Gilles en vrac… depuis 2002

DC et SP

Les programmes de santé publique balisés au plan national et les initiatives de développement des communautés relèvent de logiques paradoxales. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est le Cadre de référence lui-même, page 29. « Le soutien au DC relève d’une logique d’auto-détermination communautaire des priorités et des solutions locales, c’est-à-dire des déterminants de la santé visés ». C’est ce que j’ai toujours pressenti, particulièrement lorsque les quartiers visés sont touchés par des problématiques complexes, multiples où il devient plus important de s’assurer de la participation et l’initiative des acteurs locaux sur des objectifs qui leur conviennent (culturellement, historiquement ou conjoncturellement) que de mesurer la fidélité avec laquelle ils appliquent les procédures X ou Y. Ceci d’autant plus que les problèmes sont liés : arrêter de fumer, ça se fait en même temps et d’autant plus facilement que l’on se met à bouger, faire un peu d’exercice, et qu’on mange mieux… Que ce soit par la cigarette, le poids santé ou l’activité physique qu’on prend le problème importe peu, c’est la santé qu’on améliore.

Mais il ne faut pas démoniser inutilement les intentions des programmes cadres en santé publique : la manière dont est « monitorée » aujourd’hui l’atteinte des objectifs du programme SIPPE n’est plus aussi « carrée » qu’au début du programme. Il y a maintenant beaucoup plus de flexibilité accordée aux intervenants… et c’est encore un programme très important : plus du quart des budgets régionaux de santé publique lui sont alloués (8,3 M$ sur 32 M$) dont la majeure partie aux CSSS de manière récurrente (4,8M$). Entre 12 et 13M$ de ce budget de 32M$ sont allés aux organismes communautaires dans le cadre de budgets récurrents (6,5M$) ou non.

Même pour les organismes communautaires ces budgets représentent une petite partie seulement des ressources investies par l’État (par l’entremise du réseau de la santé) en soutien aux ressources communautaires dans le domaine de la santé et du développement social. Le budget 2007-2008 de l’Agence de la santé de Montréal fait état de 92M$ distribués à 622 organismes communautaires, dont 77M$ récurrents dans le cadre du PSOC (programme de soutien aux organismes communautaires). De même manière, le budget de santé publique ne pèse pas lourd en regard des 5G$ (milliards) engagés chaque année dans le réseau de la santé de Montréal ! Bien que la plus grande partie de ces argents soit affectée à des programmes très ciblés, pour des clientèles très identifiées (hébergées, soignées, traitées…) il est probable que les « effets de développement » indirects sur les communautés locales, ne serait-ce que par les emplois qu’ils représentent dans les milieux, sont des facteurs de DC de premier plan. De là l’importance de sensibiliser les gestionnaires locaux à ce sujet, comme le souligne le cadre de référence (p.26 ). Par ailleurs dans une période de contraction budgétaire comme celle qui s’amorce, il y a fort à parier que les effets de DC seront loin derrière l’équilibre budgétaire dans les priorités administratives…

Jusqu’où les minuscules budgets de santé publique, et la lilliputienne parcelle dédiée au développement communautaire peuvent-ils avoir quelqu’influence ? Surtout si on met dans la balance les actions et influences en la matière des autres ministères et paliers de gouvernements (développement de l’emploi, éducation, municipalités, loisir et culture…), sans parler des acteurs privés (entreprises, communautés locales, organisations communautaires et caritatives…) ?

Vus sous cet angle les efforts de la santé publique régionale en vue de dégager des indicateurs de développement communautaire qui soient utile aux acteurs, c’est-à-dire utilisés par ceux-ci, ces efforts semblent moins « décrochés du terrain » qu’à première vue. Il serait en effet intéressant que les multiples acteurs sur cet espace limité du développement communautaire puissent s’entendre sur une même interprétation des enjeux et principes à l’oeuvre. Deux considérations nous semblent de mise ici. Premièrement, comment s’assurer que les outils de mesure et d’évaluation soit vraiment utilisés par les acteurs importants ? reconnaître que la santé publique n’est qu’un acteur parmi d’autres acteurs institutionnels ou structurants semble un préalable. Il faudrait donc que les efforts de recherche et de définition d’outils fasse l’objet d’une approche oecuménique, intersectorielle, engageant think-tanks déjà à l’oeuvre sur le terrain du DC et autres espaces contingents. Nous pensons ici aux ressources déjà actives de certaines fondations, à la municipalité ainsi que des départements d’universités engagées dans le domaine. Une telle approche intersectorielle ne devrait délaisser aucun bailleur de fonds significatif hors de sa démarche. Qu’on pense au financement issu de la sécurité du revenu, de la sécurité d’emplois ou encore du SACA…

Notre deuxième considération a trait à la nature difficilement mesurable, surtout localement et à court terme, du développement communautaire. De là l’enjeu du développement d’indicateurs, mais aussi l’enjeu du moyen et long terme sur lesquels ces indicateurs seront mesurés. Qui dit moyen et long terme, dans un contexte où l’avenir à court terme est tout incertain, peut sembler « pelleter des nuages ». Pourtant, toute situation critique est propice aux changements, même si le premier réflexe peut être de « défendre les acquis » ou maintenir le statu quo.

En lisant un des documents cités comme source du tableau des indicateurs présenté en annexe du cadre de référence — celui de Torjman (1998) — on est un peu surpris de la différence de contexte par rapport à la situation actuelle : en 1998 le paradoxe est que la situation économique semble bonne, alors que la pauvreté continue de s’accroître. Dix,onze ans plus tard, la situation économique n’est plus très bonne ! Peut-on encore espérer lutter pour réduire la pauvreté alors que des masses de gens s’y trouvent nouvellement confrontés ? Comment viser l’inclusion, l’équité, le développement social alors que l’insécurité se fait rampante, les positions et entreprises qui semblaient les plus sûres se voient tout à coup fragilisées? Lors du Sommet sur l’économie et l’emploi tenu au Québec en 1996 le consensus qui s’y était dégagé reposait sur un sentiment partagé d’urgence qu’avait suscité une longue période de chômage élevé. Faudra-t-il attendre que trois ou quatre ans de chômage nourrissent un tel sentiment, un tel consensus social ?

Pour en revenir au document sur le cadre de référence en développement communautaire, la partie qui me semble la plus faible est celle qui porte sur l’articulation entre le développement communautaire et les six axes du tronc commun en santé publique (chapitre 4). Il me semble qu’on aurait pu aller un peu plus loin dans la démonstration d’une articulation fine, d’une synergie possible entre une démarche telle celle accompagnant le dévoilement des résultats de l’enquête sur la maturité scolaire qui mise vraiment sur une approche de développement communautaire mais où on cherche encore par quel moyen y articuler un programme comme le SIPPE, s’adressant pourtant au même groupe d’âge.

Une autre partie où on aurait intérêt à remettre l’ouvrage sur le métier : quand on évite de nommer l’héritage des CLSC en matière de développement communautaire (page 26), alors qu’une partie des acteurs cités comme les acteurs locaux du DC ont été développés avec le soutien de l’organisation communautaire des CLSC. Donner l’impression que le CSSS (et les CLSC) « relèvent directement de la santé publique » et prendre prétexte de cette impression pour oublier les 35 ans d’histoire et de contribution au développement des communautés que portent ces institutions… c’est rater une belle occasion de donner des racines à l’intervention d’aujourd’hui. Le développement communautaire est le fait d’acteurs qui se reconnaissent, se font confiance… Une confiance, un capital social qui n’est pas injectable ni adoptable comme un programme-tronc-commun. Alors si on a la chance d’avoir un tel capital, ne le négligeons pas !

En conclusion

Et si on réussissait, suite à un processus intersectoriel de haut vol, à s’entendre sur une grille d’indicateurs de développement communautaire ? ça donnerait quoi concrètement ?

Une évaluation objective, scientifique des besoins et potentiels de développement des différentes communautés montréalaises ? Qu’il suffirait de suivre, pour savoir qui, quoi financer ? Une telle perspective semble des plus hypothétiques, idéalistes. Les communautés, encore plus que les institutions et les organisations, sont des entités politiques bien imparfaitement rationnelles ou raisonnables ! Ou encore, si on préfère, la raison en matière de développement communautaire, comme de développement des organisations, ne se manifeste que de manière bien imparfaite. À travers des leaders, des dirigeants que peuvent inspirer parfois les conclusions de processus de production de savoirs (lorsque ces conclusions sont sans ambiguïté)  mais aussi, heureusement — comme les savoirs en la matière sont rarement univoques — les leaders de nos communautés se laissent aussi inspirer par les positions, par les intérêts et les forces en présence. Et parfois même par les idéaux et les rêves que portent et nourrissent ces forces… qui ne sont pas qu’aveugles d’intérêts !


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Commentaires

4 réponses à “DC et SP”

  1. René Lachapelle

    Salut Gilles,

    Je partage les remarques à l’effet que les programmes de santé publique représentent la portion congrue de l’investissement public en action communautaire. Ne serait-il pas normal que nous fassions alliance pour non seulement les préserver, mais aussi les élargir?

    C’est lorsqu’on place cette contribution (expertise sectorielle et financement relativement modeste) en rapport avec deux autres caractéristiques importantes soulignées dans le texte qu’on comprend mieux les tensions qui s’expriment entre les OC des CSSS et les DRSP.

    D’abord que le recours à des «programmes» en développement des communautés relève effectivement d’une logique paradoxale; ensuite que la contribution de l’organisation communautaire en CLSC/CSSS ne soit jamais mentionnée dans le document (ni dans plusieurs publications venant de DRSP).
    En situation de logique paradoxale, la légitimité des acteurs s’établit sur leur capacité de négocier et de développer des rapports de confiance pour créer des partenariats efficaces. Si les OC se montrent peu enclins à négocier, ne serait-ce pas qu’en faisant défaut de reconnaître leur contribution on compromet des rapports de confiance?

    Pourtant les OC ont depuis longtemps démontré leur expertise en développement des communautés et en innovation sociale. Ils savent aussi dans la mise en œuvre de programmes de santé publique réaliser tous les ajustements requis pour en faire des contributions effectives au développement des communautés.
    Est-ce que les DRSP sont conscientes et prêtes à reconnaître que ce qui manque à la stratégie de développement des communautés en santé publique se trouve dans la pratique de l’organisation communautaire? … et que l’alliance de ces logiques paradoxales pourrait être une formule gagnante?

    René Lachapelle

  2. Gilles

    Merci René pour ce commentaire.

    C’est vrai qu’il n’y a qu’une seule petite mention de la pratique d’organisation communautaire dans leur texte. Et j’imagine que les tensions, pour ne pas dire l’opposition que les OC ont pu manifester dans le temps au regard des programmes ciblés n’a pas dû rehausser l’opinion que la DSP avait à leur endroit. On peut penser que ces directions souhaiteraient que, au moins au sein du réseau public, la ligne d’autorité soit appliquée… car avec les réseaux autonomes, il y a déjà beaucoup de tensions avec lesquelles ces mêmes directions ont dû apprendre à collaborer de manière paradoxale !

    Et en effet, il n’y a pas de raison que cette même articulation paradoxale (faite de respect et de divergences… d’objectifs partiellement complémentaires…) soit possible avec les OC du réseau. Il y va de l’atteinte des objectifs de développement communautaire visés. Mais il faudrait, pour qu’une alliance – même paradoxale – soit possible, que les OC le souhaitent aussi. Dans la mesure où on leur reconnait cet élément essentiel de leur expertise (contributions au DC) il leur sera sans doute plus facile de se situer en position de collaboration.

    Je sus d’accord avec toi : quand on se mesure aux mégamoyens du réseau de la santé, l’alliance « naturelle » avec la santé publique devient plus évidente.

    Gilles

  3. « Le développement communautaire est le fait d’acteurs qui se reconnaissent, se font confiance… Une confiance, un capital social qui n’est pas injectable ni adoptable comme un programme-tronc-commun. Alors si on a la chance d’avoir un tel capital, ne le négligeons pas ! »

    En lisant ce billet un peu hermétique pour le commun des mortels mais très sensé sur l’importance du communautaire en santé publique, je me suis demandé si ‘les institutions publiques acronymées’ n’avaient pas instinctivement tendance à s’isoler par rapport au communautaire ‘naturel’ ou ‘spontané’. Les institutions vouées à la santé publique ne devraient-elles pas plutôt encourager et favoriser toute initiative sociale dans leur milieu même si elles n’en sont pas les initiatrices? Aller même jusqu’à offrir de mettre à leur disposition une partie de leurs ressources provenant de fonds publics?

  4. Gilles

    Merci, Jean, de ce commentaire. C’est pourtant le sens affiché (soutenir les efforts de développement communautaire des « forces locales »), même si c’est parfois difficile de le saisir à la première lecture, de ce Cadre de référence de la Direction de la santé publique de Motréal que ce billet commente.

    Une rencontre régionale entre organisateurs communautaires des CSSS et cadres et professionnels de la santé publique doit se tenir le 16 mars prochain. L’enjeu y sera, certainement, de faire en sorte que le soutien aux initiatives « naturelles » de développement, et la détermination de faire servir les ressources limitées en santé publique soient réaffirmés et les énergies mieux orchestrées.

Qu'en pensez vous ?