27/10/2025

Polarisation affective dans le système partisan canadien, 1988-2021

Traduction de l’article de Richard Johnston, Affective Polarization in the Canadian Party System, 1988–2021 dans la Revue canadienne de science politique

Note du traducteur : Je n’ai pas encore complété le transfert des liens vers les références et notes de bas de page, qui conduisent encore vers le document original en anglais. Ni n’ai encore inclus les graphiques de l’article. (27 octobre)

Résumé

Le présent article présente trois décennies de données d’enquête largement cohérentes sur les sentiments des répondants à l’égard des partis comme preuve de la polarisation affective. Il présente également des preuves de différences politiques entre les partis et établit un lien explicite entre les données de l’élite et de la masse avec une modélisation à plusieurs niveaux. L’article montre que la polarisation affective est réelle et démontre également son lien avec le paysage idéologique. Mais il révèle également que les catégories conceptuelles provenant des États-Unis doivent être adaptées au système multipartite du Canada et aux contrastes persistants entre le Québec et le reste du Canada. Il suggère que les comptes rendus du système de partis du XXe siècle au Canada peuvent ne pas s’appliquer au XXIe siècle.

1 Introduction

Les partis canadiens et leurs partisans semblent s’engager sur la voie d’une polarisation affective. Cette affirmation est régulièrement reprise par les médias, et les recherches universitaires accumulent les preuves à l’appui. Il s’agit notamment de données comparatives (par exemple, Boxell et al., Référence Boxell, Gentzkow et Shapiro2020 ; Gidron et al., Référence Gidron, Adams et Horne2020), qui placent la polarisation canadienne près du centre du peloton mondial. Les tendances canadiennes (Cochrane, Référence Cochrane2015) semblent à peu près parallèles à celles des États-Unis (Iyengar et al., Référence Iyengar, Sood et Lelkes2012). Mais les repères conceptuels provenant des États-Unis présupposent un système bipartite nationalisé et un cadre de séparation des pouvoirs, qui ne s’appliquent pas bien à un système parlementaire multipartite avec un électorat segmenté entre le Québec et le reste du pays. De plus, les recherches américaines ignorent généralement le grand nombre de non-partisans. La littérature comparative comble certaines de ces lacunes, mais au détriment de la profondeur et du contexte. Et cette littérature fait des affirmations contradictoires sur les tendances.

Le présent article comble ces lacunes en mobilisant trois décennies de données d’enquête canadiennes largement cohérentes sur les sentiments à l’égard des partis. Il établit des comparaisons entre chaque parti canadien et ses partisans en présentant des données pour chaque entité séparément, mais en les juxtaposant. Il le fait en parallèle pour le Québec et le reste du Canada. Il établit un lien entre les tendances affectives et les changements dans le positionnement idéologique des partis.

L’article confirme que, dans l’ensemble, la polarisation affective s’est accrue, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du Québec. Cela est vrai même si certaines parties du système se sont dépolarisées. Les changements dans les sentiments correspondent à des changements dans les divergences politiques entre les candidats au pouvoir. L’article fournit des preuves suggestives que le lien entre la politique et les sentiments est causal : la politique influence les sentiments. Il se termine par une discussion sur d’autres implications, notamment pour nos modèles du système des partis canadiens.

2 Contexte

2.1 Preuves contradictoires sur les tendances

Les preuves scientifiques penchent en faveur d’une polarisation accrue au Canada, mais les résultats sont mitigés. Il est certain que la négativité envers les partis rivaux est un thème récurrent dans les travaux récents, par exemple ceux de Caruana et al. (Référence Caruana, Michael McGregor et Stephenson2015) et McGregor et al. (Référence McGregor, Caruana et Stephenson2015). Cette négativité se répercute sur les relations sociales et les perceptions : les partisans d’un parti surestiment leurs divergences politiques avec les partisans d’autres partis et laissent ces considérations influencer même le choix de leurs partenaires amoureux (Merkley, référence Merkley2021b).

Ces tendances semblent correspondre à celles observées aux États-Unis (Iyengar, et al. référence Iyengar, Sood et Lelkes2012). Contrairement aux sentiments envers les groupes ethniques et religieux, qui sont limités par des considérations de désirabilité sociale, le mépris envers les partis politiques est sans limite :

Contrairement à la race, au genre et à d’autres divisions sociales où les attitudes et les comportements liés aux groupes sont limités par les normes sociales… il n’existe aucune pression correspondante pour tempérer la désapprobation des adversaires politiques. Au contraire, la rhétorique et les actions des dirigeants politiques démontrent que l’hostilité envers l’opposition est acceptable, voire appropriée. Les partisans se sentent donc libres d’exprimer leur animosité et d’adopter un comportement discriminatoire envers les partisans adverses. (Iyengar et Westwood, Référence Iyengar et Westwood2015 : 690)

Aux États-Unis, les préjugés partisans sont plus importants que les préjugés raciaux ou religieux (Iyengar et al., Référence Iyengar, Sood et Lelkes2012 : Figure 3). Comme au Canada, il s’étend au-delà du monde de la politique publique pour toucher des opinions sur, par exemple, les mariages entre personnes de partis différents (Iyengar et al., Référence Iyengar, Sood et Lelkes2012 : Figure 4). Et il est clairement en augmentation (Iyengar et al., Référence Iyengar, Sood et Lelkes2012 : Figure 1).

Figure 1 Dispersion des cotes des partis, 1988-2021

Remarque : L’indicateur de dispersion est l’écart type. Les données sous-jacentes comprennent tous les répondants de chaque région.

Cochrane (référence Cochrane2015 : figure 8.4) soutient que ces tendances apparaissent également au Canada. Mais les travaux comparatifs incluant le Canada sont moins clairs. Boxell et al. (référence Boxell, Gentzkow et Shapiro2020 : figures 1 et 2) soutiennent le point de vue de Cochrane. Dans leur ensemble de données portant sur neuf pays, les seuls autres systèmes présentant une polarisation croissante sont les États-Unis et la Suisse. La même étude (Boxell et al., référence Boxell, Gentzkow et Shapiro2020 : tableau 1) place le Canada parmi les pays les plus polarisés, plus que les États-Unis.Note de bas de page 1 Mais Gidron et al. (référence Gidron, Adams et Horne2020 : figure 1) placent le Canada parmi les pays les moins polarisés et constatent que les Canadiens sont devenus moins polarisés, et non plus.

Figure 2 Graphiques de densité pour les cotes des partis, 1988-2021

Remarque : Les entrées pour chaque parti et chaque année sont des graphiques de densité kernel. Kernel = Epanechnikov. Demi-largeur du kernel = 10. Les données sous-jacentes comprennent tous les répondants de chaque région.

Tableau 1 Position idéologique et influence des partis

Remarque : Les entrées des cellules indiquent l’impact prévu sur le sentiment d’un glissement idéologique vers la droite du parti évalué, en fonction de l’identification partisane du répondant. Par exemple, la colonne pour le NPD montre qu’un partisan du NPD devrait moins apprécier ce parti à mesure qu’il se situe plus à droite, tandis que les partisans libéraux et conservateurs devraient davantage apprécier ce parti.

Cette confusion reflète les variations dans les méthodes et les sources de données. Les études multinationales s’appuient sur des indices pour effectuer des comparaisons, mais ces indices diffèrent quant au nombre de partis pris en compte dans le calcul, à la pondération ou non des partis, à la manière dont ils sont pondérés et à l’inclusion ou non des non-partisans. Ils diffèrent également en ce qui concerne l’échelle de temps utilisée pour imputer les tendances. Les travaux de Cochrane couvrent 43 ans, ceux de Boxell et al. 30 ans et ceux de Gidron et al. environ 20 ans. Les ensembles de données comparatives peuvent inclure des études qui diffèrent par leur mode de travail sur le terrain et, par conséquent, par la composition de l’échantillon. Certains ensembles de données se concentrent sur les données préélectorales, d’autres sur les données postélectorales et certains combinent les deux.

2.2 Affect et idéologie

Il est naturel de se demander si la polarisation affective reflète des différences politiques substantielles entre les partis. Des décennies de recherche sur les systèmes de croyances dans les masses populaires pourraient nous faire hésiter. Converse (Référence Converse et E1964) a brossé un tableau sombre pour les États-Unis, et il n’y a aucune raison de penser que ses conclusions ne s’appliquent pas au Canada. Sa conclusion principale est que les répondants à l’enquête ont du mal à comprendre même les notions minimales d’idéologie. La structure qui apparaît est un sous-produit du sentiment collectif. Aux États-Unis, le fossé affectif qui se creuse entre les partisans n’a pas d’équivalent dans les écarts entre ceux qui se décrivent comme libéraux et ceux qui se décrivent comme conservateurs (Iyengar et al., Référence Iyengar, Sood et Lelkes2012 : Figure 2 ; Kinder et Kalmoe, Référence Kinder et Kalmoe2017 : Figure 5.3). De même, l’antipathie mutuelle masque les similitudes sous-jacentes entre les bases populaires des partis rivaux (Mason, référence Mason2015). Jusqu’à présent, l’ingrédient actif semble être la partisanerie en tant que telle.

Cependant, les preuves contraires s’accumulent. Wagner (Référence Wagner2021), Ward et Tavits (Référence Ward et Tavits2019) et Medeiros et Noël (Référence Medeiros et Noël2014) démontrent tous les liens entre l’idéologie et l’affect. Ce qui est moins clair, c’est ce qui cause quoi. Pour Medeiros et Noël, le chemin mène de l’idéologie à l’affect. Pour Ward et Tavits, c’est l’inverse qui est vrai. Wagner modélise la relation comme si l’idéologie suivait l’affect, mais il n’insiste pas sur une interprétation causale. Et dans la mesure où tous ces travaux s’appuient sur les déclarations des répondants pour les deux côtés de l’équation, les résultats sont intrinsèquement ambigus.

Cette ambiguïté est toutefois en train de se dissiper. Druckman et Levendusky (référence Druckman et Levendusky 2019) montrent que la distance sociale entre les groupes partisans ne concerne qu’accessoirement les citoyens en masse ; l’accent est essentiellement mis sur les élites. Un exemple canadien de cette focalisation sur les élites concerne le contexte multipartite du pays : McGregor et al. (Référence McGregor, Caruana et Stephenson2015) montrent que le moteur de la négativité partisane est principalement la distance idéologique, définie non pas par les déclarations des répondants, mais par le classement gauche-droite des partis, vérifiable publiquement. Gidron et al. (Référence Gidron, Adams et Horne2020 : Tableau 6) ajoutent une dimension dynamique en montrant que les changements dans la polarisation affective (qui ne sont pas tous à la hausse) correspondent aux tendances de division des élites.Note de bas de page 2 Le modèle américain est particulièrement clair : les élites démocrates et républicaines se sont éloignées les unes des autres. La plupart des domaines thématiques ont été regroupés sous une seule et même catégorie libérale-conservatrice, et le chevauchement partisan au Congrès a disparu (McCarty et al., Référence McCarty, Poole et Rosenthal2006). Les rapports affectifs répondent aux preuves de cette distance idéologique. Rogowski et Sutherland (Référence Rogowski et Sutherland2016) et Webster et Abramowitz (Référence Webster et Abramowitz2017) se concentrent sur l’histoire causale en manipulant expérimentalement les distances politiques. Lelkes (Référence Lelkes2021) prolonge l’argument en excluant la simple identification au parti comme facteur clé. Pour de nombreux citoyens, la distance entre les partis a rendu les mesures perceptuelles superflues. La cohérence des différences politiques entre les partis permet aux candidats d’obtenir une « prime de réputation » (Sniderman et Stiglitz, référence Sniderman et Stiglitz 2012) : si le candidat se trouve du bon côté (tel que défini par l’ordre des partis) par rapport au candidat de l’autre parti, même de peu, il ou elle obtient la prime. Les électeurs n’ont pas besoin d’en savoir beaucoup, il leur suffit de bien classer les partis, ce qui est désormais facile à faire. Le schéma est tel que « l’idéologie fait désormais partie intégrante du fonctionnement psychologique [des électeurs américains] et sera toujours présente sous une forme ou une autre » (Jost, Référence Jost2006 : 667).

Le modèle élitiste canadien présente des similitudes frappantes avec celui des États-Unis. À partir des années 1970, les principaux partis se sont divergés sur un axe gauche-droite (Cochrane, Référence Cochrane2010 : Figure 1 ; Cochrane, Référence Cochrane2015 : Figures 8.1 et 8.2 ; Johnston, Référence Johnston2017 : Figure 4.1), et les électeurs, en particulier les « quasi-élites », ont remarqué cette divergence (Cochrane, Référence Cochrane2015 : Figure 8.3). Cela a donné lieu à un autre parallèle avec les États-Unis : les électeurs se « trient ». Aux États-Unis, le chevauchement des questions et des idéologies entre les partisans démocrates et républicains s’est réduit (Levendusky, Référence Levendusky2009). Au Canada, cela semble se produire pour le positionnement gauche-droite (Johnston, Référence Johnston, Hopkins et Sides2014 ; Merkley, Référence Merkley2022) et s’étend à des domaines politiques importants (Kevins et Soroka, Référence Kevins et Soroka2018 ; Merkley, Référence Merkley2022).

Dans tous les cas, une cohérence accrue entre le parti et l’idéologie augmente les enjeux affectifs :

Si l’identité politique est un facteur important du biais intra-groupe, de l’activisme et de la colère, pourquoi ces éléments augmenteraient-ils avec le temps ? […] La réponse est largement liée aux changements dans l’alignement des identités partisanes et idéologiques au fil du temps. Le tri a permis de mettre en accord nos identités idéologiques et partisanes, et ce nouvel alignement a renforcé la force de ces identités. (Mason, Référence Mason2018 : 130-131)

Il s’agit d’un argument concernant la réduction nette de la « pression croisée »Note de bas de page 3, car les appartenances ou les identités tirent de moins en moins dans des directions opposées (Brader et al., Référence Brader, Tucker et Therriault2014).

2.3 État des lieux

Cela dit, les données canadiennes disponibles à ce jour sont dispersées et pourtant trop intégrées. Des données ont été accumulées sur les écarts affectifs, mais aussi sur les écarts idéologiques. Mais l’observation des tendances n’a pas tenu compte de l’évolution réelle dans le temps. Et le discours sur l’élargissement des écarts occulte le fait que certains écarts se sont réduits. L’accent mis sur les écarts a négligé les tendances plus générales de la variance globale dans l’évaluation des partis et l’équilibre relatif entre positivité et négativité. En ce qui concerne l’affect et l’idéologie, un seul compte rendu (Cochrane, Référence Cochrane2015) les juxtapose et est clair sur le timing. Mais le lien réel entre les deux est laissé à l’appréciation du lecteur. Parallèlement, la place du Canada dans la littérature comparative est brouillée par des traitements divergents de son caractère multipartite et par des échelles de temps variables. Si cette littérature – du moins une partie – accorde une attention suffisante au multipartisme du pays, la volonté de comparer a occulté des détails interprétatifs essentiels. Et elle est faible en matière d’inférence causale.

Tout cela néglige le fait que l’électorat est segmenté entre le Québec et le reste du Canada. Historiquement, la polarisation au Québec ne s’est pas faite entre la gauche et la droite, mais autour de la « question nationale » (Beauchemin, Référence Beauchemin2015 ; Nadeau, Référence Nadeau1992) : quelle place le Québec doit-il occuper dans la fédération, ou doit-il même en faire partie ? Sur ce point, les libéraux ont été « le parti du Canada » (Johnston, Référence Johnston2017 : chap. 4). Si un grand parti a pris le parti contraire, ce sont les conservateurs, malgré la résistance des partisans du parti à l’extérieur du Québec (Johnston, Référence Johnston2017 : chap. 4). En 1993, cette position a été reprise par le Bloc québécois.

Cela soulève les questions suivantes. Les quatre premières concernent la structure même de l’affect :

  1. 1. Dans l’ensemble, l’affect envers les partis s’est-il polarisé ?
  2. 2. Dans l’ensemble, l’équilibre entre positivité et négativité s’est-il déplacé vers la négativité ?
  3. 3. Les écarts entre les groupes d’identification partisane se sont-ils creusés ?
  4. 4. Les non-partisans sont-ils devenus plus négatifs envers les partis en général ?

Deux questions concernent le lien entre l’idéologie et l’affect :

  1. 5. Existe-t-il une relation longitudinale entre la position des partis et l’affect envers chaque parti exprimé par les groupes d’identification partisane ?
  2. 6. Cette relation est-elle le résultat d’une induction par les élites ?

Pour chaque question, il est naturel de se demander si le schéma est le même pour tous les partis. De même, dans quelle mesure les schémas diffèrent-ils entre le Québec et le reste du pays, et les différences entre le Québec et le reste du pays s’accentuent-elles ou s’atténuent-elles ?

Les questions 1 à 4, qui portent sur le paysage affectif, peuvent être traitées à l’aide d’indicateurs basés sur des enquêtes. Les questions 5 et 6, qui portent sur le lien descriptif entre l’affect et l’idéologie, nécessitent des données supplémentaires sur les élites. Afin de faciliter l’exposé, je juxtapose la discussion des indicateurs et des méthodes aux comptes rendus des résultats, étape par étape.

3 Le paysage affectif

3.1 Sources et indicateurs des enquêtes

Afin d’obtenir une plateforme aussi stable que possible, l’accent est mis sur les données de l’Étude électorale canadienne (EEC) de 1988 à 2019 inclusivement. Avant 1988, l’EEC était essentiellement menée en face à face (FTF), ce qui imposait que le travail sur le terrain ait lieu après les élections.Note de bas de page 4 Le passage au mode téléphonique (RDD) en 1988 a permis une conception pré-post. Le mode RDD a été complété en 2015 par un volet en ligne, et en 2021, le travail sur le terrain s’est fait uniquement en ligne. Toutes les analyses présentées dans cet article utilisent les données de la vague correspondant à la période de campagne, afin de minimiser les projections à partir des résultats des élections. L’ECU de 1988 a également apporté un changement important dans la mesure de l’identification partisane, le modérateur clé de cet article.

L’indicateur de l’affect partisan est ce qu’on appelle le thermomètre des sentiments, qui va de 0 à 100, 50 étant le point d’indifférence.Note de bas de page 5 Je prends la cote du thermomètre telle quelle, c’est-à-dire que j’accepte le fait que l’indicateur est vulnérable au fonctionnement différentiel des items (Wilcox et al., Référence Wilcox, Sigelman et Cook1989). Je ne cherche pas à contrôler la chaleur générale des notes attribuées par les répondants ni leur variance entre les objets. Il est courant de surmonter certains de ces problèmes en prenant en compte les différences entre les objets, par exemple l’écart entre la note attribuée à son propre parti et celle attribuée au principal parti alternatif. Comme je m’intéresse aux relations entre toutes les parties du système, je ne veux masquer aucune de ces parties. L’indicateur est utilisé de trois manières : comme mesure de la polarisation globale, pour évaluer l’équilibre relatif entre le positif et le négatif, et comme variable dépendante dans les estimations où l’identification au parti est un modérateur.Note de bas de page 6

La direction de l’identification partisane est capturée par la version canadienne de l’indicateur classique. On demande aux répondants s’ils « se considèrent » comme partisans, en nommant explicitement les partis et en validant la non-identification comme alternative. Sans cette validation, l’indicateur serait vulnérable aux forces à court terme (Johnston, Référence Johnston1992). Cela est essentiel pour l’interprétation car, comme nous le verrons bientôt, les forces spécifiques à une période sont clairement visibles dans le paysage.

3.2 Polarisation globale

J’aborde la polarisation globale des sentiments à l’aide de l’écart-type du thermomètre des sentiments, qui donne un résumé rapide et facilite la comparaison visuelle dans le temps. En résumé, selon la figure 1, les sentiments à l’égard de tous les partis, tant au Québec que dans le reste du Canada, se sont polarisés. L’intervalle 1993-1997 semble être un point de rupture pour tous les partis. Après 2000, les conservateurs ont pris la tête. La dispersion des cotes du Parti conservateur a bondi en 2004 et a continué à augmenter presque chaque année, de sorte qu’en 2015, l’écart-type était une fois et demie plus élevé qu’en 1988. Pour les libéraux et le Nouveau Parti démocratique (NPD), les augmentations supplémentaires sont modestes entre 1997 et 2015. Entre 2015 et 2019, cependant, les libéraux ont enregistré une forte hausse.

La tendance conservatrice doit être considérée en parallèle avec la courte histoire du Parti réformiste. La simple émergence du Parti réformiste a accru la polarisation globale à l’extérieur du Québec. Comme pour les autres partis, l’indicateur du Parti réformiste fait un bond en 1997. La fusion du Parti réformiste et du Parti progressiste-conservateur en 2003 a intégré cette polarisation dans les sentiments à l’égard du nouveau Parti conservateur.

Les tendances au Québec et dans le reste du Canada sont globalement similaires, mais la présence du Bloc constitue un facteur déterminant. À tous les égards, les sentiments sont plus polarisés à l’égard du Bloc qu’à l’égard de tout autre parti au Québec, ou dans le reste du Canada d’ailleurs.

Parallèlement à la tendance générale, on observe un sous-thème inattendu : le fait d’être au gouvernement accentue la dispersion. La première vague libérale s’étend sur les quatre premières années du gouvernement Chrétien, et il en va de même pour les années Trudeau. Pour les conservateurs, les gains occasionnés par la fusion avec le Parti réformiste ont atteint un plateau entre 2004 et 2006. Mais par la suite, les conservateurs, désormais au pouvoir, ont vu la dispersion s’accentuer, alors même que les libéraux marquaient le pas. Après 2015, les gains de polarisation du Parti conservateur, désormais hors du pouvoir, ont ralenti. Au contraire, comme nous l’avons vu, les gains les plus importants ont été enregistrés par les libéraux, désormais de retour au pouvoir.

3.3 Positivité/négativité

En ce qui concerne la positivité ou la négativité relative de la charge, l’élément principal n’est pas tant un changement net dans un sens ou dans l’autre qu’un creusement du milieu. La figure 2 présente les résultats sous forme de graphiques de densité avec des lignes verticales aux valeurs d’échelle 25, 50 et 75. Ces aides visuelles montrent les concentrations relatives d’affect autour des repères. Une autre aide visuelle est une ligne horizontale à 0,008, positionnée pour faciliter l’interprétation des extrémités de chaque distribution.

Visuellement, le plus frappant est l’accumulation à l’extrême négativité. En 1988, les deux grands partis ont obtenu des réponses assez symétriquement réparties, aucune des deux extrémités n’étant nettement plus large que l’autre. Le glissement vers l’asymétrie a commencé en 1993 et concernait principalement les insurgés, le Parti réformiste et le Bloc. Ce schéma caractérise désormais tous les partis. Certains ont évolué plus rapidement que d’autres, et aucune année ne se détache comme un point de rupture. Mais en 2015 ou 2019, un deuxième mode, inférieur à 25 degrés, est apparu pour tous les partis. Au cours de la même période, la hauteur du mode principal a baissé. Il est clair que l’électorat nourrit beaucoup de ressentiment.

Mais si le mode principal de la plupart des partis est devenu moins dense, il en est venu à représenter une valeur plus positive. Il ne s’agit pas seulement d’un effet secondaire illusoire de la réduction des chiffres autour de 50 degrés. Ces dernières années, la part à 75 degrés ou plus est généralement plus importante qu’en 1988.

3.4 Modération par identification partisane

Sans surprise, une grande partie de ce qui a été dit dans les sections précédentes est motivée par l’identification partisane, ou du moins en dépend. La preuve en est donnée dans la figure 3. L’impact de l’appartenance partisane est illustré par des graphiques représentant les moyennes conditionnelles et les intervalles de confiance à 95 % sur plusieurs années consécutives pour chaque groupe d’identification partisane et pour les non-partisans. Afin de simplifier la présentation, le groupe des non-partisans comprend les partisans des partis de niche, dont la plupart ne survivent pas au-delà d’une seule élection. Les Verts sont également considérés comme des non-partisans, malgré leur longévité. Leur nombre est toujours faible et le CES n’a pas toujours réussi à saisir leur présence.

Figure 3 Sources partisanes des sentiments, 1988-2021

Remarque : Les entrées sont des notes moyennes sur un thermomètre et les intervalles de confiance associés à 95 %. Les couleurs et les étiquettes indiquent le groupe d’identification. Les cellules correspondent au parti évalué.

3.4.1 Le Canada hors Québec

Les partisans libéraux et conservateurs se sont rapprochés de leur propre parti. À première vue, les gains des conservateurs semblent particulièrement spectaculaires, mais il s’agit en partie d’une illusion créée par la baisse des années 1990. Le gain net depuis 1988 est d’environ cinq degrés. Les libéraux ont en fait enregistré le gain cumulé le plus important entre 1988 et 2019, avec environ 10 points.

Les tendances dans les sentiments à l’égard des partis autres que celui du répondant dépendent du jumelage. De manière générale, tous les autres groupes partisans sont devenus plus négatifs à l’égard des conservateurs. La baisse la plus marquée a été enregistrée chez les partisans libéraux, avec une baisse de 10 degrés. Les partisans conservateurs partagent ce sentiment, mais surtout à l’égard du Parti libéral, avec une baisse d’environ 15 degrés. Il est important de noter que les écarts entre libéraux et conservateurs se sont creusés par rapport au reste du système. En 1988, les conservateurs n’avaient pas plus d’aversion pour les libéraux que les néo-démocrates ou les non-partisans. En 2019, les conservateurs ont beaucoup plus d’aversion pour le Parti libéral que tout autre groupe. Et ils ont plus d’aversion pour les libéraux que pour tout autre parti, à l’exception du NPD. Ce sentiment est réciproque : alors qu’en 1988, les libéraux avaient à peu près la même opinion des conservateurs que les non-partisans, ils les détestent aujourd’hui autant que les néo-démocrates les détestaient autrefois. Les partisans du Parti réformiste ont doublement contribué à la négativité partisane. Ils étaient encore plus négatifs envers le Parti libéral et le NPD que les conservateurs. Mais ils étaient également négatifs envers les conservateurs, légèrement moins que les partisans du NPD et plus que les partisans du Parti libéral.

La dynamique entre les libéraux et le NPD contraste fortement avec tout cela. Les écarts entre le NPD et les libéraux se sont réduits. Alors que les libéraux n’aimaient pas le NPD autant qu’ils n’aimaient les conservateurs, ce n’est plus le cas aujourd’hui ; en fait, leurs sentiments sont désormais nettement positifs. De même, les néo-démocrates se sont rapprochés des libéraux, bien que leur évolution soit moins spectaculaire.

En général, les non-partisans semblent légèrement désapprouver tous les partis et l’ont toujours été. Seul le NPD fait l’objet d’une tendance positive.

3.4.2 Québec

Les tendances au Québec sont globalement similaires à celles du reste du Canada, mais avec des variations liées à la question nationale. Les cotes de popularité des partis sont devenues plus positives, mais seulement légèrement et principalement par rapport aux baisses enregistrées au milieu de la série. Les cotes de popularité des autres partis évoluent également dans le même sens que dans le reste du Canada, mais à partir de points de départ différents. Tous les groupes partisans aiment moins le Parti conservateur — un léger changement pour les partisans libéraux et un changement important pour les néo-démocrates et les bloquistes. Tous les groupes (à l’exception des partisans conservateurs) en sont venus à aimer davantage le NPD. L’écart entre les libéraux et les conservateurs s’est creusé. La sympathie entre les conservateurs et le Bloc, qui était évidente en 1993, n’existe plus, même si les bloquistes et les néo-démocrates se sont rapprochés. En résumé, la question nationale cède du terrain au profit de l’idéologie gauche-droite.

Mais pas complètement, grâce à la présence continue du Bloc. Ce parti est clairement détesté. L’antipathie mutuelle entre les libéraux et le Bloc est pratiquement inchangée, et cela reste la polarité la plus forte de l’électorat québécois.

Les électeurs non partisans du Québec sont clairement plus négatifs envers les partis que ceux du reste du pays, et ils affichent davantage de tendances : à la baisse pour les libéraux, les conservateurs et le Bloc ; à la hausse uniquement pour le NPD.

4 Idéologie et affect

Cette section établit un lien entre les changements dans l’affect et les changements dans le positionnement gauche-droite des partis. Cela nécessite une discussion sur la manière de mesurer le positionnement, de saisir le lien entre l’élite et la masse, et sur les stratégies d’estimation.

4.1 Indicateur et stratégie d’estimation

4.1.1 Indicateur : données du Manifesto

Le paysage idéologique est cartographié à l’aide des données du Manifesto Project (Volkens et al., Référence Volkens, Krause, Lehmann, Matthieß, Merz, Regel et Weßels2018 ; ci-après MARPOR), telles qu’utilisées par Cochrane (Référence Cochrane2015) et Johnston (référence Johnston2017). La mesure est une échelle gauche-droite résumée (RILE), qui agrège les engagements des programmes des partis dans un large éventail de politiques culturelles et économiques selon le système de classification de Laver et Budge (référence Laver et Budge1992). Cet indicateur particulier fait l’objet d’une controverse et nécessite une certaine justification. Il représente une tentative du groupe MARPOR d’extraire des positions politiques à partir de données initialement codées pour mettre l’accent. Bien que l’accentuation soit souvent révélatrice d’une position, ce n’est pas toujours le cas. Les détracteurs de cette échelle soutiennent que les analystes devraient remonter plus loin dans les données pour reconstruire l’indice à partir de zéro, soit en appliquant un système de codage prédéfini à des mots individuels par le biais d’une analyse de texte (Laver et Garry, Référence Laver et Garry2000), soit en utilisant une stratégie purement inductive mise en œuvre par une analyse factorielle exploratoire (Gabel et Huber, référence Gabel et Huber 2000). Ces stratégies produisent une correspondance plus étroite que le RILE avec une lecture sensée de la dynamique politique ou avec les classements dans les enquêtes d’experts. Cochrane va encore plus loin en se demandant si les relations idéologiques sont symétriques entre la gauche et la droite. Il constate qu’elles ne le sont pas, ni pour le Canada (Cochrane, référence Cochrane2010 : 592-99, en particulier la figure 3), ni pour les systèmes de partis en général (Cochrane, référence Cochrane2015). Il propose un système de codification qui tient compte de cette asymétrie (Cochrane, référence Cochrane2015). Mais aucun de ces exercices ne produit un ensemble de données prêt à l’emploi comparable aux archives institutionnalisées et continues du MARPOR. Même les détracteurs concèdent que, dans l’ensemble, la classification traditionnelle s’accorde bien avec les alternatives (voir, par exemple, Laver et Garry, Référence Laver et Garry2000 : Tableau 3 ; Gabel et Huber, Référence Gabel et Huber2000 : 102). Dans la mesure où le RILE ne parvient pas à saisir le concept sous-jacent, il va à l’encontre de ma thèse. Les données MARPOR sont utilisées telles qu’elles ont été initialement codées, puis comme indicateur de validation du concept. Les positions des partis sont spécifiques à chaque année ; aucun regroupement entre les années n’est tenté, car il ne semble y avoir aucune base théorique pour le faire.

Les données pour toute la période d’après-guerre figurent dans la figure 4.Note de bas de page 7 Avant les années 1970, les grands partis ne différaient pas fondamentalement, car ils se situaient tous deux légèrement à droite du centre. La division au cœur de l’ancien système ne portait pas sur la gauche et la droite, mais sur la définition ethnique de la nationalité (Johnston, Référence Johnston2017 : chap. 5). Dans la mesure où le système avait une énergie idéologique, celle-ci provenait de la gauche, avec le NPD et son prédécesseur, la Co-operative Commonwealth Federation (CCF). Dans les années 1970, cette énergie s’est déplacée vers l’autre côté, le Parti conservateur s’étant orienté vers la droite.

Figure 4 Positionnement gauche-droite des partis, 1945-2015

Remarque : les graphiques représentent le positionnement gauche-droite des partis à partir des données MARPOR (Volkens et al., Référence Volkens, Krause, Lehmann, Matthieß, Merz, Regel et Weßels2018).

À titre d’aide visuelle, l’année 1988, première année des données de l’enquête, est indiquée. Il s’agit bien sûr également du début d’un bouleversement majeur. En 1993, année de la percée du Parti réformiste, les conservateurs s’étaient largement déplacés vers la droite. Non seulement cela n’a pas suffi à endiguer la rébellion, mais la simple présence du Parti réformiste semble avoir privé les conservateurs de leur énergie idéologique : le parti a dérivé vers le centre en 1997 et 2000. Mais la fusion entre le Parti réformiste et les conservateurs en 2003 a accentué le glissement vers la droite du système. Les résultats des conservateurs en 2011 et 2015 ne sont surpassés que par ceux du Parti réformiste en 1993 et 1997.

La tendance au centre et à gauche était inverse. Dans la plupart des élections depuis 1979, les libéraux ont été plus proches du NPD que des conservateurs, généralement beaucoup plus proches. La convergence entre ces partis n’était pas due à un glissement des libéraux vers la gauche, mais à une dérive progressive du NPD vers la droite, vers le centre. Le Bloc, quant à lui, a toujours été idéologiquement centriste. Cette concentration au centre explique la conclusion de Gidron et al. (Référence Gidron, Adams et Horne 2020) selon laquelle le système canadien s’est dépolarisé.

Toutefois, d’un point de vue relationnel, le centre canadien s’est vidé. Dans la plupart des élections, les votes libéraux l’emportent généralement sur ceux du NPD et du Bloc, de sorte que lorsque les distances sont pondérées, l’écart entre les deux partis les plus plausibles pour former un gouvernement est beaucoup plus grand qu’auparavant (Cochrane, référence Cochrane 2015 : 157). Le déplacement temporaire des libéraux par le NPD en 2011 n’a pas changé cette réalité.

4.1.2 Modèle et estimation

Dans chaque estimation, la variable dépendante est la cote de popularité d’un parti et la principale variable indépendante est le positionnement gauche-droite de ce même parti. L’impact du positionnement est modéré par les mêmes groupes d’identification partisane que dans la figure 3. Plus précisément, la position gauche-droite du parti dans une élection donnée est mise en relation avec des variables fictives pour les groupes d’identification partisane dans l’échantillon du SCE de cette année-là. La pente de régression décrivant l’impact du parti sur l’affect peut donc varier selon les groupes d’identification. Mes attentes concernant la manière dont l’identification conditionne cette pente sont présentées dans le tableau 1. Comme les valeurs sur l’échelle gauche-droite augmentent à mesure qu’un parti se déplace vers la droite, le tableau formule des prédictions en termes de déplacement vers la droite. Tous ceux qui ne s’identifient pas au NPD devraient aimer davantage le NPD à mesure qu’il se déplace vers la droite (c’est-à-dire vers le centre). Tous ceux qui ne s’identifient pas au Parti conservateur devraient moins apprécier ce dernier à mesure qu’il se déplace vers la droite (c’est-à-dire loin du centre). Je postule que la réponse des non-partisans aux déplacements vers la droite devrait être non négative pour le NPD et non positive pour les conservateurs. Par implication, la réponse pourrait simplement être nulle. Les partisans du Bloc et des libéraux, en tant que centristes, devraient être collectivement ambigus quant au mouvement vers la droite de leur propre parti. Je postule que les partisans des partis d’extrême gauche et d’extrême droite, le NPD et les conservateurs, sont plus extrêmes que les partis eux-mêmes. Sur la base de cette hypothèse, à mesure que leurs partis respectifs se déplacent vers la droite, les partisans du NPD devraient moins apprécier leur parti et les partisans des conservateurs devraient davantage apprécier leur parti.

Comme les positions des partis sont communes à tous les répondants pour une année donnée et que les partis prennent position avant les élections, il semble intuitivement correct de caractériser cette relation comme hiérarchique et récursive. Mais si la modélisation multiniveaux semble conceptuellement appropriée, il n’y a que neuf observations par parti au niveau de l’année électorale (huit pour le Bloc). Ce que cela implique pour l’estimation est sujet à controverse. Stegmueller (Référence Stegmueller2013) soutient que les techniques multiniveaux conventionnelles donnent lieu à des estimations biaisées et à des erreurs types sous-estimées. Il préconise l’estimation bayésienne. Elff et al. (Référence Elff, Heisig, Schaeffer et Shikano2021) remettent en question l’affirmation de Stegmueller et préconisent l’ajustement des modèles par maximum de vraisemblance restreint.Note de bas de page 8 J’adopte cette dernière approche, car elle est moins gourmande en calculs. Dans les estimations, les interceptions peuvent varier en tant qu’effets aléatoires, mais c’est précisément la variation des pentes que nous modélisons.

Toutes les estimations sont réparties entre le Québec et le reste du Canada. Dans la mesure où la question nationale est plus importante et l’axe gauche-droite moins important au Québec qu’ailleurs (Johnston, référence Johnston2008), les tendances gauche-droite devraient être plus marquées dans le reste du Canada qu’au Québec.

Certains partis sont exclus des présentations. Le Bloc n’apparaît évidemment que dans les estimations pour le Québec. À l’extérieur du Québec, le Parti réformiste a joué un rôle essentiel dans le déplacement du système vers la droite, mais il n’a participé qu’à trois élections au total et à aucune depuis 2000. Au Québec, le NPD a présenté des candidats pendant toute la période, mais son groupe d’identificateurs était restreint. Par conséquent, pour le Parti réformiste dans toutes les régions et pour le NPD au Québec, les estimations des effets marginaux ne sont pas présentées.Note de bas de page 9

4.2 Résultats

Toutes les données présentées dans cette section, à la figure 5, sont classées par région et par parti évalué. Dans un panneau, la figure montre comment un déplacement d’une unité vers la droite dans le positionnement d’un parti influe sur le sentiment à l’égard de ce parti, en fonction de l’identification partisane des répondants.

Figure 5 Les positions idéologiques des partis comme sources de sentiments

Remarque : Les colonnes sont classées par parti évalué. Les indications relatives aux partis dans chaque graphique montrent les effets conditionnels pour chaque groupe d’identification. Les axes horizontaux reflètent les emplacements des effets et les intervalles de confiance. L’estimation est effectuée à l’aide d’une régression multiniveaux par maximum de vraisemblance restreint (REML) avec des degrés de liberté pour la distribution t calculés par la méthode des résidus.

4.2.1 Le reste du Canada.

Les tendances sont globalement conformes aux attentes, mais pas parfaitement. La cohérence est la plus grande pour le Parti conservateur : son mouvement vers la droite rend ses partisans plus favorables à son égard et rend tous les autres plus froids. Un déplacement d’une unité vers la droite rend les sentiments des conservateurs envers leur propre parti 0,27 degré plus favorables. Mais si l’on compare les extrêmes de la figure 4 — le creux de 2000, lorsque le programme conservateur était plus centriste qu’il ne l’avait été depuis des décennies, et 2015, le positionnement le plus à droite du parti à ce jour —, le déplacement est de 41 points, ce qui se traduit par un gain prévu de 11 degrés pour les sympathisants conservateurs, soit un gain supérieur à celui observé. En revanche, pour les libéraux et les néo-démocrates, un déplacement d’une unité vers la droite entraîne une baisse de 0,34 et 0,38, respectivement, de leur sentiment à l’égard du Parti conservateur. On estime que le déplacement total du parti entre 2000 et 2015 a refroidi le sentiment de ses rivaux d’environ 11 degrés. Cela correspond à la totalité du déplacement observé chez les sympathisants libéraux et à environ deux tiers de celui observé chez les néo-démocrates. Pour le NPD, la tendance générale est mitigée, mais le message est clair. Pour les sympathisants libéraux, un déplacement d’une unité vers la droite dans le positionnement du NPD entraîne une augmentation de 0,42 de leur sympathie envers le NPD. Le déplacement politique maximal, qui se situe entre les points finaux de 1988 et 2015, est de 31 unités. À cet égard, le déplacement du NPD vers le centre laisse présager un gain de 13 degrés dans la sympathie des libéraux. Ce gain est supérieur à celui observé. Les partisans conservateurs semblent indifférents à la position du NPD. Une explication possible est que les partisans conservateurs se sont également déplacés vers la droite (Merkley, Référence Merkley2021a), de sorte que l’écart ne s’est tout simplement pas comblé. Contrairement à mon hypothèse, les partisans du NPD ne se situent peut-être pas à gauche de leur parti : un déplacement vers la droite les rend plus favorables à celui-ci (bien que l’intervalle de confiance pour le coefficient chevauche zéro).

En ce qui concerne les sentiments à l’égard du Parti libéral, l’élément principal concerne les partisans conservateurs. Un déplacement d’une unité vers la droite de la plateforme libérale entraînerait un gain de 0,37 dans leur affection pour les libéraux. En fait, selon la figure 4, les libéraux se sont déplacés davantage vers la gauche que vers la droite. L’écart le plus important se situe entre 1997, lorsque les libéraux ont donné la priorité à la lutte contre le déficit, et 2015, lorsqu’ils ont dépassé le NPD. La figure 4 indique que c’est également pendant cette période que l’opinion des conservateurs à l’égard du Parti libéral s’est effondrée. Le glissement vers la gauche a été de 27 points, ce qui implique une baisse affective d’environ 10 degrés parmi les conservateurs. Cela représente environ la moitié du mouvement total capturé dans la figure 4. Contrairement aux attentes, les partisans du NPD n’ont pas réagi aux changements de politique des libéraux. Les partisans des libéraux non plus, bien qu’il n’y ait pas d’attente à cet égard.

4.2.2 Québec

Sans surprise, les Québécois restent distincts en ce qui concerne le Bloc. La preuve en est dans la ligne inférieure de la figure 5. Nous ne nous attendons pas à une réaction des bloquistes au mouvement gauche-droite des libéraux, et aucune ne semble se produire. En ce qui concerne le mouvement du Bloc, nous ne nous attendons pas à une réaction des partisans des libéraux ou du Bloc, et aucune ne semble se produire. Cela confirme que la polarisation affective entre les libéraux et le Bloc, révélée dans la figure 3, n’est clairement pas fondée sur l’idéologie gauche-droite. Les partisans conservateurs semblent apprécier le Bloc d’autant plus qu’il se situe à gauche. Nous ne comprenons pas pourquoi. Mais comme le montre la figure 1, le Bloc n’a pas connu de changement net sur l’échiquier gauche-droite ; son évolution politique n’a suivi aucune tendance.

Sinon, les parallèles avec le reste du Canada sont évidents, tout comme la convergence. Les parallèles les plus évidents se trouvent là où nous les attendons, c’est-à-dire dans la dynamique entre les partis nationaux. En ce qui concerne les sentiments à l’égard du Parti libéral, le lien politique des partisans conservateurs est exactement le même qu’à l’extérieur du Québec, avec un coefficient de 0,37. Comme dans le reste du Canada, les conservateurs apprécient davantage leur propre parti lorsqu’il se déplace vers la droite, les libéraux ne réagissent pas aux mouvements de leur propre parti et les non-partisans ne réagissent à aucun parti. La seule différence avec le reste du Canada est que la négativité croissante des libéraux québécois à l’égard du Parti conservateur ne semble pas liée aux changements politiques de gauche à droite.

5 Exposition aux signaux de l’élite

5.1 Indicateur et stratégie d’estimation

Les arguments selon lesquels le mouvement des partis induit des changements affectifs – plutôt que l’inverse – seraient plus crédibles si un lien de communication pouvait être établi. En particulier, nous avons besoin d’un indicateur plausible des différences individuelles dans la réceptivité aux messages politiquement pertinents. Malheureusement, l’ESC ne dispose d’aucun indicateur de connaissance ou d’intérêt comparable d’une décennie à l’autre.Note de bas de page 10

Je peux toutefois m’appuyer sur l’intensité de l’identification à un parti, qui est mesurée de manière cohérente tout au long de l’enquête et qui constitue un puissant facteur de motivation pour l’attention portée aux médias. On peut donc s’attendre à ce que plus une personne est partisane, plus elle soit réceptive aux signaux concernant la politique. Mais pour beaucoup, le but de cette attention est de chercher à renforcer leurs prédispositions. À cela s’ajoute le fait que l’intensité partisane peut elle-même être liée au positionnement idéologique. Cela est clairement vrai pour les néo-démocrates et les conservateurs, car l’identification à chaque parti s’est intensifiée depuis 2000. Mais pour les partisans libéraux, il n’y a pratiquement aucun lien entre l’intensité et le positionnement idéologique, et dans l’ensemble, le sectarisme libéral ne s’est que modestement intensifié au fil des ans. Enfin, les partisans libéraux en tant que groupe sont pratiquement impossibles à distinguer idéologiquement des non-partisans.Note de bas de page 11

Le cadre d’estimation implique une interaction différente de celle décrite dans la section précédente. Comme précédemment, la pente qui décrit l’impact des changements de politique sur les sentiments peut varier selon les groupes d’identification. Ici, cependant, les groupes ne sont pas définis par leur orientation, mais par leur intensité, en particulier les variations d’intensité de l’identification libérale, l’intensité la plus faible étant définie par la non-identification. Bien entendu, seuls les libéraux et les non-partisans entrent dans l’estimation. Les seules cibles qui méritent d’être évaluées sont le NPD et les conservateurs, les partis flanquants, car ils sont les seuls à avoir effectué des changements idéologiques (pour la plupart) cohérents et significatifs sur l’ensemble de la période. Comme les tendances sont plus claires à l’extérieur du Québec, l’estimation se concentre sur le reste du Canada. L’estimation à plusieurs niveaux est également le cadre choisi ici.

5.2 Résultats

La figure 6 présente les résultats. Pour les deux partis, les tendances sont conformes aux attentes, et l’ampleur de la modération est assez similaire : l’amplification sur toute la gamme, de la non-identification à la forte identification, est de 0,3 ou plus. Note de bas de page 12 Bien qu’il semble que même les non-partisans voient d’un œil positif la dérive centriste du NPD, l’intensité libérale amplifie considérablement ce phénomène : un partisan convaincu est environ 2,5 fois plus sensible qu’un non-partisan et presque deux fois plus sensible qu’un partisan modéré. En ce qui concerne le Parti conservateur, les non-partisans sont tout simplement insensibles au changement de politique, tandis que les partisans convaincus du Parti libéral sont près de trois fois plus sensibles que les partisans modérés.

Figure 6 Conditionnement de l’impact des politiques de gauche et de droite en fonction de l’intensité partisane

Remarque : Les partis évalués sont le NPD (à gauche) et le Parti conservateur (à droite). Évaluation effectuée uniquement par des partisans libéraux et des non-partisans. Répondants du Québec exclus. Les axes horizontaux reflètent les emplacements des effets et les intervalles de confiance. L’estimation est effectuée à l’aide d’une régression multiniveaux par maximum de vraisemblance restreint (REML) avec des degrés de liberté pour la distribution t calculés par la méthode des résidus.

6 Discussion et conclusions

6.1 Récapitulatif

En réponse à la question 1 ci-dessus, les sentiments des Canadiens à l’égard des partis politiques se sont polarisés. Cela est vrai dans le sens minimal où la dispersion a augmenté pour tous les partis, tant au Québec qu’à l’extérieur. Pendant la majeure partie de la période, cela a été plus vrai pour les conservateurs que pour les libéraux, mais ces derniers ont rattrapé leur retard en 2019. La simple présence du Parti réformiste et du Bloc a accru l’enjeu affectif.

En ce qui concerne la question 2, le sentiment n’est pas devenu, dans l’ensemble, plus négatif. Une exception est le Parti conservateur, envers lequel les Québécois se sont clairement refroidis. Le NPD, en revanche, est devenu généralement plus populaire. Cela dit, le changement le plus spectaculaire a été le regroupement des sentiments envers les grands partis à l’extrémité négative. En 2019 (2015 pour les conservateurs), l’extrémité négative avait effectivement cessé d’être une queue de distribution ; elle était devenue un deuxième mode. Mais même si la queue négative s’est épaissie pour la plupart des partis, le mode principal s’est déplacé vers des valeurs plus positives. Bien que le mouvement dans cette direction soit moins frappant que les changements dans l’autre sens, les grands partis suscitent désormais un sentiment plus positif qu’auparavant, surtout lorsqu’ils gagnent.

Pour tous les partis, en réponse à la question 3, la source des gains dans le haut du classement est constituée par les propres partisans de chaque parti. Envers les partis autres que le sien, la tendance est principalement négative. Plus précisément, les conservateurs aiment moins que jamais le Parti libéral et le NPD, et ce sentiment est réciproque. Dès leur apparition, le Parti réformiste et le Bloc ont suscité des réactions très contrastées. Le Parti libéral et le NPD font exception à cette règle. Les partisans de chaque parti se sont rapprochés de l’autre, au point d’en arriver à une attitude ouvertement positive.

La réponse fondamentale à la question 4 est que les non-partisans ne sont pas devenus systématiquement plus négatifs dans l’ensemble. La montée de la négativité est un phénomène partisan, et les non-partisans restent pour la plupart indifférents. Les tendances au Québec sont toutefois légèrement différentes. Les non-partisans québécois semblent s’être détournés des conservateurs et du Bloc, mais se sont rapprochés des libéraux et du NPD.

La réponse à la question 5 semble claire : l’affection suit la politique, ou du moins, les deux évoluent de concert. Le virage à droite du Parti conservateur a renforcé l’affection de ses partisans pour le parti et a fait baisser celle des partisans du Parti libéral et du NPD. Le glissement vers la droite du NPD a rendu les libéraux plus favorables à ce parti. Contrairement à ce que l’on aurait pu attendre, cela n’a pas eu pour effet de refroidir les partisans du NPD. Dans la mesure où les libéraux se sont déplacés vers la gauche, ils ont aliéné les partisans conservateurs.

La question 6 demande si le lien entre politique et sentiment est causal, par opposition à simplement corrélationnel. Répondre à cette question a nécessité quelques contorsions, mais l’effort aboutit à une explication causale. Pour les répondants situés au centre de l’échiquier idéologique, plus leur intérêt est grand, plus leur réaction affective au repositionnement des partis flanquants, les conservateurs et le NPD, est forte.

6.2 Limites

6.2.1 Le moteur immobile ?

L’identification à un parti ne peut être considérée simplement comme le « moteur immobile » (Johnston, Référence Johnston2006). Certes, l’esprit partisan influe sur le paysage perceptif ; en ce sens, il est un « moteur ».Note de bas de page 13 Mais il n’est pas toujours « immobile ». Les fluctuations partisanes entre 1988 et 2004 étaient existentielles et difficiles à concilier avec l’idée que les identifications psychologiques des individus servent infailliblement de rempart contre les forces de la société et de l’économie. Certes, l’évolution de la répartition des identifications partisanes est lente. Mais dès le début, le nombre de personnes se réclamant de nouveaux partis n’était pas négligeable. Une partie de la fluctuation du pouvoir modérateur de l’identification doit donc refléter non pas tant l’évolution des sentiments au sein des groupes d’identification que les changements d’appartenance entre des groupes idéologiquement proches. Le Parti réformiste en est l’exemple le plus clair. Le Parti réformiste a puisé dans l’aile droite mécontente de l’ancien Parti conservateur (Johnston, Référence Johnston2017 : Tableau 8.4). Une grande partie de la baisse, après 2000, de l’affect des partisans conservateurs pour le Parti libéral reflète le retour des réformistes dans le giron, même si certains centristes de l’ancienne base progressiste-conservatrice ont refusé de s’identifier au nouveau parti sans trait d’union. En résumé, une partie de la fluctuation apparente de l’impact partisan est d’origine compositionnelle.

6.2.2 Données et estimation

Trois questions méthodologiques doivent être reconnues. Premièrement, bien que la plateforme CES soit conceptuellement assez stable depuis 1988, les tendances communes à toutes les enquêtes peuvent expliquer certaines des tendances auxquelles j’ai donné une interprétation substantielle. Les taux de réponse à la composante RDD, bien que élevés par rapport aux sondages commerciaux, ont régulièrement diminué. Il est plausible que les répondants qui disparaissent se situent au bas de l’échelle de l’intérêt et de l’engagement politiques, de sorte que l’augmentation du nombre de non-réponses explique probablement en partie la tendance à la polarisation (Cavari et Freedman, Référence Cavari et Freedman2023). Note de bas de page 14 Deuxièmement, l’ajout d’échantillons en ligne en 2015 et 2019 et la suppression de la composante RDD en 2021 ont modifié le paysage indépendamment de tout élément lié à l’électorat. J’ai décidé d’inclure le mode web afin de prolonger la série jusqu’en 2021 et parce qu’en 2015, il n’était pas évident qu’un cadre RDD comportait une quelconque présomption par rapport à un cadre en ligne. Mais en 2015 et en 2019, la polarisation était plus forte parmi les répondants en ligne que parmi ceux du RDD, de sorte qu’une partie du changement apparent entre 2011 et 2015 reflète un changement de mode.Note de bas de page 15 Troisièmement, les analyses multiniveaux des politiques et des affects repoussent les limites des méthodes, car le nombre de groupes de niveau supérieur est faible.

6.3 Autres implications

Nous devons repenser nos modèles de base du système partisan canadien. Ses partis dominants ne s’engagent plus dans le courtage, et sa dynamique n’est plus dictée par le pluralisme polarisé. Les écarts politiques se sont creusés au fil des décennies et se sont accompagnés d’une polarisation des sentiments entre les grands partis. Aucun des deux grands partis ne semble plus être un grand chapiteau, pas même les libéraux (Carty, Référence Carty2015). Pour le pluralisme polarisé, caractéristique déterminante du système du XXe siècle, la clé était la domination du système par un parti du centre, les libéraux. De cette domination découlaient à la fois la multiplicité des partis et un modèle de volatilité cyclique propre au Canada. À mesure que les écarts politiques et affectifs entre les libéraux et le NPD se réduisaient, l’ancien véhicule centriste semblait désormais davantage être le partenaire principal d’un cartel de centre-gauche. Et le Parti libéral a sans doute cessé d’être dominant en 1984.

Pourtant, l’électorat est peut-être encore moins qu’auparavant un « dieu de la vengeance et de la récompense » (Key, Référence Key1964 : 568), capable de porter des jugements rétrospectifs sur les performances des dirigeants en place. L’ancien système récompensait ou punissait les dirigeants en place en fonction des performances économiques (Bélanger et Godbout, Référence Bélanger et Godbout2010). Parfois, la punition était sévère, comme en 1935, 1958, 1962, 1984 et 1993. Aujourd’hui, elle prend la forme d’échanges au sein des camps. Le système peut être conçu, en termes européens continentaux, comme comprenant des familles ou des blocs de partis. La volatilité doit être séparée en composantes intra-bloc et inter-bloc (Bartolini et Mair, Référence Bartolini et Mair1990). La victoire du principal acteur d’un bloc est de plus en plus inacceptable pour les électeurs de l’autre bloc. Le franchissement de la frontière entre les blocs ne semble plus être possible en tant que jugement de performance. Par conséquent, les jugements sur un parti au pouvoir peuvent être de plus en plus confinés au sein du bloc. Pour évaluer grossièrement cette évolution, considérons les conservateurs et tout parti à leur droite comme le bloc « de droite » et les libéraux et tous les autres comme le bloc « de gauche ». Le fait que cette division soit arbitraire pour les années précédentes est précisément le point important : ces années sont révolues. Une implication claire de cet article est que la division n’est plus aussi arbitraire et que les blocs devraient être devenus plus stables. Les faits correspondent aux attentes : la fluctuation — indiquée par l’écart type — des parts des blocs depuis 1990 n’est que la moitié de celle observée entre 1945 et 1990.

Penser en termes de blocs met en évidence l’asymétrie entre les deux camps. Cochrane (Référence Cochrane2010Référence Cochrane2015) a déjà identifié une asymétrie idéologique qualitative : alors que la gauche est plutôt homogène, la droite comprend des éléments difficiles à digérer. Cet article rend compte d’une asymétrie correspondante dans les sentiments et les comportements partisans. À gauche, les partis font preuve d’une grande continuité existentielle, même s’ils ajustent leur positionnement politique et convergent sur le terrain des sentiments. Ils font appel aux partisans les uns des autres, mais hésitent à se prendre en otage. À droite, les relations sont existentielles et instables. Les électeurs de droite menacent parfois de faire tout basculer. C’est exactement ce qui s’est produit en 1993, et la menace reste crédible. Y a-t-il un lien entre les conclusions de Cochrane et ces résultats ?

Enfin, l’article a des implications pour l’inférence causale multinationale, comme dans Gidron et al. (Référence Gidron, Adams et Horne 2020). Le fait de séparer les partis, plutôt que de les regrouper dans un indice global, apporte plus qu’une satisfaction esthétique. Cela permet également d’influencer le lien causal entre la politique et l’affect. Il est bien sûr frappant de constater que les conservateurs se sont orientés vers la droite et que des différences affectives ont suivi. Mais il n’en est pas moins important que le NPD se soit déplacé vers le centre et ait convergé vers le Parti libéral. Les partisans du Parti libéral et du NPD ont réagi par une dépolarisation affective. Il ne s’agit pas seulement d’une nuance, mais d’un élément essentiel à l’interprétation. Cette convergence entre les politiques et les sentiments souligne le rôle des politiques dans la divergence de l’autre flanc du système. Elle suggère que les analyses futures ne devraient pas se concentrer sur les tendances culturelles ou dans les médias de masse et les réseaux sociaux. Elles devraient plutôt se concentrer sur l’organisation des partis : qu’est-ce qui a poussé les conservateurs vers la droite et le NPD vers le centre ? Existe-t-il une hétérogénéité similaire dans d’autres pays ?

Matériel supplémentaire

Pour consulter le matériel supplémentaire relatif à cet article, veuillez vous rendre sur https://doi.org/10.1017/S0008423923000112

Remerciements

Cette recherche a bénéficié du soutien financier du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et du doyen de la faculté des arts de l’Université de la Colombie-Britannique. Les réviseurs de cette revue ont fait preuve d’une patience et d’une aide extraordinaires. Je suis reconnaissant à Denis Cohen, de Mannheim, pour ses conseils opportuns, et à Scott Matthews pour son regard critique et perspicace. Aucun des précédents n’est responsable des erreurs d’analyse ou d’exposé, sans parler des lacunes stylistiques.

Notes de bas de page

1 Avec un ensemble plus large de pays et un indicateur de polarisation différent, Wagner (2021) place également le Canada au-dessus des États-Unis. Mais il ne fournit aucune preuve sur les tendances.

2 Boxell et al. (2020 : tableau 6 de l’annexe) soulignent également la division de l’élite, mais uniquement par l’élimination des alternatives. Ils montrent que les tendances en matière de pénétration de l’internet et du haut débit, d’inégalité des revenus, de part du commerce extérieur dans le produit intérieur brut (PIB) et de part des personnes nées à l’étranger et non blanches dans la population ne correspondent pas au modèle de polarisation mondial. Ils en déduisent que la division des élites est le seul facteur suspect qui n’est pas pris en compte.

3 Le terme a été créé par Lazarsfeld et al. (1948).

4 L’entretien médian a généralement eu lieu deux à trois mois après l’élection, et le dernier entretien au cours du sixième ou septième mois. En outre, les échantillons FTF étaient (inévitablement) regroupés, avec les effets de conception qui en découlent (Kish, 1965). Une exception mineure à la règle FTF a été l’étude de 1980, réalisée avec un financement d’urgence et par téléphone, et comprenant des répondants qui avaient été interrogés en 1979. Elle était similaire aux autres études antérieures à 1988 en ce sens qu’elle était post-électorale et comportait un échantillon groupé.

5 La formulation exacte des questions du thermomètre se trouve dans le tableau A1 de l’annexe.

6 La polarisation entre les partis n’est pas le résultat d’un changement plus général dans le fonctionnement des questions. La preuve en est fournie dans la section 5 de l’annexe, où je compare les distributions des sentiments à l’égard de divers lieux et groupes sociaux. Pour ces « placebos », il n’y a tout simplement pas d’augmentation de la dispersion des sentiments.

7 Certaines omissions méritent d’être commentées. Pour plus de clarté visuelle, et comme cela n’est pas pertinent pour cet article, le Parti du crédit social, dont le dernier codage remonte à 1974, n’apparaît pas. Aucune donnée du Manifeste canadien n’a été cataloguée depuis 2015.

8 Elff et al. (2021) soutiennent que les conclusions de Stegmueller sur les biais reflètent une graine fixe pour ses simulations de Monte Carlo et un nombre globalement trop faible de simulations : 2 000 au lieu de 10 000. Pour ma part, j’ai testé l’estimation bayésienne sur une poignée d’exemples, conformément aux suggestions d’Elff et al. Dans chaque cas, les correspondances avec la vraisemblance maximale restreinte (REML) sont proches, y compris entre les intervalles de confiance REML et les distributions crédibles bayésiennes. Une comparaison des estimations REML et bayésiennes pour la relation la plus importante, la position gauche-droite des conservateurs, figure dans le tableau A13 de l’annexe en ligne. Une autre possibilité consiste simplement à estimer un modèle non hiérarchique, mais avec une correction de Huber-White pour le regroupement des erreurs par année. Cette approche est plus conservatrice que toute variante de modélisation hiérarchique, comme le montre la comparaison (à nouveau pour le positionnement des conservateurs) dans le tableau A15 de l’annexe. Ces estimations ne modifient pas le tableau général, mais elles élargissent les intervalles de confiance, de sorte que davantage d’entre eux dépassent la limite zéro que dans les estimations multiniveaux.

9 Les identifiants NPD et Réforme sont inclus dans les estimations sous-jacentes pour les sentiments envers les autres partis, car leur présence ajoute de la précision. Voir les tableaux A10 et A11 de l’annexe.

10 Pour plus de détails sur les indicateurs de connaissance et d’intérêt du CES, voir la section 3.1 de l’annexe.

11 Les preuves de ces propositions se trouvent dans la section 3.2 de l’annexe. Les analyses sont basées sur la batterie gauche-droite de l’étude comparative des systèmes électoraux (CSES), que le CES inclut dans son enquête post-électorale par courrier depuis 1997. Les échantillons par courrier étant relativement petits, non représentatifs et ne remontant pas à 1988, les auto-positionnements idéologiques ne peuvent être directement intégrés dans les estimations de cet article.

12 Bien que les intervalles de confiance de la figure 6 pour chaque niveau d’intensité partisane chevauchent ceux des autres niveaux dans chaque estimation, les interactions sous-jacentes sont clairement réelles. De chaque côté, le coefficient du terme d’interaction est environ cinq fois supérieur à son erreur type. Voir le tableau A12 de l’annexe.

13 Comme, par exemple, dans Merkley (2021b).

14 La discussion et les preuves concernant le taux de réponse au CES et ses implications se trouvent à la section 4 de l’annexe.

15 Une comparaison détaillée entre les modes RDD et web se trouve à la section 1 de l’annexe.


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