Se battre pour ne pas désespérer

Comment garder espoir en l’avenir quand le gros des efforts semble se borner à ne pas reculer en quatrième vitesse ? Il nous faudrait un plan pour éliminer TOUS les VUS (véhicule utilitaire sportif) de nos routes d’ici quelques années (et non quelques décennies) et on continue d’ajouter des autoroutes, d’empiéter sur les terres agricoles… La publicité pour ces véhicules continue même d’occuper la première place sur les ondes télévisuelles. C’est « normal »  puisque ce sont les véhicules les plus vendus : ces « véhicules énergivores composaient  79,9% des nouveaux véhicules personnels vendus en 2020 », selon la dernière étude d’Équiterre.((Voir les recommandations d’Équiterre pour réduire notre dépendance aux VUS.)) Comment prétendre préparer le changement alors qu’on continue de promouvoir les vieux modèles ? Ces publicités sont la meilleure preuve de l’incapacité du capitalisme à nous sortir de l’impasse, disait Bernard Perret, dans Quand l’avenir nous échappe, 2020.

Il semble bien que l’homo economicus domine sans partage : celui qui ne pense qu’à son intérêt individuel à court terme. Après moi le déluge ! ou encore YOLO (You Only Live Once) résument bien sa philosophie. Pour d’autres, un peu moins cyniques en regard de l’avenir et des autres, ce sera : « Une dernière fois » — « C’est mon dernier VUS »… Pourtant il y en a déjà trop. Il faudrait tout mettre en oeuvre pour inventer de nouvelles solutions, expérimenter de nouveaux modes (de transport, de partage, de travail). Il faut arrêter de creuser parce que l’objectif est de sortir du trou !

La plus grande victoire des néo-libéraux depuis quarante ans aura été de nous convaincre de l’incompétence, ou pire de la nocivité, de l’intervention publique. Ce qui a conduit au recul systématique et sur tous les fronts de la légitimité de l’intervention publique, au nom des supposées plus grandes efficacité, flexibilité ou créativité de l’entreprenariat capitaliste. Comme souvent les meilleurs mensonges comportent une part de vérité, l’intervention publique de la fin des 30 glorieuses (fin des années ’70) était devenue pléthorique, trop puissante pour la qualité du projet social qu’elle proposait : de plus grands HLM, des polyvalentes encore plus immenses, des autoroutes encore plus larges passant par les quartiers les plus pauvres… Des investissements structurants qui ne menaient nulle part, ou ne savaient plus où aller. Mieux valait laisser l’argent entre les mains de « ceux qui  le produisait », comme on se plaisait à le colporter à l’époque : « Les services publics sont financés par la richesse produite par le secteur privé ». Heureusement de telles inepties sont moins populaires aujourd’hui : la richesse privée ne peut exister sans les multiples formes de soutien du public, du communautaire, du philanthropique, du religieux… La richesse privée n’existerait pas sans la culture commune qui fonde tant le respect de la loi que la croyance en la valeur des contrats ou de l’argent. 

Toujours est-il que pendant plus de quarante ans la bride a été laissée, en quelque sorte, sur le dos du capital, pendant que les États étaient amenés (forcés) à réduire leurs ambitions, l’ampleur et le caractère structurant de leurs interventions. Plutôt que de construire des institutions et des infrastructures on a distribué des prestations… à crédit. (Voir W. Streeck, Du temps acheté, 2014) Mieux valait laisser libre cours à la créativité des groupes d’intérêts. Regardez le progrès : tous ces iPhones qui se promènent avec un humain en laisse; et toutes ces livraisons d’Amazon qui arrivent magiquement sur le pas de nos portes. Toute cette richesse de créations culturelles qui siphonne par dizaines de milliards les poches des consommateurs : à qui les Disney, HBO, TV+, Netflix, Prime, et autres fourgueurs de rêves ? 

Autrement dit nous avons laissé se développer les industries du rêve et de l’illusion, un système producteur de «gadgets and profits », disait Fraser au dernier colloque du CRISES, plutôt que de nous préparer à ce qui était déjà annoncé il y a 50 ans (Halte à la croissance ?, 1972), et prévisible depuis plus longtemps encore. Le report de l’intervention à plus tard semblait justifié alors puisque la technologie allait, demain, résoudre plus facilement les problèmes soulevés par le développement (pollution, surpopulation, réchauffement, extinctions de masse…).  Aussi il  était difficile d’arrêter un modèle, un plan d’action. On a plutôt investi dans les technologies de l’information et des communications, la micro-informatique et la diffusion de masse, les réseaux et contenus « intelligents »… Le transport des marchandises et des personnes s’est aussi grandement développé au cours des dernières décennies. C’était la concrétisation de l’idéal néolibéral: plus de commerce à l’échelle du globe et la planète s’en portera mieux, avec moins de guerres et plus de développement dans les pays « du sud » ! Mais c’était aussi, pour beaucoup, le développement de « gadgets » profitables parce qu’orientés vers des clientèles solvables et nombreuses : les fameuses classes moyennes (3 graphiques tirés de Capital et idéologie de T. Piketty, et quelques commentaires). Des gadgets et des cabanes, avec des autoroutes pour s’y rendre. 

Nous avons laissé se développer une infrastructure hypertrophiée des communications et du transport des marchandises au détriment d’une emprise plus fine qui soit respectueuse de la qualité des milieux de vie et des habitats mobilisés par la production marchande. De même les entreprises d’extraction (de minéraux, de bois, de produits végétaux, d’élevage et de la pêche) se sont développées sans égards (ou si peu) aux conséquences sur la viabilité à long terme de notre monde. 

Jusqu’à la chute du mur de Berlin, on pouvait prétexter, pour ne pas se préoccuper de la planète, des conceptions incompatibles du monde entre les protagonistes géants qui ne pouvaient avoir la confiance nécessaire à une telle entreprise commune. Mais après la chute ? Il n’y avait plus d’urgence, plus de menace extérieure questionnant la légitimité même du système capitaliste. Ne restait que la pression des associés et des compétiteurs, des groupes de citoyens et de consommateurs, des syndicats et des corporations professionnelles… Les États ont quand même poursuivi certaines discussions et négociations autour d’enjeux d’intérêt particuliers (droits des mers, pollutions spécifiques telle les HFC, changements climatique…) tout en préservant, valeur ultime, la libre circulation du capital

Ce qui nous donne un peu d’espoir, malgré tout

Les appels à l’action, « Au delà de la rhétorique », de la part d’agences ou d’instances qui sont plutôt discrètes habituellement : 

Les grands groupes financiers se font demander ce qu’ils ont de « valeurs viciées », de capitaux à risque de dépréciation rapide dans leurs coffre-forts et au coeur de leurs alliances industrielles. ( Mark Carney : Values: Building a Better World for All )

Les États aussi se feront demander ce qu’ils ont fait, au delà des discours et de la petite politique : Quels gestes ont été posés, avec quels résultats ? Plutôt que d’agir de manière défensive et tactique, un pied sur l’accélérateur et l’autre sur le frein, les États doivent renouer avec des missions mobilisatrices et audacieuses : il nous faudrait pour le climat l’équivalent du plan « Shot to the moon » lancé par Kennedy pour « atteindre la lune avant la fin de la décennie ». Voir Mariana Mazzucato et sa remise en valeur de l’action publique, de l’État (Mission Economy: A Moonshot Guide to Changing Capitalism, 2020 ; L’État entrepreneur 2020 [The Entrepreneurial State, 2011, 2013, 2015] ).

Mais ce qui me donne aussi de l’espoir, car on ne peut totalement se défaire de ses responsabilités sur le dos des élus et des riches… C’est qu’on était 500 000 dans la rue et que demain nous serons 1 000 000. C’est que l’action collective, la vitalité des engagements citoyens, communautaires, bénévoles ou philanthropiques ne cessent de m’épater. Les coalitions inédites et audacieuses se multiplient : les G15+, Québec ZéN, Alliance Ariane (sans parler des Équiterre et autres Fondation Suzuki qui agissent sur ce front depuis longtemps) sont essentielles car l’objectif n’est pas simplement de remplacer les F150 au pétrole par des F150 électriques ! Nos industries devront s’adapter — et elles le feront d’autant mieux que des balises, des limites dures, non-négociables seront établies. 

Les comportements et les choix individuels et locaux devront aussi s’adapter, évoluer. Il faut discuter et dénoncer les abus et promesses non tenues, débusquer les discours vides et trompeurs qui masquent l’inaction ou les actions contraires aux principes et à l’intérêt public. La critique et la dénonciation sont aussi nécessaires que l’encouragement et l’incitation. Les « malus » sont aussi importants que les « bonus ».  Encourager la vertu n’est pas suffisant, il faut dissuader les comportements nocifs… Saviez-vous qu’il n’y a pas si longtemps on pouvait fumer à bord d’un avion ou dans un autobus au long parcours, sans aucun remord ! Hé bien aujourd’hui l’autobus, c’est la planète. Oui, cette mince couche d’air qui entoure la terre et permet aux êtres vivant de respirer… on y rejette CO2 et autres polluants sans vergogne, parce que c’est permis, ou encore parce que « mon produit trouve des acheteurs‘.

Finalement, et contrairement à ce que je laissais entendre plus haut, l’homo œconomicus n’est pas le seul modèle d’humain raisonnable. Elinor Ostrom, dans Collective Action and the Evolution of Social Norms, montre bien qu’en plus de l’égoïste rationnel (homo œconomicus) il existe au moins deux autres types de personnes : le coopérateur conditionnel et le châtieur (punisseur) volontaire [willing punishers]. Et si l’égoïste rationnel peut profiter, ou exploiter un temps la situation, seule l’existence des deux autres types de personnalité permet de construire des sociétés durables. L’égoïste rationnel ne peut pas être le seul modèle de rationalité, pas plus que le secteur privé n’est le seul producteur de richesse.

Billet aussi publié, le 2 juin, sur Nous.blogue

en complément

Citations et portions de textes laissés sur la table du billet précédent une convention citoyenne à la québécoise ?

Québec

«interrogés en juin dernier par Léger Marketing, 67 % des Québécois faisaient passer l’amélioration de la qualité de vie, de l’environnement et de la santé bien devant la croissance de l’économie comme priorité au sortir de la pandémie.»

Les fondations philanthropiques s’adressent à M. Legault : Pour une relance verte, solidaire et prospère,

France

La Convention est une des formules imaginée par le président de la République pour sortir du conflit ouvert par les Gilets jaunes. Elle reposait sur deux spécificités : le mode désignation de ses membres par tirage au sort ; les propositions à faire pour réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030. La Convention citoyenne relance la question démocratique – C6R

Elle a remis son rapport en juin dernier, après des travaux qui se sont étalés sur 9 mois, d’octobre 2019 à juin 2020.

Royaume-Uni

L’assemblée pour le climat du Royaume-Uni remettait son rapport en septembre dernier : The path to net zero. Le chemin vers la neutralité carbone en 2050.

Amid often polarised political debate, ordinary people were able to judge evidence and ideas against their own experiences. They arrived at judgements that balanced competing values, such as freedom of choice and fairness to different social groups.

[T]he kind of climate action the general public are willing to accept when they have the opportunity to learn and deliberate together.

L’efficace de la délibération

Extraits de Power to the people, Science, 30 octobre 2020.

[M]inipublics are an excellent way to integrate public values with advice from scientists and ethicists. “Scientists don’t have a monopoly on public values,” he says. says John Dryzek, a political scientist at the University of Canberra

With facilitators making space for everyone to chime in, Wali says no one dominated in the small group discussions. A poll of members found that 94% felt their views were respected, even when others disagreed, and 95% felt they were given “ample opportunity” to express their views. In an age of polarization, a willingness to respectfully hear other views, and the reasons people hold them, changes the hostile dynamic of politics entirely, says Alice Siu, a political scientist at Stanford University: “Something magical happens.”

[W]ith high-quality information, facilitators to keep discussions on track, and rules to enforce civility, it is possible to steer people away from group biases, van der Linden says. (…) most of the people in a minipublic have no history of activism or involvement with an issue, and so they’re in a good position to reflect on what they hear.”

Fishkin trademarked the term “deliberative poll” partly to maintain quality control, and Chwalisz and her colleagues have published guidance on best practices.

But in an analysis of data on the policy impact of 55 minipublics, Chwalisz and her colleagues found that, 75% of the time, public authorities implemented more than half the citizens’ suggestions. Only six minipublics in the sample saw none of their recommendations implemented.

Keeping minipublics in an advisory role, rather than enabling them to produce binding recommendations, is more truly democratic, says Cristina Lafont, a political philosopher at Northwestern University.

Dryzek agrees that democracies should not blindly defer to the decisions of minipublics. But they still offer a critical piece of information for policymakers that experts can’t provide, he argues: a meaningful gauge of public values.


Peut-on imaginer des dizaines d’assemblées citoyennes, comme je le suggérais dans le dernier billet : Autrement dit, ce sont cent assemblées citoyennes qu’il faut créer ? La difficulté est d’autant plus grande que plus on s’approche du terrain (secteurs, régions et quartiers urbains) et plus il devient difficile de trouver des gens qui ne sont pas parties prenantes des enjeux liés aux industries de la région ou du secteur. Mais en même temps, si les changements que nous devons envisager à nos modes de transport, de production et de consommation relèvent vraiment d’un « changement de paradigme » plutôt que d’un simple accommodement, alors il n’est pas inutile de prévoir des modalités de réflexion et de planification qui dépassent le « business as usual« .

Une réflexion citoyenne sur les manières de réduire notre impact sur le climat ne devrait pas être étrangère aux efforts que nous devrions déployer pour mieux planifier notre développement urbain (ici je parle pour Montréal). Il est grand temps que Montréal refasse un exercice de véritable planification, en intégrant les considérations environnementales et climatiques d’aujourd’hui. Cela éviterait peut-être que nous laissions simplement les promoteurs définir la ville de demain, en oubliant tout ce qui ne leur rapporte pas : écoles, services de proximité, parcs…

Intéressant de comparer les grandes villes canadiennes en tant que « villes du quart d’heure » (15 minutes cities).

Proportion de la population vivant dans des quartiers avec services à proximité, permettant plus de déplacements à pied ou à vélo. Ce pourcentage monte à 72% pour Vancouver et n’est que de 10% pour Ottawa ou Halifax.

Il ne faut pas voir la « densification » uniquement comme une contrainte, mais plutôt comme une libération de notre dépendance aux transports motorisés… et un « réensauvagement » possible de certains espaces. Ce sont des sujets qui mériteraient grandement qu’on s’y penche avec sérieux, en intégrant les données scientifiques et nos valeurs, celles que nous désirons léguer à nos petits-enfants.

2018 : écologie, histoire, philosophie

Si l’année 2017 avait été quasiment frénétique en termes de colloques, 2018 s’est avéré plus sage, avec seulement deux évènements remarquables : en début d’année, le colloque sur Intelligence artificielle et mission sociale, et en mai celui sur La Grande Transition.

Ce qui m’a permis de poursuivre lectures et réflexions autour de grandes questions : écologie, philosophie-religion, histoire, économie-politique. Mais je n’ai pas pris le temps de résumer ou commenter ces lectures, par ailleurs des plus stimulantes. Aussi je présenterai ici, même succinctement, les textes qui ont accompagné mon année.

Écologie

Où atterrir ?, par Bruno Latour, sociologue, anthropologue et philosophe, publié en 2017. Dans une plaquette (160 pages) polémique Latour s’élève contre un monde dont l’élection de Trump n’est que le dernier symptôme. Ce qui m’a conduit à lire les 8 conférences qu’il donnait en 2015 et publiait la même année sous le titre Face à Gaïa. Une lecture stimulante mais difficile à résumer… parce que l’auteur déconstruit les conceptions habituelles. « Gaïa n’est pas le Globe, ni une figure globale, mais l’impossibilité de s’en tenir à une figure du Globe ». J’ai apprécié son appel à toutes les formes de leadership qui devront « délimiter le territoire qu’ils sont prêts à défendre ». « Que la religion, en se limitant, apprenne à conspirer avec les sciences et la politique pour redonner un sens à la notion de limite ». Il oppose les Terrestres aux Humains, ouvrant ainsi la porte au partage avec d’autres vivants que les humains.

C’est ce qu’annonce Lionel Maurel, dans « Accueillir les Non-Humains dans les Communs« , qui promet un développement, au cours des semaines à venir, autour de ces questions cruciales : quels droits accorder à la « nature » ? Comment en définir les règles ? Au delà de la question du climat, mais en lien avec elle, la protection des écosystèmes se pose avec acuité dans des espaces qui « n’appartiennent à personne », comme les hautes mers… qui recèlent pourtant des richesses dont dépendront grandement les générations à venir, des humains comme d’autres espèces terrestres. J’ose reprendre ici la citation de Bruno Latour, proposée par Maurel (ou Calimaq, de son nom de plume) en ouverture de son article :

Que serait un homme sans éléphant, sans plante, sans lion, sans céréale, sans océan, sans ozone et sans plancton, un homme seul, beaucoup plus seul encore que Robinson sur son île ? Moins qu’un homme. Certainement pas un homme.

Bruno Latour

Au delà des écrits et des paroles, les gestes posés par des citoyens, dont les pas de
50 000 d’entre eux lors de la marche du 10 novembre, dans le cadre de La Planète s’invite au parlement, sont à retenir. La plupart avaient sans doute signé Le Pacte.

259 799 personnes avaient signé Le Pacte, en date du 5 janvier 2019

Économie-politique

Avec The Value of Everything : Making and Taking in the Global Economy, Mariana Mazzucato donne une leçon d’économie et met en valeur ce qui a depuis des décennies été sous-évalué pour ne pas dire masqué : les services publics, la valeur et l’importance des investissements publics. De même elle dénonce avec verve l’ampleur démesurée prise par le capital financier… apte à extraire de la valeur créée par les autres.

Kate Raworth résume dans le « TEDtalk » ci-haut, en moins de 16 minutes, sa théorie du beigne… Il faut développer des outils de contrôle et planification économiques qui nous permettent de viser l’épanouissement plutôt que la simple et funeste croissance du PIB. Le « donut » de madame Raworth illustre les limites entre lesquelles doit évoluer la société humaine pour à la fois répondre aux besoins essentiels tout en respectant les limites et capacités de restauration de l’environnement. Beaucoup de besoins ne sont pas encore comblés même si les limites de l’environnement sont déjà dépassées sur plusieurs plans. Voir Doughnut Economics (la version française n’est pas arrivée encore ce côté de l’Atlantique).

Finance sociale

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boulimie de lectures

Une boulimie de lectures, depuis quelques mois, comme pour tenter de trouver un fil conducteur, une formule d’interprétation. Mais non, je ne l’ai pas encore trouvée mais ça avance… Quand je regarde tout ce qui est étalé sur mon bureau, (et ma tablette), je me sens privilégié d’avoir pu lire ces réflexions et aborder ces philosophes, chanceux d’avoir eu le temps (comme retraité) de me nourrir sinon me gaver de ces oeuvres. Je me sens aussi une obligation de partager, même maladroitement, ce que j’ai pu retenir de ces nombreuses lectures… Un partage qui s’est fait plutôt rare ces derniers mois sur ce blogue : aucun billet en août, un seul en septembre… et si je ne fait gaffe, il n’y en aura pas non plus en octobre ! Et dire qu’il fut un temps ou j’écrivais plusieurs fois par jours.

Ci-contre, la liste de ces livres « sur ma table », extraite de ma base Bookpedia.

TITRES AUTEURS PAGES
+ 4 °C: Le climat change… Et vous ? Xavier Montserrat 214
L’avènement de la démocratie:  Tome 4, Le nouveau monde Marcel Gauchet 749
L’aventure Fraternelle des Capucins à Hull, 1967-2014: Annoncer L’Évangile Autrement Claude Auger 160
Dire non ne suffit plus: Contre la stratégie du choc de Trump Naomi Klein 302
The enigma of reason * Hugo Mercier 408
Entre Concile et Révolution tranquille: les religieuses au Québec, une fidélité créatrice Dominique Laperle 294
Et jamais l’huile ne tarit: histoire de mon parcours théologique Gregory Baum 271
Étonnante Église : l’émergence du catholicisme solidaire Gregory Baum 227
Guy Paiement, Prophète du Pays Réel Nelson Tardif, Élisabeth Garant 334
L’Utopie de la solidarité au Québec – Contribution de la mouvance sociale chrétienne Lise Baroni, Michel Beaudin, Céline Beaulieu, Yvonne Bergeron, Guy Côté – 2011 364
Illusion financière Gaël Giraud 184
Introduction à l’éthique islamique* Tariq Ramadan 230
Justice sociale, ouverture et nationalisme au Québec Élisabeth Garant 294
Mahomet* W. M. Watt 614
Mouvement communautaire et État social Louis Favreau 166
Out of the Wreckage: A New Politics for an Age of Crisis George Monbiot 184
Portes ouvertes Marc-André Tardif 92
La Quatrième hypothèse Maurice Bellet 144
Le règne de l’homme Rémi Brague 398
Une relecture d’une vie de Petite soeur de l’Assomption Annette Benoît, p.s.a. 81
The River of Consciousness Oliver Sacks 320
Sécurité, territoire, population: cours au Collège de France, 1977-1978 Michel Foucault 435
Vérité et pertinence: Un regard sur la théologie catholique au Québec depuis la Révolution tranquille Gregory Baum 276
Vie secrète des arbres (La) Wohlleben Peter 253
Il y manque ces quelques recueils dirigés par Fernand Dumont sur l’histoire des idéologies au Québec (de 1850 à 1976) qui sont disponibles in extenso sur le site des Classiques de l’UQAC. Je n’ai fait que commencé la lecture des titres marqués d’un astérisque.

C’est dans la suite du précédent billet (1952) et surtout de celui de mai (de la charité à la solidarité) que j’ai poursuivi une réflexion autour de trois centres d’intérêt. L’histoire de l’Occident (Gauchet, Foucault, Brague), histoire de la religion (Watt, Benoît, Laperle, Baum) et histoire du Québec (Baum, Dumont, Paiement); autour de l’écologie-économie (Montserrat, Wohlleben, Giraud, Favreau); et autour de la conscience comme phénomène physiologique (Mercier, Sacks), spirituel (Baum, Ramadan, Bellet) et social (Monbiot, Klein, Brague).

En juin dernier j’ai rencontré Grégory Baum, au lancement de son dernier livre Et jamais l’huile ne tarit. La mort récente de ce nonagénaire encore alerte il y a quelques mois m’a poussé à fouiller un peu plus loin la pensée de ce théologien oecuméniste. J’ai aussi rencontré il y a quelques semaines une autre nonagénaire, religieuse longtemps active dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve : Annette Benoît, Petite soeur de l’Assomption, qui a partagé avec moi les témoignages qu’elle a recueillis auprès de ses consoeurs au moment où elle prenait sa retraite, il y a 13 ans, à l’âge de 81 ans.

Je me demande encore si le passage d’une société québécoise dominée par une église catholique trop présente et oppressante vers une société séculière ne nous a pas fait perdre quelque chose. Quelque chose d’un peu plus grand que les droits et libertés que que nous chérissons avec raison. Quelque chose comme une éthique de la vie. J’essaierai de préciser mon cheminement de pensée au cours des prochains billets.

populisme de gauche – démocratie radicale

Le problème est qu’il semble que nous ne pouvons pas arrêter, ni même ralentir. C’est le choix ultime et fatal du capitalisme: nous devons détruire l’avenir de nos enfants pour nous accrocher à nos emplois aujourd’hui. (Richard Smith, Six Theses for Saving the Planet – ma traduction)

*  *  *

La victoire de Trump aux États-Unis mais aussi la victoire du « Brexit » en Grande-Bretagne ont mis en lumière à la fois la montée de l’influence d’un populisme de droite et la faiblesse de la gauche à rejoindre et unifier les différentes fractions et luttes populaires.

La gauche (y compris, en fait principalement la gauche social-démocrate) n’a pas su construire une alternative crédible, une unification hégémonique génératrice de l’identité d’un « peuple » (Laclau, 2016). C’est en s’opposant au statuquo et à la bureaucratie de Washington que Trump s’est gagné des appuis populaires. Même si ses affirmations étaient peu précises, souvent peu crédibles du point de vue des experts, elles savaient toucher les points sensibles et préjugés des classes populaires notamment la méfiance à l’endroit des experts (et des immigrants). Durant le règne de Harper on l’a vu souvent jouer de cette corde anti-intellectuelle, anti-experts.

Ernesto Laclau et Chantal Mouffe se sont fait chantres d’un populisme de gauche, acceptant de confronter les connotations péjoratives du terme « populisme » pour en retenir la capacité de mobilisation, d’articulation dans ce « moment horizontal » des équivalences entre les différentes luttes populaires. Premier moment dans création d’une alternative, cette « logique équivalentielle » permet l’émergence d’une solidarité entre les revendications exclues, insatisfaites. Une articulation horizontale « constitutive du peuple en tant qu’acteur collectif »(1). Le second moment de l’établissement de ce « populisme de gauche » étant celui d’un processus d’identification autour d’un leader, où une fraction de l’ensemble exerce un leadership permettant l’établissement d’une nouvelle relation hégémonique capable de remplacer l’ancienne.

Chantal Mouffe critique la « démocratie délibérative » (en référence à Habermas) comme masquant la dimension conflictuelle du politique et la dénonce comme porteuse d’une illusion consensuelle (L’illusion du consensus) qui sert d’abord les intérêts néo-libéraux : comme si tous les intérêts pouvaient être inclus dans une approche pluraliste inclusive et résolus par la seule délibération rationnelle. Pourtant « les questions proprement politiques impliquent toujours des décisions qui exigent de faire un choix entre des alternatives qui sont indécidables d’un point de vue strictement rationnel ». (Politique et agonisme,  Chantal Mouffe, 2010)

Sa référence à Gramsci et son concept d’hégémonie me semble bien adaptée à l’obligation de changement de paradigme devant laquelle nos sociétés se trouvent. Nous devrons  changer profondément nos manières et valeurs, alors que les forces populaires semblent plus que jamais divisées en un patchwork de luttes, réseaux et communautés intentionnelles. Chantal Mouffe insiste sur l’importance du conflit comme élément constitutif du politique, créateur d’un « nous » qui se définit contre un « eux », sans lequel il n’y a pas de démocratie véritable.

*  *  *

Nous devrons faire plus que changer de gouvernement, nous devrons changer de mode de vie. Il y a urgence en la demeure. Il faut « sauver la maison commune » disait le pape François dans son encyclique Laudato Si. Continuer la lecture de « populisme de gauche – démocratie radicale »

du sable bitumineux vert ?

Can Canadian oil green-clean itself ? – Tel est le titre d’un article « punch » de Margaret Atwood dans le G&M ce matin. Comment traduire ce titre ? Le pétrole canadien peut-il se verdir ? Se rendre acceptable écologiquement ? Toujours est-il que j’ai tellement aimé cet article, où elle ne ménage ni Harper ni les pétrolières canadiennes, que je vous en propose une traduction…

« Le pétrole canadien a un problème. Ou plutôt il en a plusieurs. Ces problèmes sont : 1. Le bas prix du pétrole; 2. L’image de « pétrole sale » qui colle aux sables bitumineux; 3. Le leadership politique inepte; 4. Les nouvelles formes d’énergie qui arrivent chaque jour.

Parce que le pétrole canadien a des problèmes, le Canada en a aussi. Les deux ont été « joints à la hanche » : si l’un est dans la m… l’autre aussi y est. Ou dans une sorte de m… Que faire ?

Le premier problème – le bas prix du pétrole – est hors de notre contrôle mais l’étendu de nos investissements dans le secteur ne l’est pas. Malheureusement pour nous le gouvernement Harper a trop investi dans le pétrole. Ce qui a pu sembler comme un pari défendable, ce qui explique sans doute que nous n’ayons pas réagi quand Stephen Harper a soutenu le secteur avec des tas (sack-loads) de subventions  : 34 milliards $ par an, selon le Fonds monétaire international, correspondant aux coûts sociaux de cette industrie au Canada. Les emplois et la prospérité seront grands, nous assurait-on. Quiconque osait souffler mot contre le flot de subvention était vu comme non patriotique et quasiment traité comme un terroriste.

Le retour n’a jamais été à la hauteur de l’investissement, mais qui était là pour faire le décompte ? Maintenant que le prix du pétrole est dans la cave et que le dollar a été entrainé à sa suite, signifiant que la plupart de nos importations nous coûtent maintenant 30% de plus. Si on avait diversifié nos investissements sur plusieurs secteurs on aurait aujourd’hui plus d’atouts en main.

Le second problème est l’image de « pétrole sale ». Le sable bitumineux s’est attiré une « aura beurk » (Yuck aura) malgré les efforts faits pour les cadrer comme un pétrole plus éthique que d’autres et les réassurances concernant la sécurité des pipelines, l’efficacité des nettoyages etc. Qu’est-ce qu’une pétrolière intelligente pourrait faire ? Continuer la lecture de « du sable bitumineux vert ? »

notre seule planète

Quand Obama fut élu, en pleine crise de 2008, je me suis dit qu’on allait enfin voir changer des choses, que le nouveau président saisirait l’occasion pour amorcer un virage.

Mais il n’a pas pu, n’a pas voulu ou encore n’avait pas en main les outils nécessaires : au nom de quoi harnacher l’appât du gain ? Restreindre la liberté du capital… sans avoir de plan de rechange, d’alternative claire, ce n’était pas facile même pour un président porté par une vague imposante de « Yes, we can ».

Peut-être était-ce trop espérer de la part de l’économie qui a été le plus durement touchée par la chute des subprimes. Cette économie qui avait aussi le plus abusé de la manne financière des produits dérivés.

Sept ans après la crise, peu de choses ont été changées pour prévenir le retour de ces excès de créativité… et d’avidité.

« Il n’y a eu pratiquement aucune réforme sérieuse de la régulation du secteur financier, ce qui perpétue l’opacité des marchés de produits dérivés et la spéculation massive sur des actifs plutôt fragiles » disait Craig Calhoun (1) (p. 236).

La financiarisation de l’économie « détourne les investissements vers les secteurs de profits à très court terme et sape les opportunités de croissance plus soutenue à long terme. » (idem, p. 229)

La partie financière du capital produit 40% des profits. « Dans les années ’60, 14% des profits des grandes entreprises étaient attribuables aux groupes financiers; en 2008, ce pourcentage s’élevait à 39%. » (2)

Alors que nos gouvernements souhaitent encore accélérer les échanges et le commerce (Accord économique et commercial global avec l’Europe (AECG), Partenariat transpacifique (PTP)) – il nous faudrait ralentir, oui j’ose le dire, RALENTIR la vitesse à laquelle nous consommons cette planète. Ralentir ne veut pas dire nécessairement s’appauvrir. S’il faut désinvestir des secteurs très coûteux en matériaux et énergie, il y a des secteurs où les besoins sont immenses et la part matérielle restreinte : services aux personnes, recyclage, réparation, entretien, aménagement, arts, loisirs, éducation…

Des gouvernements qui coupent dans les services et rapetissent les responsabilités publiques en promettant un retour toujours éludé vers la croissance économique… Peut-on seulement attendre qu’un bon gouvernement avec le bon programme réussisse à battre les efforts conjugués de l’argent et des corporations ? Il faut agir maintenant, malgré l’absence d’une instance internationale qui soit apte à soutenir la négociation d’ententes légitimes et leur mise en application.

Même si les négociations de Paris aboutissaient à une entente significative entre les nations pour réduire vraiment l’émission de gaz à effet de serre, cela ne résoudra pas, malheureusement, tous nos problèmes. Il faudra encore sauver de la prédation capitaliste effrénée les ressources halieutiques communes, les espaces naturels réservoirs de diversité biologique, les métaux et matières rares peu ou pas recyclables… Certains vont jusqu’à considérer le capital financier, ce réservoir de capacité d’agir sur le présent et l’avenir, comme un « commun », une ressource qu’il faut gérer en fonction de l’intérêt général à long terme plutôt que de laisser les intérêts particuliers à court terme décider de son utilisation.

Nous devrons innover, de manières audacieuses, oser s’attaquer au veau d’or de la croissance aveugle du PIB, de la finance irresponsable, et récupérer la gestion des communs de l’humanité. Mais ce ne sont pas seulement de traités et d’organisations internationales dont nous aurons besoin. Les changements que nous devrons engager, accomplir devront se traduire au quotidien, dans les décisions de chaque ménage. « Selon une recherche de l’Union européenne, 40% de toutes les émissions de dioxyde de carbone ont leur origine dans les ménages. Taille du ménage, sources de combustible utilisé, efficacité énergétique, système de chauffage et de refroidissement, mobilier et déchets – tout cela contribue à notre empreinte écologique. » (idem, p. 375)

Par ailleurs, à l’échelle du globe, la concentration des entreprises fait de celles-ci des entités plus puissantes que les états. « Des 100 plus grandes économies du monde, 52 sont des entreprises et 48 sont des pays. Soixante-dix pour cent du commerce mondial est contrôlé par à peine 500 des plus grandes entreprises industrielles; en 2002, les 200 plus importantes affichaient des ventes équivalant à 28% du PIB mondial. Cependant ces 200 entreprises employaient moins de 1% de la main-d’oeuvre mondiale. » (idem, p. 347)

La libéralisation plus poussée des échanges à l’heure où il faudrait harnacher et soumettre ces échanges à des contrôles plus sévères (taxes sur le carbone, taxes pour protéger les ressources non renouvelables, lutte à l’évasion fiscale) est un leurre, une simplification abusive qui doit être dénoncée. S’il faut réformer les systèmes de gestion publique de l’offre dans certains domaines agricoles est-ce pour pousser encore plus loin l’industrialisation de certains produits au détriment de la résilience et du maintien d’une agriculture locale, au détriment de l’occupation du territoire ?

Parmi les gestes simples qu’on peut poser maintenant :

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Signer le manifeste pour un Élan global (extrait).

« Nous exigeons l’adoption par le gouvernement du Québec d’un plan crédible pour réduire notre consommation de pétrole de 50 % d’ici 2030 et atteindre la neutralité carbone pour 2050.

Nous exigeons que la Caisse de dépôt et placement du Québec désinvestisse le secteur des combustibles fossiles. Nous demandons aux autres gestionnaires de fonds d’investissement dont les capitaux proviennent de citoyennes et citoyens d’en faire autant. Nous agirons aussi individuellement. L’argent de nos retraites ne doit pas appauvrir nos enfants. Il doit servir à assurer leur avenir. »

Signer une pétition, un petit geste pour commencer. Désinvestir des pétrolières d’abord. Ce n’est qu’un début, car il nous faudra bientôt prendre part aux décisions de réinvestissement. Plus qu’avant, parce qu’il ne s’agit pas que d’investissements financiers, mais de développement social et de protection de la planète, la seule qu’on ait. Tant qu’on n’avait qu’à maintenir le rythme sur l’autoroute du progrès, on pouvait toujours laisser à des techniciens le soin de diriger la barque. Mais nos investissements doivent maintenant changer le cadre, modifier les fins, adapter nos technologies à un environnement fini. Un environnement vivant mis en danger par les assauts d’une humanité industrieuse et ingénieuse mais encore aveugle à son empreinte sur le monde.

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Sources :

Craig Calhoun, Ce qui menace le capitalisme aujourd’hui, dans Le capitalisme a-t-il un avenir ? éditions La Découverte, 2014. 329 pages.

Michael Lewis et Pat Conaty, Impératif transition – Construire une économie solidaire, éditions Écosociété, 2015. 415 pages.

Billet à paraître sur Nous.blogue

Voir aussi le pic de tout (25.07.13), sur Gilles en vrac…

transitions écologiques

château de Cerisy-la-Salle, construit au début XVIIe

Le colloque Quelles transitions écologiques ? se tiendra du 1er au 10 juillet prochain, au Centre culturel international de Cerisy en Basse-Normandie.

Dix jours de colloque, avec deux demi-journées de répit seulement. Soixante-dix conférenciers. C’est tout un programme (pdf).

Deux auteurs, découverts au cours des derniers mois (Bihouix et Méda), seront présents, cette dernière comme conférencière et membre du comité directeur de l’évènement. C’est ce qui a d’abord attiré mon attention. Je dois avouer que, mis à part Bernard Perret, je ne connais pratiquement aucun des autres conférenciers ! Les notes biographiques et bibliographiques associées à chacun m’assurent cependant que ce ne sont pas des nouveaux venus…

Cette question de la transition est transversale. Elle devra toucher les partis politiques, les mouvements sociaux et réseaux d’influence les plus divers. Parce que la planète n’a été jusqu’ici qu’un contexte, un non-dit des grandes forces labourant les mers et terres du monde… il faut une prise de conscience nouvelle, qui amène les humains à se situer à cette nouvelle échelle, en regard de nouveaux acteurs, de nouvelles valeurs. Comment ces valeurs seront-elles institutionnalisées, promues, défendues ?

Dix jours de réflexion et de travail, dans un décor planté il y a quatre siècles…

Bon. Après mure réflexion je n’ai pas les moyens de soutenir à moi seul une telle participation (même si le tarif de 800€ pour l’inscription et la pension me semble très raisonnable). Si jamais un lecteur de ce blogue s’inscrit à cet évènement… j’aimerais bien pouvoir échanger avec lui ou elle, et suivre de près, même si ce n’est que virtuellement, le déroulement de ce colloque.

la croissance contre l’avenir

La croissance c’est le passé. C’est fini. Ce qu’il faut c’est aménager la survie. Et la vie, si possible. La croissance du PIB, il faut en finir et évoluer vers un progrès véritable et compatible avec la préservation de la possibilité du bien vivre pour les générations à venir.

mystique-croissanceJ’ai apprécié la synthèse des efforts déployés pour comprendre les limites des modes actuels dominants de mesure de la croissance, de la richesse, du progrès, de l’obligation que nous avons de miser sur autre chose que la croissance brute, aveugle et destructrice.  Méda fait le tour de plusieurs réponses, tentatives de réponse à ce dilemme, le trilemme ((de Degryse et Pochet dans Pour en finir avec ce vieux monde. Les chemins de la transition)) : réduire le déficit public; investir dans l’infrastructure verte et préserver l’État-providence et les services publics((page 207, Mystique de la croissance)).

Pour conclure avec sa propre prescription pour une transition juste, telle que définie par la CSI((Confédération syndicale internationale)) et d’autres organisations internationales (PNUD((Programme des Nations Unies pour l’environnement)), OIE((Organisation internationale des employeurs)) ).

Produire de la qualité, et du durable, ça crée de l’emploi même si ça ne se traduit pas nécessairement par une productivité croissante. C’est d’ailleurs ce qu’il faut changer, viser à toujours plus de productivité, des coûts plus bas… au détriment de la qualité, de l’avenir de la planète.

Produire dans des secteurs nouveaux, intenses en emplois, en main-d’oeuvre qualifiée, et pauvres en matières polluantes, rares ou de piètre qualité. Il nous faudra une autre manière de mesurer le progrès que le PIB, une règle faisant état de la qualité de nos liens « care » à l’endroit de la nature.  Un nouvel indicateur de progrès, plutôt que de croissance strictement économique. Un indicateur basé sur la santé sociale et la protection du patrimoine naturel.

Il faudra une mobilisation large, planifiée, évaluée, réfléchie. Mais comme le soulignent les lecteurs du Séminaire de sociologie (voir plus loin) il y a peu (ou pas du tout) de place pour la lutte des classes et des groupes sociaux… tout se passe comme s’il s’agissait essentiellement d’un débat d’idées, qui feront tomber les oppositions par leur propre magie de persuasion. Mais s’il faut « en venir aux mains », mieux vaut avoir les idées claires et un plan précis.

Un petit livre (300 pages petit format) dont on sort revigoré. Je termine ce billet avec quelques paragraphes tirés de la conclusion. Et des liens vers la discussion et les sources citées.

* * *

« Si nous ne redistribuons pas massivement certaines des ressources des plus favorisés vers les moins favorisés, des sociétés riches vers les autres et, à l’intérieur de chaque société, si nous n’engageons pas un processus de profonde réduction des inégalités, nous ne parviendrons pas à convaincre les plus modestes de nos concitoyens d’échanger le surcroît de consommation contre de plus amples « capabilités d’épanouissement ». Ce serait leur proposer d’échanger la proie pour l’ombre.

« Tout se passe comme si l’acte de consommation permettait aux individus d’accéder à une double liberté. Liberté de choix, d’abord. Parmi une infinité de produits qui me sont proposés (…) je peux choisir celui qui me convient, celui qui reflète au plus profond ma personnalité, celui qui me permet d’exprimer authentiquement qui je suis. Et lors de l’acte d’achat, je peux de surcroît éprouver une seconde liberté, celle de manipuler librement de l’argent, équivalent universel, symbole indépassable de l’émancipation.

« Quelles seraient les actes ou les activités qui pourraient procurer le même sentiment de puissance, la même sensation d’émancipation, la même impression de liberté?» (p. 282-283)

« Au-delà d’une modernité échevelée, au cours de laquelle les humains ont cru qu’il pourraient se passer même de la nature, il nous faut sans doute renouer avec les idéaux et les valeurs du monde grec : le sens de la mesure, de la limite, de l’insertion savamment calculée de nos actes dans la nature; la capacité à imiter la nature, à respecter ses rythmes, à faire de l’autarcie une valeur, à produire au plus juste, et ce, sans les défauts du monde grec : l’esclavage, les femmes tenues pour quantité négligeable, la démocratie réduite à un tout petit nombre, l’Autre considéré comme barbare. La reconversion écologique, occasion de réacclimater le monde grec et ses magnifiques valeurs au cœur de la postmodernité ? Une occasion vraiment historique…» (p. 297)

Des commentaires sur La Mystique de la croissance, comment s’en libérer

Bibliographie partielle