CHSLD ou quoi ?

À propos des leçons à tirer de la tragédie qui s’est déroulée en 2020 dans les CHSLD et autres organisations de soins de longue durée. 

J’attendais avec impatience la sortie, le 4 mars, du livre de André Picard, journaliste au Globe and Mail. Ses analyses critiques sont habituellement solides et bien écrites. Et puis je me suis rappelé cet autre livre publié récemment, en juin dernier, sur la situation dans les CHSLD et les EHPAD, par des chercheurs, dont Yves Couturier et François Aubry avec qui j’ai pu collaborer dans le cadre d’ARIMA. Je crois que c’est en visitant la bibliothèque virtuelle d’EspaceRézo, mise en place pour soutenir les suites du projet de recherche partenariale ARIMA, que je me suis rappelé du livre de Aubry et Couturier.

Les deux sources documentaires principales pour ce billet : 

Pendant la plus grande partie de ma carrière comme organisateur communautaire dans le réseau de la santé j’ai travaillé de près avec les équipes de soins et services à domicile, de même qu’avec des associations d’aînés, pour développer et soutenir les services aux personnes âgées en perte d’autonomie. De 1976 à 2012 j’ai assisté à la croissance et la transformation des services à domicile de même qu’à la transformation des « centres d’accueil » en centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) qui, d’organisations indépendantes, ont été rattachées aux CSSS (puis, aujourd’hui, aux CIUSSS).

<Flash-mémoire>Une image me revient en mémoire de cette période du début de ma participation à l’équipe « maintien à domicile » du CLSC Hochelaga-Maisonneuve : je participe à un panel filmé avec un ministre du premier gouvernement Lévesque, le jésuite Jacques Couture. Le débat portait sur l’importance de développer les services à domicile plutôt que de construire des « centres d’accueil ». J’avais cité un exemple récent d’une aînée qui avait « cassé maison », c’est-à-dire vendu tous ses meubles, pour entrer dans un centre d’accueil mais qui avait finalement décidé de ressortir, parce qu’elle ne se sentait pas « si vieille ». C’était en janvier 1977 et notre équipe était souvent sollicitée pour témoigner des enjeux liés aux services à domicile… La première Politique de services à domicile du Québec sera adoptée en 1979. Je me souviens d’avoir utilisé, de manière un peu crasse, le passage concomitant du premier ministre René Lévesque à New York devant L’Economic Club pour laisser entendre que le gouvernement péquiste se préoccupait plus de l’opinion des capitalistes que des besoins des aînés ! J’avais 25 ans, j’étais encore marxiste-léniniste, et c’était (feu) l’Office du film du Québec qui avait filmé ce panel.<Fin>

Continuer la lecture de « CHSLD ou quoi ? »

circuits piétonniers cartographiés

J’ai utilisé ces derniers temps l’application Strava, dans sa version gratuite. Je l’ai fait tout d’abord de manière inconstante, n’enregistrant pas les courtes randonnées (2-3 kilomètres) et oubliant parfois de « partir la machine » au début de la marche. Et je me suis rendu compte récemment que GoogleMap avait enregistré mes déplacements sa que je lui demande… et il me demandait, justement, s’il devait continuer d’enregistrer… 1) Quand l’application est ouverte ; 2) Tout le temps ; 3) Jamais.

J’ai choisi 2) Tout le temps. En me disant que ça pourrait remplacer Strava, et m’éviterait d’oublier de mettre en marche le compteur. Les premiers essais semblaient prometteurs : lors d’un circuit incluant une partie intermédiaire en autobus, GoogleMap distinguait automatiquement les modes de transport… et des totalisations distinctes pour la marche et l’autobus. Mais à l’usage, le fait que GoogleMap n’enregistre pas les portions intérieures de certains parcours (comme ces quelque 600-700 mètres de déambulation dans les couloirs du supermarché) m’a fait revenir à Strava.

Et j’ai décidé d’être plus constant dans mon utilisation, même pour les petits parcours — cela me permettra de faire des moyennes, ou de viser des moyennes. Genre : 5km par jour, en moyenne, avec des jours à 2-3 km et d’autres à 8-10.

  • derniers parcours piétons

Je vais faire de ce billet une page permanente à laquelle j’ajouterai régulièrement les derniers parcours et la suite d’une discussion éventuelle autour du partage de ces données de piétons parcourant Montréal, ou le Québec, ou le monde ! Mais c’est de tracer les « lignes de désir » des piétons montréalais qui m’intéresse, pour le moment. Un tel cumul de données sur l’utilisation piétonnière pourrait éventuellement orienter, soutenir des aménagements incitatifs ou simplement adaptés (genre : ++++ de bancs !).

La ville de Montréal avec son service de données ouvertes pourrait servir de lieu de dépôt des parcours de piétons cumulés, enregistrés par les différentes applications et plateformes de géolocalisation. La partie difficile sera de convaincre les GoogleMap, Strava, MapMyWalk de ce monde de 1) traduire les données recueillies dans un format interopérable; 2) et permettre à l’usager de partager ces données, s’il le désire.

D’autres villes ont peut-être expérimenté dans ce domaine ? Je me renseigne…

pour boucler 2020

Dans ce billet je veux surtout revenir sur les livres dont je n’ai pas parlé en 2020 mais qui m’ont tout de même occupé l’esprit. Des livres qui ont passé parfois plusieurs mois sur ma table, auxquels je suis revenu à plusieurs reprises. Ou encore que j’ai lu et relu en cherchant comment je vous en parlerais. Mais il me fallait tout de même revenir rapidement sur les travaux et lectures de l’année dont j’ai tiré les quelques 25 billets1Cette année fut finalement assez productive, plus que 2019 et 2018 où je n’avais publié que 16 billets chaque année. Ce n’est pas la « frénésie » de 2012-2013, où j’ai publié près de 80 billets par an, encore moins celle des années 2008-2009 où le rythme atteignait 150 billets par an ! Pas besoin de vous dire que ces billets n’étaient pas tous élaborés… publiés en 2020, ne serait-ce que pour me replonger rapidement sur les moments forts (ou difficiles) de cette 19e année de publication2Hé oui, je commencerai ma 20e année début février ! sur Gilles en vrac… et pour situer ces dernières réflexions dans leur contexte.

On peut dire que l’année qui vient de se terminer fut propice à la réflexion. Situation de crise globale, économique, sanitaire qui nous a, pendant un moment, fait croire que nous allions saisir l’occasion, collectivement, de changer des choses. Le thème de la transition  a été et restera sans doute un axe important (10 ans pour y arriver; petits et grands gestes; beau temps pour la fin du monde; barbarie ou civilisation; une convention citoyenne à la québécoise ?; ce que tous devraient savoir). Aussi un article synthèse sur le tiers-secteur québécois, rédigé pour un colloque qui n’a pas eu lieu (le tiers secteur québécois, un aperçu), et évidemment, plusieurs billets sur et autour de la pandémie : rôle des gouvernements, de la science, des croyances… 

J’ai lu et commenté dans mes billets plusieurs livres qui portaient un regard de haut, sur l’avenir, la transition, la nature humaine ou les enjeux de civilisation : Au temps des catastrophes — résister à la barbarie qui vient, Collapsus, Climate Leviathan, The Decadent Society, Une nouvelle terre, The Uninhabitable Earth, Humankind, A Planet to Win, La transition c’est maintenant… 

territoire et capital

L’an dernier à pareille date, la fin du premier billet de l’année 2020, 10 ans pour y arriver, je référais à un projet (ou une étude) mené par Dark Matter Labs qui proposait de récupérer une fraction de la croissance de la valeur des immeubles d’un quartier qui ont profité des investissements publics… afin de réduire les impacts négatifs qu’ont aussi ces développements. Une telle approche pourrait-elle être utilisée dans le contexte d’un projet comme le REM de l’Est? 

Le développement urbain (ou régional) soumis aux dictats et aux intérêts des grandes entreprises… il faut trouver une autre manière de planifier nos villes et nos régions. Je croyais avoir trouvé une piste, en mettant la main sur Le promoteur, la banque et le rentier, une étude de Louis Gaudreau. Un retour historique édifiant sur le développement, assez récent, du « marché de l’habitation ». L’importance du soutien public a été cruciale pour que les banques « daignent » prêter aux gens qui n’étaient pas déjà riches… La transformation graduelle du « produit » habitation d’un bien d’usage à un investissement, un produit financier. L’auteur conclut sur des pistes telles les fiducies foncières et l’investissement public pour « démarchandiser » l’habitation… mais je n’étais pas  satisfait : ce n’était pas la « balle d’argent » que j’espérais. 

Dans un chapitre de The Future of Capitalism, Paul Collier suggère à propos de l’accroissement exagéré de la valeur des logements, en particulier dans les grandes villes et métropoles, qu’une partie de cette valeur ajoutée devrait revenir aux collectivités. Par ailleurs, dans un chapitre du recueil Our Commons, Ostrom in the City: Design Principles and Practices for the Urban Commons, les auteurs Christian Iaione et Shella Foster s’inspirent d’Ostrom (dont j’ai parlé ici) pour dégager 5 principes (gouvernance collective, État facilitateur, la mise en commun [pooling] économique et sociale, le caractère expérimental et la justice technologique) pour gérer les villes comme des communs, en mobilisant ressources et collaboration de 5 catégories d’acteurs : les innovateurs sociaux, les autorités publiques, le milieu des affaires, les organisations de la société civile et les institutions du savoir.

Mais cette perspective proposée par Foster et Iaione est directement critiquée par Pierre Sauvêtre, dans son chapitre (Le municipalisme des communs contre la gouvernance urbaine collaborative) du recueil de textes Du social business à l’économie solidaire : critique de l’innovation sociale (éd. ÉRES, juillet 2020). « La gouvernance urbaine collaborative correspond à une version faible des communs parce qu’elle ne remet en cause ni les rapports de pouvoir politiques (…) ni les rapports de pouvoir économiques. » Laurent Fraisse dans sa contribution au recueil : Janus et l’innovation sociale nous rappelle à quel point « la société civile n’a plus le monopole de l’innovation sociale ». 

Cependant la vision du community organizing présentée par Julien Talpin dans ce même recueil (La force du nombre : un impératif managérial ? Le community organizing travaillé par le tournant néolibéral) est un peu caricaturale et semble surtout servir à dénoncer l’influence de certaines fondations philanthropiques. 

Par ailleurs l’ensemble (dont une dénonciation du virage vers l’autoritarisme du « modèle québécois » par Lachapelle et Bourque) propose une perspective critique dans un discours sur l’innovation sociale qui trop souvent donne l’impression que les bonnes intentions et l’agir ensemble viendront à bout de tous les obstacles. 

Un autre recueil sur le même thème était paru 16 mois plus tôt, aux PUQ : Trajectoires d’innovation : des émergences à la reconnaissance, sous la direction de Klein, Boucher, Camus, Champagne et Noiseux. « [U]ne vision large de l’innovation, orientée vers le développement économique, mais aussi vers la création d’un écosystème d’innovation où les progrès technologiques et sociaux se croisent et se complètent ». Un tel écosystème « devrait repenser les rapports inégalitaires entre les genres, les populations et les territoires. »

Le compte-rendu d’un riche colloque du CRISES tenu en 2017 rassemblant 28 chapitres regroupés en 9 parties. Laville y faisait une intervention en ouverture du colloque qui annonçait déjà la publication de 2020, dénonçant la récupération du discours de l’innovation sociale par le Social Business et une seconde vague de néolibéralisme qui prétend que le capitalisme peut être moralisé et que l’innovation sociale, grâce aux outils de l’entreprise, pourra mieux résoudre les problèmes sociaux.

Une autre publication récente (janvier 2020) sur un thème corollaire: Intervenir en développement des territoires, par René Lachapelle et Denis Bourque. Le territoire, l’évolution du « modèle québécois de développement », le virage néolibéral des années 2000… En présentant huit démarches de développement territorial les auteurs mettent en lumière la contribution de l’intervention collective à ces processus. De la mobilisation des réseaux institutionnels à l’accompagnement des élus locaux dans leur nouveau rôle de « gouvernement de proximité », en passant par « une philanthropie qui sait faire la différence »… les auteurs identifient des enjeux posés aux intervenants en développement territorial. Un court document (156 pages) dont on aurait aimé qu’il développe un peu plus la présentation des autres réseaux institutionnels que celui de la santé dans leur ancrage territorial… Systèmes locaux d’action et opération en réseaux d’acteurs. Dans un ordre d’idée semblable, je me propose de lire « Un avenir pour le service public – Un nouvel État face à la vague écologique, numérique, démocratique », publié par Sébastien Soriano en novembre 2020 chez Odile Jacob. 

Voir aussi, sous la direction de Marc-Urbain Proulx et Marie-Claude Prémont, La politique territoriale au Québec, 50 ans d’audace, d’hésitations et d’impuissance, paru aux PUQ en 2019. 

À propos des nouveaux défis posés aux municipalités, sous la direction de Gérard Divay, parus en deux volumes aux PUQ en 2019 : Le management municipal, Volume 1 : Un gouvernement de proximité ? Volume 2 : Les défis de l’intégration locale.

un intellectuel dans la salle ?

La question du rôle, de la responsabilité des intellectuels a été « renouvelée » en quelque sorte récemment avec la montée des populismes anti-élites, glissant facilement vers l’anti-science. Ce qui ne veut pas dire que les intellectuels sont à l’abris des dérives complotistes… comme le soulevait un reportage récent de Radio-Canada sur le fonctionnement du cerveau. 

La transparence, la franchise, le partage des savoirs, l’ancrage culturel… la compétence à transmettre, à traduire, à produire la culture sont des qualités, des continuums de qualités auxquels les intellectuels peuvent aspirer ou à l’aulne desquels ils seront mesurés. 

Les intellectuels sont-ils toujours militants ? Ou les militants, des intellectuels ? 

Ce sont des « maudits intellectuels » quand ils posent trop de questions ou qu’ils se prennent pour d’autres… et des « traîtres » quand ils quittent le Parti ou négligent la Cause. Certains sont idéalistes ou croyants et participent à des mouvements sociaux, des activités charitables ou éducatives, ou de critique et de contestation… Mais peut-être sont-ils assis devant leur écran à consommer des opinions politiques ou des prestations culturelles quand ce n’est pas à redistribuer des vidéos de chat. 

La « gauche brahmane » et la « droite marchande » 3Capital et idéologie, p. 933sont ces élites diplômées qui ont remplacé, en alternance, l’influence des syndicats sur les gouvernements socio-démocrates.

Ici nous ne parlons que du temps (relativement) court, depuis l’après-guerre, le milieu du siècle dernier. Mais ces interprétations du rôle de l’intellectuel, à gauche promoteur de droits, de justice, d’accès, ou à droite promotrice de liberté individuelle, de réussite, de découverte… sont des propos et postures beaucoup plus anciens. Des rôles qui, dans le cas du Québec, ont été marqués, polarisés par la fracture nationale-linguistique-religieuse avec une droite marchande très largement dominée par les anglo-saxons canadiens et une gauche divisée entre catholiques et faction libérale-anti-cléricale. 

Dans Les intellectuel.les au Québec, une brève histoire, Yvan Lamonde et consort tracent une histoire pas si brève, remontant au XVIIIe siècle avec les débuts de la presse écrite, en tissant la toile des tensions et relations entre l’Église, l’État, les médias. Un chapitre sur les femmes intellectuelles permet de souligner l’apport des fondatrices (1880-1929). Une brève histoire tout de même (160 pages) publiée chez Delbusso — pour moins de 10$ en format numérique. Intéressant de saisir dans leur contexte historique les abbé Groulx, père Lévesque, frère Marie-Victorin ou Marie Gérin-Lajoie, ou ces Parent, Gérin, Montpetit, Laurendeau, Dumont, Vadeboncoeur , Trudeau ou Aquin… Mais aussi de situer ces figures moins connues : Éva Circé-Côté, René Garneau, Fernande St-Martin… 

La question nationale et le « cosmopolitisme », les idéaux de liberté, de justice ou d’égalité… la lutte à l’ignorance, à la complaisance ou à l’exploitation, l’anticléricalisme ou le féminisme anti-paternaliste, le syndicalisme, la promotion des arts, des lettres et des sciences sociales… la promotion des compétences scientifiques et de la culture québécoise… les intellectuel.les portent des flambeaux, allument des feux, éclairent des enjeux ou chantent des louanges. Longtemps critiqués (paresseux incapables d’un « vrai » travail productif, i.e. manuel) et vus comme de mauvaises influences aux moeurs débridées, qu’en est-il aujourd’hui ? 

« Le départage entre intellectuels souverainistes et fédéralistes a vraisemblablement masqué la rupture gauche/droite pendant plusieurs décennies » souligne Lamonde dans son chapitre le plus contemporain (1970-2015). La formation d’une parole souverainiste à gauche, indépendante de la coalition du PQ, autant que l’expression plus libre d’un nationalisme de droite, ou encore l’ampleur et la profondeur des paroles féministes ou éco-féministes… ont complexifié la scène intellectuelle québécoise même si de vieilles questions, telle la laïcité et la place de la religion dans la cité, continuent d’occuper l’avant-scène. Complexité accrue, comme le reconnaissent les auteurs en conclusion, quand les nouveaux médias entrent en jeu, que les traces et la mémoire (matériau nécessaire à l’analyse) ne sont plus les mêmes. 

[Parlant de médias sociaux et de mémoire… le téléchargement pour fin d’archivage (et de preuve) de l’ensemble de la plate-forme Parler qui a servi à préparer et soutenir l’attaque contre le Capitol, le 6 janvier dernier, soulève plusieurs questions mais aussi, peut-être, des avenues de responsabilisation]. 

Les intellectuels sont-ils toujours des écrivains ou des journalistes ou des profs d’université qui, par définition écrivent, produisent des papiers, un discours écrit ? Mais ces animateurs, « motivateurs », organisateurs syndicaux ou communautaires qui n’écrivent pas beaucoup mais peuvent tout de même « soulever des foules » sont-ils aussi des intellectuels ? Et qu’en est-il de ces psychologues, travailleurs sociaux et psychothérapeutes ? Des « travailleurs intellectuels » certainement, manipulateurs de symboles ou administrateurs de programmes mais pas intellectuels dans le sens de producteurs d’un discours sur la place publique. 

Il y a les Grands intellectuels, ceux qui ont publié et qu’on lit… ou qu’on écoute sur YouTube parce qu’ils ont de la notoriété et ceux qu’on rencontre, qui ont lu et rendent accessibles les textes des Grands. L’intellectuel de café, de brasserie ou de la famille… Les mouvements sociaux ont besoin d’intellectuels pour formuler, justifier leurs objectifs, leurs exigences. Quand ces mouvements fondent des partis, ou des institutions, leurs intellectuels deviennent fonctionnaires ou consultants. D’autres intellectuels prendront parole ou contesteront à la frontière ou dans les corridors de ces institutions. 

Il y a ces jeunes intellectuels qui n’ont pas encore publié mais qui participent à un moment historique dont ils peuvent témoigner, plusieurs décennies après coup, comme le fait Robert Comeau dans Mon octobre 70. Une certaine histoire du FLQ et de la Crise d’octobre, mais aussi une histoire de trahison, de silence honorable et de révélation nécessaire. Un récit très personnel qui amènera ceux qui ont connu l’époque à se demander « Où donc étais-je en octobre 1970? »

Je réserve ma réponse à cette question pour un autre billet…

Et ces intellectuels de gauche, dont François Saillant trace une Brève histoire de la gauche politique au Québec ? Là je me reconnais un peu mieux dans le portrait des groupes de gauche des années ’70, ’73 pour être précis, époque où les étudiants du pavillon Read de l’UQAM devaient traverser une haie d’honneur de propagandistes ayant chacun son journal, sa ligne juste avant d’accéder aux classes. L’histoire de Saillant est intéressante parce qu’elle remonte aux premiers exemples d’élus et de candidats ouvriers, à la fin du XIXe jusqu’aux tractations et négociations ayant conduit à la création de Québec Solidaire. En s’attachant à la gauche « politique » entendue comme électorale, l’auteur évite ainsi l’écueil d’avoir à se prononcer sur les théories et principes de la gauche, ce qui serait incompatible avec l’idée d’une « brève histoire ». Les succès électoraux croissants de QS, faisant élire 1, 2,3 puis 10 députés sont remarquables. J’aurais aimé qu’il élabore un peu plus sur les rapports avec la base militante maintenant que le parti peut embaucher des dizaines de professionnels pour épauler l’action des députés. 

Sur la question des intellectuels et de la gauche, Jean-Philippe Warren a publié (au moins) deux livres : L’engagement sociologique — La tradition sociologique du Québec francophone – 1886-1955 (2003), où il suit l’émergence des enseignements et de la recherche sociologiques. Dans Ils voulaient changer le monde — Le militantisme marxiste-léniniste au Québec (2007), il retrace la montée du radicalisme et l’expérience maoïste telle qu’incarnée par des groupes comme En Lutte ou le Parti communiste ouvrier. De manière incidente et parce que j’avais beaucoup apprécié Les origines catholiques de la révolution tranquille, j’ai voulu lire, du même auteur (Michael Gauvreau avec, cette fois, Nancie Christie) Christian Churches and Their Peoples, 1840-1965 — A social history of religion in Canada. L’action sociale et politique menée par les différentes églises chrétiennes (protestantes et catholique) jusque dans les années ’60. Une gauche chrétienne qui continue d’être active, voir L’Utopie de la solidarité au Québec – Contribution de la mouvance sociale chrétienne (2011) par Lise Baroni, Michel Beaudin, Céline Beaulieu, Yvonne Bergeron, Guy Côté ou encore Nous sommes le territoire (2016) de Michel Beaudin , Céline Beaulieu et Ariane Collin. Dans L’Utopie… le chapitre de Michel Beaudin nous offre une synthèse magistrale Une mémoire à reconstituer : un siècle d’engagement social chrétien. 

Si on élargit notre conception des intellectuels jusqu’à inclure la population des diplômés on peut comprendre une partie du développement des dernières décennies comme la montée au pouvoir de ces nouvelles générations de diplômés, ces gauche brahmane et droite marchande dont parle Piketty((Capital et idéologie, Thomas Piketty 2020)) qui ont fait prévaloir leurs intérêts (ont su saisir les opportunités) sur ceux représentés par les syndicats dans les gouvernements d’après-guerre (Collier 2018). 

Le fait de situer les valeurs dominantes, axiales de nos société dans leur trame historique récente (30 ans) ou un peu moins récente (75-100 ans) devrait nous inciter, au minimum, à plus d’humilité et à une appréciation plus réaliste et nécessaire du caractère insoutenable du développement des dernières décennies. 

histoire profonde 

Les cinq ou dix derniers millénaires sont courts lorsqu’on les rapporte à l’histoire de l’humanité (entre 200 000 et 400 000 ans). La période récente, fut marquée par la sédentarité et le développement de l’agriculture et de l’élevage, puis de l’écriture et des sciences qui ont permis un accroissement vertigineux des forces productives, mais aussi des forces de destruction (Engels’s Second Theory — Technology, Warfare and the Growth of the State, de Wolfgang Streeck, NLR 123, May/June 2020). 

Pendant la plus grande partie de son existence (95-99%), homo sapiens a vécu en nomade, obligé de se déplacer continuellement pour tenir compte d’un climat qui oscillait entre périodes de glaciation et de réchauffement. 

Autrement dit cet âge d’or de l’humanité pendant lequel notre espèce se sera multipliée par… 10 000, cette période de croissance exponentielle n’est pas d’abord attribuable à l’ingéniosité humaine — bien que cela a certainement contribué — mais plutôt à la grande stabilité du climat, à la réduction importante de l’amplitude des oscillations climatiques, comme le montre bien ce graphique publié dans le billet précédent

James C. Scott, dans Homo Domesticus — Une histoire profonde des premiers États (2021), tente de retracer cette période de passage du nomadisme à la sédentarité, à la domestication des plantes, des animaux et des hommes. Un passage qui, contrairement à l’image qu’on peut en avoir, ne s’est pas fait de manière linéaire, comme une simple progression vers plus de sécurité, plus de confort… mais plutôt comme une lutte de longue haleine pour harnacher et soumettre les forces de la nature et la capacité productive des hommes. Les humains ne se sont pas laissés embrigader facilement. Les guerres contre les « barbares » visaient autant à ramener des esclaves, pour remplacer ceux qui s’étaient sauvés ou qui étaient morts, qu’à punir les pillards attirés par les récoltes et réserves… Les maladies et épidémies que la coexistence en grand nombre favorisait, tant chez les animaux que les hommes, ont aussi ponctué l’histoire des civilisations. Sur ce dernier sujet, Kyle Harper donne un « édifiant » récit dans Comment l’empire romain s’est effondré — Le climat, les maladies et la chute de Rome

Ce que James Scott met en lumière, assez clairement, avec son histoire des premiers États, c’est le temps long, et la fragilité de ces civilisations qui nous ont laissé des traces (architecture, écriture) alors que les modes de vie « sans État » ont été le propre de la majorité des peuples humains jusqu’à une époque plutôt récente (quatre ou cinq siècles). Une lecture fascinante faite dans sa version originale (Against the Grain — 2017) juste avant que la version française ne soit publiée 🙁 

Alors qu’il laisse entendre à plusieurs reprises que la vie des peuples nomades était plus riche (nourriture plus diverse, mobilisation de connaissances plus étendue), ce que Scott laisse dans l’ombre cependant c’est la réussite indéniable que représentent à la fois l’accroissement (vertigineux) de la population humaine et l’allongement de l’espérance de vie. Des « progrès » qui ne pouvaient se produire sans la sédentarisation et la concentration (des savoirs et de la puissance) de l’urbanisation. Une question demeure : la « flèche du progrès » n’est-elle pas allée trop loin ? Dix milliards d’humains, dont plusieurs milliards de carnivores… 

Un autre examen au long cours de l’évolution des civilisations, mais cette fois sous l’angle de l’énergie : Energy and Civilisation, A History, par Vaclav Smil. Un examen minutieux et détaillé de l’évolution des outils, du rendement énergétique des premières cultures, et des équivalences en terme de puissance de travail entre les forces humaines, animales et mécaniques. L’évolution et la comparaison en terme de retour énergétique des types de culture autant que des machines aratoires… Saviez-vous qu’on pouvait harnacher jusqu’à 40 chevaux à une immense moissonneuse dans les grands champs de blé américains au début du 20e siècle ? !

prochaines lectures

Je sais que j’achète plus de livres que je suis capable d’en lire ! Mais ma culpabilité a baissé d’un cran lorsqu’un commentateur comparait sa bibliothèque à un cellier. « Est-ce qu’on demande à un amateur de vin s’il a bu toutes les bouteilles de sa cave ? » 

J’ai bien hâte de me replonger dans ces grandes questions, ou de retrouver ces auteurs vénérables. 

Charles Taylor, avec The Language Animal; Anna Lowenhaupt, avec Friction — Délires et faux-semblants de la globalité; Lionel Naccache, avec Le cinéma intérieur — projection privée au coeur de la conscience; La tête, la main et le coeur — La lutte pour la dignité et le statut social au XXIe siècle, de David Goodhart; Être forets — Habiter des territoires en lutte, de Jean-Baptiste Vidalou; Écologie intégrale — Le manifeste de Delphine Batho; Qu’est-ce qu’une plante, de Florence Burgat. 

Et encore, de divers auteurs, Les transitions écologiques; Le monde jusqu’à hier; The Conservation Revolution — Radicals Ideas for Saving the Nature Beyond the Anthropocene; Future Sea; The Future Earth; The Smart Enough City; Perdre le Sud; The Metamorphosis of the World; La guerre du Péloponèse; Black Morocco — A History of Slavery, Race and Islam;  Ils voulaient changer le monde — Le militantisme marxiste-léniniste au Québec… 

L’année 2021 promet d’être remplie. Remplie de ce que nous y mettrons. Nos objets et projets. Mais elle sera, surtout, pleine de ce qui nous est donné : la vie, l’amour de nos proches, la beauté du monde. Nous devons en profiter tout en les protégeant. 

Notes

  • 1
    Cette année fut finalement assez productive, plus que 2019 et 2018 où je n’avais publié que 16 billets chaque année. Ce n’est pas la « frénésie » de 2012-2013, où j’ai publié près de 80 billets par an, encore moins celle des années 2008-2009 où le rythme atteignait 150 billets par an ! Pas besoin de vous dire que ces billets n’étaient pas tous élaborés…
  • 2
    Hé oui, je commencerai ma 20e année début février !
  • 3
    Capital et idéologie, p. 933

ce que tous devraient savoir

La présentation en début de ce panel (les 30 premières minutes) est claire, limpide. Elle vaut d’être écoutée, même si elle est en anglais.

J’ai extrait quelques graphiques de la présentation, qui décrivent à quel point la dernière période de 12000 ans, correspondant à l’avènement de l’agriculture et des grandes civilisations humaines, coïncide avec une période de très grande stabilité du climat.

Avant cette période les écarts et changements étaient si importants qu’ils obligeaient les groupes d’humains à une vie nomade.

Nous nous apprêtons à sortir de l’étroit corridor de climat tempéré qui a permis à l’humanité de croître et se développer comme elle l’a fait.

Le effets du réchauffement sur les régions les plus fertiles risquent d’être dévastateurs… le cercle vicieux de la chaleur, de la sécheresse et des feux risque de nous amener vers ce qui existait bien avant, cette période où la terre appartenait aux lézards et dinosaures, parce qu’il y faisait trop chaud.

Cette conférence était donnée dans le cadre du colloque Higher Ground organisé par le réseau New Cities, qui a tenu au cours de l’année plusieurs événements d’intérêt. New Cities est une OBNL internationale dont le siège social est à Montréal.

Fondée en 2010, NewCities (la Fondation Villes Nouvelles Canada) est un organisme indépendant à but non lucratif dont la mission est de façonner un meilleur avenir urbain et dont le siège est situé à Montréal, Québec. La Fondation réalise sa mission en créant des opportunités d’échange de meilleures pratiques entre les villes, les entreprises, et la société civile dans le monde entier. (Extrait du site de NC)

Merci à Sentier, pour le cue.

Si je me souviens, un des événement de l’année mettait en valeur les efforts de la Ville de Montréal dans la préservation de la biodiversité sur son territoire. Je n’ai pas trouvé le segment particulier du panel où Madame Laplante, mairesse de Montréal, devait prendre la parole. J’ai encore à prendre connaissance du Plan climat Montréal dont l’objectif : la carboneutralité en 2050. Mais 2050 c’est dans 30 ans. Et au cours des 30 dernières années l’humanité a produit plus de gas à effets de serre qu’elle ne l’avait fait depuis sa naissance.

Est-ce que le Plan comprend la protection et mise en valeur des ruisseaux de l’Est, comme on les décrit dans le document Corridor des ruisseaux

Comme le rappelait Joëlle Gergis, cette scientifique australienne, qui dit son désespoir, dans un article du Guardian, devant le peu d’impact sur les politiciens des appels des scientifiques à l’action climatique

As more psychologists begin to engage with the topic of climate change, they are telling us that being willing to acknowledge our personal and collective grief might be the only way out of the mess we are in. When we are finally willing to accept feelings of intense grief – for ourselves, our planet, our kids’ futures – we can use the intensity of our emotional response to propel us into action.

Faire le deuil de ce que nous avons perdu afin d’avoir le courage de sauver ce qui est encore sauvetable.

2020. Une année exceptionnelle

Exceptionnelle, par ses pertes, ses faillites, ses morts… mais aussi par l’obligation d’un retour à l’essentiel, aux plaisirs simples, dont celui d’être vivant.
On prédit que 2021 sera, elle aussi, exceptionnelle, ne serait-ce que parce que les « ménages » n’ont pas dépensé autant qu’à l’habitude en 2020 et qu’ils seront enclins à consommer gros et plus qu’à l’habitude dans l’année qui vient.

Au début de la période de confinement certains, dont j’étais, se sont pris à rêver que cette période d’arrêt obligatoire nous permettrait de changer nos façons de faire, de ralentir notre consommation collective afin de revenir à un niveau qui soit à la mesure de ce que peut nous fournir la nature sans dépérir un peu plus chaque année. On souhaitait une relance verte, des investissements massifs dans le transport en commun, dans la protection de la nature, dans la transformation de nos modes de production…

La facilité avec laquelle les gouvernements se sont mis à distribuer de l’argent pour minimiser la récession n’aura eu d’égal que la rapidité avec laquelle certains appellent déjà un retour à des politiques d’austérité afin de payer ces « dettes ». Oui, je mets le mot dette entre guillemets parce que ce ne sont pas des dettes ordinaires…

Si la crise a mis en lumière, particulièrement au début de la pandémie, la capacité des gouvernements à mobiliser les populations dans une action (ou inaction) concertée… elle a aussi fait ressortir les doutes et la fragilité de ces consensus. Certains pays ont été frappés plus durement par la division et les agissements de groupes plus ou moins grands défiant l’intérêt public et les savoirs scientifiques. La diversité des comportements, tant des États nationaux que des populations, devrait nous renseigner sur les conditions de succès d’une action collective sous contraintes. Contraintes imposées par une nature imprévisible, mais aussi par des intentions fermes, liées à des valeurs essentielles.

Si nous choisissons de minimiser les leçons à tirer de cette période traumatique, en mettant tout en oeuvre pour « revenir à la normale », alors que cette « vie normale » est à la source même de la pandémie… Nous aurons beaucoup souffert pour rien.

Veut-on vraiment revenir à la « normale » dans les CHSLD et les résidences privées pour ainés ? Ici j’ai bien hâte de lire le prochain livre du journaliste André Picard, spécialiste des questions de santé au Globe and Mail, qui doit porter sur les leçons à tirer du pire échec de la crise du Covid-19 : les soins aux ainés.

Et tous ces kilomètres, ces heures de route interminables et polluantes qui font notre quotidien « normal », veut-on vraiment y revenir tel quel ou si on n’a pas appris quelque chose en minimisant nos déplacements ?

Veut-on vraiment revenir à la situation où il en coûte moins d’aller passer une semaine à Cuba « tout compris, billet d’avion inclus » que de passer quatre jours dans les Laurentides ou les Cantons ?

Et cette facilité, cette valorisation des déplacements locaux, actifs, des parcs et places publiques… de la livraison à domicile et du prêt à emporter… Qu’avons-nous appris ? Qu’avons-nous à retenir, à maintenir et développer ?

Évidemment, on ne peut passer les dix prochaines années à tirer les leçons de 2020-2021… mais on pourrait au moins passer en revue les plans d’aménagement, d’occupation du territoire, de transition ou de relance qui se discutent actuellement afin d’y faire valoir les leçons tirées de la récente crise.

une convention citoyenne à la québécoise ?

Les programmes élaborés par les gouvernements provincial et fédéral ne sont pas assez ambitieux pour nous permettre d’atteindre les cibles nécessaires de réduction de gaz à effet de serre, même celles, déjà insuffisantes, du « consensus de Paris 2015 ». [On parle surtout du climat mais la protection de la biodiversité et des richesses halieutiques des hautes mers sont aussi des questions urgentes et complexes qui ne pourront se résoudre sans un impact lourd sur nos modes de vie.] 

S’il faut garder toujours un œil sur le compteur électoral en vue de la prochaine élection, il est compréhensible qu’aucun gouvernement n’ose formuler des politiques qui « font mal », en réduisant la liberté de certains choix, ou en incluant dans les choix d’aujourd’hui tous leurs coûts environnementaux… Aussi les politiciens ont de plus en plus recours à des assemblées citoyennes représentatives, des « processus délibératifs représentatifs » (representative deliberative processes).

« these deliberative bodies are well-suited to tackling long-term issues because citizens need not worry about the short-term incentives of electoral cycles, giving them more freedom than elected politicians. A minipublic can also embody a wide range of perspectives, an advantage for problems with complex trade-offs and value-based dilemmas. (…) minipublics are an excellent way to integrate public values with advice from scientists and ethicists. » 

Power to the people, Science, 30 octobre 2020. 

La Convention citoyenne sur le climat française ou encore le UK Climate Assembly au Royaume-Uni sont des exemples récents. De tels processus sont de plus en plus utilisés pour éclairer des enjeux complexes (planification urbaine, soins de santé, climat) par des gouvernements de niveau municipal, provincial ou fédéral. L’OCDE publiait récemment une synthèse tirée de l’examen de 289 processus menés dans le monde de 1986 à 2019 : Innovative Citizen Participation and New Democratic Institutions

Douze (12) modèles de délibération représentative. Tiré de  OECD (2020), Innovative Citizen Participation and New Democratic Institutions: Catching the Deliberative Wave.

Les 150 citoyens français ou les 110 du Royaume-Uni ont été choisis au hasard de manière à représenter, refléter la composition de la population du pays… et se sont vus confier des mandats de réflexion sur les enjeux climatiques à partir de présentations faites par des spécialistes, et des discussions en petits groupes. La manière dont ces groupes sont constitués et les processus délibératifs animés est déterminante. Ce qui a amené Fishkin, un pionnier de ces processus délibératifs, à déposer comme marque commerciale ses « deliberative polls (TM) » alors que les auteurs de la publication de l’OCDE développaient un guide des meilleures pratiques. “Fishkin trademarked the term “deliberative poll” partly to maintain quality control, and Chwalisz and her colleagues have published guidance on best practices.”

Mais qu’est-ce qui fait que ces processus délibératifs représentatifs feraient mieux que les formes plus traditionnelles de commission ou comités parlementaires ?  Ce sont des citoyens ordinaires, non des politiciens professionnels, ni des militants ou promoteurs d’une cause dans les enjeux examinés. Ces gens représentent ceux qui auront à vivre avec les conséquences des décisions à prendre. Les dernières décennies ont bien montré que l’exposition des faits et des données, les démonstrations scientifiques ne conduisent pas automatiquement à l’action appropriée.  Les processus délibératifs, lorsqu’ils sont bien menés, peuvent amener les gens à changer d’opinion, à identifier des points de convergence, des vecteurs consensuels. 

Encore faut-il que les consensus, les propositions issues de tels processus soient repris par les instances décisionnelles ou réglementaires afin d’être mis en pratique. Même lorsque l’initiative est issue du pouvoir central (comme la Convention française), le jeu des contre pouvoirs, des lobbys et des appareils administratifs peut contrecarrer l’application de telles résolutions. « La convention citoyenne butte, comme il était prévisible, sur l’appareil polico-administratif »

Ce qui fait dire à certains qu’il faudrait que de telles assemblées citoyennes soient décisionnelles (« Le climat, le citoyen et la convention : une fable à la française », Bonin et Baeckelandt, Nouveau projet #18). Mais ce serait trop simple de nommer (ou choisir au hasard) un groupe de personnes et s’imaginer que, par magie, les gens se plieront aux décisions prises par ce groupe. Surtout si ces décisions impliquent des changements comportementaux significatifs ou qu’elles touchent des groupes puissants.

Je crois que la seule manière de relever un défi comme le changement climatique est de mobiliser la population le plus largement et le plus profondément possible, en s’appuyant sur les réseaux déjà actifs dans la société civile. La création d’une assemblée, d’une convention citoyenne centrale serait nécessaire afin d’alimenter ce processus élargi, de fournir des propositions à débattre dans les régions et les quartiers. Le résultat de cet échange entre un centre et les réseaux, secteurs et régions du pays pourrait alors prétendre tracer un plan audacieux de changement qui soit à la hauteur des enjeux. 

La boîte noire, la magie qui opère (“Something magical happens”) dans les processus de délibération participative doit être expérimentée, vécue. Ce ne sont pas des choses qui peuvent être encapsulées dans une brochure ou une vidéo. Les gens doivent en faire l’expérience : être entendu, s’exprimer librement, entendre, écouter les autres, questionner et obtenir des réponses…  Autrement dit, ce sont cent assemblées citoyennes qu’il faut créer. 

Car ce dont il est vraiment question, finalement, c’est de reconstruire une économie.  Une étude finlandaise publiée il y a un an, Ecological reconstruction, évaluait qu’une société comme la Finlande devrait réduire sa consommation de ressources des deux-tiers pour atteindre un niveau soutenable pour la planète. (Finnish use of natural resources (both domestic and imported) will decrease to a globally sustainable level – roughly one third of the average per capita level in 2019.)

Les crises environnementales qui s’accumulent, en plus du changement climatique : perte rapide et importante de biodiversité; dégradation des océans; pertes de terres arables et d’autres ressources difficilement renouvelables… 

Il n’y a plus de temps à perdre, il faut se presser, mais lentement et ensemble. Comme disait Laure Waridel dans Une économie vert très pâle, « toutes nos décisions individuelles et collectives [devraient être] passées au crible de leurs impacts sur l’avenir de nos enfants. Cela nous fera immanquablement agir pour protéger l’environnement.« 

Voir aussi :


Aussi publié sur Nous.blogue

voir aussi En complément, écrit avec les citations et extraits non utilisés

en complément

Citations et portions de textes laissés sur la table du billet précédent une convention citoyenne à la québécoise ?

Québec

«interrogés en juin dernier par Léger Marketing, 67 % des Québécois faisaient passer l’amélioration de la qualité de vie, de l’environnement et de la santé bien devant la croissance de l’économie comme priorité au sortir de la pandémie.»

Les fondations philanthropiques s’adressent à M. Legault : Pour une relance verte, solidaire et prospère,

France

La Convention est une des formules imaginée par le président de la République pour sortir du conflit ouvert par les Gilets jaunes. Elle reposait sur deux spécificités : le mode désignation de ses membres par tirage au sort ; les propositions à faire pour réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. La Convention citoyenne relance la question démocratique – C6R

Elle a remis son rapport en juin dernier, après des travaux qui se sont étalés sur 9 mois, d’octobre 2019 à juin 2020.

Royaume-Uni

L’assemblée pour le climat du Royaume-Uni remettait son rapport en septembre dernier : The path to net zero. Le chemin vers la neutralité carbone en 2050.

Amid often polarised political debate, ordinary people were able to judge evidence and ideas against their own experiences. They arrived at judgements that balanced competing values, such as freedom of choice and fairness to different social groups.

[T]he kind of climate action the general public are willing to accept when they have the opportunity to learn and deliberate together.

L’efficace de la délibération

Extraits de Power to the people, Science, 30 octobre 2020.

[M]inipublics are an excellent way to integrate public values with advice from scientists and ethicists. “Scientists don’t have a monopoly on public values,” he says. says John Dryzek, a political scientist at the University of Canberra

With facilitators making space for everyone to chime in, Wali says no one dominated in the small group discussions. A poll of members found that 94% felt their views were respected, even when others disagreed, and 95% felt they were given “ample opportunity” to express their views. In an age of polarization, a willingness to respectfully hear other views, and the reasons people hold them, changes the hostile dynamic of politics entirely, says Alice Siu, a political scientist at Stanford University: “Something magical happens.”

[W]ith high-quality information, facilitators to keep discussions on track, and rules to enforce civility, it is possible to steer people away from group biases, van der Linden says. (…) most of the people in a minipublic have no history of activism or involvement with an issue, and so they’re in a good position to reflect on what they hear.”

Fishkin trademarked the term “deliberative poll” partly to maintain quality control, and Chwalisz and her colleagues have published guidance on best practices.

But in an analysis of data on the policy impact of 55 minipublics, Chwalisz and her colleagues found that, 75% of the time, public authorities implemented more than half the citizens’ suggestions. Only six minipublics in the sample saw none of their recommendations implemented.

Keeping minipublics in an advisory role, rather than enabling them to produce binding recommendations, is more truly democratic, says Cristina Lafont, a political philosopher at Northwestern University.

Dryzek agrees that democracies should not blindly defer to the decisions of minipublics. But they still offer a critical piece of information for policymakers that experts can’t provide, he argues: a meaningful gauge of public values.


Peut-on imaginer des dizaines d’assemblées citoyennes, comme je le suggérais dans le dernier billet : Autrement dit, ce sont cent assemblées citoyennes qu’il faut créer ? La difficulté est d’autant plus grande que plus on s’approche du terrain (secteurs, régions et quartiers urbains) et plus il devient difficile de trouver des gens qui ne sont pas parties prenantes des enjeux liés aux industries de la région ou du secteur. Mais en même temps, si les changements que nous devons envisager à nos modes de transport, de production et de consommation relèvent vraiment d’un « changement de paradigme » plutôt que d’un simple accommodement, alors il n’est pas inutile de prévoir des modalités de réflexion et de planification qui dépassent le « business as usual« .

Une réflexion citoyenne sur les manières de réduire notre impact sur le climat ne devrait pas être étrangère aux efforts que nous devrions déployer pour mieux planifier notre développement urbain (ici je parle pour Montréal). Il est grand temps que Montréal refasse un exercice de véritable planification, en intégrant les considérations environnementales et climatiques d’aujourd’hui. Cela éviterait peut-être que nous laissions simplement les promoteurs définir la ville de demain, en oubliant tout ce qui ne leur rapporte pas : écoles, services de proximité, parcs…

Intéressant de comparer les grandes villes canadiennes en tant que « villes du quart d’heure » (15 minutes cities).

Proportion de la population vivant dans des quartiers avec services à proximité, permettant plus de déplacements à pied ou à vélo. Ce pourcentage monte à 72% pour Vancouver et n’est que de 10% pour Ottawa ou Halifax.

Il ne faut pas voir la « densification » uniquement comme une contrainte, mais plutôt comme une libération de notre dépendance aux transports motorisés… et un « réensauvagement » possible de certains espaces. Ce sont des sujets qui mériteraient grandement qu’on s’y penche avec sérieux, en intégrant les données scientifiques et nos valeurs, celles que nous désirons léguer à nos petits-enfants.

barbarie ou civilisation

«[C]ertains sont d’ores et déjà engagés dans des expérimentations qui tentent de faire exister, dès maintenant, la possibilité d’un avenir qui ne soit pas barbare.» Isabelle Stengers, Au temps des catastrophes, Résister à la barbarie qui vient, 2013.

«Les barbares les plus redoutés du monde occidental ne sont pas des envahisseurs venus des steppes lointaines; ce sont les déplorables de la Rust Belt qui votent pour Trump, les gilets-jaunes qui brûlent des boutiques sur les Champs-Élysées, les petits Anglais forçant leur pays vers un improbable Brexit.» (Ross Douthat, dans The Decadent Society, 2020 – ma traduction).

En regardant se dérouler les psychodrames autour de questions comme le port du masque ou la place que prennent les pistes cyclables à Montréal, on peut sincèrement craindre la guerre civile que soulèverait l’implantation des réformes radicales à nos modes de vie qu’appelle en urgence «l’intrusion de Gaïa».  (À propos de Gaïa, voir le récent billet de Boucar Diouf, dans La Presse.)

Quand les conclusions scientifiques sont rabaissées au niveau d’opinions comme les autres, que les individus peuvent s’afficher sans vergogne insensibles à l’intérêt commun… on s’approche dangereusement de la barbarie.

Mais comment défendre ou même identifier la «civilisation» quand cette dernière s’est construite en discréditant des cultures, savoirs et richesses qui avaient pour seul défaut de ne pas être monnayables ou assimilables aux intérêts de la culture dominante? Faut-il sauver la civilisation actuelle alors qu’elle nous mène allègrement vers le précipice? Il est bon de se rappeler que la moitié de toutes les énergies fossiles brûlées par l’homme l’a été au cours des 30 dernières années! [more than half of the carbon exhaled into the atmosphere by the burning of fossil fuels has been emitted in just the past three decades. — Wallace-Wells, The Uninhabitable Earth]

Isabelle Stengers prend soin de distinguer l’usage du terme «barbare» chez les Grecs  anciens et celui de Rosa Luxemburg (emprunté à Engels) dans son écrit de prison de 1915 : La crise de la social-démocratie – Socialisme ou barbarie. Pour Stengers, en 2013 : «S’il y a eu barbarie à La Nouvelle-Orléans, c’est bien dans la réponse qui a été donnée à Katrina: les pauvres abandonnés alors que les riches se mettaient à l’abri.» Déjà en 1978, dans La Nouvelle Alliance écrit avec Ilya Prigogine, Stengers défendait une conception de la science qui ne soit pas opposée ou isolée de la culture, et une conception de la nature qui ne soit pas réduite par la science à ses plus simples mécanismes. Dans son écrit de 2013, intitulé «Au temps des catastrophes, Résister à la barbarie qui vient», la science et les scientifiques ne sont pas neutres, mais bien parties prenantes d’un avenir non barbare à inventer… ou de l’avenir barbare à éviter.

à propos de Gaïa

«On ne lutte pas contre Gaïa. Même parler d’une lutte contre le réchauffement est inapproprié – s’il s’agit de lutter, c’est contre ce qui a provoqué Gaïa, pas contre sa réponse.»

«Lutter contre Gaïa n’a aucun sens, il s’agit d’apprendre à composer avec elle. Composer avec le capitalisme n’a aucun sens, il s’agit de lutter contre son emprise.»

La Gaïa de Stengers ne prend pas sa revanche, elle serait plutôt aveugle aux dégâts que provoque son intrusion. Et l’auteure prend soin de se distancier de Lovelock, dont la «Gaïa semblait une bonne mère, nourricière, dont la santé devait être protégée. Aujourd’hui, notre compréhension de la manière dont Gaïa tient ensemble est bien moins rassurante». Dans ses écrits récents Lovelock affirme qu’il faudrait réduire la population humaine à 500 millions de personnes, ce que Stengers qualifie de «délire d’une abstraction meurtrière et obscène». La critique sévère que mène l’auteure contre les méthodes réductionnistes de la Science et son alliance avec l’économie de la connaissance n’aboutit pas à un rejet de la science, mais plutôt à son renouvellement par une ouverture sur les autres savoirs et pratiques traditionnels.

«Un jour, peut-être, nous éprouverons une certaine honte et une grande tristesse à avoir renvoyé à la superstition des pratiques millénaires, de celle des augures antiques à celles des voyants, liseurs de tarots ou jeteurs de cauris. Nous saurons alors, indépendamment de toute croyance, respecter leur efficace, la manière dont ils transforment la relation à leurs savoirs de ceux qui les pratiquent, dont ils les rendent capables d’une attention au monde et à ses signes à peine perceptibles qui ouvre ces savoirs à leurs propres inconnues. Ce jour-là nous aurons également appris à quel point nous avons été arrogants et imprudents de nous prendre pour ceux qui n’ont pas besoin de tels artifices.» I.S.

le risque de barbarie

La référence à la barbarie comme avenir potentiel dans l’actuelle conjoncture est aussi amenée par Simon Mair quand il décrit quatre futurs possibles pour l’après-CoViD-19 (What will the world be like after coronavirus? Four possiblefutures).

Ces quatre futurs : État capitaliste, État socialiste, Barbarie et Entraide, qui sont résumés succinctement dans l’article en ligne, s’orientent autour d’un axe de centralisation-décentralisation et d’un axe vertical où le principe économique cardinal est soit la valeur d’échange ou encore la protection de la vie. Quatre futurs qui recoupent d’assez près les quatre politiques climatiques présentées par Joel Wainwright et Geoff Mann, dans Climate Leviathan, A Political Theory of Our Planetary Future.

Le soin que prennent les auteurs à ne pas nommer, sinon par un «X» (l’inconnu de l’équation) la «solution» ou la perspective souhaitable rejoint assez bien, il me semble, l’approche ouverte, non déterminée de Stengers. Ce que Wainwright et Geoff ajoutent à l’équation de Simon Mair, en plus d’un important fonds de références philosophiques et historiques, c’est la question de la souveraineté planétaire, de la souveraineté tout court.

Le Léviathan climatique rêve de devenir le souverain planétaire, et il en a les moyens. «Climate Leviathan is defined by the dream of a planetary sovereign. It is a regulatory authority armed with democratic legitimacy, binding technical authority on scientific issues, and a panopticon-like capacity to monitor the vital granular elements of our emerging world: fresh water, carbon emissions, climate refugees, and so on.»1Le Léviathan climatique est défini par le rêve d’un souverain planétaire. Il s’agit d’une autorité de régulation dotée d’une légitimité démocratique, d’une autorité technique contraignante sur les questions scientifiques et d’une capacité de type panoptique pour surveiller les éléments granulaires vitaux de notre monde émergent : l’eau douce, les émissions de carbone, les réfugiés climatiques, etc. Mais les forces «antisouveraineté planétaire» du Behemoth (capitalisme sauvage, nationalismes xénophobes — ces forces qui refusent toute légitimité à une instance internationale, surtout si elle avait le pouvoir de contraindre leur capital national) et celles du «Mao climatique» s’opposent à l’émergence d’un Léviathan hégémonique. Mais elles s’opposent aussi à l’émergence d’un «X» climatique.

À l’heure où on commence à mesurer les sacrifices qu’il faudra faire pour «sauver la planète», Climate X doit rejeter à la fois l’affirmation selon laquelle les préoccupations planétaires doivent dominer celles des nombreuses communautés et peuples qui habitent la planète et un éventuel souverain mondial qui se donnerait le droit de déterminer ces préoccupations. Mais cela signifie-t-il qu’il doit s’opposer à tous ceux qui s’arrogent le pouvoir de parler des questions planétaires? Quelle forme de vie politique, s’il y en a une, se prête à une «planétarité» qui ne semble pas intrinsèquement entraîner un gouvernement souverain? Ma traduction

Trois principes guident le «Climate X»: égalité, dignité et solidarité. Et deux trajectoires pourraient conduire à ce Climate X: la tradition anticapitaliste d’obédience marxiste et les savoirs et modes de vie des peuples indigènes qui ne sont pas surdéterminés par le capital et l’État souverain. Tout l’enjeu étant de marier ces deux trajectoires sans que l’une ou l’autre se sente trahie!

«Les luttes autochtones contre l’impérialisme capitaliste sont mieux comprises comme des luttes orientées autour de la question de la terre – des luttes non seulement pour la terre, mais aussi profondément informées par ce que la terre en tant que mode de relation réciproque (qui est elle-même informée par des pratiques basées sur le lieu et des formes associées de connaissance) doit nous apprendre à vivre nos vies en relation les uns avec les autres et avec notre environnement d’une manière respectueuse, non dominante et non exploitante.» (Coulthard, Red Skin, White Masks, cite par Wainwright et Geoff) Ma traduction.

—————-

« à quels rêves de riche confie-t-on le soin de relancer l’économie? » – I.S.

«Mais il dépend de nous, et c’est là que peut se situer notre réponse à Gaïa, d’apprendre à expérimenter les dispositifs qui nous rendent capables de vivre ces épreuves sans basculer dans la barbarie, de créer ce qui nourrit la confiance là où menace l’impuissance panique. Cette réponse, qu’elle n’entendra pas, confère à son intrusion la force d’un appel à des vies qui valent d’être vécues.», I. Stengers. Mon emphase.

article d’abord publié sur Nous.blogue

Voir aussi article précédent écrit en marge de celui-ci…

Notes

  • 1
    Le Léviathan climatique est défini par le rêve d’un souverain planétaire. Il s’agit d’une autorité de régulation dotée d’une légitimité démocratique, d’une autorité technique contraignante sur les questions scientifiques et d’une capacité de type panoptique pour surveiller les éléments granulaires vitaux de notre monde émergent : l’eau douce, les émissions de carbone, les réfugiés climatiques, etc.

en marge

Heureusement qu’il y a des dates de tombée. Depuis le 9 juillet je n’avais rien écrit de notable sur ce blogue, mais comme ma participation à Nous.blogue m’oblige de temps en temps à y aller de ma contribution j’avais à produire pour hier (livré ce matin) un billet que j’ai intitulé Barbarie ou civilisation. Je reproduirai ici le billet lorsqu’il sera mis en ligne demain. Comme chaque fois que je dois me plier à une échéance j’ai l’impression d’avoir laissé en marge de ce billet des considérations et dimensions importantes mais qui auraient fait digression ou auraient demandé plus de temps…

Tout d’abord j’ai l’impression de n’avoir pas rendu toute sa richesse au livre de Wainright et Geoff (W&G), Climate Leviathan, A Political Theory of Our Planetary Future. J’aurais aimé développer ce que j’entendais par « un important fonds de références philosophiques et historiques » : de Hobbes à Kant et Hegel, de Marx, Gramsci et Adorno à l’encyclique de François (Laudato Si) en passant par Benjamin et Schmitt… Les réflexions sur la nature de l’État, les relations de l’homme à la Nature, la question de la souveraineté…

Cette question de la terre, du terroir nourricier, identitaire sans chercher la souveraineté dans le sens d’une autonomie, d’une exception qui définit et isole le Nous devant les Eux. Un terroir qui s’étendrait à toute la planète puisque il n’y a pas de Eux s’il n’y a qu’un Nous.

Incidemment le long passage consacré à Laudato Si dans Climate Leviathan m’a poussé à relire plus attentivement les quelques 246 paragraphes de l’encyclique. Et effectivement le texte du pape François, publié quelques mois avant l’ouverture de la conférence de Paris (COP21, 2015), est une critique assez radicale du capitalisme.
« More forcefully than any other world leader, Francis has called upon political leaders to act ». Mais évidemment, même si d’entrée de jeu François dit vouloir s’adresser à toute l’humanité (je voudrais m’adresser à chaque personne qui habite cette planète), le texte s’adresse aussi aux fidèles chrétiens et catholiques, et il émane d’un appareil. Cela affaibli passablement le message pour l’humanité quand, au paragraphe 120, on lit « Puisque tout est lié, la défense de la nature n’est pas compatible non plus avec la justification de l’avortement. » ! Et à la fin, on sent l’insistance à donner sa place à chaque élément distinctif de la catholicité. La trinité, Marie, les sacrements. Peut-être pourrions-nous comprendre ces mystères et sacrements comme ces « pratiques millénaires des augures antiques, des voyants, liseurs de tarots ou jeteurs de cauris » dont Stengers1dans Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient dit que nous regretterons un jour de les avoir simplement renvoyé à la superstition. Mais la condamnation de l’avortement au nom de la défense de la nature alors que sur la question des OGM l’encyclique prend soin de ne pas être trop dogmatique… Laudato Si aurait pu être plus rassembleur. Pourquoi fallait-il rappeler, dans ce texte, le dogme de l’Église catholique contre l’avortement ? Ce n’est pas quelque chose qu’on oublie ! Et ces précisions sur la nature trinitaire de Dieu, et la place particulière de Marie, ne sont-ce pas là des points de discorde avec les orthodoxes et les protestants ? Pourquoi avoir tenu à préciser à quel point ces croyances catholiques peuvent être interprétées comme des arguments pour une justice climatique ? Pour conforter les fidèles dans leur supériorité ? Ou plus simplement pour outiller ces dernier dans la connaissance de leur religion…

Pourtant François précise qu’il a aussi écrit un texte (Evangelii gaudium) pour le clergé et les fidèles pratiquants. Il aurait pu laisser les considérations polémiques pour cette exhortation apostolique.

Et rendre plus fort encore le coeur de Laudato Si.

Transcendental

J’ai perdu mon âme il n’y a pas si longtemps. Je sais que c’est en lisant Traité du cerveau de Michel Imbert que j’ai senti disparaître les derniers lambeaux de ma qualia. Cette ineffable qualité de l’être, tellement sûr d’être unique, indépendant, hors du monde que la vie éternelle devient un désir naturel, une évidence pour certains. Cette âme que je pouvais sentir comme quelque chose de séparé, en plus (au dessus ou à côté) de mon corps, s’est évanouie en même temps que je faisais de la place pour les idées, espoirs, croyances et caractères à l’intérieur de ce corps. La culture inscrite dans ce corps comme dans le monde peut voiler ou amplifier la perception du monde.

Il y a quelque chose de mystique dans ce sentiment, cette sensation d’être lié, connecté avec la vie entière. Partie prenante et résultante d’une évolution milliardaire; partie prenante et résultante d’une interaction systémique et écologique, un sentiment de plénitude et de participation au monde qui confine au religieux. Sans pour autant rejoindre une liturgie particulière. Ce sentiment quasi-religieux de faire un avec le monde, avec l’univers peut être un moteur dans la mobilisation pour la justice climatique.

Plusieurs passages de Laudato Si décrivent cette relation. « La conscience amoureuse de ne pas être déconnecté des autres créatures, de former avec les autres êtres de l’univers une belle communion universelle (…) le monde ne se contemple pas de l’extérieur mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels [nous sommes] unis à tous les êtres. »

Qu’est-ce à dire ? Que l’encyclique aurait pu être plus œcuménique. Les références aux textes bibliques auraient pu être accompagnées de références à d’autres textes sacrés ou anciens. Incidemment, Élisabeth De Fontenay dans Le silence des bêtes, met les philosophies occidentales, depuis les pré-socratiques, « à l’épreuve de l’animalité ». Des textes des philosophies orientales pourraient aussi certainement éclairer cette inscription de l’humanité dans le monde vivant…

besoins de science et technique

Les enjeux et défis imposés par l’intrusion de Gaïa obligeront des efforts immenses et concertés.

Notes

  • 1
    dans Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient