Trois articles (dont j’ai fait des traductions) nous rappellent l’importance du Grand Nord pour le Canada (et le Québec) en terme de souveraineté, qu’elle soit entendue en termes politique, militaire ou numérique.
- Après le dégel, (After the Thaw de Jacob Bolton) dans la revue The Break-Down, décrit l’importance des passages nordiques pour le commerce d’aujourd’hui et de demain.
- Dans le Globe and Mail du 27 septembre dernier, Réclamer l’espace (Claiming Space) par Alexander Macdonald et Chris Hadfield.
- Et dans le Globe and Mail du 4 octobre, Comment cela pourrait commencer (This is what the opening move of the U.S.’s attempted annexation of Canada could look like) par Franklyn Griffiths.
Dans Après le dégel, Bolton trace les parcours actuels et éventuels des navires transportant produits pétroliers et manufacturés entre l’Europe et l’Asie. La navigation saisonnière s’accélérera avec la fonte des glaces, qui devrait permettre la traversée de l’Arctique dans les eaux internationales d’ici 2036 !

L’article de Griffiths et celui de Macdonald et Hadfield mettent en lumière la dimension militaire des enjeux. Le premier indique à quel point la souveraineté canadienne dans les eaux arctiques est fragile. Il imagine comment les États-Unis pourraient contester cette souveraineté en y envoyant des navires de guerre… Hadfield, l’astronaute canadien, et Macdonald font la promotion d’une présence accrue du Canada dans l’espace nordique, pour affirmer notre souveraineté tout en contribuant à la surveillance de la région, dans le cadre des ententes de NORAD ou de l’OTAN. Une partie de l’augmentation des budgets militaires annoncée par le gouvernement Carney devrait être utilisée à cette fin, selon les auteurs.
Un Nord numérique ?
L’Europe, le Canada et les pays d’Asie autres que la Chine souhaitent réduire leur dépendance aux Big Tech américaines, ce qui ne sera pas facile considérant que ces dernières fournissent une grande partie des services numériques dans le monde actuellement.
Amazon, Microsoft, Google et leurs homologues ont acquis un pouvoir énorme sur nos système sociaux, économiques et politiques en s’emparant du contrôle monopolistique des principales technologies numériques. Ces trois entreprises contrôlent à elles seules près de 70 % du marché de l’informatique dématérialisée et plus de la moitié des câbles sous-marins dans le monde si l’on inclut Meta. L’adoption accélérée de l’intelligence artificielle (IA) n’a fait qu’aggraver la situation.
Reclaiming Digital Sovereignty, par Durand, Rikap, Marx et Gerbaudo
Le poids démographique et économique du Canada l’oblige à faire alliance avec d’autres dans ses efforts vers plus de souveraineté numérique. Mais sa position géographique pourrait lui permettre d’offrir à ses alliés une avenue pour plus d’indépendance en matière de communication internationale. Une liaison numérique par cables sous-marins passant par l’Arctique permettrait de relier l’Europe à l’Asie sans passer par les serveurs américains. Cela pourrait aussi représenter une perspective de développement différente pour le nord canadien, autre que l’acheminement du pétrole !
Une telle liaison numérique ne pourrait-elle aussi servir à l’établissement de centres de données profitant des basses températures ambiantes ? À condition d’y amener aussi de l’électricité dont ces centres sont gourmands ! Actuellement les communautés arctiques se fournissent en électricité grâce à des générateurs au diesel.
Nous disposons actuellement de 25 génératrices dans chacune des 25 collectivités du Nunavut, toutes fonctionnent au diésel pour produire de l’électricité. Chaque année, le diésel est acheté et acheminé en vrac durant la courte saison estivale et entreposé dans des réservoirs situés dans chaque collectivité.
Électricité au Nunavut
La Société d’énergie Qulliq a développé des programmes pour inciter les acteurs locaux à développer des projets d’énergie renouvelable. Des études ont été menées pour chacune des 25 communautés du Nunavut en vue du développement d’énergie renouvelable qui viendrait complémenter ou graduellement remplacer la génération au diesel . Par exemple, pour les communautés dans la région de Kitikmeot – Cambridge Bay / Gjoa Haven / Taloyoak / Kugaaruk / Kugluktuk. Un programme d’achat de l’énergie produite par les acteurs locaux, dont on peut consulter le contrat-type.
Mais plus que des études, des projets ont été développés et sont en fonction dans différentes communautés du Nunavut et du Nunavik.
[Ajout : 6 octobre] Le gouvernement du Canada finance de grands projets d’énergie propre dans des communautés autochtones au Québec.
La perspective, la promesse canadienne de consacrer des dizaines de milliards en dépenses militaires au cours des prochaines années devrait servir à faire plus que d’acheter des avions et des navires hors de prix. L’indépendance numérique du pays devrait faire parti du « package », considérant que l’actuelle concentration des réseaux autour, à travers de quelques grands fournisseurs américains est un risque contre lequel se prémunir. Une liaison numérique pan-canadienne passant par le nord serait un atout non seulement pour le pays mais aussi pour nos alliés qui souhaitent contrebalancer leur propre dépendance aux infrastructures états-uniennes.
