la santé ou la médecine à l’acte ?

Le débat entourant la rémunération des médecins, en particulier les spécialistes, risque fort de se limiter au décompte, en dollars et en cents, qui est le plus, qui est le moins payé ? Combien faudrait-il investir de plus en services infirmiers ?

Dans un « Duel économique » La Presse demandait à deux groupes de recherche, l’un de droite (Institut économique de Montréal) et l’autre de gauche (Institut de recherche et d’informations socioéconomiques), de se prononcer sur les causes des problèmes de notre système de santé. Les deux groupes conviennent du fait qu’il s’agit plus d’un problème d’organisation que d’argent. Mais alors que l’IEDM conclut en demandant que les hôpitaux soient « financés à l’activité », l’étude de l’IRIS, publiée en janvier 2017, démontre clairement qu’un tel mode de financement ne règlerait pas les problèmes.

Dans L’allocation des ressources pour la santé et les services sociaux au Québec : État de la situation et propositions alternatives, l’IRIS fait un retour sur 25 années de réformes du réseau de la santé; décrit les conséquences néfastes qu’un financement à l’activité (promu comme la solution miracle par plusieurs, dont l’IEDM) aurait; relate les difficultés posées par la rémunération médicale actuelle et propose 7 pistes de solutions pour un réseau de santé public, démocratique et décentralisé :

 

  1. Rompre avec la gouvernance entrepreneuriale
  2. Ne pas implanter le financement à l’activité
  3. Accroître le nombre d’actes que peuvent effectuer des professionnelles de la santé autres que les médecins
  4. Abolir le statut de travailleur autonome des médecins et modifier leur
    mode de rémunération
  5. Réduire la rémunération des médecins québécois
  6. Restituer l’autonomie des CLSC, accroître leurs pouvoirs et leur assujettir les GMF
  7. Accroître la transparence du réseau de la santé et des services sociaux

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Dans un article révélateur («Au salaire qu’on te paie») retraçant un échange anonyme avec un urgentologue, Patrick Lagacé, de La Presse, citait le médecin décrivant les conditions difficiles de son travail : « Ces patients sur civière… Ils ont une moyenne d’âge de plus de 80 ans. Ils n’ont pas été réévalués depuis leur arrivée pour la plupart et ils sont là depuis plus de 18 heures. » (c’est moi qui souligne).

Ces patients âgés, dont plusieurs ont été transportés en ambulance (sans doute après la venue des pompiers comme « premiers répondants ») en provenance de CHSLD ou de résidences pour personnes âgées auraient mérité pour plusieurs qu’on les soignent chez eux. Jean-Robert Sansfaçon, éditorialiste au Devoir, soulignait il y a quelques jours dans Le tout-à-l’hôpital, à quel point les services à domicile ont été négligés. Mais il n’a pas relevé cette contradiction : les CHSLD et résidences collectives sont le domicile de personnes âgées qui devraient avoir accès à des services médicaux beaucoup plus soutenus. Cela libérerait certainement quelques corridors d’hôpitaux, tous en soulageant des gens malades et âgés du besoin de se déplacer pour mieux convenir à une chaine de production inique.

RLS et RLiS

Un atelier sur les réseaux locaux de services avait lieu mercredi dernier dans le cadre des JASP. Plusieurs interventions ont au cours de la journée mis en lumière des expériences intéressantes d’action locale en réseau visant la meilleure santé des populations. Mais aussi plusieurs ont souligné les difficultés, les freins qu’il faut dépasser, éviter pour qu’une véritable gouvernance en réseau se développe. Pas facile en effet de faire se concerter des organisations et professions qui ont toutes à défendre leur version de l’autonomie, des priorités, des meilleures méthodes… Et le rôle du CSSS dans tout ça ? Responsable ? Coordonnateur ? Animateur ?

On parle de « leadership partagé ». Un concept qui semble plus facile à énoncer qu’à incarner ! surtout lorsque votre propre leadership est soumis à des pressions directes pour plus d’imputabilité, plus de productivité… et que la « responsabilité populationnelle » qui justifie les efforts d’animation de ce réseau local de services ne fait même pas partie des objectifs mesurables du contrat de gestion qui vous lie.

Il y a sans doute beaucoup de raisons pour réduire à sa version minimale cette responsabilité populationnelle animant l’agir en réseau des partenaires locaux : j’ai pas assez d’argent, je dois augmenter ma productivité, j’ai de nouveaux employés à former pour remplacer ceux qui partent à la retraite, ou encore je dois négocier ma prochaine convention… Pourtant, dans la mesure où il y a encore beaucoup à faire pour rencontrer les besoins de demain, dans la mesure où il faudra innover encore (les méthodes éprouvées ne sont pas toutes trouvées !) pour faire travailler ensemble cliniques médicales, résidences pour aînés, services à domicile; services périnataux, de garde en milieu familial, services de soutien aux familles… il y a quelque chose à chérir et à découvrir dans cette gouvernance en réseau qui serait la marque, selon certains, d’un changement de paradigme nécessaire pour sortir du conflit paralysant entre la gestion publique traditionnelle qu’on accuse d’être couteuse et peu flexible et la nouvelle gestion publique (new public management) qui tend à réduire l’intérêt public à la somme des intérets individuels et a une fâcheuse tendance à prendre la gestion privée (orientée vers le moindre coût à court terme) comme modèle. Un changement de paradigme vers une gestion de la valeur publique (public value management – voir Stoker, Public Value Management: A New Narrative for Networked Governance ?) où la valeur ajoutée dans l’intérêt public est plus importante que le mode de livraison (secteur public ou privé); où l’identification de cette valeur publique est faite grâce une délibération entre les parties prenantes; où les leaders suivant cette nouvelle approche se montrent capables de soutenir cette délibération, cette action concertée d’acteurs provenant d’horizons divers. Continuer la lecture de « RLS et RLiS »

recherche sur les Réseaux locaux de services

L’équipe du professeur Deena White, sociologue de l’Université de Montréal qui est aussi directrice scientifique du Centre affilié universitaire du CSSS Bordeaux-Cartierville-St-Laurent, a obtenu une subvention (2,5 M$) du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada.

La subvention s’étale sur une période de sept ans. Vingt-sept chercheurs et dix-neuf partenaires québécois, canadiens et internationaux formeront une équipe interdisciplinaire dont les travaux permettront de développer de nouvelles connaissances sur l’interface entre les services sociaux publics, les interventions communautaires et les soins offerts par les réseaux intimes des personnes. [source : U de M]

école publique et système de santé

Je n’avais pas ouvert le livre de Cadotte que je me demandais s’il aborderait la question des écoles privées. Et oui, évidemment, Robert aborde cette question, avec maestria.

Je le dis d’entrée de jeu, j’ai envoyé un de mes fils à l’école secondaire privée. Par hasard cette école (le collège Ville-Marie) était installée dans le même édifice que j’avais fréquenté : l’école – publique – pour garçons Ste-Louise-de-Marillac, section classique, dirigée par Émile Robichaud. Si une telle qualité d’enseignement et de soutien, d’engagement parascolaire du corps enseignant avait existé à l’époque où mes fils étudiaient au secondaire nous aurions avec joie épargné des milliers de dollars tout en contribuant à construire un réseau public plus fort…

Je ne suis pas spécialiste du monde scolaire. En fait je ne suis spécialiste de rien. Mais, disons que je connais moins bien, beaucoup moins bien le monde scolaire. Et puis j’ai été et je demeure plus proche du monde universitaire que du monde de l’enseignement secondaire ou primaire. Pas très collé au monde scolaire je me suis pourtant récemment « confronté » à cette question : l’existence du système scolaire privé menace la qualité et l’unicité du système de santé. Particulièrement le scolaire primaire et secondaire privé.

La logique à l’œuvre pour justifier le financement public de ces écoles privées est la même qui pousse vers la privatisation des services aux ainés. Les gens ont de l’argent pour payer un « supplément » pour leurs proches. Les encourager conduit à réduire la charge sur le réseau public, tout en satisfaisant le désir d’autonomie et la liberté de choisir d’une partie des électeurs. Mais est-ce vraiment le cas ? Continuer la lecture de « école publique et système de santé »

projets de retraite ?

J’y pense de plus en plus souvent, de plus en plus sérieusement. Ce qui me retient (retenait) encore de partir, après 35 ans de services (en septembre dernier) ? L’impression d’avoir un job avec un espace de créativité, où je pouvais (prétendre) avoir une influence sur le développement et l’orientation des choses.

Mais les choses se corsent. Le contexte local devient de moins en moins favorable à l’expérimentation et l’innovation. Les contraintes liées aux processus d’optimisation et d’agrément… rétrécissent l’horizon plutôt qu’elles ne l’ouvrent. Et les collaborations régionales se résument de plus en plus à des voies de communication à sens unique où l’on consulte le local sur des produits déjà formatés, des problématiques déjà circonscrites avec bien peu d’espace pour poser des questions non déjà prévues au programme. Le dernier exemple en date étant le rapport sur les inégalités où les enjeux soulevés tournent essentiellement autour des compétences des équipes en place.

Où sont les efforts pour identifier et réduire les iniquités dont sont victimes les ainés dans leur accès aux soins et traitements ? Quelle est la portion de l’écart de longévité (entre classes de revenus) qui pourrait être corrigée pour peu que les conditions de vie en centres d’hébergement privés soient prises en compte ? Comment expliquer le silence entourant le caractère régressif du « crédit d’impôt pour maintien à domicile d’une personne âgée » qui fait qu’on soutient des deniers publics les personnes en fonction de leur portefeuille plutôt que de leurs besoins ? Continuer la lecture de « projets de retraite ? »

réseau local de services et responsabilité populationnelle

[L]e CSSS devra constituer et animer un réseau local de services (RLS) travaillant d’une façon de plus en plus intégrée à l’amélioration de l’état de santé et de bien-être de la population ainsi qu’à la prise en charge des usagers, notamment des personnes vulnérables. (…) le CSSS a la responsabilité de créer, avec les partenaires de son territoire, les conditions favorables à l’accès, à la continuité et à la mise en réseaux des services médicaux généraux, notamment les services de prévention, d’évaluation, de diagnostic et de traitement, de réadaptation et de soutien. (…) Outre les services médicaux, des liens sont nécessaires avec les autres secteurs d’activité ayant un impact sur les services de santé et les services sociaux tels les commissions scolaires, les municipalités, le milieu de l’habitation, les pharmacies communautaires, les entreprises d’économie sociale, les ressources non institutionnelles et les organismes communautaires. Par cette collaboration avec ces secteurs d’activité, le CSSS pourra ainsi développer une vision cohérente et coordonner les actions afin d’améliorer la santé et le bien-être de la population. [Les centres de santé et de services sociaux, Agence de la santé et des services sociaux de Montréal]

Depuis la naissances des CSSS, il y a plus de 5 ans maintenant, comment les réseaux locaux de services se sont-ils concrétisés ? En relisant la planification stratégique 2010-2015 de l’Agence de Montréal, j’ai extrait ces différentes citations portant sur différentes façon de travailler en réseau, du point de vue de l’agence (pdf). Suivant les clientèles et objectifs visés, les acteurs mis à contribution seront différents, les moyens mis en œuvre aussi. Plusieurs orientations sont encore en chantier, sinon en projet : services intégrés de stimulation précoce, programmes d’intervention en négligence pour les enfants de 0 à 12 ans…

Mais qu’est-ce que ça veut dire, au juste, « travailler en réseau » ? Je me suis permis cette petite réflexion, qui commence ainsi :

Il y  a une trentaine d’années, quand on parlait d’intervention de réseau, on référait à Claude Brodeur : L’intervention de réseaux, une pratique nouvelle (1984). Faire des liens entre « l’intervention individuelle », c’est-à-dire auprès d’une personne, et les réseaux sociaux, familiaux et communautaires entourant cette personne. On était en pleine période d’expérimentation et de développement de méthodes et ressources alternatives mettant l’accent sur l’autonomie, la participation des « clientèles », l’émergence des nouveaux mouvements sociaux : centres de femmes, maisons de jeunes, ressources alternatives en santé mentale… Des processus qui questionnaient et critiquaient souvent les pratiques institutionnelles et professionnelles traditionnelles. (voir la suite)

Je n’ai pas de conclusion ferme, ni même de conclusion du tout ! Sinon que ces efforts de travail conjoint, en réseau, de concert… ont peut-être d’autant plus d’avenir qu’ils ne reposent pas sur une structure précise, sur le pouvoir directif d’une instance… Les forces qu’il s’agit de mobiliser doivent l’être volontairement.

d’autres fusions dans le réseau de la santé ?

«le Gouvernement du Québec suspend tous les affichages de poste de directeur général d’établissement de santé pour une période indéterminée» C’est ce que m’apprenait le petit bulletin d’information de mon CSSS, alors que notre DG a déjà annoncé son départ pour la fin de l’année et que le conseil d’administration de l’établissement souhaitait amorcer les démarches de remplacement au plus tôt, pour assurer un minimum de continuité. Qu’est-ce à dire que ce « gel des remplacements » ? Pense-t-on vraiment qu’il serait encore « rentable » d’intégrer encore plus les établissements locaux (quel euphémisme) ? Pour épargner quoi ? Un salaire de Directeur ? Mais il faudra payer combien les « sous-directeurs » ?

Non ça ne peut être de ces économies de bout-de-chandelle… mais plutôt l’avantage que représenterait, du point de vue du ministère, de juste dépasser le seuil au delà duquel il devient impossible à une direction locale d’incarner une orientation cohésive, de faire sens (au delà de la tâche individuelle ou du besoin personnel) pour un personnel et une population territoriale… Une telle orientation réduirait encore les chances de voir des institutions locales défier les dictats ministériels ! Continuer la lecture de « d’autres fusions dans le réseau de la santé ? »

état de santé ? ou de santé publique ?

Si nous devions, un jour, mettre en place un système de mesure de l’état de santé des populations locales, par le biais de sondages et autres sources de données, ce système devrait non seulement mesurer les éléments comportementaux et sociologiques habituellement utilisés pour décrire les facteurs de risques associés aux maladies surveillées, mais aussi identifier les caractéristiques des milieux de vie et micro-milieux qui reflètent les choix et les ressources misent en œuvre par leurs habitants pour faire face à leurs besoins sanitaires et  sociaux.

Une telle approche, que je qualifierais humblement d’écosystémique, nous permettrait non seulement de questionner des individus mais de qualifier des milieux de vie qui sont des « filtres » qui attirent certaines personnes ayant des besoins ou des moyens particuliers, ceux-ci étant souvent corrélés aux maladies chroniques que nous désirons « pister ».

Quand je parle de milieux de vie et que je pense aux personnes âgées vulnérables (hors des CHSLD), je pense aux HLM pour aînés, aux ensembles d’habitations de type OBNL… mais aussi, surtout dirais-je, aux petites et moyennes résidences privées offrant des services aux aînés. Pourquoi « surtout » ? Continuer la lecture de « état de santé ? ou de santé publique ? »

plan 2010-2015 de l’Agence de Montréal

Première ligne forte, meilleure accessibilité aux services, meilleure gestion des maladies chroniques, intervention précoce, suivi des grandes transformations et réduction des inégalités sociales.

On retrouve sur le site de l’Agence le Bilan 2006-2010, une version « faits saillants » du bilan, le document de consultation sur la planification stratégique 2010-2015 (63 pages).

Une série de rencontres de consultation s’amorce (syndicats, organismes communautaires, commissions régionales, établissements, tables spécialisées…) en mars, avril. Quinze groupes de discussions seront aussi organisés en mars : un par territoire de CSSS et trois groupes anglophones.

Encore une fois, on promet de développer la première ligne, de faire travailler ensemble tous ces professionnels afin de répondre aux besoins grandissants d’une population vieillissante et susceptible de souffrir de plus en plus d’affections chroniques… Mais comment peut-on décemment proposer de telles perspectives sans soulever une seule fois la question de la rémunération à l’acte des médecins ? Croit-on sincèrement qu’on pourra s’occuper, enfin, des personnes d’une manière concertée et efficace alors qu’une partie centrale, essentielle, du système est orientée, incitée à passer le moins de temps possible avec chaque cas. J’espère que cette question sera soulevée avec assez de force lors des forums et groupes de discussions.