science d’intérêt public

Aujourd’hui, le 16 septembre se tiennent à travers le Canada des assemblées « Standup for Science » ou Tous ensemble pour la science.

 Au cours des dernières années, nous avons vu plusieurs coupures budgétaires touchant d’importantes institutions scientifiques, nous avons vu le financement des programmes redirigé vers la commercialisation de la recherche, et nous avons vu les scientifiques du gouvernement perdre leur capacité à communiquer les résultats de leur recherche au public.

La science est importante pour les Canadiens et Canadiennes. La recherche scientifique de qualité, lorsque associée à un processus décisionnel éclairé, protège notre eau et qualité d’air, nous garde en santé, s’assure que notre nourriture est saine et prépare les Canadiens et Canadiennes à l’avenir. Notre bien-être ainsi que notre prospérité à long terme va de pair avec l’alignement de la science et de l’intérêt public.

« [L]’alignement de la science et de l’intérêt public » il me semble que cette manière de dire affaiblit l’ensemble de l’appel au public. C’est parce que la « science » et le savoir académique n’avaient pas si bonne presse ni n’était près du coeur du public que le gouvernement Harper a pu la maltraiter autant. L’anti-intellectualisme cher aux populistes a bien servi les conservateurs : en y sacrifiant même le recensement canadien, un joyau de la science statistique internationale, Harper réaffirmait la primauté de la volonté, de la décision politique sur l’analyse, la réflexion, l’interprétation des faits.

Pourtant nous avons à la fois besoin de réflexion ET d’action. Et il serait plus qu’intéressant, essentiel même que les deux soient articulées, idéalement harmonisées. Mais il n’y a pas qu’avec le pouvoir politique que la science a parfois « maille à partir ». Les medias participent aussi à ces déformation des faits et ventes de vessies pour des lanternes. Le dossier du pétrole fantôme à Anticosti en est un bel exemple (voir Pas une goutte de pétrole à Anticosti).

Nous avons et aurons besoin de plus de science, non pas moins. Une science qui soit d’intérêt public. Dont les résultats soient publics, d’accès libre. Dont les grandes orientations soient délibérées.

reconnaitre la valeur publique

Recognizing Public Value, par Mark H. MooreC’est le titre du dernier livre de Mark H. Moore, Recognizing Public Value. L’auteur qui a, dès 1995, défendu (introduit ?) la création de valeur publique comme stratégie alternative au New Public Management qui sévissait déjà.

Je tente ici d’esquisser (bien subjectivement) le propos d’un livre (450 pages) qui présente 7 cas de transformation de la mise en valeur, de la définition de l’action publique. Il s’agit du département de police de New York, de la ville de Washington D.C. au complet, du département du revenu du Minnesota, d’un programme de « welfare-to-work » de l’Illinois, de la mobilisation de Seattle autour de la gestion de ses déchets, d’un tableau de bord pour le progrès de l’Oregon et du département des services sociaux du Massachusetts. À travers ces exemples, l’auteur développe ses concepts et outils, dont le compte de valeur publique (public value account) et des  fiches de suivi (scorecards) pour les pôles ou perspectives de la légitimation et des opérations (voir les fiches numérisées à la fin). Ces trois pôles correspondant au triangle stratégique de la création de la valeur publique. (Voir B. Lévesque, dont je tire le paragraphe et le graphique suivants).

Triangle stratégique valeur, Moore

Le triangle stratégique de la valeur publique selon Moore s’appuie sur trois préoccupations qui doivent s’imposer aux dirigeants politiques et aux gestionnaires des services publics. En premier lieu, la définition de la valeur publique, soit concrètement la clarification des objectifs et des finalités des services qui doivent inclure la production de valeur non seulement pour les individus directement touchés mais aussi pour les communautés concernées, ce qui suppose de faire le lien entre l’usager et le citoyen et de faire appel à la délibération puisque la valeur publique est plurielle et qu’elle n’est jamais définie une fois pour toutes. Le gestionnaire public (public servant) joue un rôle important pour faire que cette préoccupation de la valeur publique soit effectivement prise en compte pour la production et la livraison des services publics. En deuxième lieu, la préoccupation pour la valeur publique ne peut se réaliser sans un environnement autorisé et légitime puisqu’il faut à la fois le support des autorités publiques et la construction d’une coalition des parties prenantes (usagers, communautés, secteur privé, secteur public, secteur associatif) aux intérêts diversifiés. En troisième lieu, la capacité opérationnelle de construction de biens et de services s’impose, ce qui renvoie à la faisabilité en termes de mobilisation des ressources opérationnelles (financières, personnelles, de compétences, technologiques) à l’intérieur et à l’extérieur des organisations nécessaires pour obtenir les résultats, y compris sur le plan de la valeur publique. À nouveau, la fonction publique joue un rôle important pour favoriser l’alignement de ces trois préoccupations dans la mise en œuvre. Continuer la lecture de « reconnaitre la valeur publique »

il y a gouvernance et gouvernance

Rejeter toute gouvernance comme la manifestation d’un management totalitaire conduit vite à rejeter toute préoccupation relative à la gestion de la chose publique : « il faut éviter de se perdre dans la gestion, dans la «gouvernance» », dit Louis Favreau, en recommandant ce pamphlet.

Il y a de la gouvernance de droite comme il y a des managements de droite. Définir la gouvernance comme le management totalitaire, comme le défend, cinquante fois plutôt qu’une, le petit livre éponyme d’Alain Deneault, c’est refuser les possibilités ouvertes par la gouvernance démocratique (collaborative, partenariale dit Benoît Lévesque) — en demandant, implicitement, le renforcement du pouvoir public. Mais avoir plus de pouvoir public sans les outils et les attitudes de la gouvernance démocratique (respect et écoute de la clientèle, de la citoyenneté; ouverture à l’innovation et à la collaboration), c’est revenir à l’autorité bureaucratique et insensible qui a fait le terreau de la tant décriée nouvelle gestion publique.

Ce que je retiens tout de même de la critique de Deneault c’est que malgré des intentions louables, officiellement d’intérêt public, les mécanismes de la gouvernance ordinaire peuvent vite se replier sur les intérêts immédiats ou appréhendés des acteurs en présence, laissant de côté ou pour plus tard l’intérêt de la collectivité dans son ensemble. Une gouvernance démocratique rapprochera le « peuple » de ses institutions en accroissant son pouvoir de définir les objectifs qu’elles poursuivent et les valeurs qu’elles incarnent. Alors que pour Deneault, la gouvenance vise à « mettre les peuples encore plus hors de portée de structures publiques par lesquelles ils pourraient chercher à constituer souverainement leur subjectivité historique ». Car, tout le monde le sait, une « structure publique » c’est par essence, démocrate, accessible, équitable, juste…

La gouvernance n’est pas une recette miracle, pas plus qu’elle n’est un poison diabolique. Pour contrer la polysémie du vocable il vaudra mieux le qualifier. C’est ce que fait Benoît Lévesque, dans son texte sur la nouvelle valeur publique comme alternative à la nouvelle gestion publique.

Gouvernance collaborative, partagée, partenariale… ce sont les termes souvent utilisés pour décrire les relations que développent les institutions publiques avec leurs partenaires (communautaires et privés) et aussi leurs clientèles et les représentants citoyens. Oui, il y a bien d’autres utilisations de ce concept de gouvernance, dont certaines peuvent être critiquées parce qu’elles servent à justifier l’influence des intérêts privés sur la gestion de la chose publique. Alain Deneault en énumère une cinquantaine de ces utilisations « totalitaires » dans son petit pamphlet Gouvernance, le management totalitaire. Son parti-pris « critique » l’empêche cependant de voir les usages progressistes et démocratiques de ce concept, que ce soit pour décrire les relations de partenariat entre acteurs locaux desservant une même population, ou les processus méta-organisationnels permettant de définir l’orientation et les valeurs de l’action publique ou collective.

Pourtant Favreau, dans le texte déjà cité, invite à « ne pas s’en tenir à la défense de valeurs ». Mais si l’on veut, justement, que ces valeurs touchent et transforment les pratiques des institutions, professionnels, organisations comme les comportements des citoyens, il ne faut avoir peur ni de la gouvernance, ni de la gestion publique. Formuler des politiques, même sur la scène internationale, ne suffit pas.

gouvernance en réseau et gestion de la valeur publique

J’ai voulu traduire, même imparfaitement, ce texte de Stoker  – Public Value Management, A New Narrative for Networked Governance ? (pdf), qui m’apparait le plus stimulant parmi ceux que j’ai lu autour de la question de la valeur publique. Le traduire parce que je sais que plusieurs collègues et citoyens engagés lecteurs de ce blog ne pratiquent que très peu la langue anglaise. Et puis cet effort de quelques heures — avec l’aide de Google — m’aura permis de mieux assimiler ce texte.

Pourquoi cette importance soudaine de la « valeur publique », et surtout de la « gestion » de la valeur publique ? Parce qu’on ne peut pas simplement opposer de la résistance passive aux efforts d’implantation de mesures de productivité, visant la performance, la pertinence ou l’accessibilité des services publics. Parce que si on ne se donne pas de théorie du changement, de théorie de la gestion, ce seront les théories des autres qui orienteront, donneront tout le sens à notre action. Mais surtout parce que nous avons des défis à relever, nous les citoyens et communautés préoccupés de la santé et du bienêtre d’aujourd’hui et de demain. Ces concepts me semblent très utiles pour mieux situer et comprendre le contexte et les perspectives ouvertes par la responsabilité populationnelle,  les réseaux locaux de services… Voici les premiers paragraphes de Stoker. Le lien vers le texte complet plus bas.

« La gouvernance en réseau (…) oblige l’Etat à orienter la société de nouvelle manière à travers le développement de réseaux complexes et la montée des approches ascendantes de la prise de décision. Les formes institutionnelles établies de gouvernance semblent remises en cause, et de nouvelles formes de gouvernance semblent émerger. La gouvernance en réseau est un cadrage particulier de la prise de décision collective qui se caractérise par une tendance à un plus grand nombre de participants qui seront considérés comme des membres légitimes du processus de prise de décision dans des contextes de grande incertitude et de complexité. On sent une pression pour trouver de nouvelles façons de collaborer alors que l’interdépendance des individus et des organisations s’intensifie.

«L’arrivée de gouvernance en réseau implique une façon différente de travailler pour les politiciens ainsi que pour les gestionnaires du secteur public ou ses administrateurs. Au niveau de la pratique, comme Kettl (2002) l’affirme, «les gestionnaires publics doivent s’appuyer sur des processus interpersonnels et interorganisationnels comme compléments – et parfois comme substituts – de l’autorité » (p. 168). Ils ont besoin, entre autres, de gérer à travers des réseaux, d’être ouvert à l’apprentissage de différentes façons de faire, et de puiser aux ressources de diverses provenances. Mais cet article soutient qu’ils ont besoin quelque chose de plus. Ils ont besoin d’imaginer un paradigme alternatif, un cadre global dans lequel mettre leurs nouvelles habitudes. Sans une théorie plus générale de l’administration publique pour la gouvernance en réseau, les administrateurs publics et les autres acteurs seront moins en mesure de caractériser la nature des systèmes émergents dans la gestion des services publics et des programmes, et encore moins d’évaluer les forces et les faiblesses de ces changements. »

Ma traduction du texte de Stoker : La gestion de la valeur publique : une nouvelle approche pour une gouvernance en réseau. [En format Word ou Acrobat Reader:  .docx .pdf ] Et si certains lecteurs ont des suggestions pour améliorer cette traduction plutôt rapide, je serais heureux de les recevoir, et les intégrer…

valeur publique

Après une première lecture enthousiaste de La nouvelle valeur publique, une alternative à la nouvelle gestion publique ?, à la seconde lecture j’ai été un peu déçu, trouvant l’insistance sur l’innovation trop importante à mon avis. N’est-ce pas sous le couvert de l’innovation que trop souvent on a tenté de réformer de manière économiste ou à courte vue le réseau public ces dernières années. La promotion d’une gestion plus collaborative, de l’importance de l’engagement des usagers dans le processus et l’orientation de la production de service, ne sont-ce pas la des approches, des manières particulières que nous avons tenté d’incarner, de développer au cours des dernières décennies dans des institutions associées au modèle québécois ?

Mais une troisième lecture m’a finalement réconcilié avec le travail de Benoît Lévesque car il s’agit d’une belle introduction au concept de la nouvelle valeur publique. Cependant la traduction du terme public value management par nouvelle valeur publique, que je trouvais intéressante de prime abord, me semble, elle aussi mettre trop l’accent sur l’innovation. Je préférerais le terme « gestion de la valeur publique » où plutôt que de mettre l’accent sur la nouveauté, on pourrait mettre l’accent sur ce qu’il y a de commun, d’hybridable entre les modes de l’administration traditionnelle, de la nouvelle gestion publique (NPM) et d’une autre approche capable de relever les défis d’aujourd’hui et de demain. Plutôt que d’opposer, ou de remplacer la nouvelle gestion publique par la nouvelle valeur publique, il s’agit bien de travailler à faire émerger une compréhension commune de l’intérêt collectif, de la valeur publique.

Est-ce là simplement une autre mode, ou tendance dans un monde de la gestion friand d’effets de manche (les Powerpoint) et de pop psychologie ?  Peut-être y aura-t-il une certaine « mode » autour de la « valeur publique ». C’est même souhaitable, si l’on veut inscrire ce concept dans les formations de masse données aux nouveaux managers qui remplaceront les BBBoomers qui s’en vont. Mais c’est surtout souhaitable pour sortir de l’impasse des confrontations sourdes de collaborateurs qui se méprisent plus facilement qu’ils ne s’estiment. Si nous voulons relever les défis sociaux qui nous confrontent plutôt que de crouler sous le traitement des maux qu’ils engendrent, nous devrons apprendre à travailler à plusieurs, ayant plusieurs points de vue, en s’entendant sur des principes, des objectifs tout en permettant la contribution de plusieurs partenaires.

Comment pourrons-nous relever le défi du vieillissement démographique sans accentuer les iniquités déjà grandes ? Sans augmenter plus encore le pouvoir des castes médicales ? Sans accroître indûment les charges sur la population active ? Il faudra que les retraités eux-mêmes (et tous les producteurs de services, pas seulement ceux du secteur publique) soient impliqués dans le débat, car les solutions ne seront pas seulement comptables ou pharmaceutiques. De la même manière l’accroissement de la couverture ET de la qualité des services à la petite enfance (CPE, garderies familiales) exigent de mobiliser les acteurs présents, les compétences et volontés déjà active dans ce champ — dans le respect des valeurs, de la culture, des désirs des familles utilisatrices et des productrices de ces services.

Cette orientation de gestion vers la valeur publique est essentielle devant de telles problématiques. La définition de la valeur publique résultant de la délibération des partenaires (parties prenantes – usagers, producteurs, administrateurs, élus) de telle manière manière qu’elle engage ces partenaires, pour en faire des co-producteurs. Les leaders d’une telle administration en réseau, inter-institutionnelle, devront jongler avec les contraintes internes vers la transparence et l’imputabilité et celles issues des échanges et engagements externes sur des terrains hors du contrôle immédiat de l’organisation. Des leaders qui doivent apprendre à manier avec délicatesse (a light touch) le pouvoir dont ils sont investis. (Government needs to learn to steer with a light touch, and the capacity and skills to act in such a way will have to be installed in the governance systems – Stoker –Public Value Management, A New Narrative for Networked Governance ?) Voir ma traduction de ce texte.

Élus, administrateurs, professionnels, militants et citoyens doivent trouver leur place autour de la table.