Cette dernière lecture m’a été, comme souvent, suggérée par Olivier de chez Gallimard à Montréal. Un philosophe britannique d’origine polonaise que je ne connaissais pas : Zygmunt Bauman. Achevée juste avant son décès, cette courte1213 petites pages monographie, Retrotopia, trace un bilan philosophique et sociologique des régressions récentes. Les quatre principaux chapitres parlent de retours : Retour à Hobbes ? – Retour aux tribus – Retour aux inégalités – Retour à l’utérus. Malgré tout ce n’est pas un livre pessimiste même si sa dernière phrase pourrait le donner à penser :
Nous – habitants humains de la Terre – nous retrouvons aujourd’hui, et comme jamais, dans une situation parfaitement claire, où il s’agit de choisir entre deux choses : la coopération à l’échelle de la planète, ou les fosses communes.
Le dernier numéro de la revue Jacobin2qui se définit comme « une voix dominante de la gauche américaine, offrant des perspectives socialistes sur la politique, l’économie et la culture » consacrait un dossier sur la religion. J’étais curieux de voir le traitement qu’allait faire de cette question une revue se voulant « radicale ». Je n’ai pas été déçu ! De la militance chrétienne socialiste à une histoire des tentatives soviétiques pour remplacer la religion, l’impact de la Réforme sur la culture politique européenne… quelques pages sur la place des églises polonaises, comme expressions de la créativité des communautés locales… le prophète syndicaliste-socialiste irlandais Jim Larkin… l’histoire des Mormons socialiste de l’Utah au XIXe siècle… et une revue de l’évolution récente des religions dans le monde.
J’ai poursuivi ma recherche sur l’écologie sociale et la décroissance avec ces deux livres : Comment bifurquer, les principes de la planification écologique et Having Too Much, Philosophical Essays on Limitarianism. Le premier faisait l’objet de recensions dans Le vent se lève et dans Le journal des alternatives. Critique du capitalisme vert et appel à un retour de la planification, augmentée des nouvelles capacités numériques, auxquelles nous devrons consacrer de nouvelles institutions politiques. Je reviendrai sur ce livre de Cédric Durand et Razmig Keucheyan, quand je l’aurai lu !
Le deuxième titre « Having Too Much« , dont j’ai lu quelques chapitres, pose la question des limites à la richesse. Richesse absolue, richesse relative… Avoir assez, ce serait combien ? Fait à noter, ce recueil d’essais est un « Open Book ». J’en ai traduit le chapitre d’introduction par Ingrid Robeyns qui présente les différentes contributions du recueil : Introduction à la philosophie du limitarisme. Bon, c’est une traduction mécanique (avec OneNote) qui peut contenir quelques couacs… mais elle m’a semblé de qualité suffisante pour soutenir l’intérêt.
Plusieurs autres livres sont aussi sur ma table de travail (virtuelle), dont la trilogie classique de Fernand Braudel, un historien dont j’ai souvent entendu parler mais que je n’avais jamais lu : Civilisation matérielle, économie et capitalisme. Jusqu’ici le premier volume retrace l’histoire des civilisations différentes qui se sont créées autour de la culture de différentes céréales : le blé, le maïs, le riz… Un tour d’horizon magistral. De Nancy Fraser, Qu’est-ce que la justice sociale – Reconnaissance et redistribution. Un recueil de quelques-uns de ses textes sur la justice sociale, la reconnaissance et l’espace public. Avec Guglielmo Ferrero (1871-1942) c’est un italien spécialiste de la révolution française qui a dû s’exiler sous le fascisme mussolinien et qui nous parle des « Génies invisibles de la Cité » avec Pouvoir, aux éditions Belles Lettres. Dans la veine du limitarisme, mais avec une approche plus concrète que philosophique, l’architecte canadien LLoyd Alter vient de publier The Story of Upfront Carbon – How a Life Of Just Enough Offers a Way Out of the Climate Crisis. Un auteur dont je suis les publications sur son blog Carbon Upfront! Et aussi, j’allais l’oublier : L’impasse de la compétitivité, par Benjamin Brice. Ce maître-mot de nos gouvernements qui ne peuvent rien faire qui pourrait nuire à la compétitivité de leur pays…
Finalement, oui je sais il y en a déjà trop3Vous ai-je déjà dit que je suis (un peu) bibliophile, à moins que ce ne soit bibliomane ? , quatre titres un peu plus wild. Des suggestions enthousiastes de mes libraires. Je recopie simplement quelques phrases des 4e de couverture.
Vers un monde univoque – Sur la perte d’ambiguïté et de diversité, par Thomas Bauer :
Partout, que ce soit dans la nature ou dans la culture, la diversité se perd et l’ambiguïté recule. Sur les pas de Tocqueville, de Paul Valéry et de Stefan Zweig, l’auteur pense ces phénomènes comme un mouvement vers un monde de plus en plus univoque. Accompagnant l’exacerbation des affects, les quêtes identitaires et le désir d’authenticité, cette évolution apparaît comme une réponse – inopérante – à la rationalisation et à l’informatisation de la vie, à l’affaiblissement des convictions traditionnelles et à la progressive mise en concurrence généralisée des individus et des groupes
L’expulsion de l’autre, de Byung-Chul Han :
À l’ère de l’hyper-communication, de l’information continue et de la consommation de masse, la figure de l’Autre a disparu. L’Autre (l’ami, la personne désirée ou détestée) se fond désormais dans le flux de notre désir narcissique d’abolir toutes frontières et de s’approprier le monde. Gouvernées par cette « terreur du même », nos vies ont renoncé à la quête de la connaissance, à l’introspection, à l’expérience tout court pour devenir les chambres d’écho des réseaux sociaux où les rencontres sont illusoires. Ce qui peut conduire les individus désorientés et en quête de sens à des gestes extrêmes envers eux-mêmes et envers les autres. Aujourd’hui, ce n’est pas la répression qui nous menace mais notre propre dépression intérieure. Restaurer une société de l’écoute et de reconnaissance de l’Autre est la seule voie de salut pour combattre l’isolement et la souffrance qu’a engendrés un processus d’assimilation aveugle.
Pas de transition sans transe – Essai d’écologie politique des savoirs, de Jean-Louis Tornatore :
Composé en dix-sept tableaux, l’auteur s’appuie sur trois traditions occidentales – l’anthropologie, la recherche théâtrale et la philosophie pragmatiste – pour suggérer la composition d’un art de transe pour le xxI® siècle. A parcourir les passages entre Nord et Sud, à considérer les résurgences de traditions marginalisées ou occultées, à reconnaître les luttes des peuples autochtones et leurs interpellations décoloniales, il interroge la possibilité d’un monde attentionné; un monde où la transe porte entre le visible et l’invisible, et prend également une valeur métaphorique: est-il possible que l’Occident entre en transe? Est-il possible qu’il s’ouvre à une écologie politique des savoirs et des différences pour façonner une réalité acceptable pour la transition écologique des sociétés modernes, vers un monde à plusieurs mondes?
Vallée du silicium, de Alain Damasio :
À San Francisco, au coeur de la Silicon Valley, Alain Damasio met à l’épreuve sa pensée technocritique, dans l’idée de changer d’axe et de regard. Il arpente « le centre du monde » et se laisse traverser par un réel qui le bouleverse. Composé de sept chroniques littéraires et d’une nouvelle de science-fiction inédite, Vallée du silicium déploie un essai technopoétique troué par des visions qui entrelacent fascination, nostalgie et espoir. Du siège d’Apple aux quartiers dévastés par la drogue, de rencontres en portraits, l’auteur interroge tour à tour la prolifération des IA, l’art de coder et les métavers, les voitures autonomes ou l’avenir de nos corps, pour en dégager une lecture politique de l’époque et nous faire pressentir ces vies étranges qui nous attendent.
Notes
- 1213 petites pages
- 2qui se définit comme « une voix dominante de la gauche américaine, offrant des perspectives socialistes sur la politique, l’économie et la culture »
- 3Vous ai-je déjà dit que je suis (un peu) bibliophile, à moins que ce ne soit bibliomane ?
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