développée théoriquement dans la première partie et illustrée empiriquement dans la deuxième partie implique un scepticisme élevé quant à la notion d’universités en tant que communautés discursives qui constituent des lieux pertinents pour le débat public dans la société. L’orientation stratégique croissante de l’université, qui, en tant qu’organisation, imagine et s’adresse aux publics qui la concernent, est beaucoup trop évidente et, comme nous l’avons montré, il existe également un découplage entre la représentation externe et la structure des activités dirigées vers l’intérieur. En principe, il est possible de combiner le caractère de communauté discursive avec les activités de l’organisation stratégique, fondée sur la rationalité intentionnelle, décrites dans cet article. Pensons, par exemple, aux processus discursifs et participatifs de création de déclarations de mission universitaire tels qu’ils ont eu lieu dans certaines universités. On peut toutefois supposer que l’orientation discursive est désavantagée par rapport à l’orientation stratégique.

Il serait néanmoins réducteur de ne percevoir les universités que sous l’angle de leur transformation en acteurs stratégiques. D’une part, les processus fondamentaux des universités, à savoir la recherche et l’enseignement, continuent d’être fortement influencés par les universitaires et leurs modes d’action et de coordination spécifiques, qui échappent souvent à l’influence de l’organisation. La collégialité universitaire, bien que soumise à diverses pressions internes et externes, reste très appréciée et pratiquée dans les universités du monde entier.59 D’autre part, les universités peuvent très bien être considérées comme une partie importante de la sphère publique politique au sens de Habermas,60 que ce soit dans le contexte de discours universitaires spécialisés ou dans le contexte de discours sociaux plus larges qui affectent en même temps l’université dans son ensemble – pensez, par exemple, au traitement actuel des mécènes et des monuments historiques dans les universités.

Cela est d’autant plus vrai que les universités sont devenues une instance centrale de socialisation dans le cadre de l’expansion de l’enseignement supérieur, qui touche de plus en plus de groupes de personnes. Les universités font partie de la société et sont, à ce titre, façonnées par les inégalités sociales et l’exclusion. Néanmoins, les universités sont également des lieux où se déroulent d’importants processus de communication au sein d’une société hétérogène sur le plan culturel et socio-structurel. Plus que dans de nombreux autres domaines de la société, un grand nombre de membres de la société, à savoir les étudiants, peuvent entrer en contact avec d’autres personnes issues de classes sociales et de milieux culturels différents, y compris le groupe important et hétérogène des étudiants internationaux. Il s’agit là d’une force importante, bien que souvent négligée, des universités actuelles. En outre, les universités pourraient également gagner en importance en tant que lieux de discours pertinents pour la société, car la science est, dans sa constitution fondamentale, discursive, incertaine et ouverte aux résultats et à l’interprétation, même si, dans la pratique, elle n’est pas à l’abri d’une tendance à la dogmatisation. Dans une société caractérisée par des interprétations contradictoires de la situation actuelle et de l’avenir souhaitable, où beaucoup de choses sont essayées et tout autant rejetées, l’université, en tant qu’institution discursive, pourrait constituer un cadre approprié pour des processus sociaux de communication parfois conflictuels, qui servent en même temps de laboratoires pour tester et adopter de nouvelles perspectives.


Notes

1. Ce document est une version révisée et mise à jour d’un document publié en allemand en 2021 (Krücken 2021). Afin d’éviter tout malentendu, une brève clarification s’impose lorsque nous parlons d’universités, d’établissements d’enseignement supérieur et de science : Pour les universités, le lien entre la recherche e. t l’enseignement sous l’égide d’une organisation est constitutif. Elles font partie du système global d’enseignement supérieur, qui comprend également d’autres types d’établissements d’enseignement supérieur pour lesquels ce lien n’est pas constitutif. En Allemagne, il s’agit en particulier des universités de sciences appliquées, c’est-à-dire des établissements d’enseignement supérieur sans droit au doctorat, qui sont considérés comme des établissements d’enseignement supérieur au même titre que les universités. L’importance particulière des environnements étatiques soulignée dans le texte s’applique surtout aux universités publiques, et moins aux universités privées, qui sont moins importantes en Allemagne. La science désigne l’ensemble des connaissances systématiquement obtenues et ouvertement vérifiables par le biais de disciplines et de connexions interdisciplinaires, telles qu’elles sont représentées en particulier dans les universités. Cf. Hüther et Krücken 2018 ; Weingart 2001 ; Jacobs 2013.

2.             cf. Habermas 1962; Habermas 1989.

3.             cf. Habermas 1990; Calhoun 1992; Crossley and Roberts 2004.

4.             cf. Habermas 1990.

5.             Parsons 1971, p. 29.

6.             Habermas 1990, p. 48, our translation.

7.             cf. Castells 2001.

8.             cf. Habermas 1990; Calhoun 1992; Crossley and Roberts 2004; Seeliger and Sevignani 2021.

9.             cf. Statista 2021.

10.          For a general overview with the corresponding references, see Hüther and Krücken 2018; Frank and Meyer 2020.

11.          cf. Perrow 1991; Arnold et al. 2022.

12.          cf. Bromley and Meyer 2015.

13.          cf. Habermas 1984, 1987a.

14.          cf. Coleman 1982; Bromley and Meyer 2015.

15.          cf. Olsen and Maasen 2007.

16.          cf. Habermas 1987b.

17.          ibid., p. 21.

18.          cf. Musselin 2007; Hüther and Krücken 2018, pp. 133-176.

19.          cf. Musselin 2007.

20.          cf. Ramirez 2020.

21.          cf. Krücken and Meier 2006; Hüther and Krücken 2018; Krücken 2020

22.          cf. Reckwitz 2020.

23.          cf. Rödder et al. 2012.

24.          cf. Vohland et al. 2021.

25.          cf. Carrigan 2016.

26.          cf. Weingart 2001.

27.          For an exception, see Rödder 2020.

28.          cf. Luhmann 1995, pp. 176-209.

29.          ibid. 1995.

30.          cf. Habermas 1989.

31.          cf. Habermas 1984, 1987a.

32.          cf. Anderson 1983.

33.          cf. Beckert 2016.

34.          cf. Musselin 2021; Berman and Paradeise 2016; Bleiklie et al. 2017; Pineda 2015.

35.          cf. Brankovic et al. 2018, Ringel and Werron 2019.

36.          cf. Christensen et al. 2019.

37.          cf. Simmel 2008.

38.          cf. also Werron 2015.

39.          Simmel 2008, p. 962.

40.          ibid.

41.          cf. Ringel et al. 2021.

42.          cf. Marginson and Rhoades 2002.

43.          cf. Delmestri et al. 2015; Drori et al. 2016.

44.          cf. Frank and Meyer 2020.

45.          cf. Kornberger 2010.

46.          cf. Kosmützky and Krücken 2015; Kosmützky 2016; Berghaeuser and Hoelscher 2020; Jungblut and Jungblut 2017; Oertel and Söll 2017.

47.          Fähnrich et al. 2019, p. 2, our translation.

48.          cf. Espeland and Sauder 2016.

49.          cf. Xie and Teo 2020.

50.          On the historical development, cf. Warner 1996.

51.          cf. Espeland and Sauder 2016.

52.          ibid.

53.          cf. Marcinkowski et al. 2013.

54.          cf. Hüther and Krücken 2018, pp. 9-37.

55.          cf. Krücken 2003.

56.          cf. Meyer and Rowan 1977.

57.          ibid.

58.          cf. Clark 1983.

59.          cf. Sahlin and Eriksson-Zetterquist 2023 for a comprehensive overview; for Germany, see Kosmützky and Krücken 2023, pp. 31-57.

60.          cf. Habermas 1989.


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