Gilles en vrac… depuis 2002

partenaires invisibles des RLS

Le dernier paragraphe de la page web décrivant les réseaux locaux de services sur le site du MSSS se lit comme suit :

Le système sociosanitaire québécois compte près de 300 établissements offrant des services dans plus de 1700 points de service. Il regroupe près de 200 établissements publics, une cinquantaine d’établissements conventionnés sans but lucratif et une cinquantaine d’établissements privés offrant de l’hébergement et des soins de longue durée. Il compte également plus de 3 500 organismes communautaires et près de 2000 cliniques et cabinets privés de médecine.

J’ai été surpris de ne voir qu’une cinquantaine d’établissements privés d’hébergement et de soins de longue durée dans la liste des organisations comprises dans « le système sociosanitaire québécois ».  Pourtant plus de cent mille personnes âgées habitent dans des centaines de résidences offrant des services et reçoivent de l’État québécois plus de 200 M$ de financement par année (voir autre billet). Le fait que ce financement passe par un versement en argent au contribuable ne devrait pas faire oublier que pour une grande part ce financement est fait en contre-partie d’un achat de service à une organisation reconnue, accréditée. Un achat, fait par le client hébergé, qui représente trois fois plus d’argent que la part de l’État. Ne pas inscrire ces acteurs comme partie prenante du système sociosanitaire québécois, c’est méconnaître leur importance dans l’atteinte des objectifs des réseaux locaux de services.

Oui, ces objectifs « de rapprocher les services de la population et de les rendre plus accessibles, mieux coordonnés et continus » (définition du MSSS) ne semblent pas très contraignants ou intégrateurs.  Pourtant, sur le terrain, les réseaux intégrés de services se multiplient, autour de programmes spécifiques : santé mentale, perte d’autonomie liée au vieillissement, diabétiques, hypertendus…

RiS ou RLS ?

Il est sans doute plus facile de définir un « réseau intégré » avec ce que cela a de définitif, déterminé, lorsque le besoin est clairement identifié (une maladie, un diagnostic) et que les rôles des différentes parties du réseau le sont aussi. Encore plus si les clientèles sont définies et identifiées. Mais lorsque les rôles doivent s’adapter, fluctuer en fonction des conditions changeantes ou différentes des milieux de vie, des ressources disponibles dans ces milieux (dans  telle garderie ou dans telle résidence) – la définition d’un réseau intégré se complexifie. Encore plus si la clientèle doit être activement rejointe (reached-out). Il est parfois plus facile d’obtenir la collaboration d’un acteur autour des besoins d’une personne ou d’une famille si l’on ne formalise pas cette collaboration dans des rôles définitifs, des contrats formels. Ce qui ne veut pas dire que des définitions plus formelles et des contrats explicites définissant les responsabilités et moyens des acteurs ne soient pas utiles.

L’évolution des réseaux locaux de service vers une plus grande intégration et contractualisation doit être conçue en appui à une mobilisation ouverte vers plus de santé, d’équité et d’accessibilité plutôt que de représenter un enfermement des acteurs autour de programmes et clientèles définis une fois pour toutes. Certains réseaux de services et de collaboration entre fournisseurs (et entre fournisseurs et clients) peuvent sans doute atteindre une grande stabilité, dans la mesure où les ratios besoins/ressources sont stables, que les technologies et protocoles le sont aussi, que les clientèles ont été dépistées… Mais dès qu’un écart existe, persiste ou, pire, s’accroît entre les besoins perçus et les ressources disponibles il faut rediscuter, faire évoluer, transformer les modes et conditions de la collaboration. Dans ce contexte la contractualisation des relations devient moins importante que l’établissement d’une gouvernance souple, basée sur la confiance et capable d’initiative et d’innovation, d’expérimentation.

L’approche réseau et la responsabilité populationnelle n’ont pas éliminé la planification par programmes et clientèles ciblées. Au contraire on a vu croître dans la période où s’implantaient les CSSS (et la responsabilité populationnelle des RLS) une pression vers la standardisation des programmes (au nombre de neuf) à travers l’établissement de politiques-cadres nationales et de programmes cadres régionaux. De plus, une quantification des cibles à atteindre pour chaque CSSS et chaque programme fut établie à travers les ententes de gestion négociées avec les agences régionales. Ce contexte est-il favorable à l’exploration et l’innovation ?

La question n’est pas de nier l’intérêt des « bonnes pratiques » ou de la diffusion des mesures éprouvées — lorsque celles-ci existent. Mais lorsque les « bonnes pratiques » sont encore à inventer, que les programmes peinent à rejoindre leurs cibles ou à maintenir un minimum de continuité dans leur intervention, il peut devenir contre-productif de chercher à tout prix à mesurer l’output ou comptabiliser les gestes. Si 60% des enfants québécois de 0-5 ans sont inclus dans les programmes des CPE et maternelles mais que les enfants de milieux défavorisés y sont sous-représentés, c’est donc dire qu’un enfant sur deux venant de milieux pauvres n’est pas encore rejoint. Une approche intégrative visant à resserrer les boulons contractuels de l’intervention CSSS-CPE-Scolaire peut sans doute « optimiser » l’action auprès des enfants déjà rejoints mais elle ne peut remplacer la souplesse et la recherche nécessaires pour rejoindre ceux encore hors d’atteinte – notamment en travaillant avec ces « partenaires invisibles » que sont les services de garde en milieu familial « non régis ».

Dans le même sens si 10 % des personnes âgées habitent dans des résidences privées avec services mais que les personnes en provenance de ces résidences représentent de 40 à 60 % des entrées en CHSLD — cela devrait suffire à justifier une action concertée plus intégrée des deux réseaux. Mais comment les deux logiques à l’oeuvre (de service public/ de marché) s’articuleront-elles ? Un espace d’expérimentation et de réflexion d’autant plus important à nourrir que la croissance prévisible des besoins à ce niveau semble vertigineuse.


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