Gilles en vrac… depuis 2002

empreinte et désirs

Réduire notre empreinte écologique, parce que la planète n’en peut plus. Parce que la planète c’est plus que des champs de maïs, de soya et des pâturages.
Mais pour réduire notre empreinte, il faut commencer par le vouloir ! À moins, bien sûr qu’on compte sur les prochaines crises pour nous forcer la main…
On pourrait commencer par cesser de titiller les désirs de chacun par la publicité. Comme disait Francis Vailles dans Nos cigarettes du XXIe siècle | La Presse :

Permettra-t-on encore longtemps aux constructeurs automobiles, qui font vivre les pétrolières, de vanter les vertus de leurs VUS polluants dans des publicités, les associant à montagnes et forêts, quand on sait les ravages des GES ?

Vous êtes pas tannés de voir des publicités de VUS quatre fois l’heure interrompre les bulletins de nouvelles ? Ou même les émissions consacrées à l’état déplorable de la planète ? Et si on commençait par interdire ces publicités insensées !

Ce ne sont pas que les automobiles qui pèsent dans notre bilan environnemental. Tous ces objets qui « coutent moins cher à remplacer qu’à réparer »… Hubert Guillaud, dans son Sans transition : de nos vies avec et dans les machines du quotidien | InternetActu.net :

[C’est] à partir des années 1990 que la délocalisation achève la réparabilité : désormais, remplacer un produit est moins cher que le réparer. (…)
Les appareils se dupliquent plutôt qu’ils ne s’économisent… Nous démultiplions chez nous les écrans comme nos machines à café. Nous démultiplions l’adoption d’appareils sans abandonner les précédents. (…)
Nous nous sommes fondus, identifiés à nos bardas d’objets essentiels et inutiles que la mondialisation et l’industrialisation ont rendus si facilement accessibles à tous. Perclus de confort, nous regardons encore devant nous pour nous demander… : pour combien de temps ?

Et cette pression sur l’environnement ne met pas seulement en danger notre confort. Dans les « zones frontières » du capitalisme, ce sont des cultures millénaires et une connaissance fine des fruits et équilibres de ces milieux de vie qui sont éradiqués pour faire place aux productions industrielles. Grâce à ses recherches sur le terrain étalées sur plus de 20 ans (1980-2004), et son approche à la fois anthropologique, philosophique et politique, Anna Lowenhaupt TSING nous fait vivre les tragédies, les drames et les espoirs de la vie dans les montagnes du Kalimantan du sud, sur l’île de Bornéo, en Indonésie. De Sukarno à Suharto, et son Ordre nouveau, l’Indonésie s’est de plus en plus intégrée au marché global (du contre-plaqué, d’abord, puis aujourd’hui, de la production d’huile de palme…). On a beaucoup entendu parler de la disparition des orang-outans que la culture des palmiers à huile déplace, mais qu’en est-il des populations humaines vivant dans les mêmes forêts ?

« Rendues possibles par la militarisation du tiers-monde en pleine guerre froide et la puissance grandissante des entreprises transnationales, les zones-frontières de ressources se développent là où les entrepreneurs et les militaires sont en mesure de défaire les liens entre la nature et les écologies et modes de subsistance locaux, « libérant » ainsi des ressources naturelles que bureaucrates et généraux offriront comme matière première aux entreprises. »
Cela au détriment des « Dayaks meratus, qui y vivent depuis des temps anciens et dont les moyens de subsistance dépendent des cultures itinérantes et de la cueillette en forêt. »
« La zone-frontière se fait sur le terrain instable entre légalité et illégalité, propriété publique et privée, viol brutal et charisme passionné, collaboration ethnique et hostilité, violence et loi, restauration et extermination. » (Friction, de Anna L. Tsing)

La culture du palmier, pour son huile, est responsable de la destruction des forêts de Bornéo. Voir le site : nopalm.org

Oui, il fallait augmenter la productivité agricole pour soutenir la croissance démographique… mais cette dernière a appelé et soutenu une croissance économique exponentielle. Et puis, jusqu’où pouvons-nous laisser libre cours aux « tendances naturelles » à l’imitation et à la consommation ? Saviez-vous que si les humains se « convertissaient » à une alimentation végétale, on pourrait réduire de 75% les surfaces consacrées au pâturage et à l’agriculture pour nourrir les bêtes ? Même en ne visant pas un régime 100% végétal, tout de suite, on voit qu’il y a de la place à l’amélioration !

Pas que des interdictions et des restrictions

Pour les privilégiés que nous sommes, dans les pays « développés », la transition écologique peut avoir des airs de punition : pas de viande, pas de gros char, pas de voyage en avion…

Mais quand on cessera de voir les forêts comme des arbres à couper et les marais comme des « swamps » à assécher et à construire… pour découvrir ce qui s’y passe vraiment et toutes les espèces vivantes qui habitent ces milieux, on pourra peut-être goûter de nouveaux plaisirs.

Le « progrès » tel que nous le connaissons maintenant n’est pas ou n’était pas inéluctable. Ce progrès s’est fait au détriment d’autres modes de relation au monde. La terre a cessé de nous parler parce que nous avons cessé de l’écouter et d’apprendre d’elle (Comment la terre s’est tue, David Abram). C’est à une mise à jour de nos conceptions des sociétés et cultures préhistoriques que David Graeber et David Wengrow nous convient avec The Dawn of Everything — A New History of Humanity. Le développement de l’agriculture et l’urbanisation des sociétés de chasseurs-cueilleurs ne se sont pas faits simplement, parce que c’était ça le « progrès ».

La relation de symbiose qui existait entre les humains et leurs milieux de vie vient d’être illustrée de surprenante manière par la découverte récente (Grizzly bear DNA maps onto Indigenous language families, Science, 2021.08.13) de la coïncidence géographique entre des groupes linguistiques amérindiens de Colombie-Britannique et des sous-espèces de grizzly. Comme si les deux espèces avaient appris ensemble à se partager un milieu.

Rêver un autre monde

En sortant du cinéma hier soir, pour y voir Dune, de « notre » Denis Villeneuve, j’étais déçu. Une bande sonore tonitruante (cela trahit peut-être mon âge) qui alourdit le discours, des batailles moyenâgeuses (à coups d’épées et de poignards !) et une psychologie à 5 cents de proies et prédateurs… de vengeances et de vendettas. Bon, c’est sûr que le monde imaginé par Frank Herbert en 1965 était stimulant et audacieux par les liens qu’on faisait avec la lutte des Palestiniens (ou autres populations soumises à l’occupation) et aussi avec les drogues psychédéliques.

Mais franchement, on ne peut pas imaginer une autre science-fiction, qui utiliserait les centaines de millions qu’on investit dans de telles superproductions pour imaginer autre chose que les guerres ou les invasions ? Et si on imaginait une culture, un futur qui respecte la nature, qui la soigne et apprend d’elle, comme le font encore certains Dayaks meratus sur l’île de Bornéo… Nos enfants connaissent plus de marques de chars ou d’espadrilles que d’espèces végétales. Dans une société où l’on prend plus souvent l’avion qu’on ne se promène en forêt, comment voulez-vous qu’on sacrifie un peu de son confort pour une nature que l’on ne connait pas ?

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