lectures d’été 2025

Des lectures que je me promet de poursuivre ou reprendre au cours des prochaines semaines… Lectures ou visionnements, car il y a quelques conférences et entrevues que je n’ai pu encore écouter qui sont dans ma liste. Commençons par là.

Dominique Méda, en entrevue avec…

Dominique Méda est une prof de sociologie du travail et de la décroissance que j’ai découvert avec La mystique de la croissance: comment s’en libérer (2013); plus récemment (2016): L’Âge de la transition : en route pour la reconversion écologique avec Bourg er Kaufman; ou en 2020 : Manifeste Travail : démocratiser, démarchandiser, dépolluer .

Le 30 décembre 2014, dans ce billet intitulé la croissance contre l’avenir je trouvais « revigorante » la lecture de La mystique de la croissance.

Sur Sismique.fr (où l’enregistrement est réalisé) :
« Nous parlons ensemble de la genèse du productivisme, de la dégradation des conditions de travail en France, des limites du capitalisme mondialisé, de la place des jeunes et des classes populaires, de l’Europe comme horizon de transformation… et de la manière dont nous pourrions, collectivement, construire une société plus juste, plus soutenable, plus désirable. »

Que retenir de cet entretien (selon Sismique)?
Concepts & diagnostics
  • Le travail est devenu une norme sociale absolue, un lieu d’identité et de reconnaissance… mais aussi de souffrance.
  • Les conditions de travail en France sont parmi les plus dégradées d’Europe, malgré un haut niveau de protection sociale.
  • Le consensus de Washington a remplacé le consensus de Philadelphie, marquant le passage d’un État social à une logique néolibérale dominante.
  • L’économie mondialisée met en concurrence non seulement les entreprises, mais aussi les modèles sociaux : la protection devient un handicap dans un système non régulé.
Controverses & tensions
  • La transition écologique est perçue comme punitive par les classes populaires, en l’absence de politiques d’accompagnement ambitieuses.
  • La France est prise en étau : entre dettes, injonction à la compétitivité et nécessité de sobriété, le système semble sans issue claire.
  • La planification écologique est nécessaire, mais elle se heurte à la peur de l’économie administrée et à l’idéologie du marché tout-puissant.
  • La jeunesse n’a pas perdu le goût du travail, elle réagit à un marché qui l’a longtemps exploitée et dévalorisée.
Perspectives & solutions
  • Recentrer la société sur les besoins essentiels, plutôt que sur la production infinie de biens marchands.
  • Penser l’Europe comme échelle de résistance et de transformation, pour sortir de la guerre économique tous azimuts.
  • Associer les citoyens à la construction d’un futur commun, à travers des collectifs de travail, des indicateurs alternatifs, et une projection désirable du changement.
  • Utiliser le travail comme levier de transformation écologique et sociale, en créant des emplois utiles, soutenables, valorisants.

Méda et Habermas

La même Dominique Méda s’entretenait (6 juin 2025) avec Géraldine Mosna-Savoye, qui anime le podcast Le Souffle de la pensée sur Radio-France. Leur discussion d’une heure tourne autour d’un texte de Habermas : La technique et la science comme ‘idéologie’.

Morozov et Habermas

Evgeny Morozov avait lui aussi pointé dans The New Legislators of Silicon Valley1Une référence du Sentiers.media de Patrick Tanguay, vers un texte récent (2023) de Habermas :

Et si nos élites technologiques multitâches étaient précisément les forces – rusées, puissantes, parfois délirantes – qui conduisent la « transformation structurelle » de la sphère publique diagnostiquée par Jürgen Habermas dans ses premiers écrits ?

Le jeune Habermas – avant que la théorie des systèmes ne gonfle sa prose et que la nuance ne dilue sa fureur – identifiait le coupable avec une clarté implacable : le déclin du débat critique et ouvert était dû à l’influence corruptrice du pouvoir concentré. On n’a jamais dit mieux. Et pourtant… En actualisant son analyse de 1962 dans 2023 (Espace public et démocratie délibérative : un tournant), Habermas, l’universitaire aristocratique, a choisi de s’agiter autour de sujets tels que le « pilotage algorithmique », une préoccupation pittoresque qui s’apparente à ajuster les cadres d’un tableau alors que la maison s’effondre dans un gouffre.

On n’accusera pas Morozov de diluer de sa fureur dans la nuance… mais son tour d’horizon de l’hubris des « maitres du monde » est stimulant même si pas réjouissant. Comparant les actuels oligarques de la Silicon Valley aux apparatchiks soviétiques (plutôt que chinois), il en vient à prédire leur chute, sous le poids de leurs contradictions :

La réalité, cependant, conserve son point de rupture, une leçon que les bureaucrates soviétiques ont apprise lorsque leurs fictions soigneusement construites se sont brisées contre les contraintes matérielles. Le Parti communiste chinois, plus habile dans ses méthodes, a mis en place des systèmes de collecte des griefs à plusieurs niveaux (forums numériques, fonctionnaires locaux, ONG contrôlées) qui fournissent des informations cruciales sur les troubles potentiels.

Les oligarques-intellectuels font preuve d’un instinct diamétralement opposé : ils suivent la voie soviétique. L’appareil DOGE de Musk transforme les employés restants en mannequins acquiesçants, tandis que ses acolytes traquent les dissidents sur les plateformes numériques avec une efficacité algorithmique. En choisissant le déni de la réalité à la soviétique plutôt que la surveillance de la réalité à la chinoise, ils ont créé des chambres d’écho qui finiront par briser leurs grands projets.

L’ironie est cruelle : ces hommes qui voient des communistes partout sont sur le point de commettre le péché capital de la technocratie soviétique, en confondant leurs modèles élégants avec la réalité indisciplinée qu’ils prétendent dompter.

Nous ne devrions pas vraiment être surpris : lorsque des oligarques-intellectuels s’emparent de l’appareil le plus puissant de l’histoire, ils se transforment inévitablement en apparatchiks, cette fois-ci en vacances dans les tentes improvisées de Burning Man plutôt que dans les sanatoriums chic de Crimée. Elon Musk a peut-être commencé comme un Henry Ford, mais il finira comme un Leonid Brejnev.

Extrait de The New Legislators of Silicon Valley, traduit par DeepL. Ma traduction de l’article en entier (pdf)

Un des liens proposé par Morozov me fait connaître le Stanford Encyclopedia of Philosophy, qui, dans son chapitre consacré à Habermas, résume l’évolution de cette pensée qui traverse le siècle. J’avais lu, au moment de sa sortie, à l’été 2023, l’opuscule Espace public et démocratie délibérative : un tournant. Je me disais à l’époque que cette lecture m’aiderait à me faire une tête à propos d’une initiative comme En commun/Praxis. Je crois qu’une relecture de ce petit livre de 119 pages est de mise. Dans mon billet de juillet 2023 (l’espace et le temps) je disais avoir quelques notes écrites sur cet ouvrage… où sont-elles ?!


Le même Morozov, avec son équipe The-Syllabus me suggère (dans le « Best of Technology » de la semaine) le dernier rapport du AI Now Institute : Artificial Power: 2025 Landscape Report. Cet institut produit des choses intéressantes, critiques sans être pédantes, sur les enjeux de l’IA. Je décide de traduire le résumé (executive summary) du rapport : Le pouvoir artificiel.

Parmi les autres lectures que je me propose :


Et ces conférences-vidéos (et podcast) :

La Grande conférence du 7e colloque international du CRISES : Politiques d’innovation à l’ère des crises multiples – Façonner l’avenir de la société grâce à l’innovation sociale, par Jürgen Howaldt, 15 avril 2025 [47:34].

Climat contre capital

Opposer climat et capital implique de reconnaître qu’il faut collectivement choisir entre perpétuer un modèle complice de la crise climatique ou construire les alternatives qui rompent avec le schéma imposé. Ces alternatives se construisent déjà, dans les luttes paysannes, les résistances autochtones, les appels à la décroissance, les formes de réappropriation collective des ressources et d’économie circulaire, et dans les mouvements de jeunesse.

Avec Joëlle Zask, Alyssa Battistoni et Élisabeth Germain. Animé par Aurélie Lanctôt.


Afrotopiques – le podcast

[Ajout – 15 juin] Une série de podcasts sur le développement économique vu du Sud, avec pour dernière entrevue de la saison : Jean-Louis Laville – Economies populaires et solidaires, le défi de la créativité institutionnelle

Notes

  • 1
    Une référence du Sentiers.media de Patrick Tanguay
  • 2
    d’où est tiré l’article précédent

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