incivilité & compétence civique

[Parc LaFontaine, dimanche 11:45, au bas de l’escalier menant à la patinoire, dans l’édifice Robin des bois]

Le local avec les casiers pour y laisser ses bottes est fermé. Pas d’explication, rien. C’est décevant. Un autre utilisateur potentiel frustré se met à accuser Valérie Plante. Là, c’est trop. J’apostrophe le citoyen critique, l’accusant de sexisme… soulignant la complexité d’une ville comme Montréal, les arrondissements, les ententes… Je souligne à quel point la gestion de la ville s’est améliorée depuis l’ère de Drapeau !

Je ne sais plus si j’ai pu laisser entendre que mon interlocuteur était de la banlieue, toujours est-il qu’il était bien fier de se dire depuis toujours habitant du Plateau. Je n’ai pas eu la répartie assez vive pour lui dire qu’on pouvait habiter le Plateau et penser en banlieusard !

J’ai cherché ce qui m’agaçait dans ce discours « anti-mairesse ». Une part de sexisme, sans doute. Mais pas que. Il y a un individualisme un peu cynique, qui dénonce, critique, mais sans chercher de solution. C’est l’attente d’un leader-sauveur qui viendrait enfin mettre de l’ordre dans ce foutoir et fournir (enfin) aux « payeurs de taxes » des services accessibles, de qualité.

On est défenseur ou attaquant dans ce type de conversation. Je me suis demandé ce qu’il en coûtait en notoriété, en relations publiques à la Ville de fermer un tel service… mais difficile de mesurer de telles pertes. D’autant que chaque fois qu’un cône orange est installé sur une rue, c’est une friction de plus avec les usagers de la route… et une insatisfaction de plus. À moins qu’on puisse transformer ces lieux-moments de friction en symboles d’une ville responsable, d’un service rendu… qui ne sont pas toujours rendus par la Ville : électricité, gaz, téléphonie et cable ont tous des droits d’accès.

La première manière de réduire les frictions, en les transformant en occasions d’éducation civique, consiste à informer les usagers (de la route, de la toilette, du métro ou des casiers pour bottes) de la source de la friction : Ville-centre ? Arrondissement ? Service des parcs ? Bell ou Énergir ? Et ensuite, informer sur les délais avant le retour à la normale.

Plutôt que d’imposer, d’emblée, aux équipes de construction-réparation des obligations supplémentaires d’information, un système d’informations basé sur la localisation GPS des travaux serait plus facile d’implantation et de contrôle. Associé à une possibilité de laisser un commentaire, visible par les autres usagers, cela permettrait une saine discussion et un feed-back roboratif. Ces informations géocodées seraient disponibles en format ouvert, permettant aux citoyens et OSC1organisations de la société civile de suivre dans le temps l’efficacité et la réputation des fournisseurs, plutôt que de faire porter sur la mairesse (ou le parti au pouvoir) toute la friction imposée par les multiples agences intervenant sur le territoire.

Ça prendra plus qu’une (belle) application GPS et des tableaux en open-source pour transformer le sentiment de frustration et de non-responsabilité dominant actuellement. Comment mesure-t-on le sens civique d’une culture ? Henry Milner, dans Les compétences civiques scandinaves2un chapitre du livre Social-démocratie 2.0 – Le Québec comparé aux pays scandinaves, nous introduit à différentes enquêtes qui permettent de comparer les pays de l’OCDE en la matière.

Ce que Milner entend par compétences civiques :

Les pays nordiques affichent des compétences civiques (capacité des citoyens à comprendre la réalité politique ainsi qu’identifier les alternatives en matière de partis et de politiques publiques proposées) supérieures à celles que l’on peut observer dans les pays d’Europe continentale et du monde anglo-saxon. Les compétences civiques s’acquièrent donc grâce à des politiques qui prônent la redistribution matérielle et surtout intellectuelle. L’éducation des adultes, les cercles de lecture, le soutien aux médias publics ainsi que les librairies populaires constituent des exemples de politiques entraînant une redistribution intellectuelle. 

Social-démocratie 2.0, p. 141

Cours d’éducation civique obligatoires dans lesquels on étudie et on débat des programmes des partis. Les Suédois lisent plus de journaux, suivent plus l’actualité politique… mais étudient plus longtemps (13% VS 3% des 30-39 ans sont aux études). Cependant la participation civique n’est pas liée au niveau d’éducation, même les populations avec peu d’éducation ont une culture politique. La représentation proportionnelle aide à la participation politique.

C’est un cercle vertueux : plus les gens sont informés et impliqués, plus les politiques et programmes sont adaptés aux besoins, ce qui renforce le désir, la motivation et l’engagement.


Je situe ce billet dans la suite de la réflexion suscitée par la lecture de Religion’s Sudden Decline: What’s Causing it, and What Comes Next?, que j’ai commenté récemment. L’auteur y identifiait un « modèle nordique » que j’ai voulu fouiller un peu plus grâce à cette comparaison Québec-Scandinavie cueillie au passage chez un bouquiniste. J’y reviendrai. Le chapitre sur la participation politique des femmes (47% des élus sont des élues en Suède) me permettra de poursuivre la réflexion sur les causes des attitudes anti-mairesse.

Notes

  • 1
    organisations de la société civile
  • 2
    un chapitre du livre Social-démocratie 2.0 – Le Québec comparé aux pays scandinaves

un Cato social-démocrate ?

Depuis quand le Cato Journal (America’s leading free-market public policy journal) fait-il dans la social démocratie ? Une surprise dans la dernière livraison (numéro 7) du bulletin Veille sur la social-démocratie – initiative de trois centres de recherche de l’UQAM : la Chaire de recherche du Canada Mondialisation, citoyenneté et démocratie (Chaire MCD); le Laboratoire de recherche sur les pratiques et les politiques sociales (LAREPPS); la Chaire de recherche du Canada en études québécoises et canadiennes (CRÉQC).

Ici le pdf du septième numéro, dans lequel on présente un article tiré du CATO Journal défendant un point de vue pas très social-démocrate sur le rôle de l’État (s’opposant aux thèses de Krugman) ! Me semble que ces points de vue n’ont pas vraiment besoin de soutien pour être diffusés plus largement qu’ils ne le sont déjà… Par ailleurs les autres articles proposés dans ce bulletin sont, comme on nous y avait habitué, des suggestions intéressantes sur des questions liées au renouvellement de la social-démocratie : démocratie représentative et délibérative; rôle des provinces dans le développement social canadien; politiques publiques, évaluation des services publics…

économie solidaire et nouvelle social-démocratie

Un court texte (19 pages) de Jean-Louis Laville, Renouveler la social-démocratie par l’économie sociale et solidaire, compte-rendu de sa conférence au colloque tenu en novembre dernier à Montréal sur le thème du renouvellement de la social-démocratie. [voir le site Chantier pour une social-démocratie renouvelée]

Toujours aussi captivant, ce Laville, réussissant un tour d’horizon historique en quelques pages, mettant en lumière les écueils de l’économie de marché tout comme du compromis social-démocrate (État social et économie de marché). L’émergence et la persistance de l’économie sociale, la spécificité de l’économie solidaire… l’importance de ces espaces publics de proximité où une démocratie délibérative permet une invention réciprocitaire moderne, où de nouvelles solidarités, de nouvelles conduites sociales peuvent voir le jour et fonder de manière durable une démocratie représentative renouvelée.

Comment, en effet, éviter que nos sociétés se polarisent entre des structures de plus en plus lointaines et gigantesques (ces sphères d’action régulées à travers l’argent et le pouvoir administratif — Habermas) et un monde privé moralement aseptisé, isolé… si ne s’ouvrent pas de nouveaux espaces publics générateurs de sens et de liens sociaux.

Une synthèse, ou plutôt des Éléments de synthèse : la social-démocratie et son rapport à l’État (.doc) étaient présentés par Benoît Lévesque.

virage à droite sur feu rouge

Pour un premier ministre, qui a les « deux mains sur le volant », le budget du Québec 2010-2011 est apparu comme le moment idéal pour réaliser un grand virage à droite même si le feu était encore au rouge.

C’est ainsi que débute l’article Le budget Bachand en rupture avec la social-démocratie… Auteurs d’un appel au renouvellement de la social-démocratie, lancé en mai dernier, les cosignataires éclairent les enjeux soulevés par le dernier budget du gouvernement Charest qui dépassent largement les seules questions économiques.  Une série de décisions rétrogrades, qui sous couvert d’économie visent à museler l’expression démocratique : fusions de commissions – dont certaines n’étaient pas au goût libéral-conservateur du jour – mais création d’autres (sur la participation au marché du travail) en excluant la partie syndicale !

On cherche vraiment dans ce budget d’après-crise, alors que le Québec s’en est sorti passablement moins amoché que les autres, quelles leçons ont été tirées, comment on entend éviter les errances et les erreurs qui ont conduit à la crise de 2008 ? La réduction de l’économie à sa seule dimension monétaire et financière… au détriment des conditions d’un vivre ensemble qui ont caractérisé le « modèle québécois » jusqu’ici il me semble que cela fait plutôt penser à la pente qui a nourri le crash de 2008 qu’à une solution pour éviter qu’il ne se reproduise ! Continuer la lecture de « virage à droite sur feu rouge »

lancement réussi

Hier soir avait lieu le lancement officiel du Chantier pour une social-démocratie renouvelée. Près d’une centaine de personnes, dont plusieurs têtes blanches ou grisonnantes (ce qui n’est pas dépréciatif !), ont répondu à l’appel lancé (pdf) en mai-juin dernier par 4 personnes bien connues dans les réseaux de l’action sociale, coopérative et syndicale : Benoît Lévesque, Michel Doré, Marilyse Lapierre et Yves Vaillancourt. Ce court texte à caractère historique et analytique avait l’heur de poser de bonnes questions, d’ouvrir un horizon de réflexion.

Faisant preuve d’une ouverture à la critique (certains diront à l’auto-flagellation) on avait demandé à Gilles Gagné, sociologue de l’Université Laval, d’y aller de ses commentaires provocateurs… J’espère que son texte sera bientôt disponible sur le site du Chantier, car il avançait quelques idées intéressantes en plus de critiques touchant au texte de l’appel. Des critiques comme : « N’avons-nous pas déjà connu notre renouvèlement de la social-démocratie, au Québec, avec les dizaines de nouveaux programmes sociaux développés depuis 10-15 ans ? » ou encore « Du gris sur du gris… » En d’autres termes, il manque, selon lui, de perspectives claires, d’un appel fort autour d’idées-forces, comme celles sur lesquelles il terminait son allocution : En finir avec le pétrole ! En finir avec la croissance du capital ! En finir avec la croissance ! Continuer la lecture de « lancement réussi »

social-démocratie renouvelée ?

Un texte de Marcel Boyer, Manifeste pour une social-démocratie concurrentielle (pdf, 174 pages). Ce qui me rappelle l’autre texte appelant à un Chantier vers une nouvelle social-démocratie lancé par Lévesque, Vaillancourt et al. Ce dernier texte (pdf de 29 pages) propose une démarche collective, et comme son nom l’indique, une série de groupes de travail sur différents aspects de la situation actuelle. J’ai trouvé très stimulant le document, tant dans sa partie historique que dans l’attention qu’il porte à toucher toutes les dimensions du renouvellement nécessaire d’une théorie politique apte à tirer les leçons du dernier siècle.

L’autre, le premier document, plus volumineux, signé d’un seul nom. Je ne l’ai pas lu. La référence vient de PolitiquesSociales.net.