Traduction de Guns or Butter? – How the German government is trying to reboot the economy with military spending, par Dierk Hirschel, dans le Rosa-Luxemburg-Stiftung.
La coalition gouvernementale allemande entre les chrétiens-démocrates (CDU/CSU) et les sociaux-démocrates (SPD) a démarré en fanfare sur le plan financier. Avec l’aide des Verts, elle a adopté un plan de relance de plusieurs milliards d’euros. Berlin a créé un fonds spécial pour les infrastructures de 500 milliards d’euros, a exempté les dépenses militaires de la législation sur le frein à l’endettement et a autorisé les États fédéraux à contracter un montant limité de nouvelles dettes. Le gouvernement Merz a ainsi créé la marge de manœuvre nécessaire pour financer les principaux objectifs politiques de la grande coalition : investissements dans les infrastructures, augmentation des dépenses militaires, garantie du niveau des retraites, pensions des mères, réduction de la TVA dans le secteur de la restauration et augmentation des abattements fiscaux pour les navetteurs.
Dierk Hirschel est économiste en chef du syndicat des services Ver.di et membre du Parti social-démocrate.
La grande coalition a ensuite révisé la réglementation en matière d’amortissement, accordé des allégements fiscaux aux entreprises et réduit les coûts énergétiques. C’est ainsi que Berlin souhaite relancer la croissance, mais jusqu’à présent, le succès n’est pas au rendez-vous. Si les incitations à l’investissement ne fonctionnent pas en raison d’une demande faible en biens et services, alors la seule chose qui augmentera à la suite de la perte de recettes fiscales sera la dette nationale.
En ce qui concerne le marché du travail et la politique sociale, les partenaires de la coalition se sont mis d’accord sur une loi fédérale sur le respect des conventions collectives (Bundestariftreuegesetz), les droits d’accès numérique pour les syndicats, une limite de 20 kg pour les livraisons de colis et une responsabilité des sous-traitants pour les services de messagerie express. Le niveau des prestations de retraite sera fixé à 48 % jusqu’en 2031, et les pensions continueront d’être versées sans réduction après 45 ans de cotisation à l’assurance maladie. La coalition vise également à renforcer les dispositions relatives à la retraite professionnelle.
Toutes ces mesures sont susceptibles d’améliorer les conditions de vie des salariés. L’empreinte des sociaux-démocrates sur l’accord de coalition est clairement reconnaissable ici.
En revanche, le gouvernement Merz a adopté une approche anti-salariés en matière de temps de travail et d’allocations chômage. La grande coalition souhaite assouplir la loi sur le temps de travail, offrir des incitations fiscales pour les heures supplémentaires et réduire les allocations chômage.
La suppression prévue de la journée de huit heures au profit d’un plafond hebdomadaire du temps de travail constitue une attaque contre l’une des plus grandes conquêtes du mouvement ouvrier. À l’avenir, les entreprises pourraient obliger les travailleurs des secteurs de la livraison, des soins et du nettoyage à travailler jusqu’à 13 heures par jour. Les employés auraient ainsi moins de temps pour se reposer, s’occuper de leur famille et mener leur vie privée. Des journées de travail excessivement longues augmenteraient également de manière significative les risques de maladies mentales, de souffrances physiques et d’accidents du travail.
Les institutions de sécurité sociale ont besoin de plus d’argent pour maintenir les services qu’elles fournissent actuellement.
La protection contre le chômage était autrefois une réalisation majeure de notre État providence. Aujourd’hui, la grande coalition tente de ramener le système actuel d’allocations chômage (Bürgergeld) vers l’ancien modèle, connu sous le nom de Hartz IV. Le chancelier Merz espère économiser cinq milliards d’euros sur les prestations sociales de base.1 Pour y parvenir, les sanctions seront alourdies, les exemptions patrimoniales réduites et le principe de Vermittlungsvorrang réintroduit, ce qui signifie que les chômeurs seront contraints d’accepter n’importe quel type d’emploi, aussi mauvais ou inadapté soit-il. Cela affaiblit le pouvoir de négociation des travailleurs et accroît la pression à la baisse sur les salaires.
Un conflit majeur sur l’avenir de la sécurité sociale fait rage entre la CDU/CSU et le SPD. Des questions financières cruciales concernant les retraites légales, l’assurance maladie et les soins de santé ne sont pas encore résolues. Plusieurs « commissions sur l’État providence » sont chargées de trouver des solutions.
Au cours de l’été, la CDU/CSU a annoncé un automne de réformes. Le chancelier Friedrich Merz affirme que l’État providence n’est plus abordable. Le secrétaire de la CDU, Carsten Linnemann, et le chef du groupe CDU/CSU au Bundestag, Jens Spahn, réclament des « réformes structurelles », ce qui est une manière détournée de dire qu’ils veulent démanteler l’État providence. Les cotisations sociales et les subventions fédérales doivent être plafonnées et diminuer à l’avenir. Les prestations sociales doivent être limitées par un relèvement de l’âge de la retraite, une augmentation des cotisations salariales et un plafonnement des prestations d’assurance maladie.
Le SPD reste opposé à ces projets et demande une augmentation des recettes de l’État providence par le biais d’une hausse des impôts sur les revenus et les fortunes élevés. On ne sait toutefois pas combien de temps le partenaire minoritaire de la coalition résistera aux coupes dans les prestations sociales. Le ministre des Finances, Lars Klingbeil, a déjà demandé à ses collègues du cabinet de présenter des recommandations concrètes de coupes dans le budget 2027 afin d’éviter un dépassement budgétaire de 30 milliards d’euros. Dans le pire des cas, un Agenda 2030, qui rappelle les attaques du gouvernement SPD contre les dépenses sociales au début des années 2000, se profile déjà, avec des coupes massives dans la protection des travailleurs et la protection sociale.
Un budget risqué
Le Bundestag délibère actuellement sur le budget de la grande coalition. Les représentants du peuple décident du montant que le gouvernement peut dépenser et à quelles fins. Ce faisant, le parlement allemand détermine l’orientation que prendra le gouvernement. L’avenir de l’État providence, la défense du territoire national, les infrastructures du pays et la manière dont l’Allemagne s’adapte au changement climatique dépendent actuellement de la situation financière du pays.
Le budget du gouvernement Merz s’élèvera à environ 520 milliards d’euros l’année prochaine. Au cours des quatre prochaines années, les dépenses nationales devraient augmenter de plus de 50 milliards d’euros. Les augmentations des dépenses concerneront principalement la défense et les infrastructures. La grande coalition va quadrupler le budget de la défense pour le porter à 153 milliards d’euros d’ici 2029. Il y a dix ans à peine, Merkel et von der Leyen ne dépensaient que 38 milliards d’euros pour l’armée. En outre, Klingbeil souhaite investir environ 120 milliards d’euros dans les routes, les crèches, les écoles, les hôpitaux, le logement et Internet. Un nouveau record !
Le trésorier de la nation finance l’augmentation des dépenses nationales à crédit, car les recettes fiscales ne suffiront pas à couvrir cette augmentation. Au contraire, la grande coalition a accordé des millions d’euros d’allégements fiscaux aux entreprises afin de stimuler la croissance, réduisant ainsi les recettes de l’État. Le déficit budgétaire devrait atteindre un niveau historique de 172 milliards d’euros d’ici 2029.
Les dépenses militaires ne sont pas un investissement qui rapportera des revenus à l’avenir. Les produits militaires sont du capital mort.
Les partenaires de la coalition se disputent sur la manière de combler le trou budgétaire. Le trésorier du SPD mise sur la croissance, la création d’emplois et l’augmentation des recettes fiscales. Il souhaite également augmenter les impôts des plus riches. Merz, Reiche, Linnemann et leurs acolytes veulent réduire les prestations sociales (allocations chômage, aides au logement, aides aux réfugiés, etc.) et s’opposent catégoriquement à toute augmentation d’impôts.
On voit clairement où cela mène : comme la CDU/CSU vise à protéger la fortune privée de l’impôt, seule une reprise économique peut permettre à la grande coalition d’atteindre ses objectifs. Mais si la reprise ne se concrétise pas, le ministre autoproclamé de l’Investissement devra se transformer en commissaire à l’austérité. Ce serait néfaste pour le SPD. Et pourtant, Klingbeil et Pistorius promettaient encore récemment des armes et du beurre. Cela pourrait-il être un point de conflit pour le gouvernement de coalition ?
La direction du SPD a déclaré à plusieurs reprises que l’augmentation des dépenses militaires ne se ferait pas au détriment de l’État providence ou de la politique en matière de changement climatique. Cela s’inscrit tout à fait dans la tradition du président américain Lyndon B. Johnson. Le successeur de John F. Kennedy a augmenté les dépenses militaires pour la guerre du Vietnam tout en cherchant à lutter contre la pauvreté avec ses programmes Great Society. Johnson a tenu ses promesses en matière d’armement et de bien-être social. Mais l’histoire ne se répète pas. Ou si elle le fait, ce n’est que sous forme de tragédie ou de farce.
Le réarmement militaire à crédit
L’attaque de Poutine contre l’Ukraine a déclenché une spirale mondiale de réarmement. Les dépenses militaires de l’OTAN s’élèvent actuellement à 1 300 milliards d’euros. Cela représente plus de la moitié de toutes les dépenses militairesmondiales. Le nouvel objectif de 5 % fixé par l’alliance militaire transatlantique fera passer les dépenses de défense des 32 États membres à un total de 11 500 milliards d’euros d’ici 2035.
Pendant ce temps, l’Allemagne dépense sans compter pour ses forces armées (la Bundeswehr) et ses fabricants d’armes. Le pays dispose déjà du quatrième budget de défense au monde, mais il y a toujours moyen de faire mieux !
La promesse de Merz d’augmenter le budget militaire à 5 % du PIB d’ici 2035 se traduira par des dépenses annuelles de 215 milliards d’euros. C’est plus que ce qui est actuellement dépensé pour les relations professionnelles et les services sociaux. La grande coalition va payer ses achats militaires avec sa carte de crédit.
Le nouveau keynésianisme militaire va-t-il créer un nouveau miracle économique militaire ?
La grande coalition peut désormais financer à crédit toutes les dépenses militaires supérieures à 1 % du PIB. Ou, pour reprendre les mots de Friedrich Merz : « Whatever it takes » (tout ce qu’il faudra). Pourtant, aucune planification détaillée des besoins concernant les nouveaux jouets de guerre n’a été effectuée.
Les dépenses militaires supplémentaires financées par crédit pourraient s’élever à 1 500 milliards d’euros au cours des dix prochaines années. La Bundeswehr recevra également 100 milliards d’euros provenant du fonds spécial de défense.
De plus, le fonds d’infrastructure de 500 milliards d’euros facilitera les investissements dans les infrastructures physiques et sociales. Ces investissements peuvent et doivent également suivre une logique militaire, en étant consacrés à des ponts et des routes blindés, des cliniques militaires et des services d’urgence.
Sur le plan financier, le financement des dépenses militaires et d’infrastructure à crédit constitue un changement de paradigme pour l’Allemagne. Pendant des décennies, la dette a été considérée comme l’œuvre du diable. Désormais, Merz et Klingbeil peuvent utiliser leurs cartes de crédit pour empêcher que d’âpres luttes de redistribution ne menacent les efforts d’expansion militaire. Augmenter la TVA ou réduire les retraites pour financer de nouveaux chars et avions de combat serait extrêmement impopulaire.
L’expansion militaire peut-elle stimuler la croissance ?
Les économistes débattent actuellement des effets que l’augmentation des dépenses militaires aura sur la croissance. Le nouveau keynésianisme militaire créera-t-il un nouveau miracle économique couleur kaki ?
Les dépenses militaires ne sont pas un investissement qui rapportera des revenus plus tard. Les produits militaires sont du capital mort. D’un point de vue économique, les dépenses militaires ne sont que de la consommation publique. Ces dépenses improductives détournent également des ressources (experts, capitaux, terres) de leurs utilisations productives. Cela freine la dynamique économique à moyen terme. Pourtant, les dépenses militaires peuvent stimuler l’économie à court terme, mais pour cela, il faudrait que les nouvelles armes soient achetées sur le marché intérieur et fabriquées localement. Outre les fabricants d’armes, l’augmentation des dépenses militaires profiterait à la production et au commerce des métaux, ainsi qu’aux entreprises de transport et de logistique. Actuellement, l’Allemagne compte 230 entreprises d’armement qui emploient environ 70 000 personnes. Ce chiffre pourrait connaître une augmentation spectaculaire à l’avenir.
Dans une récente étude, l’Institut libéral de Kiel pour l’économie mondiale affirme que l’augmentation des dépenses militaires des membres de l’UE de 2 à 3,5 % du PIB entraînerait une croissance annuelle de 0,9 à 1,5 %. Le multiplicateur des dépenses d’armement serait compris entre 0,6 et 1,5. En d’autres termes, chaque euro dépensé par l’État pour le réarmement augmente la production économique nationale de 60 centimes à 1,50 euro. En comparaison, le multiplicateur pour les investissements dans les infrastructures est d’environ 1,5, tandis que celui pour les dépenses d’éducation est d’environ 3.
L’Institut der Deutschen Wirtschaft (IW), favorable à l’industrie, estime que le gouvernement Merz parviendra à mobiliser 400 milliards d’euros supplémentaires d’ici 2028 grâce aux exceptions au frein à l’endettement. Cette augmentation à court terme de la demande entraînerait une hausse du PIB réel de 5,4 %. Cependant, la dynamique économique s’affaiblirait ensuite : selon l’IW, l’augmentation des dépenses militaires ne contribuerait plus à la croissance à partir de 2029.
À moyen terme, l’économie bénéficierait également des retombées positives de l’industrie de l’armement. La recherche militaire de haute technologie peut être transférée à d’autres industries civiles, ce qui entraîne une augmentation de la productivité dans l’ensemble de l’économie. Le complexe militaro-industriel américain est connu pour avoir donné naissance à Internet et au GPS. Seize pour cent des dépenses militaires de Washington sont consacrées à la recherche et au développement, alors que dans l’UE, ce chiffre n’est que de 4,5 %. Selon cette logique, une recherche militaire plus importante devrait augmenter la productivité de l’industrie privée.
Si l’activité économique continue de s’effondrer, chaque euro dépensé pour des chars, des munitions, des avions de combat, des intérêts et l’amortissement des prêts est retiré des budgets consacrés à la garde d’enfants, aux hôpitaux, aux soins de santé, aux logements abordables, à l’énergie et aux réseaux ferroviaires.
Rappelons que bon nombre des économistes radicaux du marché qui affirment aujourd’hui que le financement des dépenses militaires à crédit créerait un boom économique ont, jusqu’à récemment, vivement critiqué toute forme de programme de croissance économique financé par l’État à crédit. Ils affirmaient que le financement des dépenses publiques à crédit ne ferait que freiner les investissements privés et ne serait qu’un feu de paille. Le soi-disant tournant s’accompagne donc également d’un assouplissement idéologique.
Les économistes keynésiens Tom Krebs et Patrick Kaczmarczyk ont une perspective différente sur l’impact des dépenses militaires sur la croissance. Ils estiment que leur multiplicateur budgétaire est très faible, entre 0 et 0,5, arguant qu’à court terme, en raison d’une concurrence limitée et de capacités de production épuisées, une augmentation des dépenses militaires ne ferait qu’alimenter l’inflation et augmenter les profits des fabricants d’armes.
Dans l’industrie de l’armement, le mot « concurrence » est tabou. Le secteur se caractérise par une concentration oligarchique de la propriété et une centralisation. Le nombre moyen d’offres par appel d’offres dans le domaine de la défense et de la sécurité est passé de plus de sept en 2009 à un peu moins de deux en 2017. Près de la moitié du fonds spécial de défense est versée à Rheinmetall, le plus grand fabricant d’armes allemand. Le poids commercial des quelques fabricants d’armes leur permet de fixer librement les prix. Selon un rapport interne de l’industrie de l’armement, 11 des 13 grands projets d’armement sont plus coûteux que prévu. Les coûts supplémentaires s’élèvent à un total d’environ 13 milliards d’euros.
Il n’est donc pas étonnant que les bénéfices de Rheinmetall, Hensoldt, Diehl et consorts atteignent des sommets. La marge bénéficiaire nette de Rheinmetall a atteint 7 %. Hensoldt AG affiche une marge nette de 3 à 5 %, en constante augmentation. Le rendement des capitaux propres des deux fabricants d’armes se situe entre 10 et 20 %. Les dividendes versés aux actionnaires de Rheinmetall et Hensoldt ont quadruplé entre 2020 et 2024. Les actions de Rheinmetall sont passées de 74 à plus de 1 900 euros, tandis que celles de Hensoldt AG sont passées de 12 à 100 euros.
De plus, les effets de croissance des dépenses publiques supplémentaires sont nuls si les marchés publics sont attribués principalement à des entreprises étrangères. Près de 80 % des contrats d’armement européens sont exécutés par des entreprises non européennes. C’est une bonne nouvelle pour Lockheed Martin, Northrop Grumman, Boeing et consorts, mais cela ne contribue en rien à la croissance en Allemagne ou dans l’UE.
Il est également clair que l’augmentation des capacités de production dans l’industrie de l’armement peut aggraver la pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans d’autres secteurs. Dans le même temps, l’essor de l’emploi dans l’industrie de l’armement, très capitalistique, n’est pas suffisant pour amortir la crise structurelle et commerciale de l’industrie automobile.2
En bref, le taux de rendement économique global des dépenses militaires est très faible. Le réarmement n’est pas un moteur de croissance.
Le réarmement pèse sur les finances publiques
Les dépenses militaires à crédit peuvent peser lourdement sur les finances publiques. Le réarmement financé par crédit augmente dans un premier temps les remboursements de la dette future. L’État paie actuellement environ 30 milliards d’euros d’intérêts. Ce montant devrait doubler au cours des quatre prochaines années.
Le service de la dette implique également un amortissement. Les anciennes dettes nationales peuvent être remboursées à plusieurs reprises en contractant de nouvelles dettes. Dans cette mesure, l’État ne doit pas amortir son crédit. Pourtant, le gouvernement Merz veut rembourser les prêts d’urgence et le fonds spécial.
Des plans d’amortissement détaillés ont été élaborés à cette fin. Les prêts liés à la pandémie de coronavirus, qui s’élèvent à 335 milliards d’euros, devront être remboursés à partir de 2028. L’amortissement du fonds spécial de défense de 100 milliards d’euros suivra en 2031, et le premier versement du fonds spécial pour les infrastructures de 500 milliards d’euros est prévu à partir de 2037, ou 2044 au plus tard. Avec les intérêts, le remboursement de la dette atteindra presque un montant à 12 chiffres.
Les syndicats, les organisations sociales et environnementales, les mouvements sociaux et les partis politiques progressistes doivent se préparer à ce conflit social majeur afin de pouvoir mobiliser massivement la population pour les luttes défensives qui s’annoncent.
Dépenser 100 milliards d’euros par an pour le service de la dette ne limite pas nécessairement la marge de manœuvre de l’État. En fin de compte, les investissements et la consommation financés par la dette peuvent dynamiser l’économie, car un produit social plus important facilite l’augmentation des recettes fiscales. Malgré l’augmentation des intérêts et des amortissements, ces derniers peuvent suffire à financer de manière adéquate l’État providence. Si l’économie est en plein essor, les dépenses militaires et le service de la dette ne se feront pas au détriment des services sociaux. Cela nécessiterait une croissance réelle moyenne d’au moins 2 %.
Toutefois, si l’activité économique continue de s’effondrer, chaque euro dépensé pour des chars, des munitions, des avions de combat, des intérêts et l’amortissement des prêts est retiré des budgets consacrés à la garde d’enfants, aux hôpitaux, aux soins de santé, aux logements abordables, à l’énergie et aux réseaux ferroviaires. Dans le même temps, la marge de distribution pour les négociations collectives dans la fonction publique se réduit.
À l’heure actuelle, aucune reprise forte n’est en vue. Les experts prédisent une stagnation économique pour 2025. Pour l’année prochaine, ils estiment que la reprise sera faible à modérée (croissance réelle de 1,0 à 1,7 %), non pas en raison d’une augmentation des dépenses militaires, mais plutôt d’une augmentation des investissements dans les infrastructures publiques. Néanmoins, les perspectives de reprise économique restent incertaines en raison de la situation géopolitique tendue.
L’avenir de l’État providence
Indépendamment de la situation économique, les besoins sociaux vont augmenter dans les années à venir. Le vieillissement de la société, la précarité et la mauvaise rémunération de nombreux emplois, la pauvreté des enfants, la pénurie de logements, la demande croissante de services de garde d’enfants et la configuration sociale de la transformation écologique exigent tous un État providence plus important, et non pas plus restreint.
Les institutions de sécurité sociale ont besoin de plus d’argent pour maintenir les services qu’elles fournissent actuellement. Pour ce faire, les cotisations et/ou le financement fédéral doivent être considérablement augmentés. De plus, si l’on veut mieux protéger la population contre les principaux risques — pensions de retraite plus élevées, assurance maladie complète, meilleur personnel et meilleurs salaires pour les travailleurs du secteur de la santé et du travail social —, les besoins financiers des assureurs continueront d’augmenter.
Pourtant, l’État providence ne se limite pas à la sécurité sociale. Pour combler le retard en matière d’investissements dans les infrastructures sociales et physiques, il faudra investir en moyenne plusieurs dizaines de milliards d’euros par an. Si le fonds spécial pour les infrastructures peut y contribuer, il n’en reste pas moins que ces 500 milliards d’euros (dont 100 milliards iront au fonds d’adaptation au changement climatique et un montant équivalent aux États fédéraux sur une période de 12 ans) sont insuffisants. À eux seuls, les États fédéraux et les municipalités ont des investissements s’élevant à plus de 216 milliards d’euros.
Les syndicats ne veulent pas que l’armée soit un gouffre financier sans fond.
Les crèches, les écoles, les universités, les cliniques et les maisons de retraite ont également besoin de plus de personnel. Les hôpitaux et les maisons de retraite connaissent chacun une pénurie de personnel de plus de 100 000 personnes. L’éducation et la garde des jeunes enfants connaîtront bientôt une pénurie de 190 000 travailleurs qualifiés, et la pénurie dans la fonction publique a atteint plus de 300 000 personnes. En conséquence, les dépenses en personnel et en matériel doivent également être augmentées de plusieurs dizaines de milliards d’euros en moyenne.
Alors que les exigences envers l’État providence augmentent, les fonds nécessaires à l’expansion des services publics et de la sécurité sociale ne seront pas disponibles sans une situation économique décente et une plus grande justice fiscale. L’augmentation des dépenses militaires et le service de la dette qui y est associé risquent d’aggraver les difficultés financières de l’État providence.
En conséquence, les conflits de redistribution des ressources budgétaires limitées s’intensifient. La guerre des classes menée par les classes supérieures a déjà commencé. Les associations patronales veulent sabrer dans l’État providence. Elles réclament un plafonnement des cotisations sociales globales, la suppression des garanties de performance supplémentaires, l’abolition de la retraite à 63 ans et un relèvement de l’âge global de la retraite. Dans le même temps, la BDA (Confédération des associations patronales allemandes), la BDI (Fédération des industries allemandes) et leurs acolytes, en accord avec la CDU/CSU, rejettent les augmentations d’impôts sur les revenus et les fortunes élevés ainsi que les taxes exceptionnelles pour les fabricants d’armes.
Les syndicats, les organisations sociales et environnementales, les mouvements sociaux et les partis politiques progressistes doivent se préparer à ce conflit social majeur afin d’être en mesure de mobiliser massivement la population pour les luttes défensives qui s’annoncent.
Les syndicats ne veulent pas que l’armée soit un gouffre financier sans fond. L’argent qui est dépensé aujourd’hui pour le réarmement manquera demain pour une éducation de qualité, la sécurité sociale et la lutte contre le changement climatique. Sans une forte reprise économique et une politique fiscale équitable, des coupes budgétaires et le démantèlement des services sociaux se profilent déjà à l’horizon. Plutôt que des armes et du beurre, il n’y aura que des armes. C’est ce que nous devons empêcher.
Cet article a été publié pour la première fois dans LuXemburg. Traduit par Marty Hiatt et Joseph Keady ou le collectif de traduction Gegensatz.
1 L’explosion supposée des dépenses sociales ne s’est jamais produite. Le coût des allocations chômage a certes dépassé les 50 milliards d’euros, mais les chiffres absolus n’ont pas de sens s’ils ne sont pas mis en relation avec les performances économiques d’un pays. En pourcentage du PIB, les dépenses consacrées aux allocations chômage et à la sécurité sociale ont chuté de 2,8 % à 1,7 % au cours des 20 dernières années.
2 L’industrie automobile allemande emploie actuellement environ 770 000 personnes. Un emploi sur cinq est menacé par la transformation structurelle.
