le vieux débat CLSC-GMF

En relisant les billets déjà publiés suggérés par la « machine » au bas du dernier billet (médecin de famille & hypertension), je me rend compte que les auteurs du rapport cité, notamment Mme Breton, ont déjà publié sur la question : L’implantation du modèle des groupes de médecine de famille au Québec : potentiel et limites, en 2012 (cité en mars 2012 dans mon court billet les GMF +). Les conclusions de l’étude de 2012 sont assez semblables au rapport de 2025 ! Qu’est-ce qui peut nous faire croire que les suites seront différentes aujourd’hui ?

En 2018, dans la santé ou la médecine à l’acte ?, je référais à un article de La Presse : La santé, un problème d’organisation ou de financement ? qui opposait les analyses de deux « thinktanks ». Le lendemain, Lagacé s’entretenait (anonymement) avec un urgentologue :

« Je suis d’accord avec la population. C’est indécent. On se fait lancer des tomates et on les mérite. Je gagne entre 3500 $ et 5000 $ par nuit de travail de sept heures. La majorité de mes collègues spécialistes font au-delà de 500 000 $ et moi aussi. On n’a vraiment pas besoin de plus d’argent. C’est pas le salaire, le problème. On veut travailler dans un climat sain, où on peut donner des soins qui sont accessibles et de qualité…

—  Donc, selon vous, vous gagnez… trop ?

— Je viens de la classe très moyenne. J’ai choisi la médecine par passion. La médecine d’urgence, même chose. Quand j’ai commencé, il y a une dizaine d’années, je n’en croyais pas mes yeux : 300 000 $ ! Puis, d’année en année, ça n’a pas cessé d’augmenter… »

« Au salaire qu’on te paie », La Presse 2018.02.17

Ce qui m’avait frappé dans l’article de Lagacé c’est que l’urgentologue référait aux patients dans les corridors: « Ils ont une moyenne de 80 ans. » Je me demandais quel type de « médecin de famille » ces personnes pouvaient avoir, alors que plusieurs d’entre elles habitaient dans des CHSLD ou des RPA, et étaient venues à l’urgence en ambulance (après que les pompiers soient venus comme « premiers répondants »). J’avais vu si souvent ce scénario se répéter à la résidence où ma mère a habité… Jean-Robert Sansfaçon, quelques jours plus tard dans un éditorial du Devoir Le tout-à-l’hôpital, soulignait à quel point les promesses de soutenir les services à domicile faites à répétition par les gouvernements avaient été détournées, vidées. Incidemment, CHSLD et RPA, ce sont les domiciles des personnes âgées qui y habitent.

On préfère mobiliser l’artillerie lourde d’un (immense) camion de pompiers « premiers répondants », puis d’une équipe d’ambulanciers pour emmener une personne âgée malade, frêle, venir passer des heures, des jours dans un corridor d’hôpital, afin de soigner une bronchite ou stabiliser sa médication (à moins qu’on ajoute simplement à celle-ci)… plutôt que d’assurer un service décent dans la résidence (collective) du malade.

La RPA est une entreprise privée dont les services de santé relèvent du CSSS (CIUSSS maintenant) mais pas les médecins, qui eux relèvent d’un GMF qui doivent minuter leurs interventions… alors c’est à l’hôpital qu’on envoie le patient: c’est un autre budget. Et puis, avec les plateaux d’examen, la chaîne de production bien huilée1et l’obligation faite aux médecins d’y pratiquer un pourcentage de leur temps, c’est sans doute un environnement de pratique plus sécurisant pour le professionnel que de se retrouver seul (ou presque) dans une résidence de 150 personnes âgées et très âgées.

Le centre hospitalier pratique une médecine industrielle où le médecin généraliste peut compter sur la présente en continu d’une palette de spécialistes « de garde », alors que s’il devait intervenir dans le milieu de vie… son client serait peut-être le premier à lui suggérer de l’envoyer à l’hôpital ! Pourtant, si on renversait la perspective et qu’on faisait de ces milieux de vie collectifs des points de livraison bien équipés pour les services de première ligne. Et, dans la mesure où ils sont mieux répartis sur le territoire que les hôpitaux, ils pourraient servir de « base » pour les services à rendre dans les domiciles plus individuels. Non ?

Quand je parle de « bien équipé », je ne parle pas d’avoir des scanners à chaque coin de rue, mais plutôt des équipes de première ligne qui connaissent leurs populations, ont accès à distance aux dossiers des clientèles, aux conseils des spécialistes de garde, et à des médecins qui peuvent se déplacer, ces derniers étant confiants que l’équipe ne les fera pas venir pour un rhume.

Un renversement de perspective qui ne passera pas par la simple mesure de la productivité médicale. C’est une équipe d’infirmières, de travailleurs sociaux, d’auxiliaires familiales stable et dédiée à une population connue qui est à la base de la productivité médicale. Tenter de gérer les deux séparément, c’est faire fausse route. Mais si la médecine à l’acte, avec ses milliers de page de codification, doit être abandonnée, comment l’approche populationnelle a-t-elle aussi un effet sur l’orientation de pratique des autres professionnels ? Comment favoriser la collaboration entre auxiliaires-TS-infirmières, puis entre celles-ci et les médecins ?

Sans remettre en question les acquis et conditions des conventions collectives, les équipes de première ligne responsables de population devraient être, elles aussi, récompensées pour l’atteinte des objectifs. Pourquoi faut-il en rajouter ? Les conventions collectives devraient suffire, me dit mon oreille gauche. Pourquoi faut-il en rajouter pour les médecins ? Là il semble qu’on en a ajouter à tel point qu’on menace d’en enlever maintenant… C’est à ça que nous conduit la gestion à l’acte…

Dans les conditions actuelles, il s’agit moins de récompenser la performance que de susciter, encourager l’initiative et l’innovation.

Notes

  • 1
    et l’obligation faite aux médecins d’y pratiquer un pourcentage de leur temps

une première ligne agile

Une ancienne ministre de la santé au Canada, mme Philpott, publiait récemment : Health for All: A Doctor’s Prescription for a Healthier Canada. Les reportages diffusés à l’occasion me faisaient penser aux CLSC, dans leur conception d’origine : une équipe multidisciplinaire en charge d’une population donnée, d’un secteur géographique. Mais comme le fait remarquer Andrew Coyne dans le Globe and Mail, cela reproduirait la stagnation du réseau public scolaire. Ajoutez la possibilité pour les usagers de choisir leur clinique et cela insuffle un dynamisme dans le système. L’essentiel serait de fonctionner par capitation : le groupe de professionnels est financé en fonction du nombre (et de la qualité ou du risque associé) de clients. Use primary-care reform as the opportunity to inject more competition into Canada’s health care system.

Bon, je ne suis pas d’accord avec son petit refrain concernant le privé (« public funding need not mean public provision ») bien que, dans notre système actuel, les cliniques médicales sont essentiellement des fournisseurs privés… L’important c’est que la solution n’est pas d’ajouter encore plus d’argent, ni plus de centralisation mais bien plus de responsabilité et une compétition interne au système: les groupes multidisciplinaires étant responsables et financés pour suivre et acheter pour leurs clients les services auprès des hôpitaux et autres organismes spécialisés.

Incidemment, saviez-vous que les omnipraticiens au Québec gagnent 50%++ plus que les médecins en France ? Un médecin omnipraticien en France gagne en général entre 4 500 et 6 000 euros nets par mois (soit de 6 700 à 9 000$ CAN) dans le secteur libéral, tandis que les salaires pour les salariés tendent à être légèrement inférieurs. En moyenne, médecins omnipraticiens au Québec gagnent environ 150 000 à 200 000 CAD nets par an, soit entre 12 500 et 16 600 CAD par mois