énergie propre et patrimoine

[Ajout 8 déc.] Un manifeste paru après la rédaction de cet article : 14 revendications d’un regroupement de la société civile pour un avenir énergétique juste et viable au Québec.

Si vous n’avez pas vu passer la consultation menée par le gouvernement du Québec sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec c’est normal : elle se sera tenue du 1er juin au 2 août, sans tambour ni trompette. C’est un article du Devoir, signé Alexis Riopel, qui m’a mis la puce à l’oreille : Ode à la sobriété énergétique. Une entrevue avec Bruno Detuncq, professeur de génie mécanique à Polytechnique Montréal, à la retraite depuis 2017.

Riopel parlait du mémoire déposé par le professeur dans le cadre d’une consultation dont je n’avais pas entendu parler… J’ai réussi à trouver le site officiel de la consultation, mais pas les mémoires déposés. M. Riopel m’a bien aimablement dirigé vers le site élaboré par le Regroupement Vigilance Hydrocarbures Québec. On peut y trouver le mémoire du professeur Detuncq (Avenir énergétique du Québec – Sobriété et Problèmes énergétiques) de même que 25 autres.

Cette incursion dans le monde de la planification énergétique m’a obligé à me familiariser avec des termes tels le bloc d’électricité patrimonial, accumulateurs de chaleur, tarification dynamique et autres. Mais les enjeux entourant la fourniture d’électricité « propre » pour l’avenir sont très liés à l’atteinte de nos cibles de décarbonation. À l’évidence, il faudra ajouter des capacités de production d’électricité pour remplacer les sources d’énergie fossile dont il nous faut sortir au plus tôt.

De l’énergie à revendre !

Faut-il pour autant continuer de promouvoir le Québec comme terre d’accueil de tous les projets énergivores ? Des batteries pour Hummer, vraiment ? Des parcs de cryptomonnaie ? Plusieurs mémoires présentés lors de cette consultation s’inquiètent de l’orientation productiviste des documents déposés et des questions posées par ce gouvernement.

[L]a lecture des documents fournis en appui à cette consultation et le contenu du questionnaire que vous proposez à la population, auquel nous avons choisi de ne pas répondre, nous font craindre que la cible de décarbonation d’ici 2050 soit un prétexte et non l’objectif réellement visé, qui serait en fait une vigoureuse relance du développement industriel et son cortège de mesures corrosives pour la nature et la société.

Vers la sobriété énergétique, mémoire du RVHQ (je souligne)

Alors que des gouvernements d’autres pays adoptent l’approche sobriété-efficacité-renouvelables, le gouvernement du Québec mise sur la croissance de la production et n’offre qu’un simulacre de consultation sur l’encadrement et le développement des énergies propres au Québec. Nous remettons en question l’idée selon laquelle la demande et la production d’énergie au Québec doivent augmenter de façon « naturelle », continue et apparemment sans limite.

Mémoire de Greenpeace (je souligne)

La sobriété, qui devrait être au premier rang d’un plan de développement d’énergie propre (les kWh évités sont les plus propres !), semble la dernière des préoccupations gouvernementales. C’est vrai que ce gouvernement semble plus intéressé à flatter les désirs d’enrichissement à court terme de ses électeurs (étalement urbain et autoroutes plutôt que transport collectif et densification) que de faire face à la « réelle révolution énergétique, écologique, économique et sociale » (mémoire FTQ) qui est devenue nécessaire.

Parler sérieusement de sobriété, ça veut dire (tous les acteurs s’accordent là dessus) adapter le code du bâtiment afin que tous les nouveaux bâtiments soient d’une efficacité énergétique croissante, allant vers la carboneutralité (2040 ?). Pour le stock de logements déjà construits des interventions plus ou moins lourdes et coûteuses devront être faites. Des interventions difficiles à justifier économiquement considérant que le retour sur investissement est minimisé par la tarification actuelle à bas prix du secteur résidentiel bénéficiant d’un interfinancement des secteurs industriel et commercial. 1Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

La sobriété énergétique d’ici 2050, c’est dans 27 ans, et cela devrait se traduire par une diminution du nombre de voitures automobiles sur les routes. Ce n’est pas juste le ministre Fitzgibbon qui le dit… Ce à quoi le chef s’est empressé de rétorquer que son gouvernement n’avait pas l’intention d’empêcher quiconque de s’acheter une deuxième voiture (« notre approche, c’est vraiment de dire qu’il faut aller vers l’auto électrique »). Ce gouvernement se veut celui de la carotte, et non du bâton ! Mais quand il n’y a pas de carotte où il devrait y en avoir, que se passe-t-il ? Le Québec investi trois fois moins par habitant que son voisin ontarien en transport collectif (1548$ VS plus de 4000$ en Ontario, mémoire du RVHQ).

Les pays européens comme la France et l’Allemagne planifient une réduction importante (40%) de leur consommation d’électricité. Ici, on dirait qu’on favorise une augmentation de la consommation : à chacun sa voiture électrique, son bungalow en banlieue et son chalet à la campagne (ou son voyage annuel dans le sud).

En mettant l’accent sur l’accroissement nécessaire de la production électrique plutôt que sur la transition vers un mode de vie plus sobre et propre… on évite les débats difficiles et les arbitrages nécessaires. On reporte à plus tard ? On laisse à d’autres (aux mécanismes du marché ?) le soin de décider ? C’est ce qui se dessine quand on affirme que la libéralisation du marché de la production est nécessaire pour rencontrer les besoins de demain.

Privatiser ou non ?

La première recommandation du mémoire déposé par la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal :

Recommandation 1 : Ouvrir rapidement le marché de la fourniture d’électricité aux consommateurs industriels à tous les producteurs.

La grande majorité des autres mémoires déposés s’oppose à une telle libéralisation (privatisation) même si plusieurs promeuvent l’autoproduction et l’engagement des municipalités, coopératives et communautés autochtones dans la production d’électricité.

On s’oppose pour s’assurer collectivement du contrôle dans un secteur jugé stratégique… et pour maintenir l’accessibilité (les bas prix) de l’énergie, en pensant particulièrement aux populations pauvres et peu fortunées qui pâtiraient grandement d’une « mise à niveau » du prix de l’électricité vers les coûts réels actuels de développement.

[C]es bas prix contribuent grandement à la très forte consommation des Québécois. Pour réussir la transition énergétique, le gouvernement devra revoir son approche à la communication des prix de l’énergie de manière à conditionner les attentes et comportements des consommateurs.

Mémoire Chaire de gestion de l’énergie

Le Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement du Québec (RNCREQ) est aussi d’avis qu’il faut une tarification reflétant les coûts actuels de développement pour inciter à la sobriété et l’efficacité.

Recommandation 19
Le RNCREQ est d’avis que les tarifs de l’électricité devraient refléter son vrai coût et inciter à la sobriété et l’efficacité énergétiques. Ainsi, le RNCREQ recommande d’étudier et de faire évoluer les tarifications et les autres mesures fiscales en ce sens, tout en développant des mesures de compensation pour ne pas impacter les ménages à faible revenu.

Comme le soulignait la Chaire dans son mémoire, citant une recherche récente : l’annonce d’une augmentation à venir accroit l’impact en terme de changements comportementaux. Adopter un plan annonçant d’avance les changements tarifaires stimulerait d’autant les investissements en sobriété et efficacité que les économies seraient substantielles.

Comment se fait-il que les grands projets de développement immobiliers n’ont pas encore adopté la géothermie (associée à des mesures de stockage local) comme source écologique d’énergie ? Parce que les tarifs résidentiels pratiqués actuellement ne justifient pas de tels investissements. Ni pour Hydro-Québec, ni pour les constructeurs. Pourtant, comme plusieurs le suggèrent, si la production décentralisée (municipalités, coopératives) était favorisée, avec des mesures de stockage et d’échange bi-directionnel permettant de diminuer la pression de pointe sur le système (par exemple en permettant d’utiliser la batterie des autos électriques ou les accumulateurs d’ensembles résidentiels) c’est la productivité de l’ensemble qui y gagnerait.


Il ne faut pas s’attendre à ce que la CAQ se fasse chantre de la sobriété ! Ce gouvernement semble plutôt orienté vers la vente à bon marché des ressources énergétiques et environnementales de ce pays ! Et quand il y aura de l’opposition à transformer chaque vallon et chaque rivière en source d’énergie… on se tournera vers l’énergie atomique ?

En terminant, le mémoire du Front commun pour la transition énergétique est court (8 pages) et se veut surtout un appel au débat et à la prudence. Celui, déjà cité, du Regroupement national des conseils régionaux de l’environnement est le seul, il me semble, à mettre de l’avant le développement des échanges inter-provinciaux. Plusieurs misent sur la sobriété et une approche écologique respectueuse du vivant (Cessons la fuite en avant, Boulimie énergétique écocide, Priorité au vivant, Une décarbonation en harmonie avec le vivant). Le mémoire du professeur Detuncq, Ode à la sobriété énergétique, est celui qui résume le mieux, il me semble, en les quantifiant les besoins d’électrifications des différents secteurs.

Notes

  • 1
    Un accroissement graduel du prix de l’électricité résidentielle permettrait de financer un crédit remboursable pour les ménages à bas revenu en plus de rendre justifiables économiquement les investissements collectifs en énergie propre, et en bi-directionalité pour un réseau plus résilient et productif.

escapade à vélo dans les Cantons

Quelques leçons tirées

Pour une (courte) description du parcours et quelques dizaines de photos et courtes vidéos présentées sur carte interactive, voir la page À vélo dans les Cantons.

Je ne voulais pas simplement reproduire ici la page du voyage, mais plutôt annoncer sa parution pour les abonnés à ce blog (par fil RSS ou par courriel) tout en tirant quelques leçons de mon utilisation des technologies (GPS, photo, e-vélo) durant le voyage.

  1. Les parcours proposés par Strava, que j’ai utilisé pour planifier les deux premiers jours n’était pas toujours adapté au style de randonnée à vélo que je voulais : les propositions privilégiant les voies pavées aux pistes de terre, pour les cyclistes préférant la vitesse (exemple du canal de Chambly);
  2. Par contre l’enregistrement de mon retour vers Montréal s’est fait sans faute, les périodes de pause, d’arrêt et de redémarrage de l’enregistrement se faisant automatiquement sans que j’aie à intervenir (contrairement à d’autres logiciels). J’ai pu facilement exporter les données au format GPX, pour ensuite les importer dans mymaps.google.com que j’ai utilisé pour y inscrire photos et vidéos. J’ai pu exporter le plan de voyage des deux premiers jours au même format, mais comme je me suis écarté assez souvent du plan, j’aurais dû enregistrer aussi mon parcours. Est-ce possible, je ne sais, d’enregistrer un parcours en même temps que de suivre (ou ne pas suivre) les indications d’un plan enregistré par le même logiciel ? Je devrais tester.
  3. Je n’avais pas enregistré mon parcours Bromont-Lac Brome avec Strava, aussi, pour me souvenir du chemin parcouru j’ai dû recourir à l’enregistrement « automatique » de Google Maps, qui assure un suivi plus approximatif de mes déplacements. (Voir Vers La Brome, dans la page À vélo…) Le caractère approximatif est particulièrement évident lorsqu’on s’éloigne des circuits automobiles (vers les pistes cyclables dédiées), comme je m’en suis rendu compte au cours des randonnées des dernières années.
  4. C’est un voyage que nous avions pensé faire l’an dernier, mais à la dernière minute… nous avons choisi l’automobile. Choix judicieux considérant que nous souhaitions aller jusqu’à Magog et Compton… ce que je considère aujourd’hui comme audacieux pour un premier voyage de cette ampleur. Mais ce qui nous avait surtout retenu, c’est l’hypothèse d’un bris mécanique : que faire dans ce cas ? Aussi je me suis abonné à CAA-Qc avant de partir. Un service de dépannage est disponible pour les membres en excursion à vélo… à condition de n’être pas trop loin des circuits automobile afin que le dépanneur puisse s’y rendre. Cela a suffit à nous, me rassurer avant de partir. En fin de compte le problème que j’appréhendais (une crevaison) s’est présenté pendant que nous séjournions chez nos amis (dégonflement durant la nuit) et qu’il y avait pas loin un réparateur disponible. Nous n’avons pas eu besoin du dépannage CAA. Il reste que je trouve ça un peu gonflé de demander le même tarif aux propriétaires de véhicule automobile qu’aux propriétaires de vélo seulement comme moi !
  5. J’ai eu un peu de mal à situer géographiquement certaines photos prises avec mon appareil Sony, qui n’a pas de capteur GPS, contrairement à mon iPhone qui enregistre ces données de géolocalisation en même temps que la photo ou le vidéo. Je devrais donc, systématiquement, prendre une photo-témoin avec le téléphone à toutes les fois que j’utilise le Sony. Ce qui pose inévitablement la question de l’utilité de l’appareil photo : oui, il y adeux fois plus de pixels dans une photo Sony (4000X6000px VS 3024X4032px) mais pour une utilisation-publication en ligne… les différences sont… imperceptibles ?
  6. L’utilisation de mymaps.google.com s’est avérée assez simple et conviviale pour placer les photos sur la carte de notre parcours. À retenir : pour y inscrire des vidéos, j’ai dû d’abord les déposer sur Youtube et y référer dans la carte.
  7. Petit détail : j’avais non seulement épuisé ma batterie de vélo en arrivant à Longueuil le jour du retour, mais aussi la batterie de mon téléphone. La batterie externe pour ce dernier aurait été utile. Je l’avais laissée à la maison pour ne pas m’embarrasser de l’équivalent d’un deuxième téléphone.

ESS, régulation, écologie solidaire

Un résumé critique du livre de Robert Boyer (L’Économie sociale et solidaire Une utopie réaliste pour le XXIe siècle) par Benoît Lévesque dans la Revue de la régulation : L’avenir de l’économie sociale et solidaire : l’éclairage de la théorie de la régulation. À propos du livre de Robert Boyer. Pour ceux et celles qui s’intéressent à l’économie sociale et solidaire, Benoît Lévesque donne le goût de lire le petit livre de Boyer, tout en soulevant quelques bonnes questions.

J’ai bien l’intention de lire le livre de Robert Boyer mais une petite phrase à la fin de l’article de Lévesque a attiré mon attention : « Bernard Billaudot (2022), dans un riche ouvrage, montre que toutes les sociétés sont fondées à la fois sur une vision du monde (une cosmologie) et sur des modalités de justification de leurs activités et de leurs relations. »

Dans un riche ouvrage, ça m’a intrigué. J’ai trouvé cet ouvrage : Société, économie et civilisation. Vers une seconde modernité écologique et solidaire, qui, malgré son fort volume (quelques 3000 pages !) est disponible gratuitement en format epub, pdf ou en ligne.

Si vous n’aviez pas encore de lecture pour la fin de l’été…

Les « Santiago Boys », par E. Morozov

Les « Santiago Boys »… La technologie comme elle aurait pu devenir !
Une histoire folle sur la façon dont les ingénieurs d’Allende et un consultant en gestion britannique (Stafford Beer) ont osé défier les entreprises et les agences d’espionnage – et ont presque gagné.

The Santiago Boys : une série de 9 épisodes d’une heure, par Evgeny Morozov. Résultat de plus de deux ans de recherche, des centaines d’entrevues, cette série met en lumière une vision de la technologie qui se voulait au service de la révolution d’Allende. Un rappel à la veille du cinquantième anniversaire du coup d’État contre Salvator Allende fomenté par ITT et la CIA.

À noter : il vous faudra quelque temps pour vous faire l’oreille à un anglais aux accents biélorusses (ou encore latinos)… mais ça en vaut la peine, je crois. Une saga internationale digne d’un James Bond ! 

Le site web (the-santiago-boys.com) accompagnant les podcasts qui est un modèle de documentation.

l’espace et le temps

Lectures d’été

Il arrive des moments où je ne sais plus où donner de la tête. Particulièrement durant l’été, où les échéances s’étirent ou s’estompent… où on peut se permettre d’être encore plus dilettante, explorateur que d’habitude. Je me demande si je dois poursuivre ma lecture du deuxième tome de la somme 1deux fois 800 pages! Une histoire de la philosophie, volume sous-titré Liberté rationnelle – Traces des discours sur la foi et le savoir, par Jürgen Habermas. J’en suis à la page 155, juste après le chapitre La séparation de la foi et du savoir : protestantisme et philosophie du sujet et avant d’aborder Au croisement de la pensée postmétaphysique : Hume et Kant. J’en suis à la deuxième de ce que l »auteur appelle ses Considérations intermédiaires. Un coup d’oeil à la table des matières des chapitres qui me restent à lire. Ça s’annonce passionnant :

Chapitre VIII. Au croisement de la pensée postmétaphysique : Hume et Kant

  1. La déconstruction par Hume de l’héritage théologique de la philosophie pratique
  2. L’explication anthropologique des phénomènes du droit et de la morale
  3. La réponse de Kant à Hume : le sens pratique et l’arrière-plan relevant de la philosophie de la religion du tournant transcendantal opéré par la philosophie
  4. La justification postmétaphysique d’un intérêt intrinsèque à la raison

Chapitre IX. L’incarnation de la raison dans le langage : de l’esprit subjectif à l’esprit « objectif »

  1. Les impulsions politiques, économiques, culturelles et scientifiques poussant au changement de paradigme
  2. Les motifs conduisant au tournant linguistique chez Herder, Schleiermacher et Humboldt
  3. L’assimilation de la foi au savoir opérée par Hegel : le renouvellement de la pensée métaphysique après Kant
  4. La raison dans l’histoire : autonomie contre mouvement autonome du concept

Troisième considération intermédiaire. De l’esprit objectif à la socialisation communicationnelle des sujets connaissants et agissants

Chapitre X. La contemporanéité des jeunes hégéliens et les problèmes de la pensée postmétaphysique

  1. Le tournant anthropologique de Ludwig Feuerbach : sur la forme de vie des sujets incarnés organiquement et socialisés sur le mode communicationnel
  2. Karl Marx sur le thème de la liberté située historiquement des sujets productifs et politiques
  3. L’écrivain religieux Sören Kierkegaard sur la liberté éthique et existentielle de la personne individuée du point de vue biographique
  4. Des processus d’interprétation entre rapport à la vérité et rapport à l’action : Peirce, initiateur du pragmatisme
  5. Sur le mode d’incarnation de la raison dans les pratiques de la recherche et de la politique
Une histoire de la philosophie, tome II, J. Habermas, 2023

J’ai pris une pause dans cette lecture pour me plonger dans une plaquette (119 pages) du même auteur : Espace public et démocratie délibérative : un tournant. Ça me semblait un élément pertinent pour une réflexion sur les enjeux liés au développement d’initiatives telle Projet collectif et ses Praxis et En commun… Bon, je n’ai pas encore formulé cette réflexion, j’ai bien quelques notes écrites mais pas encore de billet. J’ai par la suite pris congé des lectures sérieuses en lisant un « policier-techno » : Red Team Blues, de Cory Doctorow. Une histoire de « forensic accountant » (comptable-criminaliste ?), de crypto-monnaies et de rêve californien…

De fait, ça fait un certain temps que j’ai délaissé Une histoire de la philosophie, car j’ai entretemps lu la monographie de Robert Boivin, Histoire de la clinique des citoyen de Saint-Jacques.

La Clinique des citoyens, Bonnie Sherr Klein, offert par l’Office national du film du Canada

Ce qui me donnait matière à contextualiser un autre billet en préparation : sur les années 1970-1973 dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve autour du projet de Centre communautaire de santé. Je me suis replongé dans des documents d’archives rassemblés il y a longtemps, ou dont j’ai hérité récemment (Merci Jean P.-R.). Yves H. me suggérait aussi de lire la biographie de Robert Burns, qui fut élu député de ce quartier en avril 1970. Et effectivement je trouve des traces de la pensée « hyper-démocratique » (c’est le qualificatif qui me vient !) de Burns dans un projet lié à un colloque tenu cet été là au Collège Maisonneuve.

Je me suis plongé avec d’autant plus d’intérêt dans ces documents d’archive que j’y trouvais des traces de l’action menée par Annette Benoît, PSA, dans et autour du projet de proto-CLSC, cette Petite soeur de l’Assomption qui a célébré son centenaire récemment. J’ai la chance de m’entretenir avec elle régulièrement depuis quelques années, aussi elle a pu m’éclairer sur la dynamique à l’oeuvre dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve de cette époque, il y a 50 ans. C’est un autre billet sur lequel j’accumule des matériaux : le centenaire d’une activiste, d’une entrepreneure sociale. J’ai un peu de difficulté à séparer les contenus de ce billet et du précédent : les années 70-73 dans le quartier. Je devrai sans doute les rédiger en même temps, pour référer de l’un à l’autre…

Il y a aussi ces auteurs découverts récemment : Hartmut Rosa2Remède à l’accélération; Rendre le monde indisponible; Andreas Malm3Comment saboter un pipeline; L’anthropocène contre l’histoire; Chris Otter4Diet for a Large Planet – Industrial Britain, Food Systems, and World Ecology. Pour ce qui est d’Andreas Malm, j’ai pu lire une introduction critique Le kaléidoscope de la catastrophe : lumières et opacités chez Andreas Malm. C’est Hartmut Rosa qui m’intéresse le plus en ce moment.

Notes

  • 1
    deux fois 800 pages!
  • 2
    Remède à l’accélération; Rendre le monde indisponible
  • 3
    Comment saboter un pipeline; L’anthropocène contre l’histoire
  • 4
    Diet for a Large Planet – Industrial Britain, Food Systems, and World Ecology

populisme et démocratie

C’est un sujet déjà abordé ici et là dans ce carnet. J’y reviens aujourd’hui avec L’esprit démocratique du populisme, (EdP) par un sociologue italien (Frederico Tarragoni), publié en 2019 aux éditions La découverte. Le tour d’horizon historique et géographique de la question me semble plus complet que ce que j’avais lu jusqu’ici sur la question : notamment à propos des nombreuses expériences latino-américaines.

Parmi les racines historiques du populisme, il y a le « People’s Party » américain qui connut ses heures de gloire à la fin du XIXe en rassemblant les revendications des fermiers appauvris, des noirs du sud, des femmes… que Thomas Frank avait décrit dans Le populisme voilà l’ennemi ! et que j’ai commenté ici. Tarragoni reconnait l’importance de ce mouvement en Amérique, mais il fait remonter l’origine du populisme au mouvement narodnischestvo de Russie où des intellectuels qui se définissent comme des démocrates révolutionnaires « vont au peuple ».

« En Amérique latine, le populisme n’est pas resté, comme en Russie et aux États-Unis, une simple idéologie de crise. Il s’est institutionnalisé et à profondément changé les sociétés nationales et les manières de faire la politique. » (EdP, 215) Le populisme apparaît durant les années 1930 à 1960 dans tous les pays d’Amérique latine sur fond de crise des républiques oligarchico-libérales. La crise de 1929 accentue l’exclusion et la paupérisation amenant des mobilisations de masses dans les quartiers populaires des grandes villes (barrios, villas, barriadas ou favelas, selon les appellations nationales) qui seront captées par de nouveaux leaders charismatiques.

Une fois au pouvoir ces « partis-mouvements » populistes mettront en oeuvre des politiques axées sur le développement d’économies de substitution des importations et la reconnaissance de nouveaux droits sociaux.

« Parallèlement, la classe dirigeante de l’État se diversifie : la classe moyenne y occupe désormais un rôle prépondérant !

De leur côté, les classes populaires voient le stigmate public dont on les affublait du temps des républiques oligarchico-libérales, complètement inversé. Les populismes font d’elles le fondement même de la nation, à l’instar du « descamisado » (l’ouvrier « sans chemise ») de Juan’ Domingo Perón ou de la « querida chusma » (la « chère populace ») de José María Velasco Ibarra en Équateur et Jorge Eliécer Gaitán en Colombie.
Plus encore : c’est désormais du point de vue du « peuple pauvre », de ses valeurs, de ses besoins et de ses attentes, que l’on va repenser tout le processus de modernisation, voire la modernité même. » (EdP p. 225)

Tarragoni décrit l’émergence des populismes classiques d’Argentine (péronisme), du Brésil (gétulisme, pour Getúlio Vargas), du Mexique (cardénisme, pour Lazaro Cardenas) et puis des néo-populismes plus récents du Vénézuela (Chavez puis Maduro), de Bolivie (Morales) et d’Équateur (Correa).

Ce qui l’amène à formuler une nouvelle « théorie du populisme » où il distingue trois caractères communs des expériences analysées. D’abord le contexte marqué par l’incapacité de l’État à répondre aux multiples demandes démocratiques, un État lui-même en crise, miné par la corruption, l’augmentation des inégalités et la désagrégation des droits sociaux. La deuxième caractéristique commune est le rôle du charisme dans l’adhésion populaire à l’idéologie populiste. La troisième caractéristique est l’apparition de mouvements populaires interclasses. « Il n’est pas de populisme sans mobilisation des classes populaires précarisées, dans toute leur pluralité interne, mais également des fractions déclassées de classes moyennes. » (p. 266)

Trois moments de la dynamique populiste se suivent et se superposent : la crise, où la légitimité l’État est mise en cause, qui donne naissance à une forte mobilisation populaire interclassiste aspirant à créer un nouveau peuple démocratique, inspiré, dirigé par des leaders dans lesquels il se reconnaît. Puis, dans sa phase d’institutionnalisation, le populisme refonde constitutionnellement la démocratie, reconnaissant de nouveaux droits aux exclus d’hier.

« Cependant, en faisant participer la société civile populaire à l’élaboration de la politique sociale de l’État, le populisme lui offre une sorte de cadeau empoisonné. Il l’intègre de manière semi-corporative au fonctionnement de l’État et tend à réduire son autonomie par rapport à lui. Cette autonomie et vitale pour la société civile populaire, car celle-ci s’est constituée, dans la phase de mobilisation populiste, en luttant contre l’État. » (p. 294)

Une intégration de la société civile qui peut mener à des restrictions sur les libertés civiles chères aux sociétés bourgeoises libérales. Ce qui peut parfois conduire les états populistes à l’autoritarisme, ou même au fascisme.

Il suffit de penser à l’Argentine du deuxième péronisme, à l’Estado novo de Vargas, qui fut un régime expressément fasciste, ou aux évolutions liberticides des gouvernements de Chavez et Maduro, Morales et Correa. Tout en élargissant de manière démocratique certaines libertés positives1la possibilité, le droit de faire quelque chose des exclus, le populisme au pouvoir tend à réduire de manière autoritaire d’autres libertés négatives2absence d’entrave à la libre jouissance de soi-même, affaiblissant du même coup les médiations collectives entre la société et l’État. (p. 295)

Mais cette dérive autoritaire n’est pas obligatoire, dans la vision du populisme de Tarragoni. Au contraire, pourrions-nous dire, puisqu’il fait de la demande de plus de démocratie une caractéristique (radicalement démocratique) essentielle du populisme.

Après avoir décrit l’expérience latino-américaine, l’auteur se demande si l’Europe n’est pas à vivre une latino-américanisation à travers les mouvements Syriza grec, Podemos espagnol, cinq Étoiles italien et, dans une moindre mesure (hémiplégique) le Nuit debout et France insoumise.

Des trois premières expériences européennes, la seule qui n’a pas abandonné son programme ou trahi ses principes, est celle qui a refusé de participer au gouvernement. Certes il est plus facile de garder la pureté de son programme et de ses intentions quand on reste dans l’opposition.

Tarragoni termine son livre en rêvant d’une Europe refondée politiquement grâce à une alliance entre populismes de gauche et partis sociaux-démocrates. Une alliance au delà des frontières nationales, radicalement démocratique seule capable de faire opposition au néolibéralisme.


J’ai apprécié ce livre pour sa revue historique et sociologique des expériences latino-américaine et son tour d’horizon des mouvements populistes de l’Europe (occidentale) contemporaine; pour sa théorie de la nature profondément démocratique du populisme historique, réel.

Les politiques clientélistes d’un gouvernement comme celui de la CAQ ne sont pas populistes, elles ne sont qu’opportunistes. Quand on n’a à offrir comme idéal que celui de s’enrichir personnellement, à l’heure où les richesses accumulées et gaspillées étouffent et empoisonnent la planète… c’est une philosophie qui confine à l’obscénité.

Notes

  • 1
    la possibilité, le droit de faire quelque chose
  • 2
    absence d’entrave à la libre jouissance de soi-même

la bataille du siècle

lectures récentes (3)

« Les très bons objectifs sont ceux qui, au moment où on les lance, sont hors de portée de nos moyens de départ, mais qui nous permettent de créer des dynamiques d’accumulation de forces en cours de route, qui nous donnent la capacité de les atteindre finalement. »

La bataille… page 71

Jon Palais, militant de la question climatique

Il s’est engagé sur la question climatique avec l’association basque Bizi ! après avoir commencé à militer à Greenpeace. Co-fondateur des mouvements climat Alternatiba en 2013 et Action Non-Violente COP21 en 2015, il a participé au lancement des Camps climat en France, et à l’animation de nombreuses mobilisations et campagnes d’actions non-violentes depuis une dizaine d’années.

Quatrième de couverture

À partir de ses expériences l’auteur identifie les principes qui l’ont guidé ou les leçons qu’il a tirées afin de porter un mouvement, qui s’est développé rapidement dans des dizaines de localités, et s’est exercé à des actions à l’échelle nationale, vers une échelle plus grande, un rapport de force capable d’obtenir des changements plus rapides et significatifs.

Palais nous fait vivre la mobilisation pour bloquer ou déranger la tenue d’une conférence internationale des pétrolières qui allait se tenir quelques mois à peine après l’accord de Paris 2015… Il nous introduit au réseau Alternatiba.

« [Nous devons] nous organiser sous la forme d’un réseau décentralisé de groupes, à la fois autonomes et connectés les uns aux autres.

Trois grands axes complémentaires peuvent guider le développement d’un tel réseau de groupes, qui correspondent à trois valeurs déjà bien développées dans les mouvements écologistes : la résilience, la résistance, et la solidarité.

la résilience correspond au développement des alternatives. Les alternatives seront toujours le cœur de notre capacité d’adaptation aux changements de contextes : il s’agit des moyens concrets permettant de vivre autrement;
L’axe de la résistance correspond à notre capacité à nous opposer, nous interposer, et à empêcher les projets et les activités qui aggravent le dérèglement climatique et la destruction écologique. (…) [T]out projet climaticide que nous empêcherons sera une victoire partielle mais très concrète dans la limitation du dérèglement climatique.
Le troisième axe est celui de la solidarité, qu’il faudra défendre face aux réactions de repli identitaire, aux logiques de clan, de compétition et d’individualisme, d’intolérance, qui peuvent facilement être exacerbées en cas de perturbation du système actuel, tant par le libéralisme autoritaire que par l’extrême droite. (p. 249-50)

Après avoir mené des actions dans des dizaines de territoires différents en même temps, (…) nous devons désormais nous projeter dans des actions décentralisées sur des centaines de territoires simultanément. Tout en inscrivant cette action dans une mouvance internationale. »

Les principes d’action mis en pratique par ce mouvement sont liés à l’approche non-violente qui permet d’accueillir des publics plus largement, et facilite l’intégration des nouveaux. Une formation politique à partir de la pratique plutôt qu’à partir des livres et théories. Une grande attention est portée aux processus démocratiques afin que les intellectuels, les « grandes gueules » ne prennent trop de place… afin que tous s’expriment et contribuent. Des principes de rigueur, de ponctualité… qui sont parfois difficiles à accepter pour certains, mais qui permettent une efficacité nécessaire. La rigueur n’exclut pas les moments festifs!

Il faut porter une attention fine à l’accueil et l’inclusion des nouveaux, jeunes ou vieux, au sein du mouvement, une attention qui doit être continue, soutenue car il y a une tendance spontanée à faire évoluer l’organisation vers un cercle militant, exigeant, certains diraient woke. Un cercle où il devient difficile d’entrer à moins de satisfaire à une liste de critères.

Radicalo-pragmatisme, pour un mouvement à la fois radical et populaire.
L’exemple de la monnaie locale1Une monnaie complémentaire qui ne peut être utilisée que sur un territoire donné Eusko (monnaie locale du Pays Basque), comme outil de relocation de l’économie, mais aussi comme levier pour « flécher le type d’activités économiques où elle peut être dépensée, sur la base d’un cahier des charges qualitatif. » Ce cahier de charges aurait pu être maximal, ce qui aurait réduit les utilisateurs à ceux qui ont déjà des pratiques « vertueuses ». Il pourrait aussi être minimal, et laxiste ce qui toucherait plus de monde mais ne changerait pas les pratiques. Un cahier de charge progressif a plutôt été élaboré où le nombre de critères à l’entrée a été réduit à 2, à partir d’une longue liste, la démarche collective devant par la suite faire progresser le commerçant participant vers plus de qualités.

« Ce système de monnaie locale complémentaire permet de doubler la monnaie : quand vous avez échangé 100 euros contre 100 euskos, vous n’avez perdu aucun pouvoir d’achat, car vous pouvez acheter les mêmes quantités de pain, de bière, de légumes, que si vous aviez utilisé vos 100 euros. Mais les 100 euros que vous avez échangés contre vos 100 euskos n’ont pas disparu, ils existent toujours quelque part : ils sont placés dans un fonds à la Nef, une banque éthique qui ne finance que des projets répondant à des critères écologiques et sociaux.

La bataille du siècle, page 75

Des logiques d’alliances. Palais décrit deux luttes menées en 2012 contre des projets imposés par le groupe Vinci qui se mènent simultanément : contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, et contre le projet de Ligne à Grande Vitesse (LGV) au Pays Basque.

Les expériences d’alliance avec des maires du PS alors que la politique du Parti était conspuée, dans la bataille du LGV; ou d’alliance avec des maires de droite dans le premier cas… lui permettent de critiquer les positions « puristes » et d’affirmer l’indépendance politique de la démarche.

La mobilisation citoyenne. La description minutieuse de la campagne des Faucheurs de chaises, qui visait à dénoncer l’évasion fiscale soutenue par les grandes banques, met en lumière la tactique de l’action dilemmatique qui consiste à mettre l’adversaire devant des choix qui lui sont tous défavorables. À 34 reprises des militants sont entrés dans des succursales bancaires pour y faire des « réquisitions citoyennes » de chaises. Près de 200 chaises ont été ainsi « réquisitionnées ». Elles seraient remises à leurs propriétaires quand ceux-ci rembourseront l’impôt dû ! Les banques ont riposté en poursuivant des leaders, mais se sont rétractées, finalement, n’osant pas se présenter au tribunal devant le ridicule de leur situation. Dans un autre coup publicitaire, elles ont été finalement déposées devant le siège social de la BNP, et laissées aux bons soins des policiers qui avaient établi un cordon de sécurité.

Village des alternatives Alternatiba Dans le creux de la vague du mouvement pour le climat, en 2011-12 les militants de Bizi! décident d’organiser un « village des alternatives » qui occupera tout le centre-cille de Bayonne où des dizaines de kiosques, des activités culturelles, des banquets sont organisés, après un an de préparation, pour rendre plus concrète la problématique du climat : « plutôt qu’un sujet flou et inaccessible, les alternatives qu’on souhaite mettre en avant sont au contraire très concrètes, tangibles, et liées à notre vie de tous les jours. Elles sont déjà présentes sur nos territoires au niveau local, on peut les voir, les toucher, les goûter, les expérimenter concrètement. » Une initiative qui fera florès : dans les deux années qui suivent, on voit éclore cent « villages des alternatives » « principalement en France mais aussi dans d’autres pays, en Autriche, en Allemagne, en Belgique, en Suisse, au Royaume-Uni, en Haïti et au Sénégal, où s’organisent également des Villages des alternatives  » Alternatiba « ».

La mobilisation autour de ces Villages favorise l’implication de gens qui ne s’étaient jamais engagés auparavant. Et ce travail ne se fait pas que par Twitter, Facebook ou TikTok ! Ce sont les réseaux sociaux réels, les paroisses, les marchés publics, les boulangeries qui sont parcourus, sollicités…

Avoir des chorales un peu partout dans le Village le jour J crée ainsi une ambiance festive et conviviale, tout en donnant à voir concrètement comment la philosophie « moins de biens, plus de liens » peut contribuer à inventer une société bas-carbone joyeuse, épanouie et enrichissante. Les chorales, qui ne s’étaient pas mobilisées pour le climat jusqu’ici, se retrouvent à jouer un rôle important dans l’atmosphère et le message politique de l’événement. (…) Pendant des mois, des centaines d’associations et d’acteurs divers qui n’ont a priori aucun lien avec la lutte pour le climat mettent ainsi à l’ordre du jour de leurs réunions la possibilité de participer au Village.

La méthode de mobilisation d’Alternatiba montre ainsi comment une approche par la pratique et un travail autour des réseaux sociaux physiques entraînent des dynamiques de mobilisation populaires intégrant des publics diversifiés. Cette méthode a contribué à construire des strates du mouvement climat en intégrant des personnes au-delà des cercles purement militants et politisés.

La bataille… p. 127 et 141

Des stratégies de mobilisation qui se sont appliquées pour s’opposer à la transformation de logements en AirBnB… ou encore pour « décrocher Macron » en l’interpelant Climat, justice sociale : où est Macron ?

Jeudi 21 février 2019, des militants d’ANV-COP21 entrent simultanément dans quatre mairies à Lyon, Paris, Biarritz et Ustaritz, y décrochent le portrait officiel du président Macron et repartent avec. (p. 163)

La bataille devra se mener à la fois contre le capitalisme prêt à tout pour continuer ses pratiques prédatrices et contre une droite qui se durcit, une extrême-droite qui s’organise. Une bataille qui sera longue, malgré l’urgence qui s’accroit. La seule certitude, c’est que rien n’est certain… et qu’il faut être prêt à pallier aux effets néfastes qui se multiplient, par résilience et solidarité, tout en étant préparé à saisir les opportunités qui s’offriront de faire avancer le message, grandir les réseaux et capacités de résistance, faire des gains qui amélioreront notre rapport de forces.

Ce livre est un manifeste contre le défaitisme et en ce sens on pourrait le rapprocher de celui que je commentais précédemment : How to be a climate optimist ? Mais c’est un optimisme bien différent car il se base d’abord sur une compréhension fine de l’engagement social et de la lutte politique. Palais ne fait que très peu, ou pas du tout de référence aux nouvelles sources d’énergie ou aux enjeux liés à la transformation des procédés industriels… La promotion de l’agriculture paysanne et biologique ou encore la critique de l’hyper mobilité ancrent son récit dans une approche de la décroissance matérielle permettant une sobriété heureuse.

Partir du terrain, de la pratique pour mobiliser largement, sortir des cercles militants et faire des alliances stratégiques pour développer une « écologie populaire », ce sont des principes que Jon Palais articule de manière convaincante dans son livre. Si j’avais à identifier une faiblesse, c’est dans la dimension internationale du mouvement qui devra être développée. Il le dit lui-même :

Comme beaucoup d’autres phénomènes en France, les mouvements militants de l’hexagone sont assez autocentrés sur la France métropolitaine. Là aussi, il y a un changement d’échelle à penser. Même si nous avons énormément de chantiers à réaliser à l’échelle française, le développement de la dimension internationale du mouvement climat global doit faire partie des priorités. (p. 275)

La question qui se pose en terminant ce « guide » est celle, politique : le changement d’échelle sera-t-il suffisant pour forcer les formations politiques en place à se réformer, se métamorphoser (pour reprendre un terme cher à Bizi!) ? Ce qui me semble une belle introduction au prochain billet portant sur le livre L’esprit démocratique du populisme, par Frederico Tarragoni.

Notes

  • 1
    Une monnaie complémentaire qui ne peut être utilisée que sur un territoire donné

un optimiste du climat

Lectures récentes (2)

How to be a climate optimist, par Chris Turner

Un auteur canadien vivant à Calgary, Chris Turner collectionne les bons coups, les avancées technologiques et politiques (dont plusieurs canadiennes) qui lui permettent d’être encore « optimiste » face à l’avenir climatique. La qualité de son travail lui a valu de gagner le prix Shaughnessy Cohen 1Pour une œuvre politique, décerné par la Société d’encouragement aux écrivains canadiens, est attribué à l’auteur d’un ouvrage non romanesque qui traite d’un sujet politique et qui éveille l’intérêt des lecteurs canadiens tout en approfondissant leurs connaissances sur ce sujet..

Il n’est pas seul à être optimiste, Jon Palais, dans son livre La bataille du siècle sur lequel je reviendrai bientôt, disait « il faut toujours combattre le défaitisme structurel qui est resté très fort dans le milieu politisé et militant écologiste. Il y a une tendance à l’autoflagellation, aux discours pessimistes, aux récits selon lesquels tout est déjà perdu, qui explique une part significative du niveau encore trop faible de notre rapport de force. Le défaitisme est la première condition pour garantir une défaite. » Et aussi « « Il faut allier le pessimisme de la raison à l’optimisme de la volonté », écrivait Antonio Gramsci. Mais il y a aussi un optimisme de la raison. En quoi la transformation de notre société à partir d’alternatives déjà existantes serait-elle moins faisable que d’autres prouesses dont nous avons été capables ces dernières décennies ? Comment s’imaginer incapables d’organiser des villes sans voitures alors qu’on a été capables d’envoyer des hommes marcher sur la Lune ? »  (je souligne).2Mariana Mazzucato, dans son livre Mission Economy est aussi une optimiste qui fait appel à l’esprit du projet Apollo sans que ses arguments soient tout à fait convaincants

Mais revenons à Turner dont la prose engageante nous fait voyager, en tant qu’enfant d’une famille de militaire puis en tant que reporter pour visiter le siège social de Unilever en Allemagne ou encore diverses initiatives autochtones canadiennes en matière d’énergie photovoltaïque. Il me fait découvrir cette compagnie montréalaise dcbel, qui permet de transformer son véhicule électrique en génératrice d’appoint en cas de panne du réseau, ou encore le fait que la Colombie Britannique a adopté un code du bâtiment ( le British Columbia’s pioneering Energy Step Code) visant à faire que chaque (nouvelle ?) maison soit « net zéro » en 2032. Il raconte avec verve les origines et l’impact qu’a eu le projet Energiewende (transition énergétique) en Allemagne. Nous allons visiter une petite île danoise qui expérimente un réseau électrique intelligent…

Turner se fait le chantre d’un optimisme quasi euphorique (« What I mean is dammit this transition has to be optimistic. It has to have some excitement to it, at least a little exuberance, the promise of euphoria » p. 255). C’est probablement plus attrayant en tant que conférencier. Je suis même d’accord avec lui quand il affirme « The global energy transition has to be not a flight from danger but a march, even a race, toward a better world (…) People, masses of them, don’t build something much better in panic and terror. » (pp. 252, 255). Il est tellement optimiste que, d’après lui le scénario d’augmentation de la température à 2,50C est le pire qui puisse arriver ! (the 2.5°C scenarios now strike me as verging on the worst case.) Cet optimisme de principe vise à amadouer le quidam qui, on le sait, a plus peur de perdre maintenant qu’envie de gagner plus tard. Comme dit si bien l’adage : « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Mais le parti pris technophile de Turner est un peu trop insistant et facile. Très peu de remise en question du tout pour l’auto, même si sa couverture positive des villes plus denses et complètes (quartiers de 15 minutes) et ses références incidentes à la bicyclette pourraient ouvrir à une telle critique. Restons positifs, tel semble être le motif, la stratégie principale : pour compenser les discours trop défaitistes, sans solution. C’est d’ailleurs la principale critique qu’il adresse à Wallace-Wells et son The Uninhabitable Earth, qui disent qu’il faut changer de paradigme, freiner la consommation, réduire la dépense énergétique : on ne répond pas au Comment ! Comment faire pour changer de paradigme. Les discours s’arrêtent le plus souvent au constat, à la liste des catastrophes actuelles ou attendues, avec souvent comme sous-texte qu’il est (presque) trop tard. Autrement dit on est toujours positif sauf quand il s’agit des environnementalistes à qui il réserve ses pires critiques.

L’auteur raconte avec enthousiasme la construction d’une nouvelle usine d’aluminium au Lac St-Jean3et avec autant d’enthousiasme l’arrivée des F150 électriques qui auront besoin de beaucoup de cet aluminium avec un nouveau procédé plus propre en oubliant d’inclure dans le portrait les dégâts que causent l’extraction de l’alumine (alumina)en provenance de l’Amazonie ! (De quelle couleur est votre aluminium ? En anglais)

On ne peut pas dire que la dimension humaine ou politique soit absente de son essai, c’est même une des parties les plus intéressantes : quand il parle des initiatives autochtones en matière d’énergie photovoltaïque… Mais la solution ne viendra pas de l’ONU, dit-il en tête de chapitre. Il faudra encore des Walmart et des Siemens dans le monde de demain. Pour répondre aux besoins quotidiens des gens autant que pour les déplacer dans les trains du futur…

L’égoïsme, les comportements inadmissibles des minorités riches et des corporations aveugles ? On ne les rencontre pas dans cette hagiographie4Des histoires de saints des innovateurs, des technologies prometteuses, des projets expérimentaux et des miracles nécessaires…

C’est vrai, on ne construit pas un monde meilleur dans la précipitation, encore moins dans un état de panique. Et qu’on n’attire pas les abeilles avec du vinaigre. Mais je ne peux m’empêcher, en terminant ce livre primé comme le « meilleur essai politique canadien », d’avoir un arrière goût d’aluminium dans la bouche. Oui le chemin parcouru au cours des dix ou vingt dernières années est fantastique, surtout quand on se centre, pour les besoins de la démonstration, sur certains aspects de la réalité : les avancées technologiques, les changements rapides d’attitudes…

Mais la rapidité avec laquelle les changements climatiques additionnent les catastrophes, les précédents, les points de bascule potentiels devrait nous inviter à la prudence dans notre optimisme. L’optimisme euphorique dans ce contexte confine à l’inconscience et au déni confortable du repu.

Turner propose une longue citation d’une scientifique (Katharine Hayhoe), où elle souligne que l’information qui a eu le plus d’impact dans ses communications sur le climat est d’avoir dévoilé qu’elle est Chrétienne. La science n’est pas suffisante, c’est l’identification avec le porteur de nouvelles qui pèse, comme on a pu s’en apercevoir pendant la pandémie. L’argument scientifique, la logique et la raison n’ont que peu de poids devant l’habitude, l’intérêt personnel immédiat et le conformisme.

La politique est un rapport de force, c’est ce que n’oublie jamais Jon Palais, dans La bataille du siècle, qui sera l’objet de mon prochain billet.

Notes

  • 1
    Pour une œuvre politique, décerné par la Société d’encouragement aux écrivains canadiens, est attribué à l’auteur d’un ouvrage non romanesque qui traite d’un sujet politique et qui éveille l’intérêt des lecteurs canadiens tout en approfondissant leurs connaissances sur ce sujet.
  • 2
    Mariana Mazzucato, dans son livre Mission Economy est aussi une optimiste qui fait appel à l’esprit du projet Apollo sans que ses arguments soient tout à fait convaincants
  • 3
    et avec autant d’enthousiasme l’arrivée des F150 électriques qui auront besoin de beaucoup de cet aluminium
  • 4
    Des histoires de saints