Gilles en vrac… depuis 2002

l’affaire Rogoff-Reinhart

Je n’avais pas entendu parler de Rogoff et Reinhart avant ce matin, quel ignorant j’étais ! Il semble que ces économistes américains aient fourni les arguments « scientifiques » aux prêcheurs d’austérité en Europe… mais que leurs erreurs méthodologiques aujourd’hui reconnues semblent tout à coup invalider.  Yakabuski, en conclusion de son article A simple data error, and Europe’s pain : Une simple erreur de donnée et l’Europe se remet à dépenser. Il n’y va pas de main morte dans son diagnostic sur l’Europe : « too much spending toward supporting those over 60 ». Il faudra des réformes structurelles pour intégrer les jeunes qui chôment à 40, 50 ou 60 % dans les pays endettés.

Mais ces réformes semblent orientées vers une vision particulière « No amount of austerity will do the trick unless structural reforms needed to spur entrepreneurship and private investment are implemented ». La confiance des investisseurs et la réforme des lois du travail semblent les seules voies possibles, en complément de l’austérité, pour sortir l’Europe de la crise.

La plume colorée du journaliste du G&M (« the bite of a poor pinot noir ») nous fait presqu’oublier le ton lourdement idéologique de ce commentaire, ou le jugement de valeur l’emporte sur l’argument. La scène est campée dans l’opposition entre dépensiers et économes… le privé et le public… alors que, finalement, la leçon à tirer de cette affaire Rogoff-Reinhart est qu’il n’y a pas de mesure simple ni se seuil magique (comme 90 % du PIB d’endettement) pour dire la relation entre l’endettement et la croissance. Voir Krugman.

Normand Baillargeon raconte avec beaucoup de pédagogie cette affaire Rogoff-Reinhart, posant finalement la question « Comment expliquer que des idées aussi simplistes, puis discréditées, que celles de Laffer et de Reinhart et Rogoff aient pu avoir l’influence qu’elles ont eue? » Le biais de confirmation. Cette tendance qu’a l’esprit humain à préférer ne retenir de l’information disponible que celle qui vient confirmer son point de vue. Ce qui conduit aux discussions de sourds, aux parti-pris idéologiques qui ne s’emm…êlent pas avec des considérations méthodologiques ou scientifiques – ne retenant des faits que ceux qui viennent confirmer l’opinion, le sens commun, le préjuger.

Mais si c’est vraiment ce biais de confirmation qui est à l’oeuvre, la théorie Rogoff-Reinhart, qui n’était en fait qu’une rhétorique, sera remplacée par une autre. Mais ce qui est en jeu ne sera pas résolu par une théorie ou une autre. Cela le sera par la pratique, la négociation, l’innovation, le risque, le compromis, la continuité et la rupture… Ne voir l’avenir (et mesurer le présent) qu’à travers la « confiance des investisseurs » ou la liberté d’entreprendre… et réduire le volet public de l’équation à « la réforme du travail »… c’est peut-être une position confortable dans certains salons, entre amis, mais ça n’ouvre pas vraiment de porte au dialogue constructif et inventif dont nous avons le plus grand besoin.

Si les conservateurs et autres apôtres de l’austérité (des comptes publics – car les personnes privées doivent continuer de pratiquer les vertus de l’enrichissement) peuvent perdre un peu de leur assurance vindicative à l’occasion de ce retournement – il ne faudrait pas que les Keynésiens se contentent de glousser de joie.  C’est l’occasion rêvée de construire des ponts, ouvrir des discussions sur de nouvelles bases, un peu moins idéologiques, un peu plus « au ras des pâquerettes ».


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