de RLS et autres espaces publics

Dernier numéro de la revue Le point en administration de la santé : La gouvernance du réseau a-t-elle atteint sa limite?.

Cette centralisation, voire cette bureaucratie pernicieuse, annule trop souvent les initiatives locales et régionales qui seraient porteuses pour améliorer réellement la santé et le bien-être de la population. Elle contribue fréquemment à une perte d’efficacité prêtant le flanc aux critiques. (…)

Les établissements se sentent littéralement envahis par les deux paliers supérieurs. Et la clameur monte de plus en plus chez les établissements à l’effet que la grande majorité de leurs priorités sont établies par le ministère de la Santé et des Services sociaux, les agences ou d’autres organismes associés au réseau. Il en résulte une marge de manoeuvre de plus en plus étroite pour des projets locaux, ce qui entraine plusieurs gestionnaires à estimer, à tort ou à raison, que la gouvernance au palier local est devenue pure illusion.

Est-ce que le bouquin sur la « théorie des réseaux » en rabais de 50% en page d’accueil c’est pour confirmer la baisse de popularité des RLS ? 😉 J’espère que l’éditorial qui a été imprimé a été corrigé, par rapport à la version en ligne. Sinon, ça fait un peu amateur. 😐 À moins que ça ne souligne le côté « praticien qui fait ça bénévolement, en plus de son travail »… dans l’action, militant même !

Mais quand j’aurai finalement accès au numéro…

Car on ne m’a toujours pas donné accès au fichier deux heures et demi après avoir payé par Paypal mon abonnement. Bon, tout n’est pas automatisé… vu le petit nombre d’abonnés dont on parle – le gros des lecteurs recevant leur numéro par le biais de la distribution en établissements.

… le débat ne se fera qu’entre abonnés, et quelques professionnels et membres  des comités du réseau qui ont accès dans les établissements à la version papier de la revue. Une distribution (gratuite ?) se fait dans les établissements du réseau mais en dehors, il faut s’abonner et payer 35$. Pourtant tous ces articles ne sont-ils pas écrits par des administrateurs, professionnels et quelques professeurs déjà payés par le public ? Pourquoi cette barrière tarifaire ? Pour payer les contributeurs d’articles ? Je ne crois pas, pour la majorité les auteurs contribuent gratuitement à ce genre de revues professionnelles. Alors c’est pour rejoindre d’abord les gens motivés ?  À moins que ce ne soit pour soutenir les frais de publication et de diffusion… parce que le soutien public à ces efforts est inconsistant. Naturellement, il ne s’agirait pas de soutenir toutes les feuilles, tous les forums mais lorsque des professionnels et administrateurs, des universitaires contribuent de leurs savoirs, stimulent la réflexion et les échanges sur les pratiques en cours dans les établissements et réseaux du système… on imagine que quelqu’un quelque part peut y voir un intérêt public. S’il y avait un véritable soutien public aux communautés de pratique et à leur interaction avec la citoyenneté (notamment en favorisant l’accès aux contenus de ces revues) on aurait peut-être un meilleur débat public. Est-ce que ça conduirait automatiquement à de meilleures décisions ? Pas certain. De meilleures pratiques, une meilleure interaction entre les acteurs et avec le public ? Probablement.

Pendant ce temps là… (j’attends toujours d’avoir accès à ma revue) je pense à une certaine revue, Kaléidoscope (anciennement Développement social), que je qualifierais d’intérêt public — elle a accompagné la réflexion sur le développement social au Québec depuis 1998 — qui a jusqu’ici ouvert grandes ses pages sur la toile, mais risque de les refermer sur ses abonnés et quelques établissements complices si on ne trouve pas d’ici peu une solution de remplacement au recul substantiel dans le soutien que lui accordait jusqu’ici le ministère de la santé (la santé publique du Q). Si cela arrivait, ce serait une autre revue refermée sur son réseau de spécialistes, abonnés ou cotisants, tel nombre de revues d’administration, de psychologie, de travail social ou d’organisation communautaire, d’ergothérapie, d’économie ou de développement social. Plusieurs de ces revues sont associées à des ordres professionnels eux-mêmes bénéficiaires de privilèges de pratique — exclusive ou ou partagée — et ayant un devoir de protection du public et de reddition publique de comptes. Un tel caractère d’intérêt public ne justifierait-il pas une obligation de rendre accessibles les contenus professionnels et scientifiques de leurs revues ?

Pour les revues non associées à des corporations professionnelles mais liées à des pratiques dans les réseaux institutionnels — des principes similaires pourraient s’appliquer dans la mesure où l’État souhaite que ces pratiques soient éclairées – transparentes. Mais l’État n’a pas de relation aussi étroite (et contraignante) avec ces groupes de praticiens institutionnels qu’avec les corps professionnels. Un incitatif sous forme de soutien à la publication/diffusion/mobilisation des savoirs et à l’animation de communautés de pratiques pourrait favoriser l’expression, la mise en oeuvre de principes, de valeurs promues collectivement, en tant que société  [j’avais écrit « politiquement » mais j’ai peur d’être mal interprété] dans le cadre de groupes semi-autonomes, auto-animés de praticiens, de citoyens-usagers et de collectivités citoyennes.

Un soutien à la mobilisation des savoirs (et à la promotion de pratiques et de compétences) qui pourrait, sans trop étirer les définitions, inclure quelques espaces de débat et délibération d’abord portés par des collectivités citoyennes et secondairement par des pratiques professionnelles, scientifiques ou culturelles. Une revue telle K pourrait être soutenue dans ses efforts de diffusion et d’animation dans le cadre d’un tel, hypothétique, programme « Citoyenneté éclairée » !

autour de Latour

Extraits de Changer la société, refaire la sociologie, une introduction à la théorie de l’acteur-réseau, par Bruno Latour.

Dans des situations où les innovations abondent, quand les frontières du groupe sont incertaines, quand la gamme d’entités qu’il faut prendre en considération devient fluctuante, la sociologie du social n’est plus capable de tracer les nouvelles associations d’acteur. p.19

La dispersion, la destruction et la déconstruction ne sont pas des objectifs à atteindre, mais précisément ce qu’il s’agit de dépasser. Il est plus beaucoup important d’identifier les nouvelles institutions, les nouvelles procédures, les nouveaux concepts capables de collecter et reconnecter le social.  p. 22

[ La sociologie de l’acteur-réseau évite de fonder ses analyses sur des listes et catégories d’acteurs, de méthodes, de domaines déjà établis comme faisant parti du monde social, pour se définir à partir de 5 niveaux d’incertitudes quant à la nature des éléments constituants de ce monde : ]

  1. sur la nature des regroupements : il existe de nombreuses manières contradictoires d’assigner une identité aux acteurs
  2. sur la nature des actions : dès qu’on suit un cours d’action donné, un vaste éventail d’êtres font irruption pour en transformer les objectifs initiaux;
  3. sur la nature des objets : il semble que la liste des entités qui participent aux interactions sociales soit beaucoup plus ouverte qu’on ne l’admet généralement ;
  4. sur la nature des faits établis : les controverses se multiplient sur la nature des sciences naturelles et leurs liens de plus en plus étranges avec le reste de la société ;
  5. et, finalement, sur le type d’études conduites sous l’étiquette d’une science du social, dans la mesure où on ne voit jamais très clairement en quoi les sciences sociales seraient empiriques. 34

La sociologie de l’acteur-réseau prétend être mieux en mesure de trouver de l’ordre après avoir laissé les acteurs déployer toute la gamme des controverses dans lesquelles ils se trouvent plongés. (…) La tâche de définition et de mise en ordre du social doit être laissée aux acteurs eux-mêmes au lieu d’être accaparée par l’enquêteur. 36 [encore des extraits]

Plutôt que de discuter pour s’entendre sur une définition de ce qui est, la discussion porte sur ce qui se passe.

L’exemple de la soie et du nylon, page 60, est plutôt réducteur, et révélateur du fait que mettre trop d’importance à la nature du symbole médiateur peut faire oublier ce qu’il habillait…

Qui parle ? Qui agit ? De quel rassemblement d’acteurs parlons-nous ?
Que font-ils ? Que cherchent-ils à faire ? Comment s’expriment, évoluent leurs objectifs ?
Auprès de qui ? De quoi ? Avec qui ? Comment ? Avec quels moyens agissent-ils ?
Avec quels effets ? Quels sont les faits qui ont soutenu, contribué à définir l’action ?
Qui rendra des comptes à qui ? Quelles formes prendront les produits de la démarche ?

En quoi la théorie de l’acteur-réseau (ANT – actor-network theory) peut-elle servir dans le cadre d’une recherche sur les réseaux locaux de services ? Si on parle d’un processus plutôt que de canalisations, d’un travail en cours d’assemblage réalisé par les acteurs plutôt que de mécanismes d’intégration imposés… si on souhaite décrire les actions, les initiatives de ces acteurs sans les encadrer au préalable dans des perspectives figées, alors oui, la théorie de l’acteur-réseau peut être utile.

partenaires invisibles des RLS

Le dernier paragraphe de la page web décrivant les réseaux locaux de services sur le site du MSSS se lit comme suit :

Le système sociosanitaire québécois compte près de 300 établissements offrant des services dans plus de 1700 points de service. Il regroupe près de 200 établissements publics, une cinquantaine d’établissements conventionnés sans but lucratif et une cinquantaine d’établissements privés offrant de l’hébergement et des soins de longue durée. Il compte également plus de 3 500 organismes communautaires et près de 2000 cliniques et cabinets privés de médecine.

J’ai été surpris de ne voir qu’une cinquantaine d’établissements privés d’hébergement et de soins de longue durée dans la liste des organisations comprises dans « le système sociosanitaire québécois ».  Pourtant plus de cent mille personnes âgées habitent dans des centaines de résidences offrant des services et reçoivent de l’État québécois plus de 200 M$ de financement par année (voir autre billet). Le fait que ce financement passe par un versement en argent au contribuable ne devrait pas faire oublier que pour une grande part ce financement est fait en contre-partie d’un achat de service à une organisation reconnue, accréditée. Un achat, fait par le client hébergé, qui représente trois fois plus d’argent que la part de l’État. Ne pas inscrire ces acteurs comme partie prenante du système sociosanitaire québécois, c’est méconnaître leur importance dans l’atteinte des objectifs des réseaux locaux de services.

Oui, ces objectifs « de rapprocher les services de la population et de les rendre plus accessibles, mieux coordonnés et continus » (définition du MSSS) ne semblent pas très contraignants ou intégrateurs.  Pourtant, sur le terrain, les réseaux intégrés de services se multiplient, autour de programmes spécifiques : santé mentale, perte d’autonomie liée au vieillissement, diabétiques, hypertendus…

RiS ou RLS ?

Il est sans doute plus facile de définir un « réseau intégré » avec ce que cela a de définitif, déterminé, lorsque le besoin est clairement identifié (une maladie, un diagnostic) et que les rôles des différentes parties du réseau le sont aussi. Encore plus si les clientèles sont définies et identifiées. Mais lorsque les rôles doivent s’adapter, fluctuer en fonction des conditions changeantes ou différentes des milieux de vie, des ressources disponibles dans ces milieux (dans  telle garderie ou dans telle résidence) – la définition d’un réseau intégré se complexifie. Encore plus si la clientèle doit être activement rejointe (reached-out). Il est parfois plus facile d’obtenir la collaboration d’un acteur autour des besoins d’une personne ou d’une famille si l’on ne formalise pas cette collaboration dans des rôles définitifs, des contrats formels. Ce qui ne veut pas dire que des définitions plus formelles et des contrats explicites définissant les responsabilités et moyens des acteurs ne soient pas utiles.

L’évolution des réseaux locaux de service vers une plus grande intégration et contractualisation doit être conçue en appui à une mobilisation ouverte vers plus de santé, d’équité et d’accessibilité plutôt que de représenter un enfermement des acteurs autour de programmes et clientèles définis une fois pour toutes. Certains réseaux de services et de collaboration entre fournisseurs (et entre fournisseurs et clients) peuvent sans doute atteindre une grande stabilité, dans la mesure où les ratios besoins/ressources sont stables, que les technologies et protocoles le sont aussi, que les clientèles ont été dépistées… Mais dès qu’un écart existe, persiste ou, pire, s’accroît entre les besoins perçus et les ressources disponibles il faut rediscuter, faire évoluer, transformer les modes et conditions de la collaboration. Dans ce contexte la contractualisation des relations devient moins importante que l’établissement d’une gouvernance souple, basée sur la confiance et capable d’initiative et d’innovation, d’expérimentation.

L’approche réseau et la responsabilité populationnelle n’ont pas éliminé la planification par programmes et clientèles ciblées. Au contraire on a vu croître dans la période où s’implantaient les CSSS (et la responsabilité populationnelle des RLS) une pression vers la standardisation des programmes (au nombre de neuf) à travers l’établissement de politiques-cadres nationales et de programmes cadres régionaux. De plus, une quantification des cibles à atteindre pour chaque CSSS et chaque programme fut établie à travers les ententes de gestion négociées avec les agences régionales. Ce contexte est-il favorable à l’exploration et l’innovation ?

La question n’est pas de nier l’intérêt des « bonnes pratiques » ou de la diffusion des mesures éprouvées — lorsque celles-ci existent. Mais lorsque les « bonnes pratiques » sont encore à inventer, que les programmes peinent à rejoindre leurs cibles ou à maintenir un minimum de continuité dans leur intervention, il peut devenir contre-productif de chercher à tout prix à mesurer l’output ou comptabiliser les gestes. Si 60% des enfants québécois de 0-5 ans sont inclus dans les programmes des CPE et maternelles mais que les enfants de milieux défavorisés y sont sous-représentés, c’est donc dire qu’un enfant sur deux venant de milieux pauvres n’est pas encore rejoint. Une approche intégrative visant à resserrer les boulons contractuels de l’intervention CSSS-CPE-Scolaire peut sans doute « optimiser » l’action auprès des enfants déjà rejoints mais elle ne peut remplacer la souplesse et la recherche nécessaires pour rejoindre ceux encore hors d’atteinte – notamment en travaillant avec ces « partenaires invisibles » que sont les services de garde en milieu familial « non régis ».

Dans le même sens si 10 % des personnes âgées habitent dans des résidences privées avec services mais que les personnes en provenance de ces résidences représentent de 40 à 60 % des entrées en CHSLD — cela devrait suffire à justifier une action concertée plus intégrée des deux réseaux. Mais comment les deux logiques à l’oeuvre (de service public/ de marché) s’articuleront-elles ? Un espace d’expérimentation et de réflexion d’autant plus important à nourrir que la croissance prévisible des besoins à ce niveau semble vertigineuse.

les chiens de faïence

Savoir académique et savoir d’expérience
Ont trop souvent l’apparence de chiens de faïence
Qui se regardent sans se voir,
Chacun campé sur son trottoir,
Ou ne serait-ce pas plutôt
L’un dans la rue, l’autre à sa tour ?
Et pourtant il n’y a de Science
Qui n’ait trempé la théorie au feu de l’expérience

En matière de réseaux sociaux (de proximité), sujet furtif s’il en est un,
Auquel on ajoute une bonne portion de politique
Qu’elle se drape de responsabilité populationnelle
Ou se meuve en relations de pouvoir
Dans des réseaux locaux de services
Intégrés ou évanescents
La science ne peut se passer de l’expérience
Ni cette dernière se pérenniser
Sans un travail de justification.

Réseaux sociaux qui ne sont pas
Que des objets de recherche mais d’abord
Des forces, des vecteurs, des noeuds de valence
Dans les toiles du possible
Des points d’ancrage et de transcription
De transbordement et transmission
De résistance et de fluidité
Qui effectuent, incarnent les pouvoirs
Tendus de la situation, des stratégies à l’oeuvre.