13/10/2025

Un monde sans circulation ? Trois experts urbains repensent la mobilité dans les villes

Par ANDREW SEALE

Traduction de A world without traffic? Three urban experts rethink how cities move, publié dans le Globe and Mail du 6 octobre 2025

Imaginez une ville où le ballet des feux de freinage ne commence jamais, où les transports en commun glissent de manière fiable vers leur destination et où les « voies de transport actif » bourdonnent de scooters, de vélos et d’aides à la mobilité, où les gens se déplacent en symphonie et où tout ce dont ils ont besoin se trouve à quelques minutes de chez eux.

En réalité, notre vie urbaine est marquée par les embouteillages et nous en payons le prix fort. En Ontario, les embouteillages coûtent environ 56,4 milliards de dollars par an selon le Centre canadien d’analyse économique (CANCEA). Ce montant comprend 12,8 milliards de dollars en perte de productivité et de transport de marchandises et 43,6 milliards de dollars en perte de qualité de vie due au stress, aux retards et au temps perdu.

Cependant, les urbanistes envisagent une autre solution : des villes conçues pour les personnes, et non pour les voitures. Cela peut sembler utopique, voire naïf, mais ces trois urbanistes affirment que cela est réalisable si les urbanistes sont prêts à prendre des mesures audacieuses et à repenser le statu quo.

Des voies réservées aux bus et aux vélos

« La circulation est souvent un indicateur de réussite, et il faut gérer les conséquences de cette réussite », explique Brent Toderian, conseiller international en urbanisme, fondateur de Toderian UrbanWorks et ancien urbaniste en chef de Vancouver. « Les gens souhaitent s’y rendre. La question est de savoir comment ils s’y rendent. Et est-ce de manière intelligente ou inefficace ? »

M. Toderian affirme qu’il est facile de se laisser distraire par des innovations futuristes telles que les voitures électriques, les réseaux de livraison par drone et les hyperloops. « Les vraies solutions sont beaucoup moins attrayantes et relèvent davantage du bon sens », ajoute-t-il. « Il ne s’agit pas d’utopie, mais de pragmatisme dans le contexte des défis réels auxquels nous sommes confrontés. La technologie ne nous sauvera pas si nous nous trompons sur les fondamentaux. »

Une piste cyclable séparée sur le pont Southwark à Londres, au Royaume-Uni.

Pour lui, la clé d’une ville à faible trafic et centrée sur l’humain réside dans la proximité : des quartiers denses et mixtes ou des communautés « 15 minutes » où les logements, les lieux de travail et les commodités sont proches les uns des autres. Il s’agit de « réduire la dépendance à la voiture », explique-t-il.

Parallèlement, il soutient que nous devons redéfinir les priorités en matière d’espace routier avec des voies réservées aux bus afin de permettre aux transports publics de contourner les embouteillages, et des voies protégées et connectées pour les cyclistes, les aides à la mobilité et les trottinettes.

Selon M. Toderian, il est essentiel de ne pas considérer ces mesures comme des solutions pour demain. « Tout ce dont nous parlons est urgent dès maintenant », affirme-t-il. « Aller plus loin » et « aller plus vite » sont les deux mots les plus importants dans le domaine de la transformation urbaine.

Péages urbains et mobilité en tant que service

Amer Shalaby, expert en ingénierie des transports et directeur du Transit Analytics Lab de l’université de Toronto, envisage la réduction des embouteillages sous l’angle de l’amélioration de la mobilité. Il souligne que la plupart des coûts sociaux liés à la conduite automobile, tels que ceux mis en évidence par le rapport du CANCEA, ne sont pas supportés par les conducteurs individuels, mais par la société dans son ensemble. En d’autres termes, le stress et les inconvénients liés aux embouteillages constants peuvent nuire à notre capacité à communiquer les uns avec les autres et rendre nos villes moins agréables à vivre.

M. Shalaby affirme que nous pouvons modifier notre rapport à la conduite automobile en mettant en place des péages urbains, qui sont des frais imposés aux conducteurs pour entrer dans une zone désignée pendant les heures de pointe.

Il affirme que cela peut également se faire par d’autres moyens, en évoquant un concept appelé « contrôle périmétrique ». « À Zurich, en Suisse, ils contrôlent le flux vers le centre-ville à l’aide de feux de circulation », explique-t-il. L’objectif est de rendre la conduite peu attrayante dans les centres-villes densément peuplés en imposant des retards.

Un panneau avertissant les conducteurs qu’ils s’apprêtent à entrer dans la zone centrale de Londres, au Royaume-Uni, où une taxe journalière est appliquée pour l’utilisation des voitures afin de prévenir les embouteillages.

Ce type de restriction peut être compensé par des transports publics efficaces et plus étendus, comme ceux que l’on trouve à Tokyo, Paris, Barcelone, Hong Kong et Londres. « À Hong Kong, on se vante toujours de pouvoir se rendre d’un point à un autre en 45 minutes, voire moins », explique M. Shalaby.

Toutefois, il ne s’agit pas uniquement d’étendre le réseau de transport, ajoute-t-il. M. Shalaby souligne le mouvement croissant autour de la mobilité en tant que service, proposant une plateforme numérique unique qui combinerait les transports publics, les services de VTC, le partage de vélos et les taxis en un seul service convivial.

M. Shalaby envisage une combinaison symphonique de mobilité urbaine fluide et intégrée. Nous sommes confrontés à une opportunité générationnelle, car les générations Z et Alpha grandissent dans un monde de micro-mobilité et de programmes de covoiturage. C’est donc le moment idéal pour cela, affirme-t-il. « Ils y sont déjà ouverts. »

Une réinvention radicale des horaires de travail

L’urbaniste Gil Penalosa, fondateur de l’organisation canadienne à but non lucratif 8 80 Cities, partage l’avis de Toderian et Shalaby : une ville agréable à vivre doit être à la fois efficace en matière de transport et praticable à pied.

Cependant, lorsqu’il s’agit d’éliminer le trafic, M. Penalosa indique qu’il revient souvent à une idée radicale, une idée qu’il n’a jamais réussi à mettre en œuvre dans les 350 villes où il a travaillé.

« Imaginez que les gens disent : « D’accord, vous pouvez maintenant choisir l’heure à laquelle vous souhaitez arriver [au travail] entre 7 h et 11 h, puis, en fonction de l’heure à laquelle vous arrivez, c’est à ce moment-là que vous terminez [votre journée de travail] », explique-t-il. « Cela pourrait se faire n’importe où, dans n’importe quelle ville, petite ou grande, mais je n’ai pas encore trouvé le maire qui aurait le courage de le faire. »

Du point de vue de M. Penalosa, cette idée est ingénieuse dans sa simplicité. Il admet qu’elle nécessiterait une volonté politique et une organisation importantes. Idéalement, les politiciens municipaux et provinciaux devraient s’impliquer aux côtés des maires, des chambres de commerce et des entreprises du secteur privé. Cependant, cela permettrait d’éliminer les heures de pointe, affirme-t-il. « Les gens seraient tellement plus heureux et tellement plus productifs, car certains sont des lève-tôt, d’autres des couche-tard », explique-t-il.

Pour M. Penalosa, la question n’est pas de savoir comment concevoir une ville sans embouteillages, mais comment nous souhaitons vivre.

« Si nous avons une réponse collective, nous pouvons développer une vision commune de nos villes », conclut-il.


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